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lundi, 10 décembre 2012

Un Nobel pour Noël

Les politiciens européens vont aujourd’hui s’auto-congratuler à Oslo dans ce qui restera comme le plus ridicule coup de communication de cette période de fin d'année. Tandis qu’on ne parle que de crise, de chômage et de pauvreté, ils vont sans doute se livrer devant les caméras à ces ballets impudiques dont, anciennement ou nouvellement élus, ils sont gourmands jusqu’à l’obscénité. Avant d’aller gueuletonner, ils débiteront devant la poignée de journalistes accrédités leurs leçons d’histoire et de morale resucée, alignant des lieux communs de plus en plus inopérants jusqu’à la nausée et distribuant une fois de plus de l’argent qu’ils n’auront nullement gagné.

On ne peut même pas compter sur le pingouin de l'Elysée pour boycotter la cérémonie, hélas. Trop content de s'endimancher une fois de plus pour l'occasion, le président du Conseil général de Corrèze figurera parmi les autres parvenus sur la photo, pour le prix Nobel de la paix le plus antiphrastique de l'histoire, avec celui d'Obama.

samedi, 01 décembre 2012

Le lieu commun du mariage pour tous

Le premier aspect de ce lieu commun, le plus frappant, est l’idée faussement démocratique du « pour tous » qu’il assène sans ménagement. La locution confère au slogan issu de la communication politique la moins originale une redoutable efficacité : parodiant sans vergogne un idéal démocratique des plus nobles, il ne met plus l’accent que sur un prédicat (« pour tous ») en excluant le thème  (on parle de mariage, mais cela peut devenir la France, le président, l’école, le camembert…) , qui devient interchangeable au gré des réformes.

Dans cette logique, dès lors qu’on est « pour tous », on est implicitement rangé du bon côté, celui de l’égalité puisque le pour tous agit non pas comme un argument d’autorité, mais comme un prédicat d’autorité : On pourrait ainsi soutenir le droit à une même opinion pour tous, un même comportement pour tous, un même goût pour tous, un même sexe pour tous, une même lune pour tous… ; il suffit de répéter niaisement le même prédicat pour que ce dont il est question s’impose comme un droit commun.

Je me souviens de tout ce que le titre de Pierre Dumayet, Lectures pour tous, avait de généreux. Et j’entends tout ce que ce slogan de campagne, le mariage pour tous, a de rhétorique et sentencieux : Dans une société en crise et gouvernée par des politiciens qui ne sont plus que d’habiles communicants, le schéma « du même pour tous » apparait comme un gage d’égalité, quand il n’est qu’un principe de conformité.

La théorie des genres, telle qu’elle est issue des analyses d’un Foucault relayée par des associations de féministes et de multiples universitaires carriéristes, qui l’ont polie à la fois du vernis de la revendication et de celui de l’esprit, est le deuxième présupposé contenu dans ce lieu commun.

On ne nait pas femme, on le devient : Ce qui était à l’origine un chiasme, figure de style assez performante pour dénoncer le conditionnement social et culturel subi par les petites filles en plaçant sous le même signifiant un signifié anatomique et un signifié culturel, a également été  réduit au slogan intempestif (c'est-à-dire au premier degré) par les façonneurs en mal de surinterprétations de la théorie du genre ; désormais, donc, tout a un sexe : les coutumes, les objets, les produits, les idées, les lois, les mots, les couleurs, les rites, tout, absolument tout sauf les corps, tout sauf nous.

Désormais, nous n’avons plus de sexe, nous ne disposons que d’un genre.

Genre qui nous appartient et dont nous pourrions, à notre guise, influer le cours et décider le sort. C’est à ce titre qu’un enfant peut se retrouver avec non plus un père et une mère, mais un parent 1 et un parent 2, lesquels, étant du même sexe, ne seront cependant pas du même genre. On se croirait sans rire dans La Cantatrice Chauve, on est juste dans la post-modernité libérale. Cette dernière ne se satisfait que d’individus libres (dit-elle) c'est-à-dire isolés. S’y développe donc l’idée, pernicieuse que les parents « génétiques » (1), ceux qui transmettent un lien avec l’origine, seraient de faux parents, des parents occasionnels, une mémoire qu’on peut jeter aux orties au bénéfice du parent intentionnel, celui qui a « aimé l’enfant » (je place ce terme entre guillemets par précaution, on l’a compris).  

