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jeudi, 16 septembre 2010

Informement et enfermation

En quelques années, on aura vu fondre comme neige au soleil la qualité de l’information en France. Quelques années durant lesquelles se sont imposés les gratuits (une info qu’on ne paye pas),  les pages web (une info qu’on ne choisit pas), une info toujours de plus en plus lapidaire, à la fois omniprésente et discontinue, une info quotidienne et tissée à la va-vite, commune et démultipliée, qu’on subit (et donc qu’on finit par négliger) ou bien qu’on consomme avec boulimie un temps et dont on finit par se lasser un autre temps.

Durant ces mêmes années, l’info aura en parallèle été de plus en plus normalisée, standardisée, anticipant l’événement et, la plupart du temps, le programmant, voire le dictant sans ménagement, de chaine en chaine et d’image en image. Info sans surprise, c’est le moins qu’on puisse dire. Info ressemblant à de la communication de crise à l’usage de citoyens de plus en plus centrés sur leurs propres calendriers et indifférents à ce qui peut se passer autour d’eux.

Dans ce même temps, la langue de l’info se sera évidemment considérablement simplifiée : le vocabulaire s’est ramassé et la syntaxe réduite. Cet appauvrissement linguistique a été de pair avec la dramatisation assénée par les titres, l’insistance sur le fait-divers ou le ragot. Il semble que la personnalisation de l’événement derrière quelques figures (président, pape, champion, grand patron…) ait définitivement pris le pas sur l’analyse ; l’invective systématique et la récrimination geignarde sur le commentaire. Surtout, l’info s’est mise à exister dans le seul instant présent, dans le culte d’un instant détaché de tout passé, détaché de tout contexte et de tout autrefois : c'est-à-dire de toute causalité. Ainsi traité, l’événement nouveau à venir se juxtapose à l’événement ancien écoulé, mais jamais n’advient de lui. Séquence après séquence.

 Une telle mutation provoque curieusement au sein de la population, et c’est très sensible un peu partout, à la fois du renoncement et de la colère, une amnésie profonde face au passé même proche et un désenchantement maladif devant l’avenir, de multiples doléances et une passivité chronique, une revendication de l’ego qui se confond souvent avec une terrible frustration de l’être. On finit par se demander par quel événement, finalement, cette population pourrait bien être surprise. Des catastrophes en tous genres, des faits-divers abracadabrants, des scandales politiques et financiers, des exploits et des contre-exploits sportifs, de la crise, enfin, elle en aura bouffé, bouffé, bouffé tant et tant que le monstre repu rote d’indifférence devant tout ce qui n’est pas atrocement spectaculaire. Ainsi avons-nous pris l’habitude de voir les banquettes de nos autobus et de nos métros, les quais de nos gares et les trottoirs de nos rues  désormais jonchés de ces prospectus informatifs, où les gros titres indiffèrent tout le monde, et comment pourrait-il en être autrement ? Etrange consensus au sein d’une majorité - comme on dit depuis toujours – silencieuse, dont la curiosité et l’intelligence ne sont plus, par l’info, sollicitées. Il s’agit, pour chacun, de se faire une opinion, une opinion qui - faute d’être personnelle-  se bornerait presque à n’être qu’un devoir civique, comme le sont trier ses déchets ou se rendre au bureau de vote. On dirait que la société de l’info sait déjà tout d’elle-même et des limites dans lesquelles elle tient chacun informé /enfermé. Dès lors, la société de l’info n’est plus qu’une société de l’attente. Une attente aussi hystérique que poussive de l’événement apte – faute de changer quoi que ce soit – à surprendre ; attente à laquelle on a paradoxalement renoncé à s’intéresser, événement dont on a depuis longtemps cessé de croire qu’il puisse advenir pour de bon.

Tous, nous nous demandons régulièrement par quelle magie cet ensemble morne et pourtant terriblement efficace tient debout, combien de temps encore il va duper son monde. Et pendant que nous nous demandons cela, nous passons ; nous passons moroses et indignés, tandis que d’autres arrivent, naïfs et enthousiastes. C’est avec ces mouvements d’opinions que se fabriquent non plus l’Histoire des peuples, mais de simples ondoiements au sein du système, qu’on appelle alternances. Devant un tel état de fait, il me semble que se tenir à l'écart, en retrait, de côté, en dehors ou en marge, comme on voudra, c'est un effort qu'on se doit - à soi comme à autrui. Une mesure, véritablement, de salut public...

01:30 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, information | | |

Commentaires

Ce matin, dans ma voiture, France cul. en arrière-fond, je me suis exactement fait cette réflexion: l'alternance dans l'Histoire...
Me suis garée sur le bas-côté, une façon d'être en marge!

Écrit par : la bacchante | jeudi, 16 septembre 2010

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