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dimanche, 25 janvier 2015

La Queue

 

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Je ne sais trop en quelles contrées je me réfugiais quand j'ai écrit ce roman... ni comment j'en revenais. Mon chat dormait le plus souvent juste à mes côtés. Toutes tentures tirées, l'appartement demeurait lourdement calme. Parfois, j'errais par les trottoirs de cet Athènes tumultueux aux murs barbouillés de tags, celui-là même qui a voté aujourd'hui ; parfois je longeais les rues tranquilles du vieux Bruxelles ou les boulevards ensommeillés du pauvre Paris... Ou bien encore les vastes avenues du Manhattan des années cinquante, en compagnie de ce bon Kerouac dont j'aurai lu pour l'occasion (presque) toute l'œuvre [et découvert le splendide Visions de Gérard ]...  Non, je ne saurai dire moi-même, au fil de cette écriture fondue au quotidien, quels sentiers perdus de mon adolescence fugueuse j'empruntai à rebours jusqu'à Decize, ni non plus en quels fossés de cet aujourd'hui absurde et déréglé dont - tout en l'aimant malgré tout -  je dressais la satire, je m'embourbais, furieux tel un un fauve trompé, trahi. Au pays des anciens Francs, je fis de Pierre Lazareff et de Madame Rachou de véritables soldats lumineux, et de la catastrophe du Mans en juin 1955 une sorte de Guerre de Troie de nos ridicules temps modernes délités en zone euro. Mais j'aurais tort de les maudire encore et encore, ces mauvais temps-là, je m'y suis bien amusé à porter leur queue, comme mon héros avait appris à le faire lors de son joyeux dépucelage non loin du petit personnage de Capiello...

 

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 Je me souviens, bien sûr, de cette visite  au Louvre d'avril 2013 (déjà ? L'écriture tient le temps, empêche qu'il ne s'éparpille trop de travers, c'est par là qu'elle demeure malgré tout salutaire...) Je désirais que ce roman sortît d'une toile de La Tour, parce que depuis toujours ce maître lorrain sur lequel tout a déjà été dit m'accompagne et m'enrobe de ses toiles à chaque moment cuisant. La Tour, c'est un monde qui ne sera plus. Au sein du pavillon Denon, la salle qui lui est dévolue resta déserte, d'ailleurs, vide ce matin-là telle la coquille d'une noix dévorée - tous les queutards en pantacourts s'étant entassés devant la Joconde pour y faire des selfies - et j'hésitai longtemps d'un tableau à l'autre avant de jeter mon dévolu sur le Saint Sébastien pleuré par Irène. J'hésitai longtemps, comme guidé par les vœux intérieures de ce roman désireux de croître, alors encore à pousser. Mais à quoi bon en rajouter davantage? Ce serait risquer l'extravagance de la posture.

 

dimanche, 16 novembre 2014

La mort et la littérature

 « La mort de nos parents est une promotion, philosopha un jour le reporter Pierre Lazareff ; eux partis, il n’y a plus d’écran entre la mort et nous. » Il touchait là un sujet sensible. Pour avoir perdu les miens relativement tôt, j’en comprends depuis longtemps et avec acuité le sens. J’ai acquis très tôt, au point d’en écrire un livre sur le sujet à l’heure où l’on aborde généralement des thèmes plus primesautiers, un sentiment trouble d’être mortel, non pas une idée de la mort  - rien n’est pire que le concept, comme le poète Bonnefoy l’a si souvent montré -, pas même une conscience, car on se demande bien comment la vie peut avoir conscience de la mort, mais le sentiment qu’un trou était apparu, un trou devant soi et sous ses pas, qui enseigne une grande prudence et donne à la démarche de l’être une forme de gravité. Cela dit, quand cette gravité survient tôt, elle contraste bizarrement avec l’insouciance qu’on se doit de vivre à vingt ans, et fait de vous un promu, certes, mais un promu aussi original que marginal. Quelqu’un que la vie a voulu faire grandir trop vite et qui, du coup, a vite compris, à l’âge où chacun veut paraître plus expérimenté qu’il ne l’est, que l’essentiel est de préserver sa jeunesse le plus longtemps possible, et non de lâcher sa main pour la conquête de faux-billets.

Je suis toujours surpris aujourd’hui de voir des gens de ma génération déplorer la mort de leurs parents. J’ai du mal à « compatir » au sens social du terme, parce que ce qui leur arrive me paraît naturel et que, ayant appris depuis longtemps à vivre sans cet écran qui leur est soudainement retiré, je ne sais plus ce que c’est que de le voir se lever. Il m’est ainsi peut-être arrivé, sans même m’en rendre compte, de blesser des gens en ayant l’air surpris de leur désarroi.

 

Notre mort est inéluctable, celle de nos proches également. La littérature est probablement l’un des seuls lieux où un truisme aussi radical peut se dire sans être peinant ou blessant. C’est à partir de ça que je juge de l’intérêt ou non d’un livre. Tous les grands livres que j'ai lus m'ont parlé de la mort. Mais tous les livres parlant de la mort ne sont pas des grands livres.

Et le moins qu’on puisse dire dire, c’est que la plupart de ceux qui s’accumulent sur les rayons des librairies ne méritaient ni d’être édités, ni mêmes d’être écrits.

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Pierre LAZAREFF

19:23 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, mort, bonnevoy, pierre lazareff | | |