Ce déni du sexe, alors que c’est toujours la première des choses qu’on regarde chez un nouveau-né pour fonder son état civil, ce déni des « géniteurs », alors que les tests ADN sont les derniers remparts nous dit-on pour garantir la sécurité et l’identité des personnes en matière juridique, suffisent à dire à quel point le mariage pour tous n’est qu’une construction rhétorique fausse, au regard et de la nature, et de la tradition. C’est pourquoi ses partisans le revendiquent comme étant une marque de culture et de modernité. Avec là encore, le sentiment de faire autorité avec de grands mots. Ce qui est toujours le propre de la doxa la plus aveugle et la plus intransigeante.

En parlant d’autorité, il n’est pas anodin que tous les chefs religieux – qui tous sont contre – se soient fait recevoir pour le principe et au nom de la démocratie participative qui ne fait rien sans « consulter » par les députés aussi sourds qu’hostiles à leurs arguments (lire ICI). Les religieux défendent la filiation, quand nous vivons dans un monde obsédé par la contemporanéité et ce qu’elle exige d’individus recomposés, isolés, manipulables à merci.

Le mariage pour tous se prétend enfin le modèle du mariage assumé. Il reposerait, nous dit-on sur un choix véritable, authentique, réfléchi, tout comme d'ailleurs la filiation qu'on veut lui garantir. C’est ici que ses partisans vous sortent l’argument du nombre de divorces et celui des « mauvais parents », des parents violents, traumatisants, voire incestueux ou même infanticides. Avec le présupposé que chez les homosexuel(le)s bien évidemment, on navigue  dans le monde des bisournous, la séparation, la violence, l’inceste, le meurtre y seraient par culture impossibles, parce que les individus y auraient intériorisé on ne sait quel sens de la responsabilité supérieur à toute contestation.

En définitive, le mariage pour tous serait le véritable mariage d’amour, le plus fiable dans les sociétés contemporaines parce que, comble du paradoxe, il serait le seul qui réponde aux canons de l’individualisme et de ses besoins. Il se présente délivré de la lourde tradition, garant d’une filiation horizontale et dégagée de la malédiction infinie des générations comme des impondérables du hasard. En fait ce mariage d’amour est au fond terriblement manufacturé, tel un produit de société, au même titre qu’un meuble Ikea ou un roman de Marc Lévy. C’est ce qui fait sa force dans l'opinion publique, dressée à la tolérance et à la permissivité au moins autant qu'à celui du discours des experts. Grâce à ce produit, les associations représentant les minorités prétendument discriminées tentent d’intégrer la norme avec leur exception, au prix d’un reniement sans précédent. 

Le mariage pour tous est surtout un concept dangereux, car il signe symboliquement la fin de la filiation sur laquelle repose toute société humaine, puisque que la filiation devient elle aussi et grâce à lui une offre pour tous. Une filiation libérale, conjoncturelle, procédurière, vide de mémoire ancestrale et mondialisée, et qui aura toujours besoin de ce que ce qu’il y a de pire : des preuves.

Le tout au nom d’un ultime lieu commun : ça se fait ailleurs…  Notamment en Belgique. Ce qui, disons-le sans blaguer, n’est pas pour le coup l’argument le plus convaincant du packaging.

Ainsi fabriqué, le mariage pour tous n’est qu’un produit linguistique et sociologique sans légitimité, tel qu’on ne peut s’y opposer sans passer pour un hétéro intransigeant, autocrate et homophobe. Ou bien un catho de droite, identitaire de surcroit. Ou bien un doux rêveur, un nostalgique qui n’a pas bien compris son temps.

A moins d’être tout simplement un homme libre.

 

(1) Le terme, qui fait autorité en matière d’état-civil, prend tout à coup une espèce de connotation péjorative  bestiale inquiétante, presque ordurière

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Magritte pour tous

14:40 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : politique, france, lieu commun, mariage pour tous | | |

mercredi, 27 juin 2012

Mes excuses

Après sa sortie digne d’une cour de collège, le footballeur Nasri, l'air idiot comme un sale gosse qui a dérapé, vient de présenter ses excuses sur son compte twitter. Dans le goût de ce début de siècle, les excuses. Il y a peu, Michel Platini s’était lui aussi excuser pour sa blague sur les Bleus (prémonitoire ?) :« ’il faudra compter sur les Français s'ils descendent du bus ». Ribéry et sa clique de milliardaires avaient fait de même, on s’en souvient, après leur ridicule sketch africain.

