vendredi, 19 novembre 2010
L'indifférence culturelle
Le peu d’intérêt que manifeste dans les commentaires des « observateurs » le maintien de Frédéric Mitterrand à son poste de « ministre de la culture » à l’occasion du récent « remaniement » présidentiel me semble parfaitement révélateur du peu d’intérêt que le président, « l’élite » dans son ensemble et le pays tout entier accordent à la culture en général.
Nous sont présentés comme « culturels » dorénavant, tous les produits, événements, personnalités, relevant de ce que dans un essai récent, Frédéric Martel appelle le Mainstream : cette culture qui, comme il le dit très bien, a pour caractéristique essentielle « de plaire à tout le monde », c’est à dire de ne laisser aucune trace dans l’esprit de personne, et que, dans l’entourage d’Obama on appelle le « soft power », par opposition au « hard power » (c'est-à-dire à la force militaire).
D’une certaine manière, Frédéric Mitterrand plait à tout le monde. Comme Michel Drucker qui aurait pu lui succéder, s’il n’était occupé à promouvoir le second tome de ses jérémiades un peu partout en France. Ou Lambert Wilson qui, pour avoir joué successivement le père Christian de Chergé dans Des dieux et des hommes, puis François de Chabannes dans la Princesse de Montpensier de Tavernier (on ne dit plus Mme de La Fayette, c’est suranné), sera l’ambassadeur le plus en vue pour défendre la (in)différence culturelle française au coeur même du Mainstream, à la prochaine cérémonie des Oscars...
Flammarion : L' inversion significative
20:31 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : michel drucker, frédéric mitterrand, culture, société, lambert wilson, mainstream, princesse de montpensier |
mardi, 16 novembre 2010
Que faire de l'anti-sarkozisme ?
Au surlendemain de la nomination d'un gouvernement ubuesque, qui a dû en révulser plus d'un, la question est brûlante : Que faire de l'anti-sarkozisme ?
On le sent tous plus ou moins : la « gauche » vient de s’offrir un de ces moments mémorables dont elle a le secret en rassemblant les plus improbables synergies autour de l’anti-sarkozisme mani-festif.
En réponse, la « droite » dite dure (ça m’a toujours un peu amusé, cette appellation, la droite « dure », c’est comme la gauche « généreuse », vous savez, ça n’existe pas…), s’offre un gouvernement où pratiquer sans intrus l’entre-soi le plus restreint autour des petits-fours et des voitures de fonction. Un couple, oui même un couple y siégera (on avait Mam…, voilà Pom…).
C'est-à-dire que les chevaux sont dans l'ordre de bataille le plus caricatural qui soit, chacun bien à sa place, avec l’inénarrable « tragédie du centre » et les fols espoirs des extrêmes (droite et gauche) de part et d’autre de la photo de famille ; ce scénario bien en place, l’élection de 2012 se prépare. Les militants de tous bords rebandent un peu en pensant aux distributions de tracts (on dit flyers, à présent) sur les marchés et les parties de collage d'affiches.
Dans un tel contexte, que faire de Sarkozy, « le problème de la France » ? Même le sieur de Villepin, toujours aussi grotesque que lyrique, se le demande ! Sans doute n'est-il pas le seul parmi les gens de la « majorité ».
Que faire face à Sarkozy, se demandent de leur côté les gens de « gauche », la mine contrite et le ton faussement accablé… dans les deux cas, le même individu, celui qu’il faut déloger, jubile, au centre du dispositif.
J’entends aussi dire ça et là que le problème seraient les électeurs de Sarkozy. Le problème n’est-il pas plutôt le système qui, en amont, n’a laissé aux électeurs que le sinistre choix entre un Sarkozy et une Royal , deux sous-traitants, autrement dit ? Ce système qui finalement ne laisse au peuple que le choix d’entériner ses propres options…. Ou de s'abstenir.
