mercredi, 09 avril 2008
Le monde bouge
Vérité copernicienne indiscutable, n'est-ce pas ? Vérité copernicienne qui, depuis qu'elle fut abjurée dans la douleur par Galilée jusqu'à ne plus survivre qu'en un murmure - et pourtant, elle tourne ! -, bénéficie dans l'inconscient collectif d'un crédit dont les agences publicitaires, depuis quelques années auront fait leurs choux gras. La version moderne de « Et pourtant elle tourne », c'est « le monde bouge ».
Et c'est devenu le chiffre d'or de la mondialisation libérale qui fait non plus tourner, mais bouger le monde et tous ses habitants, qu'ils soient consentants ou récalcitrants, jeunes ou vieux, riches ou pauvres. On bouge aussi bien dans sa tête, suggère le lieu commun, que dans son corps, dans son studio que dans la rue, avec sa copine qu'avec son banquier. On bouge de la crèche à la croisière Paquet. Et, tout en bougeant, on ne s'installe jamais, on ne séjourne nulle part.
Posez-vous sur un banc et observez une place, une rue, une terrasse, un hall, une avenue. Qui est vraiment là ? Chacun, sollicité jusqu'en sa poche ou son sac à mains, par un portable ou par un autre, projeté ailleurs et ailleurs dans une conversation plus lointaine avec ce fameux monde qui bouge. Une sagesse très ancienne nous a pourtant appris que le monde, le monde et son mouvement perpétuel, le monde ne change guère. Les flammes olympiques passent et trépassent, les causes bonnes ou mauvaises aussi. Tandis que bouger est devenu une sorte de verbe d'état, absolument intransitif (« Je bouge, tu bouges, nous bougeons donc nous sommes »), un vieux monsieur qui a fait caca sous lui attend, dans le carré d'une chambre peu hospitalière qu'une infirmière vienne le laver.
Cela, ça ne change pas. Non loin de là, dans la cour intérieure de l'hôpital, un bambino écrabouille un insecte entre ses doigts et constate qu'il y a un certain stade d'écrabouillement à partir duquel les pattes de l'insecte ne bougent plus. Les pattes, ni le reste. Et tandis que partout, bouger est devenu une fin en soi, tant pour l'entreprise qui délocalise que pour le salarié en permanente insuffisance de formation, il y a un peu partout dans le monde des gosses d'un sexe et de l'autre dont les doigts galopent sur leur corps, le soir, sous les draps de tous les continents, pour explorer les endroits où c'est bon, en rêvant de grandir. N'y a-t-il plus, dans ce monde d'affaires qui bouge tout le temps, que le sexe et la mort pour faire face au lieu commun ?
17:03 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lieu commun, galilée, copernic |
Commentaires
Beau billet pour (enfin contre) un "beau" lieu-commun. Très cordialement digne Solko.
Écrit par : Tang | jeudi, 10 avril 2008
Effectivement, tout bouge. Il y a une sorte de snobisme de la modernité qui impose d'être toujours en action, de toujours faire du nouveau, de ne jamais s'arrêter. Pourtant, si on veut vraiment regarder (et pas simplement voir), il convient parfois de savoir s'arrêter.
Écrit par : Feuilly | jeudi, 10 avril 2008
Je croyais que Bouge était un lieu malfamé, horrible et puant fréquenté par des individus louches et peu fréquentables et que l'expression "le monde bouge" était une sorte d'image pour le lieu appelé monde. Me serais-je trompée?
Écrit par : file la laine | mercredi, 16 avril 2008
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