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vendredi, 19 septembre 2008

Vidéo surveillance et lieux communs (2)

« L'homme, malgré sa tendance au mensonge, a un grand respect pour ce qu'il appelle la vérité », note Rémi de Gourmont dans la Culture des Idées (page 48, titre ré-édité par Bouquins, l'an dernier). Il explique ce respect par le besoin que l'individu a de conduire son existence en se sentant dans le vrai : C'est, dit-il, que « la vérité est son bâton de voyage à travers la vie ». Si la métaphore est bien éculée, c'est qu'elle énonce une évidence, effectivement. Mais comme la vérité n'est pas aussi aisée à connaître que cela, des siècles de pratique philosophique en sont la preuve, Gourmont explique que le cerveau de l'homme civilisé ( du bourgeois, dirait Léon Bloy) est devenu une fabrique de lieux communs, où incessamment s'associent à des idées anciennes des idées plus nouvelles, donnant naissance à ce monstre de stupidité certain de ses droits qu'est le lieu commun... « Le cerveau de l'homme civilisé, dit-il, est un musée de vérités contradictoires ».

Les débats sur la vidéo-surveillance, qui n'ont pas fini d'être tenus au sein de nos opulentes, frileuses et dogmatiques démocraties sont un bon exemple de cette désolante manufacture à lieux communs : l'opulence de nos sociétés - de quelque ordre qu'elle soit- génére de l'envie, et cette envie de l'insécurité. Les modes de vie que nous avons adoptés vaille que vaille ont fait de nous des créatures de plus en plus assistées, autant sur le plan économique (le crédit, les aides multiples) technologique (ça se passe d'illustrations) qu'intellectuel (ah! les sacro-saints experts, les spécialistes et les conseillers en tous genres, ceux-là même qu'un honnête homme du temps de Fénelon aurait appelé "les pédants..."). La vulnérabilité qui en découle génère en nous et presque à notre insu une sorte de besoin non pas d'ordre mais au moins de sécurité, et ce besoin, relève du fait; un fait que beaucoup de citoyens assimilent par ailleurs à un droit (la confusion est vite effectuée). Dans la société du spectacle, le besoin de sécurité est entré en conflit avec un droit que garantit depuis plusieurs siècles la Constitution, droit plus abstrait mais néanmoins vital pour chacun d'entre nous :  la liberté.

Revenons à Gourmont, page 49, cette fois-ci.

« Un grand nombre de lieux communs ont une origine historique : deux idées se sont unies un jour sous l'influence des événements et cette union fut plus ou moins durable. (...) Les idées isolées ne représentant que des faits ou des abstractions, pour avoir un lieu commun, il faut deux facteurs. Il faut, c'est le mode de génération le plus ordinaire, un fait et une abstraction. Presque toute vérité, presque tout lieu commun, se résout en ces deux éléments. »

Et c'est ainsi qu'après avoir résisté massivement à l'utilisation quasi générale de la videosurveillance au nom d'un concept auquel ils sont attachés (la Liberté), les Français sont en train, lentement, de retourner leurs vestes, parce qu'on les a persuadés à coups de lieux communs régulièrement assénés - c'est peut-être à cela que servent aussi les campagnes électorales -  que la videosurveillance serait capable non seulement de ne pas entraver « 'leurs libertés fondamentales », mais bien plus, qu'en garantissant leur sécurité, elle garantirait du même coup leur liberté : Si l'argument est, en bonne logique, imparable, le lieu commun est bel et bien là, installé comme un « Grand Frère » qui risque de protèger encore longtemps notre sommeil contre les mauvais coups du vilain grand méchant Sort. Car cette liberté dorénavant fragmentée en deux (les libertés fondamentales que protègent des caméras et celles qui le seraient moins, qu'elles assassinent) n'est plus un Concept ou un Idéal. Elle devient, au même titre que la sécurité, un simple fait, comme boire et manger, mais pas penser ; c'est à dire quelque chose qu'on peut réguler, gérer, surveiller...

 « Y-a-t-il encore une vie intellectuelle en France ? », s'interrogeait je ne sais plus qui, il y a déjà quelques années. Devant la gueule narquoise de la caméra qui non seulement nous débite son catéchisme le soir à la Télé, mais aussi nous transforme en images surveillées à chaque coin de rues, de gares ou de grands magasins, santons bizarrement uniformes et tristement décolorés sur des écrans policiers, j'ai bien peur que se poser la question ne devienne, aux yeux même des partisans de la vidéosurveillance (qui sont aussi producteurs du lieu commun érigé en Bible à tout faire), la preuve d'une maladive parce qu'incorrigible fatuité... Un avis, autrement dit, dont on peut se passer.