Si le problème est bien ce système qui a mis face à face Royal et Sarkozy, et qui va placer face à face des gens du même acabit en 2012, eh bien nous sommes, en ce moment où se déterminent les figures autour desquelles se jouera « l’élection » de 2012 , au cœur même du problème ; au cœur même du problème, un dispositif vicié, mais qui arrange bien du monde, faute de mieux : l’anti-sarkozisme comme antidote du sarkozisme…
Cette radicalisation soudaine de la gauche (mouvement sociaux) et de la droite (nomination du gouvernement), pour cela, sent l’arnaque à plein tube : nous savons bien où sont les véritables décideurs de la réforme des retraites, par exemple. A quoi sert cette soudaine fausse passion, montée en mayonnaise à partir de juillet, sinon à rameuter les troupes vers les urnes en renflammant la vieille colère des électeurs blasés, - de quelque bord qu’ils soient ?
Alors que nous savons bien, tous, que les vrais centres de pouvoir sont ailleurs et que tant que nous serons ainsi divertis sur le plan national, nous serons d'autant plus désarmés pour les contester au niveau global qui est désormais le leur…
Dans un tel contexte, que faire de cet anti-sarkozisme qui est le drapeau le plus efficace qu’on a trouvé un peu partout pour rendre furieux les taureaux dans l’arène ? Le dédaigner du même dédain que le sarkozisme. Je me demande si la fonction des politiques français n'est pas d'attirer à eux les passions politiques afin de détourner la contestation des véritables centres décisionnels : un peu comme jadis, les premiers ministres servaient de fusibles aux présidents, les présidents ne sont-ils pas en train de servir de fusibles à ces instances de la gouvernance européenne et mondiale (bruxelles, lobbies, FMI, OCDE...) ? Président d'une nation européenne, premier ministre de l'Europe...
C'est le moment de tenter, si c’est encore temps, de réfléchir à ces deux questions :
Une contestation coordonnée sur le plan européen est-elle possible pour sortir des contestations nationales aussi épuisantes que stériles - on vient d'en avoir une nouvelle fois la preuve - ou bien sommes-nous condamnés à ne choisir éternellement que la couleur du costume (ou de la jupe) du sous-préfet élyséen et de ses courtisans zélés ?
Comment peut-on organiser une contestation globalisée dans un monde dont l'économie est globalisée ?
Plus que jamais, nous avons besoin de recul, de distance, de réflexion, de lectures.
Et plus que jamais, on tente de nous jeter dans ce que la passion politique produit de plus inculte, de plus hystérique et de plus bête : après la croisade du sarkozisme, la croisade de l'anti-sarkozisme...
01:10 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sarkozy, politique, remaniement, ps, société, ump |
vendredi, 15 octobre 2010
Blocus au lycée.
Depuis deux jours, des « jeunes », comme on dit en novlangue, font le « blocus » devant le lycée. Cela se passe, parait-il, dans toute la France. Enfin, dans les grands « centres urbains », comme on dit encore en novlangue. Le scénario est partout le même ; ils arrivent vers neuf heures. Ils ne sont guère plus d’une cinquantaine. Ils sont cagoulés. Ils sont d’un LEP voisin, ou carrément déscolarisés. Parmi eux, quelques lycéens exaltés. Mais très peu. Ils arrêtent à midi. Reviennent vers quatorze heures. Le paysage est tout autour terriblement banlieue. Ou parfois centre-ville.
Ils bloquent à vrai dire sans bloquer. Par intermittence. Le temps que CRS et caméras arrivent. Les uns pour parachever l’image, les autres pour la filmer.
Entre temps, il y a des insultes, des jets d’œufs ou de pierres. On évacue les concierges quand ça pleut trop sur le toit des loges. Parfois, on fait cramer deux trois poubelles, au pire une voiture. De ci de là, un proviseur ou un professeur qui s’impose ou s’interpose se ramasse un coup sur la gueule. On se meut au gré des SMS et portables, par bans agiles. Télé-transportables.
A l’intérieur des bâtiments, les cours se déroulent, comme si, de tout ça, rien n’était.
Pendant ce temps là, les lycéens (les vrais) qui ont saisi l'aubaine pour faire sauter les cours sont partis défiler en cortèges épars dans le centre-ville. Certains se retrouvent soudain nez-à-nez avec des « casseurs », comme on dit en novlangue, ou bien avec les CRS qui les coursent. De temps en temps, une vitrine claque et le magasin est pillé. C'est jeté. C'est peu parlé. Et pas pensé.
Le pourquoi du comment on en est arrivé là n’est jamais évoqué. On reste dans le pur local.
Rien attendre de la classe politique, rien. Ni des démagos ou des cyniques de gauche, ni des cyniques ou des démagos de droite. Chiasme.
