lundi, 09 février 2009
Lieux communs sur le Lyonnais
Des rues noires, étroites, ou plutôt des ruelles se frayant un chemin sinueux au travers des maisons colossales, enduites d’une couche uniformément sombre par la vétusté jointe aux fumées de la houille ; un pavé boueux en toutes saisons ; de bâtardes allées vomissant dans la rue des ruisseaux d’une onde suspecte ; des boutiques obscures et de mince étalage ; de grandes portes cintrées, munies de barreaux de fer, éclairant, pour toute ouverture, les ténèbres à peine visibles de magasins que le soleil n’a jamais éclairés de ses reflets dorés et où la lampe mélancolique s’allume quelquefois dès le milieu du jour ; une population soucieuse, affairée, peu curieuse de la forme, et pour tout luxe d’équipage, dans ces rues dignes du XIIIème siècle, de lourds véhicules supportant des monts énormes de ballots de soie. Le Lyonnais est une sorte de Hollandais auquel le ciel a refusé les grâces frivoles de l’affabilité, de la légèreté, de la sociabilité, cette fine fleur de l’intelligence qu’on nomme esprit ou, pour mieux dire et être plus juste, cet agréable badinage dont le plus pur béotien de Paris sait si bien masquer sa radicale nullité, en même temps que ce vernis d’urbanité et d’élégance qui fait illusion aux étrangers et cache la vulgarité foncière ou l’égoïsme renforcé.
Le Lyonnais rit quand il a le temps. Son commerce, son industrie, ses chiffres l’absorbent tout entier. De là sa physionomie grave, morne. Il est austère sans effort. Il dîne à deux heures, soupe à neuf et se couche vertueusement ensuite, comme un marchand du Moyen Age. Ses jours, qui ne diffèrent pas sensiblement de ses nuits, il les passe, la plume à l’oreille, dans une façon de cave ou de rez-de-chaussée ténébreux qu’il affectionne ; car à la garde de ce lieu peu avenant sont confiés ses marchandises, son grand livre, le répertoire et le siège de ses affaires, le grand intérêt de sa vie.
Le Lyonnais qu’enrichissent, à moins d’un grand désastre, trente ans d’une telle existence n’a pas un seul instant l’idée de se servir de sa fortune au profit de son bien-être. Il n’en jouit ordinairement qu’à la troisième génération. Non seulement il blâme le luxe chez autrui, mais il ne l’aime point pour lui. Il connaît ses concitoyens et juge de leur naturel ombrageux par le sien propre. Les dépenses et l’étalage qui ailleurs soutiennent le crédit, le compromettraient à Lyon ; la seule joie que se permette le négociant enrichi, la seule que ne lui défendent pas les usages de la cité consiste à acheter une maison de campagne dans les environs de la ville pour y aller passer patriarcalement le jour du Seigneur en famille. L’aristocratie lyonnaise, qui est toute composée de commerçants passés par l’échevinage, est indifférente à tous les efforts que l’esprit humain peut tenter dans un autre but que la perfection du tissage ou la broderie des étoffes.
L’étranger se sent envahi promptement par les méphitiques vapeurs de la tristesse et de l’ennui, ne sait où se pendre pour combattre cette malaria endémique et contagieuse qui l’oppresse. Les cafés, ce palliatif et grand narcotique de la vie de province, ne lui offrent pas un topique. Mornes et enfumés, ils ont plus de rapport avec les tavernes anglaises qu’avec ces élégants palais tout de glaces, d’or et de moulures érigés à la demi-tasse parisienne par des limonadiers artistes. Les plus célèbres restaurants sont des bouges que dédaigneraient nos cuisines à vingt-cinq sous.
