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lundi, 27 octobre 2014

Suceurs de sang

Tout le gotha politique et économique enterrait ce matin Christophe de Marjorie à Saint Sulpice. Il fallait entendre, à la sortie de l’église, les « personnalités » socialistes, comme on dit, parler de lui non seulement comme « un homme bien », « un homme atypique apprécié de tous », mais surtout comme un homme plein d’humour, quand le PS lui-même avait menacé Gérard Filoche d’exclusion pour avoir parlé à son propos de « suceur de sang ». Le pingouin Hollande, dont le sens de l’humour est proverbial et qui connaissait bien le défunt, avait justement salué « la finesse d’esprit » de ce « grand patron » lors de son communiqué. Il était présent au premier rang de l’église, en tant que président, bien sûr, mais aussi en tant que proche de la famille, aux côtés de l’émir du Qatar (un autre proche…)

« Suceur de sang » : ce n’était certes pas très malin, pas plus que de traiter de « singe » Christiane Taubira.  Mais depuis quand demande-t-on à l’humour d’être intelligent ? Et depuis quand exige-t-on du peuple qu’il ne rit plus ?

Depuis les salons précieux du XVIIe, salons hantés par les Trissotin et les Bélise (amateurs futiles et complices de petites blagues) que Molière ne se priva pas de tourner au ridicule ! C’est alors que se développa  cet humour français si connoté, qui se piquait d’être un trait d’esprit et un instrument de séduction en instaurant le culte du bon mot contre la franche saillie rabelaisienne et qui, de Voltaire à Sacha Guitry , passa par la suite pour un signe de culture ( en lieu et place de la saine érudition), quand il n’était qu’un marqueur de classe dans une société de plus en plus sotte et embourgeoisée.

Bien sûr, avant les précieux, les dévots avaient aussi condamné le rire, au motif que « le Seigneur ne rit jamais ». Certes, bien avant les précieux, d’austères gens d’Eglise avaient même été les premiers à interdire au peuple de rire, au risque de perdre son âme et de compromettre son Salut : le rire, une forme de péché, était la signature de Satan. Au moins cette injonction s’inscrivait-elle dans une hiérarchisation du monde, du profane au sacré, qui faisait sens, à l’heure des bâtisseurs de cathédrales, et les jours de carnaval permettaient de s’adonner au rite d’une joyeuse inversion.

 

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Gargantua, Envoi au lecteur

 

Nos puissants bourgeois bohèmes aux commandes aujourd’hui se comportent, avec les interdits qu’ils multiplient sur la liberté de rire de tout, à la fois  comme des curés sans soutane et des précieux ridicules. Sous leur règne attristant, c’est peu dire que la France va mal. On se demande si elle n’a pas complètement perdu la tête, alors que les comiques milliardaires et si accommodants avec le pouvoir emplissent les bacs des centres culturels d’objets indéterminés et les théâtres parisiens. En 1983, Gilles Lipovetsky appela cette ère « l’ère du vide ».  Dans cette époque, écrivait-il, l’humour apparait comme un « code de dressage égalitaire, qu’il faut concevoir ici comme un instrument de socialisation parallèle aux mécanismes disciplinaires » Nous y sommes. Tu ne diras pas singe ni suceur de sang, au risque d’apparaître tantôt comme diabolique, tantôt comme imbécile. Dans les deux cas, border line, c'est-à-dire infréquentable. Rire de certains trucs, c’est très vilain et ça peut te coûter cher. Confère Dieudonné. Mais tu riras du reste, officiellement drôle, ruquierisé devant ton écran : Tu riras seul, et seulement de ce qu’on te dira.

 

vendredi, 16 avril 2010

L'ère du foot

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Sur cette photo, tout le foot actuel : Une cage vide, à prendre d’assaut. Derrière, une foule anonyme, des visages fondus, une simple muraille de spectateurs. Un entraineur en costume cravate, mains dans les poches, décontracté & speedé juste ce qu’il faut, l’homme moderne, quoi, comme on dit dans la pub. En pleine crise. Entre la  muraille de spectateurs et l'entraineur stressé, une muraille de pubs, justement. L’air du temps. Au sol, du gazon. Important, le gazon, dans le foot. Quand on s'emmerde, on compte les brins.


Sur cette vidéo, tout le foot également : le capitaine de l’Olympique de Marseille Mamadou Niang sortant de l’entrainement où l’attendent depuis deux heures des supporters. Il est multimillionnaire. Ils sont pauvres. Comme il passe d’un trait en feignant de les ignorer, l’un d’entre eux botte en touche sa bagnole. Son carrosse. L’idole descend, et, sans faire dans la dentelle, l’insulte, le gifle. Escarmouches. L’air du temps à nouveau. L'ère du foot

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Voilà qui rappelle une page de Musset dans la Confession d’un enfant du siècle. Les pauvres de Ménilmontant regardent passer les calèches des aristocrates à l’occasion d’un carnaval. La farine manquant (cruauté du jeux de mots), la boue vint à pleuvoir. Que dire ? Au moins les aristocrates de ce temps-là avaient-ils plus de tenue que ceux d’aujourd’hui. Et les pauvres étaient quand même moins abrutis.

Ci-dessous, le texte de Musset L’un de ses plus beaux. Dédié à l' Eventail. Et aussi à la mémoire de Jacques Seebacher , qui nous commentait si intelligemment cet extrait de Musset au premier étage d'une tour de Jussieu il y a fort longtemps - un siècle autre - mais les paroles demeurent.

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