Pas non plus des journalistes, eux, à l’affût du premier dérapage. Garde à vous généralisé ! Tout le monde est au commentaire absent ; des faits, rien que des faits, des chiffres, rien que des chiffres. De la statistique comptable. Du fait avéré. Du réel...
On appelle ça un « mouvement lycéen qui se joint au mouvement social». Ce n’est que l’expression de la dissolution commune du social et du lycéen, que le cynisme de chaque bord a laissé se parachever, et dont la jeunesse, celle qui participe aux monômes bon enfant autant que celle qui cherche à en découdre et à piller, fait l’expérience simultanée. Pour les uns une rigolade. Pour les autres un dépucelage. Leur entrée sur la scène du Brave new world, où le monde n'est pas pur et la jeunesse pas non plus innocente : Il fallait bien qu’elle arrivât un jour, n'est-ce pas, dit la patronne du bar en torchant un verre, et regardant passer les émeutes.
Lyon, centre-ville, cet après midi
21:50 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : manifestation, politique, société, retraites, ps, france, ump, lycéens |
vendredi, 08 octobre 2010
La décennie qui vient
La première décennie du XXIème siècle est en train de s’achever sous nos yeux. Encore neuf comme celle-ci, et youp la boum, on change à nouveau de siècle ! Il est certain que passer de 2099 à 2100 fera moins de baroufle que passer de 1999 à 2000. Les enfants qui naissent à présent seront alors nonagénaires et avec le recul, pourront avoir un avis plus pertinent que nous autres qui ne seront plus sur le siècle qui se sera écoulé.
Quand me revient à l'esprit tout ce qui s’écrivait jadis (jadis, c’est désormais le vingtième siècle) à propos de cet an 2000, lequel tient désormais du naguère, j’ai tendance à penser que ce fut much ado about nothing. Et cela ne m’invite guère à faire des pronostics (enthousiastes ou catastrophiques) sur l’an 2100. Il est certain, comme l’affirma Montaigne en des temps désormais antiques, qu’« au plus élevé trône du monde si ne sommes assis que sur notre cul ». Voilà bien la seule chose dont on peut être certain qu’elle demeurera sûre.
Le très médiatique attentat du World Trade Center qui a ouvert la première décennie du nouveau siècle aurait, disent certains, été un événement suffisant pour signer notre entrée collective dans un nouveau monde. Sur le plan politique, sur le plan économique comme sur le plan culturel, cette première décennie n’aura été pour moi qu’une simple décennie de transition. On sent que c’est durant celle qui vient que vont se cristalliser les affirmations décisives qui structureront le monde de demain. La question de l’Europe, celle de la crise et sa gestion par les alternances de gouvernements socio-libéraux, la culture du numérique : voilà par exemple trois sujets-chantiers dont bien malin qui pourra prédire le futur.
Si je me tourne vers les derniers siècles, je peux m’amuser à dresser quelques constats :
1715 : fin du règne de Louis XIV et, ipso facto du siècle précédent marqué par l’absolutisme et le classicisme.
1815 : Chute définitive de l’Empire et retour des Bourbons sur le trône : les espoirs suscités par la Révolution sont bel et bien remisés dans les cartons de l’Histoire et le XVIIIème siècle s’achève dans les balbutiements de la Révolution industrielle qui permet à une bourgeoisie autoritaire d'assurer un pouvoir plein de morgue.
1914 : Une catastrophe sans précédent met brutalement fin au positivisme béat d’une Belle Epoque paradoxale. La Der des der, suivie bientôt par sa seconde, sera l’acte fondateur de la SDN et de tous les organismes à vocation de gouvernance planétaire.
Quid, alors, des années centrales 2010/2020 à venir, et comment envisager le véritable commencement du XXIème siècle ?
19:34 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique, actualité, france, europe, société, culture |
jeudi, 16 septembre 2010
Informement et enfermation
En quelques années, on aura vu fondre comme neige au soleil la qualité de l’information en France. Quelques années durant lesquelles se sont imposés les gratuits (une info qu’on ne paye pas), les pages web (une info qu’on ne choisit pas), une info toujours de plus en plus lapidaire, à la fois omniprésente et discontinue, une info quotidienne et tissée à la va-vite, commune et démultipliée, qu’on subit (et donc qu’on finit par négliger) ou bien qu’on consomme avec boulimie un temps et dont on finit par se lasser un autre temps.