Le spectacle finit de bonne heure à Lyon. La population, sage, rangée, matinale, ne fait pas du jour la nuit. Si bien que deux librairies suffiraient à approvisionner la deuxième ville de France, et qu’un seul grand théâtre est plus que suffisant à satisfaire sa curiosité. A dix heures, les rues sont désertes, les phares des cafés et des boutiques s’éteignent, et l’étranger regagne une hôtellerie maussade où, dans une chambre confortable comme une posada espagnole, il écrit de rage à ses amis, à l’univers, que la seconde ville de France est la plus laide, la plus triste, la plus ennuyeuse, la plus etc, etc …
Article de l’ Illustration (journal parisien), daté de 1848.
18:07 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, l'illustration, littérature, culture, presse |
jeudi, 05 février 2009
Une affaire de goût
Beaucoup de gens disent que leur goût est naturel. Et de ce goût prétendument naturel, ils font la mesure de tout jugement esthétique, parfois même éthique. "J'aime, j'aime pas", variante assez stupéfiante du médiatique "pour ou contre", qui structure de plus en plus leurs opinions. Impression que demeure ainsi un choix, que ce choix relève d'un goût, et que ce goût est naturel. Et de ce goût prétendument naturel, ils font l'étalon absolu, la mesure exacte de ce qu'ils voient, de ce qu'ils rencontrent. "J'aime, j'aime pas" : Sorte de pensée magique, de crédo mystique, la référence en matière de sapes, objets, livres, films, tableaux, people, manifestations, festivals et parfois même, idées ... Jamais nous n'aurons vécu aussi loin de la nature, jamais, nous ne l'aurons mise à autant de sauces : c'est naturel, disent-ils de tout et n'importe quoi... mais comment peut-on sérieusement penser que le goût est naturel alors qu'on vit dans une société où, précisément, plus rien ne l'est ?
La nature, elle-même, Séjour des dieux chez les Grecs, Mère providentielle chez les humanistes, Asile miséricordieux chez les romantiques, chez nous, & par la grâce de notre sémantique, n'est plus qu'un simple environnement. Voilà à quoi nous avons réduit la représentation que, collectivement, nous nous en faisons. Cela n'empêche pas quelques-uns d'entre nous de l'admirer, certes : mais toujours de très loin; mais comment, loin de cette nature qui nous environne, aurions-nous pu conserver un goût naturel, lequel serait passé à travers tous les filtres de l'éducation, du conditionnement, de l'idéologie, des affects... pour toutes les saloperies que la grande distribution, commerciale ou culturelle, nous refile à digérer ? Froissés, sans doute, de n'être pas le centre réel de l'univers comme l'avaient cru les Antiques, nous, modernes, nous nous sommes en quelque sorte configurés un centre. Et de là, de ce centre où les notions d'inné et d'acquis ne sont même plus identifiables, éloignés de la tradition du goût, nous prenons la mesure de ce tout qui nous entoure. Combien de gens pensent-ils encore qu'en matière esthétique, le goût est avant tout une affaire d'éducation ? Combien de gens ont-ils encore l'humilité de se dire qu'ils pourraient, qu'ils devraient éduquer leur goût ? Combien de gens en ressentent-ils encore la nécessité, dans cette étrange et partout régnante confusion ?
20:53 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : goût, culture, enseignement |
mercredi, 21 janvier 2009
Le meilleur des mondes
Si les signes vous trompent, combien vous tromperont les choses signifiées...