DSK avait lui aussi présenté ses excuses à TFI, dans une parodie grotesque de Clinton les présentant sur CNN. Delarue, qui ne veut pas donner le mauvais exemple, présenta aussi ses excuses en affirmant qu’il croyait à une « deuxième chance ». Pour tenter d’éviter sa démission, le président allemand Christian Wulff s’était lui aussi excusé publiquement après l’obtention d’un prêt immobilier avantageux auprès d’un couple de riches entrepreneurs. Pour ses propos d’un autre siècle sur les nègres, Jean Paul Guerlain avait dû faire de même. Partout, on s’excuse. Cela vire à la pantomime des gueux, pour paraphraser Diderot. Manière de souligner le droit généralisé à l’irresponsabilité et à l’indécence : lors de la dernière campagne, à gauche comme à droite, on exigea aussi des excuses après s’être traité de divers noms d’oiseaux. Ségolène Royal, dame patronnesse excellentissime, demanda un jour de décembre 2012, en raison du blocage de milliers de franciliens sous la neige, « des excuses publiques du gouvernement » de droite de l’époque. En 2010, Obama avait lui-même présenté les excuses des Etats-Unis à… Kadhafi. En juin 2012, c’est l’OTAN qui s’excusa à son tour pour la mort de civils afghans touchés lors d’une frappe aérienne. 

Ce qu’on appelle « la culture de la repentance » (mon Dieu, qu’est-ce que la culture vient faire là-dedans ?), on passe au stade supérieur : Guillaume Pépy, président de la SNCF, a présenté ses excuses pour la participation de l’entreprise à la déportation des juifs. Chirac, champion hors catégories de la repentance, avait présenté au nom de la République ses excuses en 1995 pour le gouvernement de Vichy. Il faut aussi se souvenir de Taubira et de la traite négrière en 2001 (qui fit, au passage, l’impasse sur la traite négrière arabo-musulmane), de Sarkozy et le génocide arménien cet été, pour lequel la Turquie a demandé… des excuses.

A la fin, on finit par se demander ce qui horripile le plus, du crachat ou de l’excuse : 

Et l’on s’interroge. On se demande à l’occasion de quel événement ce cortège cynique et baroque d’opportunistes faussement repentis, d’indécents publics, d’adeptes du contrat éternellement reconduit finira par lasser l’homme de la rue. Combien faudra-t-il de gosses flingués pour un mauvais regard, pour que commence à être remise en cause cette mièvrerie ambiante qui, à l’extrême pointe de son ombilic rhétorique, nie le crime aussi vertement que le châtiment, dans un monde du trop grand nombre où triomphe toujours le plus fort. 


12:44 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : samir nasri, excuses, repentance | | |

samedi, 02 juin 2012

L'argent des élus

Les élus distribuent, magnanimes, de l’argent qu’ils n’ont pas gagné. C’est, disent-ils, avec le ton faussement respectueux des fils parlant de la fortune de leurs parents, l’argent de l’Etat.  Les élus espèrent toujours tirer un bénéfice électoral de ces partages et de ces distributions. Ils octroient des subventions à telle compagnie plutôt qu’à une autre, à telle association plutôt qu’à une autre, à tel architecte, industriel, artiste ou manager plutôt qu’à un autre, suivant en cela des copinages tissés en loges ou en congrès. Tout ceci est vrai aussi au parti socialiste, n’en déplaise à ceux qui continuent à voir dans ce parti - sous prétexte qu'il se revendique d'idéaux de gauche - un porte parole des pauvres et des opprimés où la justice et le respect de l'autre auraient davantage leur place qu'à l'UMP. Dois-je au passage prendre le temps et le soin de préciser que je n'ai de carte ni au PS ni à l'UMP   ?

Tout ceci est, certes, risible et donne envie de ne plus verser un cent à l’impôt. Quand je pense qu’il y a des gens à gauche pour se réjouir d’une réforme qui prélèverait ce dernier à la source ! A la source : l’expression n’est elle pas parlante ?