 

22:46 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : rémy de gourmont, vidéo-surveillance | | |

Vidéosurveillance et lieux communs

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Chhhhuuuttttt !!!

Vous êtes filmés. Pour lire, c'est au-dessus, pour commenter, c'est au-dessous.

11:39 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, rémy de gourmont, actualité, société, vidéosurveillance | | |

lundi, 15 septembre 2008

N'ayez pas peur

N'ayez pas peur : le slogan est en passe de devenir un mot magique, une sorte de "sésame ouvre-toi de la popularité". Testée une première fois par Jean-paul II le jour de son intronisation, il a été martelé par Benoit XVI à l'occasion de son passage en France. D'abord, sur le parvis de Notre Dame ; puis aux Invalides : "N'ayez pas peur de donner votre vie au Christ." En 2007, déjà, Robert Hossein en avait fait le titre d'un spectacle. Etrange formule, a priori, par laquelle celui qui parle présuppose l'existence d'un grand méchant loup rodant à quelque pas de celui qui l'écoute.  Etrange formule, qui offre, par ailleurs, le privilège de conférer une autorité à celui qui la prononce face à ce péril suggéré - une autorité à la fois bienveillante & rassurante-. Formule ambiguë, car il semble qu'il faille ne pas avoir peur de celui qui la prononce malgré le danger qu'il édifie lui-même. Formule qui laisse un COI dans l'implicite (mais de quoi devrions-nous ne pas avoir peur ?). N'ayons pas peur des mots, justement, et reconnaissons que la formule, manipulatoire, est politique au moins autant que religieuse : On se souvient que Sarkozy l'avait piquée, lui aussi, à Jean Paul II dans son discours aux jeunes du 18 mars au Zénith. N'ayez pas peur de la mondialisation, du libéralisme, de ma propre personne : je suis là et j'ai changé. N'ayez pas peur : De la place Saint-Pierre au Palais des Sports, du Palais des Sports au Zénith, du Zénith au Parvis de Notre-Dame, de Notre-Dame aux Invalides, des Invalides à Lourdes, la formule a fait mouche. Et ce n'est pas fini, si on songe à sa carrière déjà avancée dans le marketting et la pub.  Il serait donc intéressant de savoir qui en fut réellement l'initiateur.

7cb978416c80f3c5f66c7b6798aeb56e.jpgOr il se trouve qu'en fouillant les textes, on s'aperçoit que celui qu'aurait prononcé la Vierge elle-même à Mélanie et à Maximin à la Salette commence précisément par cette douce injonction : Avancez, mes enfants, n'ayez pas peur, je suis ici pour vous conter une grande nouvelle. (Pour la suite et la totalité de ce texte peu connu, suivre le lien). Dans ce texte cher à Léon Bloy, la "Dame de Lumière" accuse l'Eglise de son Fils d'être devenue "un cloaque d'impureté"; elle traite les prêtres qui la servent de "chiens", et annonce, faute d'un redressement spectaculaire de la Foi des Chrétiens, une série de catastrophes sans fin s'abattant sur le pauvre monde. Or l'Apparition de la Salette (19 septembre 1846) précède de deux ans la première apparition de Lourdes à Bernadette (février 1848). On sait à quel point Lourdes a, par la suite, occulté La Salette, non sans arranger d'ailleurs autant la politique de Napoléon III que celle de l'Eglise. On peut en tout cas penser que c'est dans ce discours, qu'il connaissait fort bien, que Jean Paul II a puisé la formule magique, reprise par Sarkozy en campagne électorale, reprise par son successeur aujourd'hui. Décidément, il n'y a pas que la comique Ségolène qui se prend pour une Madone : Quelle époque aurait dit ma mère-grand !