06:23 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : obama, usa, politique, amérique, actualité |
mercredi, 14 janvier 2009
Le lait de la fiction en série
Je m'interroge sur ces images (Nimbus, les héros de Monjournal) vers lesquelles j'ai laissé glisser durant ces deux jours mon esprit. Tous, nous avons bu, par une mamelle ou par une autre, le lait de la fiction en séries. On nous l'a fait boire, plutôt. On nous l'a fait boire et puis nous y avons pris goût. Car au fond, nous ne demandions rien. Combien de fois m'est-il arrivé de voir un petit gamin dans un manège, par exemple, qui tournait, semble-t-il, davantage pour le plaisir de sa mère ou de son père que pour le sien. Je me souviens très bien que quand on me demandait si je voulais monter sur le manège, où lire l'histoire d'Akim, au commencement de moi-même, je ne savais pas vraiment. Peut-être même, je ne voulais pas. Après, cependant, venait le goût ; un goût relatif, vite dépassé par un autre. Il y a un moment ou j'ai reconnu que toutes ces séries étaient de très mauvaises fictions, ou j'ai reconnu le lieu commun et le formatage (comme on dit à présent) dans les phylactères. Mais le pli était pris. Et le plaisir, d'une certaine façon, trouvé. J'avais bu au lait de la fiction en séries. Et puis ça a continué. C'est même devenu très puissant, avec la télévision. Inutile de commenter ce ridicule effet Belphegor qui a traversé la France de nos parents (Juliette Gréco était elle vraiment aussi épouvantable que cela ? Je n'ai vu le film entier que trop tard pour partager ce grand frisson collectif). Mais d'autres séries. J'ai vu des "copains", à l'époque, qui sont passés sans transition d'Akim à Salut les Copains, par exemple. Le grand lait de la fiction en séries, c'était aussi les films-cultes. Des studios Dysney aux studios Spielberg, d'Hitchkock à Woody Allen, ces films dont certains m'ont vraiment ébloui (je pense à Vertigo, par exemple), mais qu'il fallait, d'une manière ou d'une autre avoir vus. Et qui prenaient subrepticement la place des livres qu'il fallait avoir lus. On pourrait peut être dater, dans l'histoire des Français, le moment où lire les Pensées de Pascal, la Nouvelle Héloïse, la Chartreuse de Parme, est devenu moins important que d'avoir vu le dernier Gérard Oury, Woody Allen ou Almodovar. Bien sûr, il y a ceux (de plus en plus rares) qui ont continué à faire les deux de front. Mais enfin... Même chez les profs, parfois on peut douter. Ce moment, c'est le grand tournant des années Pivot.
Ah ! Pivot ! L'alibi Pivot ! Le souriant autant que sourcilleux fossoyeur de la déjà-moribonde littérature française... Combien d'Apostrophes aura-t-il fallu pour qu'il habitue ainsi les gens à têter au vilain sein de la fiction en séries, à têter le Nimbus ou l'Akim qui venait tourner manège sur le petit écran de la semaine, avec le fameux label "vu la télé" collé sur le veston éditorial, une sorte de label-bio avant l'heure, finalement. Ah, Pivot... Le mauvais élève parvenu, le cancre revanchard, le commercial qui endosse le petit tailleur de l'intello pour écrabouiller ce qui reste d'esprit dans la France de Giscard puis dans celle de Mitterand et finir, finalement, en académicien de la rive gauche... Et nous voici avec le triomphe de Bienvenue chez les Ch'tis, avec Dany Boom qui va bientôt passer, ô comble de misère, ô comble de stupeur ! pour la France à lui tout seul, avec un Djamel Debbouze ou une Marion Cotillard dans son sillon. Au temps du professeur Nimbus, d'Akim et de Marco Polo, le mécanisme était déjà en route et tous les producteurs de lait avarié déjà plus au moins aux commandes, certes. Mais il y avait encore un certain sens de la hiérarchie de l'esprit, autrement dit un reliquat de culture chez les faiseurs d'opinion publique de tous crins. Et c'est au fond cela que je regrette le plus : pas ces histoires, que je ne relirai jamais, bien que je reconnaisse les avoir lues avec ce plaisir ambigu dont je parlais plus haut; mais la hiérarchie à laquelle Nimbus et Akim m'initiaient à leur façon. Nimbus et Akim qui, au contraire de Dany Boom ou Djamel Debbouze, n'ont jamais pété plus haut que leur cul.
06:17 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : littérature, actualité, professeur nimbus, bernard pivot |
vendredi, 02 janvier 2009
Faire des efforts
« Pour nous en sortir, chacun devra faire des efforts » : L’énoncé repose sur un beau parallélisme : deux propositions aussi filoutes l'une que l'autre, de chaque côté de la virgule déhanchée, dans le flot du discours présidentiel de mercredi soir.
