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dimanche, 16 novembre 2014

La mort et la littérature

 « La mort de nos parents est une promotion, philosopha un jour le reporter Pierre Lazareff ; eux partis, il n’y a plus d’écran entre la mort et nous. » Il touchait là un sujet sensible. Pour avoir perdu les miens relativement tôt, j’en comprends depuis longtemps et avec acuité le sens. J’ai acquis très tôt, au point d’en écrire un livre sur le sujet à l’heure où l’on aborde généralement des thèmes plus primesautiers, un sentiment trouble d’être mortel, non pas une idée de la mort  - rien n’est pire que le concept, comme le poète Bonnefoy l’a si souvent montré -, pas même une conscience, car on se demande bien comment la vie peut avoir conscience de la mort, mais le sentiment qu’un trou était apparu, un trou devant soi et sous ses pas, qui enseigne une grande prudence et donne à la démarche de l’être une forme de gravité. Cela dit, quand cette gravité survient tôt, elle contraste bizarrement avec l’insouciance qu’on se doit de vivre à vingt ans, et fait de vous un promu, certes, mais un promu aussi original que marginal. Quelqu’un que la vie a voulu faire grandir trop vite et qui, du coup, a vite compris, à l’âge où chacun veut paraître plus expérimenté qu’il ne l’est, que l’essentiel est de préserver sa jeunesse le plus longtemps possible, et non de lâcher sa main pour la conquête de faux-billets.

Je suis toujours surpris aujourd’hui de voir des gens de ma génération déplorer la mort de leurs parents. J’ai du mal à « compatir » au sens social du terme, parce que ce qui leur arrive me paraît naturel et que, ayant appris depuis longtemps à vivre sans cet écran qui leur est soudainement retiré, je ne sais plus ce que c’est que de le voir se lever. Il m’est ainsi peut-être arrivé, sans même m’en rendre compte, de blesser des gens en ayant l’air surpris de leur désarroi.

 

Notre mort est inéluctable, celle de nos proches également. La littérature est probablement l’un des seuls lieux où un truisme aussi radical peut se dire sans être peinant ou blessant. C’est à partir de ça que je juge de l’intérêt ou non d’un livre. Tous les grands livres que j'ai lus m'ont parlé de la mort. Mais tous les livres parlant de la mort ne sont pas des grands livres.

Et le moins qu’on puisse dire dire, c’est que la plupart de ceux qui s’accumulent sur les rayons des librairies ne méritaient ni d’être édités, ni mêmes d’être écrits.

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Pierre LAZAREFF

19:23 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, mort, bonnevoy, pierre lazareff | | |

Commentaires

La littérature et la mort :

Votre propos est à la fois intime et de portée générale et c’est ce qui en fait la justesse.
La mort est inéluctable, certes. Mais la vie aussi une fois qu’on a eu la chance d’y accéder. Pour combien de temps et pour quelle qualité ? Telle est la question. Fondamentale. Et qui donne tout son sens à l’aventure. Il n’y a pas d’autres questions qui vaille vraiment la peine d’être résolue ; sinon par plaisir du bavardage
Un être qui m’est très cher(e) me faisait le gentil reproche de « faire mourir » mes personnages à la fin de chacun de mes romans, Zozo, Bertin, Le Laboureur (que je viens de terminer de mettre en ligne).
Oui. Parce que je conçois mal qu’un livre, qui n’est pas fait pour raconter une histoire mais pour mettre en perspective une vision de l’aventure humaine, puisse se refermer en lâchant ses personnages dans la nature… Un livre accompagne une idée, une force, et cette force, même si l’accompagnateur survit (heureusement) meurt avec lui.
Pour mézigue, l’imaginaire s’arrête là. Devant « Le Grand Peut-être » de Rabelais et de Julien Sorel.

Écrit par : Bertrand | lundi, 17 novembre 2014

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