Durant ces mêmes années, l’info aura en parallèle été de plus en plus normalisée, standardisée, anticipant l’événement et, la plupart du temps, le programmant, voire le dictant sans ménagement, de chaine en chaine et d’image en image. Info sans surprise, c’est le moins qu’on puisse dire. Info ressemblant à de la communication de crise à l’usage de citoyens de plus en plus centrés sur leurs propres calendriers et indifférents à ce qui peut se passer autour d’eux.
Dans ce même temps, la langue de l’info se sera évidemment considérablement simplifiée : le vocabulaire s’est ramassé et la syntaxe réduite. Cet appauvrissement linguistique a été de pair avec la dramatisation assénée par les titres, l’insistance sur le fait-divers ou le ragot. Il semble que la personnalisation de l’événement derrière quelques figures (président, pape, champion, grand patron…) ait définitivement pris le pas sur l’analyse ; l’invective systématique et la récrimination geignarde sur le commentaire. Surtout, l’info s’est mise à exister dans le seul instant présent, dans le culte d’un instant détaché de tout passé, détaché de tout contexte et de tout autrefois : c'est-à-dire de toute causalité. Ainsi traité, l’événement nouveau à venir se juxtapose à l’événement ancien écoulé, mais jamais n’advient de lui. Séquence après séquence.
Une telle mutation provoque curieusement au sein de la population, et c’est très sensible un peu partout, à la fois du renoncement et de la colère, une amnésie profonde face au passé même proche et un désenchantement maladif devant l’avenir, de multiples doléances et une passivité chronique, une revendication de l’ego qui se confond souvent avec une terrible frustration de l’être. On finit par se demander par quel événement, finalement, cette population pourrait bien être surprise. Des catastrophes en tous genres, des faits-divers abracadabrants, des scandales politiques et financiers, des exploits et des contre-exploits sportifs, de la crise, enfin, elle en aura bouffé, bouffé, bouffé tant et tant que le monstre repu rote d’indifférence devant tout ce qui n’est pas atrocement spectaculaire. Ainsi avons-nous pris l’habitude de voir les banquettes de nos autobus et de nos métros, les quais de nos gares et les trottoirs de nos rues désormais jonchés de ces prospectus informatifs, où les gros titres indiffèrent tout le monde, et comment pourrait-il en être autrement ? Etrange consensus au sein d’une majorité - comme on dit depuis toujours – silencieuse, dont la curiosité et l’intelligence ne sont plus, par l’info, sollicitées. Il s’agit, pour chacun, de se faire une opinion, une opinion qui - faute d’être personnelle- se bornerait presque à n’être qu’un devoir civique, comme le sont trier ses déchets ou se rendre au bureau de vote. On dirait que la société de l’info sait déjà tout d’elle-même et des limites dans lesquelles elle tient chacun informé /enfermé. Dès lors, la société de l’info n’est plus qu’une société de l’attente. Une attente aussi hystérique que poussive de l’événement apte – faute de changer quoi que ce soit – à surprendre ; attente à laquelle on a paradoxalement renoncé à s’intéresser, événement dont on a depuis longtemps cessé de croire qu’il puisse advenir pour de bon.
Tous, nous nous demandons régulièrement par quelle magie cet ensemble morne et pourtant terriblement efficace tient debout, combien de temps encore il va duper son monde. Et pendant que nous nous demandons cela, nous passons ; nous passons moroses et indignés, tandis que d’autres arrivent, naïfs et enthousiastes. C’est avec ces mouvements d’opinions que se fabriquent non plus l’Histoire des peuples, mais de simples ondoiements au sein du système, qu’on appelle alternances. Devant un tel état de fait, il me semble que se tenir à l'écart, en retrait, de côté, en dehors ou en marge, comme on voudra, c'est un effort qu'on se doit - à soi comme à autrui. Une mesure, véritablement, de salut public...