Tout d’abord, s’en sortir : Verbe à l’infinitif, expression populaire. On n’arrive plus à boucler les deux bouts, on s’en sort plus : propos de rues, de trottoir. Plainte récurrente du petit peuple, entendue mille et mille fois dans les familles. Nous, première personne du pluriel, ce qu’on appelle en grammaire l’emploi pédagogique de la première personne. Mais qu’est ce que ce président à 18.690 euros bruts par mois vient faire parmi ce collectif de pauvres qui ont besoin de s’en sortir ? Sa fortune jointe à celle de sa Carla, il s’en sort très bien, non ? A-t-il besoin de le dire ? Pas plus qu’il n’a besoin de s’en sortir. Il ne vient faire ici qu’un discours. Un de plus. Cette expression, « s’en sortir », il l’a volée dans la bouche des pauvres gens. Voleur, devrions-nous dire. Voleur de mots. Sale boulot de causeur de réveillon. Il y a ce pour, aussi, qui ne fixe aucune ligne présidentielle, mais dérobe aussi celle des pauvres gens car, bien sûr, ils n’aspirent qu’à ça, s’en sortir, depuis la nuit des temps, ils veulent s’en sortir, ils ne pensent qu’à ça, les pauvres. Sarkozy, c’est le renard dans le poulailler qui vient piquer le grain de la poulaillerie. Oui. Leurs mots. Leurs buts. Tout. Il a le mot qui ment, tout comme le geste : « Pour nous en sortir », dit-il.…
Deuxième proposition : On passe soudain au singulier. Chacun. Pronom indéfini, troisième personne du singulier. Le collectif est soudain défait. Chacun. Solitude des fins de mois. La Carla et le Nicolas les ont-ils connues, ces fins de mois-là ? On rigole. C’est pourtant pas drôle. Chacun, soudain, se retrouve tout seul : car soudain, le président, l'Etat, l'autorité se retirent. Réintègre la bibliothèque de l’Elysée. Celle de ses prédécesseurs. La taille et la majesté en moins. A petite époque, petit état. A petit état, petit président. Il n’est plus avec nous et le pluriel redevient un singulier, liberté individuelle, vous dira-t-il, oblige. Devra : indicatif futur, frôlant ici la valeur d’injonction. N’attendez rien de ce type que vous avez élu. Rien. Chacun devra (singulier) faire des efforts. Et notez bien le pluriel au mot effort : « des efforts ». La grammaire est comme ça. Infaillible. Non pas le miroir de l’âme, mais celle des intentions ; Sarkozy ne dit pas : chacun devra faire un effort. Il ne dit pas Nous devrons faire des efforts. Mais cette tournure, à l’image du rictus sarkozien, à mi-chemin entre la faute de grammaire, le parler démagogique, le programme idéologique,: « chacun devra faire des efforts.» Faire des efforts. Cela sent bien sûr son bulletin trimestriel. Sarkozy parle à des enfants. Un monde nouveau, dit-il, doit sortir de cela. Et dans ce monde, Sarkozy l'avocat fera des discours.
00:06 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (30) | Tags : sarkozy, lieu commun, langue française |
lundi, 24 novembre 2008
Creative writing
Il parait qu'aux Etats Unis comme en Grande Bretagne, les creative writing ont le vent en poupe. C'est le Monde des Livres, celui daté de vendredi 21 novembre, qui l'affirme. Bigre. Sur une pleine page, Florence Noiville s'entretient avec plusieurs spécialistes de la chose. Un professeur, tout d'abord, du nom Amy Bloom, « professeur de creative writing à Yale ». Mes respects, professeur !