20:38 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : benoitxvi, pape, apparition, actualité, religion, politique, notre dame de la salette | | |

samedi, 13 septembre 2008

Edvige, Gustav, Cristina, Eloi, Ike, Ignace et moi

Une manie récente (cela daterait du début du XXème siècle et se serait généralisé durant les années soixante-dix) consiste à baptiser les ouragans: D'après Dunn et Miller (1960), le premier usage d'un nom pour un cyclone a été le fait d'un prévisionniste australien qui a donné à un cyclone le nom d'un personnage politique qu'il n'aimait pas.  Cette coutume a été, parait-il, instaurée afin de pouvoir communiquer plus facilement avec la population. Lorsqu'un cyclone se révèle particulièrement meurtrier, on le retire des listes en signe de deuil. Sinon, tant qu'il n'a pas "tué", son nom est réutilisé par la suite. Ainsi, avant le Gustav qui a récemment sévi, d'autres Gustav (en 1996, en 2002) étaient passés plus inaperçus. Voici la liste des prénoms attribués aux futurs cyclones tropicaux de l'hémisphère nord.

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Arthur
Bertha
Cristobal
Dolly
Edouard
Fay
Gustav
Hanna
Ike
Josephine
Kyle
Laura
Marco
Nana
Omar
Paloma
Rene
Sally
Teddy
Vicky
Wilfred

Ana
Bill
Claudette
Danny
Erika
Fred
Grace
Henri
Ida
Joaquin
Kate
Larry
Mindy
Nicholas
Odette
Peter
Rose
Sam
Teresa
Victor
Wanda

Alex
Bonnie
Colin
Danielle
Earl
Fiona
Gaston
Hermine
Igor
Julia
Karl
Lisa
Matthew
Nicole
Otto
Paula
Richard
Shary
Tomas
Virginie
Walter

Arlene
Bret
Cindy
Don
Emily
Franklin
Gert
Harvey
Irene
Jose
Katia
Lee
Maria
Nate
Ophelia
Philippe
Rina
Sean
Tammy
Vince
Whitney

Alberto
Beryl
Chris
Debby
Ernesto
Florence
Gordon
Helene
Isaac
Joyce
Kirk
Leslie
Michael
Nadine
Oscar
Patty
Rafael
Sandy
Tony
Valerie
William

Andrea
Barry
Chantal
Dorian
Erin
Fernand
Gabrielle
Humberto
Ingrid
Jerry
Karen
Lorenzo
Melissa
Nestor
Olga
Pablo
Rebekah
Sebastien
Tanya
Van
Wendy

 

En France, il fut un temps où passer la nuit chez Gaspard, c'était passer la nuit au violon; nos anciens n'allaient pas jusqu'à prénommer le Mont-de-Piété où ils laissaient leurs économies, mais ils disaient "Chez ma tante..." L'habitude d'humaniser des événements ou des  circonstances désagréables est donc avérée . Et comme, quelque violents que soient certains de nos orages, nous n'avons pas (pas encore) de véritables ouragans à baptiser, alors nous baptisons nos fichiersEdvige, Cristina, Eloi... Sur ce lien, les premiers à avoir protesté.

Quand même, sauf à rendre aimable ce qui ne l'est pas, tolérable ce qui ne l'est pas, humain ce qui ne l'est pas, je ne vois pas à quoi cela sert de baptiser d'un doux nom d'être des choses aussi détestables qu'un fichier de renseignements, ou encore un ouragan, ou encore son propre patron. Car vous avez remarqué que les patrons aussi se sont mis également, depuis une vingtaine d'années, à se faire appeler par leur petit nom, voire même, dans certaines entreprises, à se faire tutoyer par ceux qu'ils gouvernent... C'est devenu un lieu commun.

Alors, pourquoi ne pas appeler Albert ou Angelina sa déclaration d'impôts, afin de se la rendre -pourquoi pas ?- plus sympathique au moment de la signer. Je propose que tous les radars parsemés sur les belles routes de France portent désormais le nom d'un saint-patron de la Légende Dorée de Jacques de Voragine. Quitte à être flashé, autant se donner l'impression qu'on l'est par un saint ou un martyr, c'est tout de même plus classe de laisser entre des mains de Bien-Nommés quelques points de permis, non ? Restent enfin toutes les caméras de surveillance qui passent leur temps à nous identifier à chaque coin de rue, identifiées, pourquoi ne le seraient-elles pas, elles aussi ? ". Eh oui ! J'ai intérêt à pisser droit car un peu partout, Joaquim, Hermione, Wendy et Olga, m'ont désormais à l'oeil... Fut un temps  (1937), le joyeux Fernandel chantait la chanson que voici : Pourquoi n'en ferions-nous pas l'hymne, joyeux autant que dérisoire, de notre nationale et désolante infortune ?