Tout ceci est risible. Mais  c’est hélas toujours aussi réel.  

politique,impôts,socialistes

Le seigneur levant l'impôt

12:50 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : politique, impôts, socialistes | | |

dimanche, 27 mai 2012

Trombone mutant

Il était une fois Usinor, fondé en 1948, groupe qui prit la suite des Forges et Aciéries du Nord et de l’Est et des Hauts Fourneaux, et des Forges et Aciéries de Denain-Anzin. En février 2002, ce groupe industriel fusionnait avec son homologue espagnol (Aceralia) et luxembourgeois (Arbed) pour donner naissance à Arcelor qui se retrouvait ainsi le premier producteur mondial en octobre 2004 avec 42,8 millions de tonnes soit 4,5% du marché mondial. En mai 2006, le groupe fut racheté par son rival Mittal, dirigé par l’indien Lakshmi Mittal et son fils Aditya Mittal. Lakshmi Mittal avait défrayé la chronique en 2004 en mariant sa fille avec Amit Bhatia à Vaux le Vicomte et au Château de Versailles, mariage qui avait coûté 55 millions d’euros et qui fait encore partie des plus coûteux de tous les temps.

Pour 24 millions d’euros, avec 2.200tonnes d’acier en provenance de son groupe (Espagne, Allemagne, Luxembourg, Belgique, États-Unis, Chine et… France) et 19 000 litres de peinture rouge,  Lakshmi et son fils Aditya se sont offert le droit de porter quelques heures à travers les rues de Londres la flamme olympique le 27 juin, à la veille de la cérémonie officielle, en finançant Trombone mutant, ou cette Tour Eiffel ivre, comme les Anglais ont baptisé ce nouvel objet d’art contemporain. Œuvre de son compatriote Anish Kapoor, elle est l’occasion, dit le PDG indien « de montrer au monde la qualité exceptionnelle de notre acier ». La tour qui devrait survivre à ces JO comme celle d’Eiffel a survécu à l’Exposition Universelle parisienne devrait d’ailleurs s’appeler officiellement ; Arcellor Mittal Orbit… Essayez, pour le fun, de prononcer le tout à l’Anglaise, juste pour vous rendre compte.

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A Florange, où l’on craint un démantèlement des outils de production à chaud de la Fensch, et où le chômage technique perdure, cet engagement à hauteur de plus de 20 millions dans la tour olympique fait grincer les dents. Avec la crise et les difficultés du groupe, on estime que le PDG aurait pu dépenser tout autrement cette somme. S’il l’avait mis dans l’usine de Florange et celle de Liège, par exemple, cela aurait permis d’investir pour faire repartir un jour les hauts-fourneaux. Frédéric Weber, le porte-parole de l’intersyndicale,  a donc écrit au président du CIO pour en rendre compte. Il attend toujours sa réponse.

 Interrogé à ce propos sur FR3, le sénateur Mélenchon élude curieusement, en glissant un « l’art est la respiration du monde » où transpire ici comme ailleurs sa volonté de ne surtout pas apparaître comme réactionnaire.  Dans le même ordre d’idée son créateur, Anish Kapoor, rappelle pour faire face à tous les quolibets des Anglais (de trombone mutant à narguilé géant) tous ceux que dut subir Gustave Eiffel en son temps :  « Je viens de lire toutes les critiques qu’avait reçues la tour Eiffel lors de son ouverture au public », mais si à l’époque « elle a été taxée d’objet le plus atrocement laid, on n’y pense plus à l’heure actuelle ! » Argument d’autorité qui fera taire tous ceux que la peur de passer pour un imbécile ou un fâcheux réac fera taire. Il était une fois Usinor...

mercredi, 23 mai 2012

De la République et des extrêmes

Les tripatouillages financiers que les divers montages de sauvetage ou de sortie de la Grèce de la zone euro sont proprement incompréhensibles par la plupart des gens appelés à voter dans les divers pays européens. Coup de poker politicien, le catéchisme de la croissance est en train de remplacer dans le discours des politiciens celui de l’austérité ; le monde économique est ainsi peuplé de credo qu’on vient marmonner en groupes devant les électeurs, tel ou tel cierge à la main.  Ici comme ailleurs, les mots sont illusoirement dotés de pouvoirs qu’on croirait magiques : eurobonds, projects bonds. Les chiffres qui s’alignent ne donnent même plus le tournis, tant la disjonction entre économie et raison est accomplie : Jamais l’arbitraire du signe monétaire n’a été aussi palpable et impalpable. Nous vivons dans la dette souveraine, plus dans l’état souverain. Nous vivons dans l’irrationalité de la valeur.