01:30 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, information |
dimanche, 25 juillet 2010
D'une actualité déconcertante
Ecrit en 1926, le texte suivant décrit les loisirs des Berlinois d'alors : n’est-il pas d’une actualité déconcertante en cette période rudement estivale ? Les Allemands de l’époque disaient « So ! » pour toute explication, nous rappelle-t-on. Avez-vous remarqué la façon dont la plupart des Français qui ont égaré leur langue se contentent souvent de bafouiller à toute occasion, depuis peu : « Et voilà !». Sans commentaires non plus. Deux syllabes de plus, me direz-vous !
Mais guère plus éloquent ...
« Il y a aussi les Freibaden, ou bains libres, très chers à la foule des Berlinois qui, ayant passé l’âge des oiseaux migrateurs, n’en aspirent pas moins aux délices du plein air. Les Freibaden sont des plages d’eau douce, où les bonnes gens s’en vont, par dizaines de mille, se faire rougir la peau par le soleil, dans une promiscuité quasi fabuleuse. On voit là des kilomètres de nudités, un grouillement sans limite de membres et de corps, un peuple sans nombre d’amis de la nature. Sur tout cela, nul air de fête ; un mélange de désordre nomade et de paganisme méthodique. Quand le jour tombe, tous ces êtres se lèvent dans une sorte d’ivresse triste, et ce n’est plus qu’une cohue de muets à demi-nus. C’est ainsi à peu près qu’autrefois je voyais en imagination la vallée de Josaphat, au soir du jugement dernier.
Ainsi, depuis le Mittag du samedi, toute la jeunesse et tous les amis de l’héliothérapie ont déserté la capitale. Des armées de bécanes, une mobilisation de trains spéciaux. Berlin, vidé de sa jeunesse, s’est endormi. (…)
Ce qu’ils font ? Rien. Ils sont ensemble. Ils savourent le très allemand plaisir d’être quelque part en grand nombre, sans demander à savoir, ni cherche à comprendre ce qui les y a conduits. Ils sont là, comme ils seraient à l’école ou au régiment, où dans les tranchées. Ils sont là parce que c’est l’habitude et parce que les autres y sont. C’est ainsi. « So ! » comme ils disent, d’un mot qui coupent court à toute explication. Voilà des siècles qu’on cherche en vain les ressorts de cette volupté grégaire, et, malgré cela, nous en sommes toujours ébahis.
Quand, pour la première fois, on me conduit aux Zelte, je n’étais à Berlin que depuis deux jours. Bien que prévenu, je ne pouvais imaginer que les Allemands éprouvassent à ce point la joie de s’agglomérer et de ne penser à rien. J’avais, comme chacun, lu cela dans maintes relations de voyage, et sans trop y prêter attention. Quand on le voit de ses yeux, cela donne à réfléchir.
Ce qui d’abord frappe l’étranger, c’est qu’il ne viendrait à l’esprit d’aucun de ces gens-là l’envie de s’amuser ailleurs que sous les bocages à Wandervögel, sur les plages à Freibaden ou parmi les flonflons du Zelt. Ils savent depuis toujours que, là, ils trouveront leurs semblables venus en foule ; ils sont heureux de savoir que chacun de ces semblables est, comme eux-mêmes, animé de l’incomparable satisfaction de ressembler au voisin, de faire comme le voisin, et de ne penser à rien du tout – comme le voisin. Ils sont, en ces lieux, plusieurs centaines de mille – certains dimanches d’été, un million – qui sont venus là parce qu’on leur a dit d’y aller ; qui sont enchantés de s’y trouver avec les autres ; et qui, si on ne les y avait pas envoyés, et si les autres ne s’y trouvaient point, ne sauraient pas à quoi passer le temps.
Voilà.
Quand, à la nuit close, les trains de banlieue et de ceinture regagnent la capitale, silencieux et complets, comment un Français résisterait-il à la mélancolie de ces retours ? L’ordre, la méthode même, dont nos voisins se montrent si orgueilleux, achèvent de donner à ces fins de dimanche leur affreux air de service commandé.