22:32 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : politique, sarkozy, actualité, edvige, fernandel, cyclones tropicaux | | |

mardi, 05 août 2008

Je vous laisse

"Je vous laisse aller vers le fond", fait le chauffeur de bus, tourné vers des visages qui, dans la moiteur de l'été, suent comme vaches qui pissent. On se trouve déjà fort tassé, on maugrée et on se tasse davantage.  Chez le médecin, le dentiste : "je vous laisse patienter". Variante : "je vous laisse vous asseoir". Au musée, au centre commercial : "je vous laisse prendre l'escalator"... " Je vous laisse composer votre code" : celle-ci, on l'entend partout. Autre version : "je vous laisse ranger vos affaires dans le sac !". Caissières permissives ? Chauffeur de bus tolérant ? Gardes amicaux ? Secrétaires prévenantes ? Que nenni. L'Etat, lorsqu'il s'y mettra à son tour, nous dira : "je vous laisse payer vos impôts". Le flic, au carrefour, tout sourire : "je vous laisse me montrer vos papiers". Issu probablement de l'anglais : "I let you + infinitif", cette expression ridicule a pénétré le français courant depuis peu, au point d'être devenu un cliché utilisé dans toutes les situations professionnelles imaginables afin d'exprimer l'ordre atténué. Là où nos anciens disaient "Veuillez" ou "voulez-vous", suivi d'un "s'il vous plait", voilà qu'encore notre modernité ramène son narcissisme autoritaire & disgrâcieux en commençant une fois de plus par dire Je,  là où il conviendrait de dire Vous (dans le même goût que le "Je m'excuse", pour "Veuillez m'excuser") Ce je, qui pointe son museau se révèle d'autant plus mal élevé qu'il croit l'être bien : feignant la politesse, il est donc particulièrement irritant. Car ce "je", qui se place en position sujet, n'est jamais véritablement celui d'un sujet libre et autonome, mais plutôt celui d'un simple éxécutant, d'un kapo, qui vous transmet une consigne qu'il a lui-même reçue. Que vous laisse-t-il, en vérité ? C'est un je intimement policier qui parle, un je franchement haïssable : société où le pseudo-professionalisme de chacun contrôle les gestes de chacun. Pour le plus grand bonheur de tous ? Ecoutez-le ton neutre, vide, avec lequel c'est généralement prononcé. Un sujet ? Simple courroie de transmission, canal ou tuyau, petit larbin du système, comme on voudra. Pas de quoi être fier.

Laisser provient du latin laxare (relâcher). Le verbe signifie "consentir", "permettre". C'est ainsi que la caissière vous permet de saisir votre code, la secrétaire vous autorise à séjourner dans le salon de son patron, etc....  Laisser, c'est aussi confier, donner. On laisse ainsi toujours quelque chose de soi à quelqu'un, quelque part. En français correct, "Je vous laisse" signifie exactement "Je vous quitte", ou "je vous abandonne", ou comme l'a très bien écrit un jour Jean Echenoz, "Je m'en vais". Tel est bien mon cas. Je m'en vais quelque temps en vacances, aussi le titre de ce billet n'est pas (Dieu m'en garde !) un lieu commun. Il est à comprendre au sens le plus propre. Et comme je m'en voudrais de m'en aller les mains vides, en vous donnant rendez-vous aux premiers jours du beau mois de septembre, "je vous laisse" en bonne compagnie, en compagnie de quelqu'un que j'aime bien. Monique Serf  (Barbara 1930-1997) fut quelqu'un qui détestait plus que tout les lieux communs et qui savait, d'intuition au moins autant que d'expérience, que le boulot principal d'un journaliste consiste à pousser son interlocuteur à en proférer le plus possible en un minimum de temps et si possible sans bien s'en rendre compte.


 


03:33 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : langue française, société, littérature, lieu commun | | |

vendredi, 25 juillet 2008

Il faut sauver la planète

Sauver la planète ; un lieu commun : A quel point les causes les plus justes, les priorités les plus absolues, des évidences de bon sens deviennent, dans la bouche des politiques et grâce au travail incessant des médias, de véritables lieux communs, une sorte de fond sonore atemporel et complètement décalé de nos pratiques sociales quotidiennes (ce qui n'est pas, evidemment pas, la meilleure façon de leur rendre service ni de les faire entendre) ; à quel point le discours politique et le discours médiatique sont devenus les producteurs à débit constant de lieux communs : C'est ce que montre cette courte-video, un montage habile de Greenpeace, de façon comique et saisissante. Chacun de ces beaux-parleurs aura, en tout cas, réussi grâce à des chapelets de lieux communs, et jusqu'au dernier de la liste, " une fort jolie carrière", non ?