Du coup, les solutions dites politiques : rembourser, ne pas rembourser, mutualiser, nationaliser… échappent elles-aussi à l’entendement. Toutes, semble-t-il, se valent, pour peu qu’elles soient démocratiquement débattues. Illusion dans laquelle prolifèrent les medias. Comme elles voltigent sous la plume des chroniqueurs, on a l’impression que toutes pourraient s’essayer au fil des alternances. Comme la finance est devenue un jeu virtuel avec le porte-monnaie du consommateur, la politique en est devenue un des plus sordides avec la cervelle du citoyen. Dans les deux cas, comment s’étonner que la confiance si scandaleusement hypothéquée du chaland s’évapore comme neige au soleil ?  Car dans les deux cas, la disjonction est telle entre le mot et la chose qu’il n’y a plus guère que des militants pour s’enthousiasmer (ou feindre de le faire) des solutions proposées par tel ou tel parti.

Devant le règne de tant de relatif, partout exposé à l’attention de tous, chacun se prend à rêver d’un pouvoir qui serait à la fois juste et absolu. Rien de plus humain que cela. Qu’est-ce que l’extrémisme, sinon ce rêve là ? Le rêve qu’un dieu, qu’un dictateur, qu’une idéologie, qu'une technologie ou qu’un principe souverain vienne comme par magie rétablir un peu de clarté au milieu de cette confusion généralisée. Un peu de lisibilité au sein d’une telle complexité. Qu’au coeur d’une telle folie, une saisie claire du monde demeure encore possible à ma raison solitaire... C’est la radicalisation des propos engendrée par ce rêve de chacun qui menace le monde, le monde commun, la république.

L’extrémisme, au contraire de ce qu’on veut nous faire croire, ne réside pas dans un parti clairement identifié à un extrême ou à un autre de l’échiquier politique : ce serait bien trop beau ! bien trop simple ! cela satisferait certes notre goût malsain pour les boucs-émissaires ! l'extremisme rode dans tous les partis, comme une tentative absurde en chacun d'entre nous de renouer le lien toujours perdu entre les mots et les choses, devant l'angoisse suscitée par ce qu'est au fond cette crise dans sa version culturelle : l'exhibition permanente et subie de l'arbitraire de la valeur, celle de la parole politique comme de la monnaie fiduciaire. 

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Cordonnier des rues, Ukraine, 1925


09:47 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : politique, littérature, france | | |

mercredi, 02 mai 2012

Les présidents printaniers

C’est au décès soudain du président Pompidou, le 2 avril 1974, et à la campagne organisée dans la foulée, que nous devons la succession de ces printemps présidentiels au rythme désormais presque aussi vif que celui des joutes olympiques : le 10 mai de Giscard en 74, les 10 et 8 mai de Mitterrand  en 81 et 88, les 7 et 5 mai de Chirac en 95 et 2002, le 6 mai de Sarkozy en 2007…

Georges Pompidou avait été élu un 15 juin 1969, juste après la démission en fanfare de son prédécesseur, à la suite du référendum perdu le 27 avril. C'est par de plus sombres et pluvieuses soirées de décembre que De Gaulle avait été élu et réélu, le 21 en 58, le 19 en 65. Ce bouleversement du calendrier électoral a donc fait glisser le pays de l'ère d’un président hautement hivernal à celle de présidents plus platement printaniers.

Avec l'élection de 74, s'installa aussi la routine médiatique du débat… Il faut avouer qu'on imagine mal quelle passion populaire aurait pu susciter dans les chaumières des Trente Glorieuses un affrontement Poher / Pompidou en 69, ni quelle audience il aurait réalisé. Un face à face De Gaulle/ Mitterrand en 65 aurait peut-être eu plus de panache, et l'on imagine plus facilement à présent l'exploitation que pourraient faire de ses poussiéreuses bobines archivées à l'INA aussi bien un prof d'histoire en son collège des cités sinistrées qu'un documentaire culturel sur la Chaine Parlementaire. 

Pour zyeuter et noter en tribus celui qui se disputera ce soir entre les deux avocats aussi matois que roués parvenus au second tour, l’un qui fit l’ENA et l’autre pas, on attend plus de 25 millions de téléspectateurs plantés devant les petites lucarnes. En direct, il s’agira de tuer ou non un père, d’en adouber ou non un autre. Chacun sa voix. C’est du moins ainsi qu’on nous présente la chose, bien que nous soyons de moins en moins nombreux à avoir intériorisé cette conception symbolique du pouvoir, qui colle si mal, de quelque coin qu’on l’envisage, à la réalité de la dérégulation des marchés, de la massification des cultures, de la mondialisation des décisions. Avec la multiplication des écrans, le symbolique à papa s’est mué en spectaculaire postmoderne, l'historique en événementiel, et ce glissement d’une saison à l’autre, consumérisme aidant, a quelque peu écorné la statue du Commandeur, héritée de la Rome antique et de ses fougueuses ré-écritures de 1789, avec laquelle, pourtant, nous aimerions encore, gens de gauche comme gens de droite, écrire notre infirme Histoire. Ce soir, donc, on fera semblant.