Partout, des chaînes, des guérites, des barrières noires, des employés si rogues et si raides qu’on peut les croire automatiques. Dans la nuit, où les signaux se balancent comme des pendules, les wagons traînent leurs rangées bien droites de voyageurs sans joie (…)
Nous avons vu un peuple fait en grande série, et que l’on manœuvre, conduit, répare avec des accessoires universels et interchangeables. . Un peuple dont on a taylorisé les délassements. Un peuple avec une âme-trou, comme un réservoir d’essence. Et cela fait peur. Car tous les hommes raisonnables en Europe, tous les amis de la paix, fondent leurs espoirs sur l’avenir de la démocratie allemande. Mais qu’est-ce que la démocratie, sans le goût, le sens, la soif de la liberté ? »
Henri Béraud – Ce que j’ai vu à Berlin, Editions de France, Paris, 1926
A lire ICI, article plus complet sur ce reportage que Béraud fit en 1926 pour Le Journal .
09:46 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, béraud, vacances, loisirs, société |
vendredi, 16 juillet 2010
Le rêve bourgeois
Il n’est pas inscrit dans nos gènes. Il n’est pas inné. Mais il est inscrit dans l’histoire du pays. Dans le déroulement de son évolution. Et ce rêve bourgeois, nous en portons tous, qui que nous soyons, un morceau. Qui que nous soyons, français de souche (prolétarienne, paysanne ou bourgeoise), immigré de n’importe quel coin du monde et de n’importe quelle fortune : Nous en portons une part, dès lors que nous adhérons, enthousiastes ou contraints, aux valeurs de la société de consommation : quelle différence entre l’épouse du beauf, tant ridiculisé durant les années soixante-dix, qui se faisait ses bigoudis sous son casque le samedi, et la jeune black de banlieue qui teint à présent ses cheveux en blond ? Pas beaucoup, à bien y regarder.
Pourtant le bourgeois, tel que le XIXème siècle s’est plus à le ridiculiser, le bourgeois qui a produit ce rêve et l’a diffusé dans toutes les states de la société, est bien mort. Comme l’est l’anti-bourgeois, que le XXème siècle a mythifié, qu’il soit le réactionnaire le plus virulent ou le révolutionnaire le plus radical. Les deux, à jamais bien défuntés : demeurent leurs rêves entrelacés ; car c’est bien le rêve de la bourgeoisie qui a produit le mythe de l’anti bourgeoisie et l’a diffusé à travers ses médias durant un bon siècle. Mythe dont nous subissons l’influence, en même temps que nous sommes part du rêve bourgeois.
En fin de compte nous ne sommes plus vraiment ni de vrais bourgeois ni de véritables anti-bourgeois. Roland Barthes, dans ses mythologies, a réussi avec une ironique habileté, à dépeindre l’univers de référence du petit-bourgeois d’après guerre. Jérôme Garcin, en 2007 a tenté de reproduire l’expérience avec l’univers techno-tolérant du bourgeois bohème dans les Nouvelles Mythologies (1). Il n’a pu renouveler la même performance. L’échec de l’entreprise nous enseigne que si le petit-bourgeois était bien un homme du peuple embourgeoisé, le bourgeois-bohème n’est pas un bourgeois qui épouserait des valeurs populaires. Le bourgeois-bohème est un mutant qui n’a plus de bourgeois qu’un vague rêve. Je dis vague, car il suffit de tremper dans sa culture quelques instants pour comprendre à quel point il s’est éloigné de la hauteur de la culture de ceux dont il se croit l’héritier (c’est par là qu’on voit à quel point la transmission de ce rêve bourgeois n’est pas affaire de génétique) : quant à la révolte des anti-bourgeois, elle n’a plus la puissance vivifiante du mythe ; tout juste est-elle une attitude ou un spectacle, à la mesure des jeans lacérés par les ados issus de cette classe de bourgeois-bohèmes.
Si le rêve bourgeois est certes encore constitutif du modèle de communication qui structure les démocraties planétaires aujourd’hui, je le crois atteint d’un cancer irrémédiable. Parce que l'ado des quartiers chics en jean déchiré ou la black des banlieues métissées à la chevelure décolorée ne sont plus guère que des personnages de seconde main, reproduits à l’identique par la société du spectacle. Pour vivre et se répandre, il a eu besoin, jadis, de véritables acteurs : il ne trouve guère, pour le porter à présent, que des figurants par millions : des masses, autrement dit. Très peu d'individus.
(1) Nouvelles mythologies, sous la direction de J Garcin, Seuil, 2007
19:26 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, société, roland barthes, france, bourgeoisie |
jeudi, 01 juillet 2010
L'Premier d'Chuyet
Café des sports de Chuyet-les-Mimosas : Texte publié avec l’accord de son patron.