Production : PGLL

12:53 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, greenpeace, société, nature, actualité, environnement | | |

vendredi, 27 juin 2008

J'honore l'argent

"Etre sans le sou, c'est le dernier degré du malheur dans notre ordre social. actuel. Je suis de mon temps. J'honore l'argent!" Balzac plaçait cettte réplique dans la bouche de son personnage, le bien nommé Crevel de La cousine Bette. A la même époque, Guizot lançait son slogan déjà sarkoziste à la figure de toute une génération: Enrichissez-vous. Autre citation de Balzac, même roman : "Au-dessus de la charte, il y a la sainte, la vénérée, la solide, l'aimable, la gracieuse, la belle, la noble, la jeune, la toute-puissante pièce de cent sous." Voilà. Dans sa longue liste d'adjectifs, Balzac englobait tous les ordres, de la noblesse au clergé, tous les sexes, tous les âges; réplique du Veau d'or façon Monarchie de Juillet. Qu'en est-il aujourd'hui ? La pièce d'un euro a su tout garder de sa sainteté ; rajoutons qu'elle est aussi sportive, musicale, cinématographique, journalistique, industrielle, européenne et mondialiste, humanitaire, technologique, créative, sexy, parfois grave mais jamais trop. En tout cas, pas dans une poche. Terrible Balzac, cloitré chaque nuit dans sa maison rue Raynouard, griffonant à l'aube, le coeur ivre de café et de dettes : "Une voix lui cria bien : l'intelligence est le levier avec lequel on remue le monde. Mais une autre voix lui cria que le point d'appui de l'intelligence était l'argent."

12:50 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : balzac, cousine bette, société, politique, littérature | | |

samedi, 14 juin 2008

Monter en puissance

Le terme provient, je crois, du football. Un joueur monte en puissance lorsqu’il bénéficie, auprès de son entraîneur, de plus de considération et donc d’un « bénéfice » de temps de jeu. Dès lors, il devient pour son club une valeur marchande plus importante : il « monte en puissance ». Et c’est ainsi que, sur le plateau de tournage d’un navet programmé pour la rentrée, le petit figurant considère le rôle secondaire qui lorgne sur le rôle principal, qui jalouse déjà le metteur en scène, lequel se verrait bien dans la peau du producteur. A la polyclinique des Trois Phoques, l’aide-soignante se demande pourquoi elle n’est pas dans la peau de l’infirmière, l’infirmière dans celle de l’interne, l’interne dans celle du chef de clinique, le chef de clinique dans celle du directeur général, et le directeur général dans celle d’un quelconque prix Nobel. L’élève veut prendre la place du prof, le prof celle du proviseur, le proviseur celle du recteur, le recteur celle du ministre, et le ministre celle du président. Petit jeu de rôles qui conduit pareillement à l’intérieur de chaque entreprise le balayeur de service à rêver qu’il est devenu le principal actionnaire, le stagiaire le boss, et dans chaque parti politique, le militant de base le premier de liste à chaque élection… Dans la société libérale, qui est aussi société du spectacle, chacun rêve ainsi de supplanter chacun, aux yeux de toutes et de tous, dans une montée de sève qui n’aurait plus jamais de fin; métaphore de l’érection comme de l’ascension sociale, la montée en puissance est donc à la fois un jeu de séduction (on bande pour quelqu’un dans le regard de quelqu’un) et d’exercice de pouvoir (jamais satisfaisant, s’entend) ; formidable allégorie de la toute puissance fantasmatique et narcissique, la montée en puissance génère ainsi des rêves en carton pate dans l’esprit de millions de nos contemporains. Lieu commun qui ne peut exister sans son triste corollaire, la descente aux enfers, que, si on en croit Diderot et la fameuse pantomime des gueux si plaisamment mise en scène par le personnage éponyme du Neveu de Rameau, on assimilait déjà au XVIIIème siècle à une inique et interminable déchéance, figure déjà de la débandade et de la dé-bandaison : « Comment l’abbé, lui dis-je ? Vous présidez ? voilà qui est fort bien pour aujourd’hui ; mais demain , vous descendrez, s’il vous plait, d’une assiette ; après demain, d’une autre assiette ; et ainsi de suite, d’assiette en assiette, soit à droite, soit à gauche, jusqu’à ce que de la place que j’ai occupée une fois avant vous, Fréron une fois après moi, Dorat une fois après Fréron, Palissot une fois après Dorat, vous deveniez stationnaire à côté de moi, pauvre plat bougre comme vous, qui siedo sempre come un maestoso cazzo fra dui coglioni »