L’hiver figurait pleinement la saison du symbolique. Au débat, le candidat De Gaulle préféra donc en 1965 la formule de l’entretien révérencieux. Tels ceux, radiotélévisés, qu’il accorda au journaliste Michel Droit, lequel lui donnait du Mon Général à chaque question tandis que pour parler de soi-même, Mon Général évoquait De Gaulle. Depuis les passages de Giscard et de Mitterrand, personnages c’est un fait bien moins considérables, ont triomphé les mots d’esprit et les petites phrases qui font mouche, celles qu’on retient dans l’opinion et qui font les bons titres, le monopole, les yeux dans les yeux... Moins solennels, les présidents printaniers sont également plus festifs, leurs formules ou leurs boutades séduisent vite-fait les tripes du populo contemporain, lequel se complait à y découvrir des signes d’égalité ou de normalité, comme on voudra. Le spectaculaire du printemps demeure le gage de sa  superficialité. De sa rouerie, également.

Et puis, bien moins que le joli mois de mai, les frimas de décembre ne permettaient pas ces rassemblements extérieurs si télégéniques, pratiqués désormais d’un Mélenchon à une Le Pen, durant lesquels l’on brandit des drapeaux en se récitant des pages stéréotypées de l’Histoire du pays, sous la tour Eiffel où à la Bastoche, pour faire image et se compter, le soir, au JT.

Certes il ne s’agit pas de regretter l’ordre du symbolique hivernal : il possédait maints travers, maints défauts. Malgré tout, cependant, il faisait encore mine d'incarner le vieux principe romain de l’autorité. Ce que ces présidents printaniers sont incapables de restituer avec leurs propos de communicants plus ou moins aguerris, le spectaculaire ne déroulant sa pellicule que dans le sillon passager de l’immanence. C’est peut-être cela qui me hérisse le plus dans cet antisarkozisme dérisoire devenu lieu commun, et chez  tous ces gens qui le proclament en se croyant héroïques, donnant l'impression d'avoir tout dit quand ils n'ont rien dit : « il faut dégager Sarkozy »...  Et alors ? Et après ?

 Après un avocat en est venu un autre, plus habilement ombrageux, moins outrageusement spectaculaire, mais pas plus garant du symbolique. Celui-là a fait HEC et l’ENA, y a appris le pragmatisme institutionnel et les faux-semblants médiatiques. Hollande ? Un printemps de plus, un qui passera. Et alors ? Et après ? Encore après ? Le consumérisme en politique, comme partout ailleurs, il  n’augure rien de bon.

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15 décembre 1965 : Le président De Gaulle et le journaliste Michel Droit dans la lucarne


06:14 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : ffrance, politique, élections présidentielles | | |

vendredi, 20 avril 2012

Dans le fond...

Un commentaire du billet précédent m’invite à réfléchir sur mes billets à propos de l’élection en cours, que je cite d’abord avant d’y répondre : « Un président de la République ne devrait pas être élu au suffrage universel. Cette élection personnalise ce qui ne devrait pas l’être. Vous ne parlez jamais du fond, des grands enjeux, de tout ce qui nous a amenés à la situation que nous connaissons. Vous restez au cœur de ce spectacle que vous dénoncez. »

Comme il émane d’une lectrice fidèle de ce blogue, et que nous avons souvent eu des gouts et des points de vue communs, je tiens à y répondre plus longuement que par un simple commentaire.