Amy Bloom commence par livrer une vision pour le moins caricaturale du travail d'écriture à la française : « En France, vous avez tendance à considérer que l'on nait écrivain » (je ne sais pas d'où il tire cette idiotie). C'est une vision romantique des choses (Ah, je vois ! d'une mauvaise compréhension de quelques poèmes de Musset, les Américains et le second degré, c'est vrai que c'est toujours difficile ...) La Grâce tombe sur l'auteur comme, à la Pentecôte, les langues de feu sur les apôtres... (Oui oui, bien sûr, les Français s'imaginent tous ça ... sont d'ailleurs tous - moi et toi compris, lecteur - des demeurés mentaux) ... Passons. Certains "auteurs" se font payer, apprend-on plus avant dans l'article, 150 000 euros annuels pour apprendre de la technicité littéraire à des gens qui les sollicitent. Non, je rêve ! Moi, je me pince, en lisant ça. Sérieux ? Autre chose : « 70 % des universités anglaises possèdent un cours de creative writing. » Pour elles, c'est en train de devenir une matière à part entière, si ! si ! Il paraît que ça peut même sauver la filière Lettres ! Catastrophe ! Imagine-t-on Stendhal ou Proust, Dostoiëvsky ou Joyce, Balzac ou Céline apprenant à l'écrire à l'Université ... De quoi se fendre en quatre de rigolade, non ? En même temps, ils ne manquent réellement pas d'air, ces techniciens de l'écriture ! Vous me direz qu'il faut bien occuper les imbéciles, comme le disait le bon Bernanos, et qu'ils sont légions. Certes. La suite : « La sélection, pour rentrer dans ces ateliers, s'effectue sur un manuscrit de 5000 mots, une lettre de motivation et de solides références. » Là j'ai la nausée. Une lettre de motivation, les gars, un projet d'écriture solide, quoi ! Ce qu'en dit Russell Celyn Jones, un autre zozo directeur du programme de Birbeck University, à Londres : « Le choix n'est pas difficile. En cinq minutes, je peux vous dire qui a le sens de la langue et qui ne l'a pas » (Tiens, le sens de la langue serait inné ? on naîtrait écrivain, à présent...).
De l'aveu de leurs propres directeurs, les gens qui s'adressent à ces ateliers n'auraient « jamais ouvert un bouquin ». Est-ce si étonnant ?
Je ne connais, pour ma part, d'autre façon d'apprendre à écrire que d'ouvrir des bouquins, pourtant. Des vrais bouquins, bien sûr.. Des bouquins d'auteurs. Comme le fit Calaferte dans son usine crapoteuse : Car l'autorité va se chercher dans les textes, à l'ombre des Grands, surtout pas sur les bancs de l'école. L'autorité, c'est l'auteur, pas la technique. Cette fièvre de technicité est désolante, ridicule, et de surcroit obscène, comme tous les marchés de dupes. Etrange ironie que ce tourisme littéraire à l'adresse des ambitieux, des vaniteux et des désœuvrés de tous poils, des Trissotin et des Bélise de tous âges : c'est la star academy versus littéraire, ça promet. Les lecteurs disparaissant, les auteurs (ou du moins ceux qui passent pour tels dans notre monde dément) devront, pour survivre, "apprendre" à écrire à ceux qui ne liront désormais jamais plus leurs livres, trop occupés qu'ils seront à littéraliser leur petit moi. Le marché de l'autofiction a encore de beaux jours devant lui. Car Florence Noiville conclut ainsi son article : « Ces cours seront désormais un point de passage obligé dans le paysage littéraire britannique. C'est là que se fait l'editing, c'est à dire le travail de mise au point et de polissage des textes.... »
Bref, on apprend à naître auteur, comme ailleurs à être journaliste ou politicien ... Orwellien au possible, au pays de Sa majesté, non ?
Cela me rappelle un alexandrin que j'avais crayonné sur le trottoir d'une rue, il y a longtemps, très longtemps. Quand je croyais encore qu'on pouvait, oui, comme au temps de l'heureux mal-être (1), exprimer un peu de sa révolte et faire la manche en un même élan :
Combien m'achetez-vous ce bel alexandrin ?