Il n’y a pas, cela dit, que les êtres humains qui soient condamnés à d’incessants jeux de yo-yo. Dans une société saturée d’objets, ces derniers peuvent désormais espérer à leur tour un bref règne. Tel produit, telle marque «monte en puissance ». Tel concept. Telle notion. Tel genre. Tel lieu. La montée en puissance d’un festival, d’une destination, d’un style, d’une émission devient synonyme d’efficience autant que de notoriété. La montée en puissance de l’écran plat a jeté dans les décharges nos vieilles télés ventrues comme celle de Laurence Ferrari est en train d’écarter de nos écrans plats le vieux PPDA. La montée en puissance est donc un phénomène intrinsèque à l’ère médiatique, à la société démocratique du libre marché, de la notoriété, de la publicité, de l’instant  : la montée en puissance est marchandisation. Bonne raison, où qu’on se trouve dans la pyramide, pour ne pas bander pour elle.

17:52 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : actualité, culture, littérature, langue française, football | | |

mercredi, 09 avril 2008

Le monde bouge

Vérité copernicienne indiscutable, n'est-ce pas ? Vérité copernicienne qui, depuis qu'elle fut abjurée dans la douleur par Galilée jusqu'à ne plus survivre qu'en un murmure - et pourtant, elle tourne ! -, bénéficie dans l'inconscient collectif d'un crédit dont les agences publicitaires, depuis quelques années auront fait leurs choux gras. La version moderne de « Et po1806624074.jpgurtant elle tourne », c'est « le monde bouge ».

Et c'est devenu le chiffre d'or de la mondialisation libérale qui fait non plus tourner, mais bouger le monde et tous ses habitants, qu'ils soient consentants ou récalcitrants, jeunes ou vieux, riches ou pauvres. On bouge aussi bien dans sa tête, suggère le lieu commun, que dans son corps, dans son studio que dans la rue, avec sa copine qu'avec son banquier. On bouge de la crèche à la croisière Paquet. Et, tout en bougeant, on ne s'installe jamais, on ne séjourne nulle part.

Posez-vous sur un banc et observez une place, une rue, une terrasse, un hall, une avenue. Qui est vraiment là ? Chacun, sollicité jusqu'en sa poche ou son sac à mains, par un portable ou par un autre, projeté ailleurs et ailleurs dans une conversation plus lointaine avec ce fameux monde qui bouge. Une sagesse très ancienne nous a pourtant appris que le monde, le monde et son mouvement perpétuel, le monde ne change guère. Les flammes olympiques passent et trépassent, les causes bonnes ou mauvaises aussi. Tandis que bouger est devenu une sorte de verbe d'état, absolument intransitif (« Je bouge, tu bouges, nous bougeons donc nous sommes »), un vieux monsieur qui a fait caca sous lui attend, dans le carré d'une chambre peu hospitalière qu'une infirmière vienne le laver.

Cela, ça ne change pas. Non loin de là, dans la cour intérieure de l'hôpital, un bambino écrabouille un insecte entre ses doigts et constate qu'il y a un certain stade d'écrabouillement à partir duquel les pattes de l'insecte ne bougent plus. Les pattes, ni le reste. Et tandis que partout,  bouger est devenu une fin en soi, tant pour l'entreprise qui délocalise que pour le salarié en permanente insuffisance de formation, il y a un peu partout dans le monde des gosses d'un sexe et de l'autre dont les doigts galopent sur leur corps, le soir, sous les draps de tous les continents, pour explorer les endroits où c'est bon, en rêvant de grandir. N'y a-t-il plus, dans ce monde d'affaires qui bouge tout le temps, que le sexe et la mort pour faire face au lieu commun ?

17:03 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lieu commun, galilée, copernic | | |