Tout d’abord, je suis tout à fait conscient que je ne parle pas du fond, pour une raison évidente, c’est que je ne le connais pas, ne le vois pas, ne le sais pas. Comment pourrais-je en parler au su et au vu des informations dont je dispose, à la télé, sur le net et ailleurs ? Je suis conscient du fait que je suis désinformé, caractéristique première des « citoyens » de la société du spectacle que nous sommes. Les grands enjeux, me dites-vous, mais quels sont-ils ? Prenons en un dont tous les candidats causent et sur lequel je serais en théorie plus à même de dire quelque chose qu’un autre : l’éducation nationale. Lorsque j’ai écrit l’Ecole vendue, j’ai commencé à m’y intéresser et j’ai voulu toucher le fond, et je dois dire que ce que j’ai découvert en lisant les rapports de l’OCDE m’a convaincu de la sagesse du vieil adage populaire : « mieux vaut rester ignorant,  hein »…

 J’ai découvert en détail ce dont je ne me rendais compte que grossièrement et en surface jusqu’alors : c’est qu’effectivement, des grandes instances internationales avaient décidé que l’éducation des gens serait désormais un marché comme un autre, que tout ça ne posait aucun problème au gouvernement de gauche de l’époque, cette même gauche et ces mêmes politiciens (Hollande, Aubry, Royal, Mélenchon…) en laquelle je vois tant de gens placer à nouveau leurs espoirs, ce même SNES qui, au-delà de ses défilés aussi spectaculaires que ridicules sous des ballons gonflés et avec ses chansons de colonies de vacances dignes des pires karaokés, négociait ses privilèges avec le ministre de l’époque, et est prêt à recommencer dès l’élection de leur mentor sans scrupules.

Or vous savez comme moi que ce qui est vrai dans le domaine de l’éducation (grand enjeu) l’est aussi dans celui de la santé (autre grand enjeu). J’ai été saisi d’une sorte de vertige en pensant à ce qui devait en être dans les domaines que j’ignorais : industrie, banque, nucléaire, armée… Non, je ne sais rien du fond de ces dossiers, rien de rien.

 Ne parlons pas de la crise, ah, la crise… J’ai commencé à travailler en 1973, j’avais dix-huit ans et j’ai commencé à en entendre parler dès l’an suivant. Depuis, ça n’a pas arrêté. Les socialistes comme les chiraquiens ont précarisé le monde du travail et la jeunesse tant qu’ils ont pu, sous couvert d’établir une « société des loisirs » qui est devenue la société du titty entertainment c’est à dire celle de l’abrutissement des masses. Mais là aussi, que dire et que faire ? Une fois que vous avez posé le diagnostic, quelle solution ?  Je reste au cœur du spectacle que je dénonce, bien sûr ! Que puis-je faire d’autre ? Est-ce moi qui m’y place ? Non. 

On peut toujours se réciter nos vieilles formules, elles sont inopérantes dans la société technologique moderne, qui se passe d’elles depuis longtemps, Hannah Arendt l’a fort bien démontré de son temps. Si bien que ce qu'il faudrait changer, ce n'est pas le président, c'est les gens eux-mêmes, mais ça...

La société du spectacle ? Mélenchon et son show grotesque à la Bastille n’y est-il pas, bien plus que moi, et au même titre que Le Pen qu’il dénonce  ? Et ce après avoir copiné comme je l’ai vu faire un jour sur le plateau de Ruquier avec ce même d’Ormesson que Patrick Verroust et Bertrand vouent aux gémonies ! Au-delà du y’a ka, faut qu’on, de quels enjeux dont il connaîtrait  le fond  nous parle ce sénateur ?

Tous les gens sérieux, c'est-à-dire qui ne sont pas politiciens, le disent : les marchés sont incontrôlables à cause de la technique qui délivre des ordres de vente de façon autonome et supranationale. Le fond ?  Je suis dans la situation où leur société me place : incapable d’en dire quoi que ce soit de pertinent, du fond ! En situation de regarder des opportunistes se saisir des strapontins qui se libèrent pour y poser leurs croupions et s’emplir les poches ! (Au fait, à propos du salaire de président, je vous ferai remarquer qu’en ne le baissant que de 30%, le Hollande si vertueux garde les autres 70% d’augmentation due à Sarkozy – ce n’est qu’un détail)  Donc qu’on ne me dise pas qu’Hollande est plus honnête que Sarkozy sur ce terrain ! Ce haut-fonctionnaire teint est du même acabit, de la même taille. Il y a même une chose que Sarkozy aura faite de bien : désacraliser la fonction présidentielle qui n’est qu’une posture, vous en conviendrez ! Eh bien l’autre, qui se prétend normal, avec toute sa cour, va s’empresser de la restaurer dans sa dignité républicaine, vous verrez !  Tant il est tout prêt de reprendre ce visage de cire à la Tonton (spectacle, spectacle…) et entrer en je ne sais quel Panthéon, une tulipe ridicule à la pogne.  Voter pour ça ? Réchauffé, tout ça. Faux. Mauvais spectacle.