Tous les premiers de mois sont des jours un peu tordus, un peu flambards, un peu nazes, faut ben le reconnaître, disait l’autre, en se grattant le plexus solaire à s’écorcher jusqu’au sang. Tous, ô ben oui, avec leur volonté d’pas être des jours zordinaires en se donnant le titre de premier d’queuq’chose, de queuq’ moi : Le premier d’Novembre, le premier d’l’An, le Premier du mois d’Avril, le Premier Mai. Mais y’a ren d’pire, a ben y regarder dans l’blanc d’l’œil, de tous ces jours prétentieusement princeps que le premier d’ce foutu mois d’Chuyet. Pour preuve, y’a que l’premier d’Chuyet, la moitié du pays (celle qu’est pas ahoutisée jusqu’au trognon extrême) trouve qu’y a plus une seconde à perdre avant d’se changer de pied en cap en surface pour crème solaire. En vlà qui fait de sacrés files et des bouchons, et c’est comme ça tous lez’ans qu’le Bon Dieu fait pour pas grand’chose, dirait-on.
Notez ben qu’le Premier d’Chuyet se prend pas pour l’ombre d’un pauvr' caca, alors que c’est ren que le 182 ème jour de l’année, après tout ! Cent quatre vingt deuxième !!! A ben y regarder. Mais comme il en reste encore pile 183 à tirer avant d’en être débarrassé (de l’année, en tout entier) le premier d’Chuyet se gonfle les pectoraux et joue l’costaud: pile à la moitié qu’y s'dit. Et c’est vrai que c’est un jour où tous les tarifs augmentent, mince de chier ! Un mauvais jour à passer, donc. Encore une entourloupe ! En déplaise à tous ceux qui y sont nés et y fêtent leur Annie verse Air, quand y’s’met en plus à faire trop chaud comme en c’moment, c’est ben l’jour l’plus con d’l’année !
Et là-d’ssus l’patron lève son verre, et tout l’comptoir trinque avec lui.
22:09 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : 1er juillet, calendrier, vacances, politique, france, chuyet-les-mimosas |
lundi, 21 juin 2010
Le foot, c'est méta-fort
Les politiques qui ont fait du foot une métaphore de la société française en 98 voient donc enfin cette métaphore leur retomber dessus par un coup de boomerang salutaire. Pas seulement la métaphore du très démagogique slogan black-blanc-beur, mais aussi celles qui structurent tout un lexique comme celui du coaching universel qui était censé incarner la relation d’entreprise instaurée dorénavant du haut en bas de la société, du « tu fais une erreur et ça se paye cash » débité par les joueurs sans cervelle à longueur d’écrans, du « c’est que du bonheur » pour célébrer l’argent dans lequel on nageait à profusion, la notoriété acquise grâce à quelques bons ballons.
S’il est des footeux qui espèrent que ce sera l’occasion d’un formidable coup de balai, aussi bien dans l’Equipe de France que dans la fédération, chez les agents, les clubs, les entraîneurs… j’ai peur qu’ils soient bien optimistes : il y a trop à balayer, et puis avec quoi balayer, et qui tiendra le balai ? Sans compter la surface : la mesure-t-on ? Du vestiaire à la loge et de la loge au palais, le terrain est pour le coup bien trop vaste pour des petites mains. Et trop symbolique. C’est bien dommage.
Au moins que ce spectacle grotesque soit l’occasion de rappeler quelques vérités historiques : si la France est une nation de footeux, elle ne l’est que depuis trois générations. Au mieux, une mode, donc. Occupation de gentlemen, le football anglais fut introduit dans le pays au début du XXème siècle : c’est bien peu, pour faire une tradition. En 1931, pas plus de 145 000 joueurs. Pas grand-chose, à côté de la boxe, de la pétanque ou du cyclisme. Ou même de l’intérêt des Français pour le tennis. Dernière remarque : C’est la presse qui a contribué à faire du foot un spectacle de masse en France ; suivie par les entreprises qui perçurent bien vite le potentiel publicitaire du nouvel arrivant. C’est la presse qui est en train de tordre le cou à l’imposture actuelle : le foot, quand même, c’est méta-fort.
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10:16 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : football, politique, france, coupe du monde, histoire, société, mondial |