(1) Expression de Lephauste, dont je recommande la lecture à tous des textes "à rebrousse-poil" sur Humeur Noirte. Par ces tristes temps de malheureux bien-être, c'est salutaire.
06:06 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (30) | Tags : creative writting, george orwell |
mercredi, 19 novembre 2008
The first hundred days
Les Américains sont un peuple étrange et les individus qui composent ce puzzle gens pleinement bizarres. Dans Le Monde daté d'aujourd'hui (1), je découvre ceci (page 6, article signé Corine LESNES) : « Il a suffi que Barack Obama mentionne, dimanche 16 novembre, pendant son premier entretien télévisé depuis l'élection présidentielle, qu'il lisait un livre récent sur les cent premiers jours de Franklin Roosevelt pour que le public se précipite »
Sont-ils pas extraordinaires, ces gens d'Outre-Atlantique ?
Il faut leur envoyer d'urgence un rejeton de La Bruyère ou de Montesquieu (le problème c'est qu'on n'en a plus) pour dépeindre ces comportements-là. Je continue :
« La chaîne CNN ayant désigné le livre : « The first Hundred days, du professeur anglais Antony Badger, la demande a été immédiate, au point que l'éditeur a ordonné une réimpression. » Si si. Comme disaient les laitiers, autrefois, si c'est écrit dans le journal c'est que c'est vrai : vous ne rêvez pas.
« Monsieur Badger a rappelé que Roosevelt, en arrivant au pouvoir en 1933, au milieu de la grande dépression, avait réussi à faire passer seize réformes en cent jours (2). Mais surtout, a-t-il dit "il a ramené la confiance chez les Américains". Tudieu ! Yes he can, lui itou ? ! Cela ne s'invente pas !
Je cite à nouveau La Bruyère - en allant cette fois vérifier dans mon édition pour ne pas froisser d'éventails (3) - : « Il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu'ils appellent saints, sacrés et redoutables; les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi, que l'on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l'esprit et tout le cœur appliqués. On le laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination; car ce peuple parait adorer le prince et le prince adorer Dieu. »
La fascination du pouvoir... Terrible, ça. L'opinion publique, la bonne opinion publique... les médias ont fait de nous des courtisans à distance, courtisans au rabais, c'est bien cela : tels ces courtisans cherchant à rentrer dans l'intimité d'une prière royale (?), ces électeurs américains tentant de surprendre, comme penché par-dessus son épaule, une phrase ou un chapitre d'une lecture présidentielle... terrible !
En rentrant chez moi, je suis allé ressortir de ma bibliothèque les quelques livres dont je dispose sur les années Roosevelt. Le Mémorial de Roosevelt, d'après les papiers d'Anthony HOPKINS (dont j'avais recopié une page le jour historique, mais ce livre débute au moment de la drôle de guerre, rien sur les 100 jours... Et un autre bouquin, de Frances Perkins, « The Roosevelt I knew », où figurent les cent jours (ouf). Je recopie quelques lignes, pas vraiment au hasard, allez : le samedi 4 mars 1933 (qu'est-ce qui se passe, le samedi 4 mars 1933 ?) On dirait un article du Monde, en effet :
« La situation était terrible. Les banques fermaient. La vie économique du pays était presque arrêtée. Roosevelt devait prendre en main ce jour-là le gouvernement des Etats-Unis. Ce fut impressionnant. Tout le monde priait !!!)... »
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(1) Je n'achète jamais le Monde, je ne lis jamais le Monde, sauf quand je prends le métro, ce qui m'arrive tous les 36 de l'an, car m'énervent trop les lecteurs de gratuits. Dans un sursaut de ridicule vanité, honte de leur ressembler (Vous me direz que je pourrais lire La Vie de Rancé, c'est toujours mieux que Le Monde...