 

Il n’y a qu’un domaine où je pourrais parler du fond, parce que je le connais bien, c’est le domaine littéraire. Mais la belle langue n’est pas bienvenue dans le monde moderne qui se gargarise de sigles, d’abréviations, de parler des banlieues, d’une syntaxe démembrée et approximative sur laquelle je me suis abimé les yeux pendant des années en corrigeant des copies.  Parler du fond, ce serait peut-être m’en tenir à ça, en effet. Tel est mon fond, ma bonne Etiennette ! Il n’y aurait donc de vrai que la vie spirituelle…

 Mais ce blog est littéraire et polémique,  et vous savez à quel point, en bon béraldien que je suis, je considère la polémique comme un genre littéraire au même titre qu’un autre.

Elire un président au suffrage universel est une erreur, dites-vous ? Je n’en sais rien. Peut-être, dans un pays où tant de gens à qui on donne le droit de vote ne lisent plus rien, ne comprennent qu’un langage rudimentaire, et pour certains ne font plus la différence entre un député élu et un ministre nommé… Il faudrait alors revenir au système des grands électeurs… Mais qui fera le tri entre ceux qui seront dignes ou pas de voter ?  A vrai dire, je n’en sais rien.

 Un dernier mot, sur la dénonciation. Je ne suis pas dans une posture de dénonciation, non pas, ce serait ridicule vu le peu d’influence que j’ai. Je me maintiens en bonne santé avec ces billets polémiques, c’est tout. Me tiens à l’écart des postures que je vois d’autres prendre, cette foire électorale que la gogôche est en train de nous faire vivre et dont j’ai peur qu’on en paye le prix fort rapidement. Hollande ne vaut pas ce prix.

Gardons notre bonne et joyeuse santé intellectuelle. En amical partage avec les quelques uns et quelques unes qui, s’ils rendent visite à Solko, y trouvent un peu leur compte.

Amicale pensée à vous, Michèle, et à tous. Et bonne journée. 

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vendredi, 09 mars 2012

Votez oui

Il n’y a pas grand intérêt à suivre la campagne, dès lors que les débats de fond sont  escamotés, au profit d’une course de petits chevaux qui avancent chaque jour, proposition par proposition. Dans la société du spectacle, une campagne électorale est une séquence médiatique un peu plus longue qu’une remise des Oscars, un peu moins dramatique qu’un tsunami. Tout son suspens entretenu à coups de sondages, sa dramaturgie réglée à coups de petites phrases et de ralliements divers, sa rhétorique qui convoque les grands mots, peuple, nation, justice, égalité, et autres, ne constituent qu’une séquence parmi d'autres. Les passionnés de politique peuvent s’en attrister, cela ne change rien à la situation. Comme Jacques Rancière le souligne, « nous ne vivons pas dans des démocraties, nous vivons dans des Etats de droit oligarchiques » (1)  et «toute politique oubliée, le mot de démocratie devient alors à la fois l’euphémisme désignant un système de domination qu’on ne veut plus appeler par son nom et le nom du sujet diabolique qui vient à la place de ce nom effacé : un sujet composite où l’individu qui subit ce système de domination et celui qui le dénonce sont amalgamés ».(1)

Je me dirige probablement une fois de plus vers une abstention, n’ayant aucun désir de voir l’oligarchie socialiste qui règne dans les régions s’emparer de l’Etat, avec les mêmes politiciens qui ont échoué il y a quinze ans, ni aucune sympathie pour le locataire actuel de l’Elysée, hormis le fait qu’il ne soit pas énarque.

On peut toujours se rabattre sur Le Pen ou Bayrou, Mélenchon ou Joly, voire Cheminade ou sa chatte, dans un vote d’humeur. Dans la société du spectacle, le vote d’humeur est peut-être le seul qui garde une perspective originale et répond de façon décalée à la demande faite par les dirigeants. Un ami me disait l’autre jour qu’il avait gardé un bulletin OUI dans sa poche depuis le référendum sur la constitution, et qu’à l’élection présidentielle, il le glisserait dans l’urne. Voter avec une élection de retard, OUI ou NON qu’importe ; là réside peut-être la solution. 

Jacques Rancière, La haine de la démocratie, la fabrique, 2011, p 81 et  97


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