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mercredi, 02 mai 2012

Les présidents printaniers

C’est au décès soudain du président Pompidou, le 2 avril 1974, et à la campagne organisée dans la foulée, que nous devons la succession de ces printemps présidentiels au rythme désormais presque aussi vif que celui des joutes olympiques : le 10 mai de Giscard en 74, les 10 et 8 mai de Mitterrand  en 81 et 88, les 7 et 5 mai de Chirac en 95 et 2002, le 6 mai de Sarkozy en 2007…

Georges Pompidou avait été élu un 15 juin 1969, juste après la démission en fanfare de son prédécesseur, à la suite du référendum perdu le 27 avril. C'est par de plus sombres et pluvieuses soirées de décembre que De Gaulle avait été élu et réélu, le 21 en 58, le 19 en 65. Ce bouleversement du calendrier électoral a donc fait glisser le pays de l'ère d’un président hautement hivernal à celle de présidents plus platement printaniers.

Avec l'élection de 74, s'installa aussi la routine médiatique du débat… Il faut avouer qu'on imagine mal quelle passion populaire aurait pu susciter dans les chaumières des Trente Glorieuses un affrontement Poher / Pompidou en 69, ni quelle audience il aurait réalisé. Un face à face De Gaulle/ Mitterrand en 65 aurait peut-être eu plus de panache, et l'on imagine plus facilement à présent l'exploitation que pourraient faire de ses poussiéreuses bobines archivées à l'INA aussi bien un prof d'histoire en son collège des cités sinistrées qu'un documentaire culturel sur la Chaine Parlementaire. 

Pour zyeuter et noter en tribus celui qui se disputera ce soir entre les deux avocats aussi matois que roués parvenus au second tour, l’un qui fit l’ENA et l’autre pas, on attend plus de 25 millions de téléspectateurs plantés devant les petites lucarnes. En direct, il s’agira de tuer ou non un père, d’en adouber ou non un autre. Chacun sa voix. C’est du moins ainsi qu’on nous présente la chose, bien que nous soyons de moins en moins nombreux à avoir intériorisé cette conception symbolique du pouvoir, qui colle si mal, de quelque coin qu’on l’envisage, à la réalité de la dérégulation des marchés, de la massification des cultures, de la mondialisation des décisions. Avec la multiplication des écrans, le symbolique à papa s’est mué en spectaculaire postmoderne, l'historique en événementiel, et ce glissement d’une saison à l’autre, consumérisme aidant, a quelque peu écorné la statue du Commandeur, héritée de la Rome antique et de ses fougueuses ré-écritures de 1789, avec laquelle, pourtant, nous aimerions encore, gens de gauche comme gens de droite, écrire notre infirme Histoire. Ce soir, donc, on fera semblant.

L’hiver figurait pleinement la saison du symbolique. Au débat, le candidat De Gaulle préféra donc en 1965 la formule de l’entretien révérencieux. Tels ceux, radiotélévisés, qu’il accorda au journaliste Michel Droit, lequel lui donnait du Mon Général à chaque question tandis que pour parler de soi-même, Mon Général évoquait De Gaulle. Depuis les passages de Giscard et de Mitterrand, personnages c’est un fait bien moins considérables, ont triomphé les mots d’esprit et les petites phrases qui font mouche, celles qu’on retient dans l’opinion et qui font les bons titres, le monopole, les yeux dans les yeux... Moins solennels, les présidents printaniers sont également plus festifs, leurs formules ou leurs boutades séduisent vite-fait les tripes du populo contemporain, lequel se complait à y découvrir des signes d’égalité ou de normalité, comme on voudra. Le spectaculaire du printemps demeure le gage de sa  superficialité. De sa rouerie, également.

Et puis, bien moins que le joli mois de mai, les frimas de décembre ne permettaient pas ces rassemblements extérieurs si télégéniques, pratiqués désormais d’un Mélenchon à une Le Pen, durant lesquels l’on brandit des drapeaux en se récitant des pages stéréotypées de l’Histoire du pays, sous la tour Eiffel où à la Bastoche, pour faire image et se compter, le soir, au JT.

Certes il ne s’agit pas de regretter l’ordre du symbolique hivernal : il possédait maints travers, maints défauts. Malgré tout, cependant, il faisait encore mine d'incarner le vieux principe romain de l’autorité. Ce que ces présidents printaniers sont incapables de restituer avec leurs propos de communicants plus ou moins aguerris, le spectaculaire ne déroulant sa pellicule que dans le sillon passager de l’immanence. C’est peut-être cela qui me hérisse le plus dans cet antisarkozisme dérisoire devenu lieu commun, et chez  tous ces gens qui le proclament en se croyant héroïques, donnant l'impression d'avoir tout dit quand ils n'ont rien dit : « il faut dégager Sarkozy »...  Et alors ? Et après ?

 Après un avocat en est venu un autre, plus habilement ombrageux, moins outrageusement spectaculaire, mais pas plus garant du symbolique. Celui-là a fait HEC et l’ENA, y a appris le pragmatisme institutionnel et les faux-semblants médiatiques. Hollande ? Un printemps de plus, un qui passera. Et alors ? Et après ? Encore après ? Le consumérisme en politique, comme partout ailleurs, il  n’augure rien de bon.

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15 décembre 1965 : Le président De Gaulle et le journaliste Michel Droit dans la lucarne


06:14 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : ffrance, politique, élections présidentielles | | |