(2) Putain con, ô divin Barack, pense à tous les bébés qui porte ton nom, faudra en faire au moins 17, si possible en 50 jours : les reformes, demande à Nicolas, c'est comme les buts, demande aussi à Karim, faut en aligner un max au début pour enflammer les gradins.
(3) Je me serais encore trompé ! 'jai cherché d'abord cet extrait dans Du Souverain, puis dans De l'Homme, je le trouve finalement dans De la Cour...
Portrait de Jean de La Bruyère, attribué à Nicolas de Largillière (1656-1746), Musée de Versailles
06:27 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : élection d'obama, la bruyère, roosevelt |
jeudi, 13 novembre 2008
De la surveillance comme lieu commun
Faut-il n'avoir pas grand chose à faire ni de ses jours ni de sa matière grise pour consacrer du temps à la lecture des blogues de profs... Il parait pourtant que le Ministère de l'Education Nationale fait surveiller les dits blogues, quelle nouvelle ! Risible, non? Quelques 220.000 euros consacrés à ce magnifique effort civique par les deux barons de Grenelle qui, par ailleurs, ne cessent de pleurnicher sur le peu de sous qui reste dans les caisses et envisage des coupes de postes draconiennes dès septembre prochain... Il s'agirait, plaident Xavier Darcos et Valérie Pécresse, de mieux comprendre le mécontentement éventuel des troupes, afin de l'anticiper en ces temps de rudes réformes à venir. Dans le but d'"anticiper et d'évaluer les risques de contagion et de crise", les ministres souhaitent se saisir des informations « qui préfigurent un débat, un risque opinion potentiel, une crise ou tout temps fort à venir dans lesquels les ministères se trouveraient impliqués ». Avec un égard particulier pour les « vidéos, pétitions en ligne, appels à démission, [qui] doivent être suivis avec une attention particulière et signalées en temps réel ». Eh bé ! Il y aurait donc des sous au Ministère, un "budget surveillance". Tiens, tiens... Bonne nouvelle. Si les capteurs de l'Education Nationale passe par là, je leur dis que la vie est belle, et merci patron, chantaient les Charlots, on est tous contents de travailler pour vous, on est heureux comme des fous...
(pièce jointe : le cahier des clauses particulières complet, aussi appelé CCP
08:16 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : george orwell, surveillance, éducation nationale |
De la discrimination comme lieu commun
« Je vous lis, et je comprends chacune de vos paroles que je pourrais tenir, que j'ai tenues déjà, au mot près, à d'autres occasions. Et en même temps, il m'apparait que ce que vous dites n'est proprement compréhensible que par un autre prof. Il faut s'être retrouvé souvent dans cette situation curieuse dans laquelle on est plongé quand on doit incarner vaille que vaille l'autorité des Lettres, et des Lettres françaises de surcroît, face à des illettrés incapables d'écrire correctement parfois même jusqu'à leur propre nom, face à des parents soit absents soit incultes, dans le contexte de démagogie et de manipulation administratico-médiatico-politique qui est celui des tristes temps que nous vivons. Je comprends, je partage et je soutiens même votre colère contre les gens que vous dénoncez. Dites vous qu'ils sont, comme la pupart des ombres mâles et femelles qui errent sur les plateaux TV, ni plus ni moins que des cloportes. Et tenez bon. "La haine de la littérature", disait un certain Flaubert, est la chose la mieux partagée au monde... »
J'ai laissé hier ce commentaire sur le billet publié par un habitant de la vaste blogosphère, qui dénonçait la HALDE et l'entreprise de ré-écriture du passé à laquelle elle se livre, au nom d'une idéologie aussi dangereuse que douteuse.
Sur ce lien, le billet en question : http://tangleding.hautetfort.com/archive/2008/11/12/fanta...
Sur cet autre, quelques éclaircissements : http://www.halde.fr/IMG/pdf/Etude_integrale_manuels_scola...
05:05 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (35) | Tags : la halde, éducation nationale |