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samedi, 01 décembre 2012

Le lieu commun du mariage pour tous

Le premier aspect de ce lieu commun, le plus frappant, est l’idée faussement démocratique du « pour tous » qu’il assène sans ménagement. La locution confère au slogan issu de la communication politique la moins originale une redoutable efficacité : parodiant sans vergogne un idéal démocratique des plus nobles, il ne met plus l’accent que sur un prédicat (« pour tous ») en excluant le thème  (on parle de mariage, mais cela peut devenir la France, le président, l’école, le camembert…) , qui devient interchangeable au gré des réformes.

Dans cette logique, dès lors qu’on est « pour tous », on est implicitement rangé du bon côté, celui de l’égalité puisque le pour tous agit non pas comme un argument d’autorité, mais comme un prédicat d’autorité : On pourrait ainsi soutenir le droit à une même opinion pour tous, un même comportement pour tous, un même goût pour tous, un même sexe pour tous, une même lune pour tous… ; il suffit de répéter niaisement le même prédicat pour que ce dont il est question s’impose comme un droit commun.

Je me souviens de tout ce que le titre de Pierre Dumayet, Lectures pour tous, avait de généreux. Et j’entends tout ce que ce slogan de campagne, le mariage pour tous, a de rhétorique et sentencieux : Dans une société en crise et gouvernée par des politiciens qui ne sont plus que d’habiles communicants, le schéma « du même pour tous » apparait comme un gage d’égalité, quand il n’est qu’un principe de conformité.

La théorie des genres, telle qu’elle est issue des analyses d’un Foucault relayée par des associations de féministes et de multiples universitaires carriéristes, qui l’ont polie à la fois du vernis de la revendication et de celui de l’esprit, est le deuxième présupposé contenu dans ce lieu commun.

On ne nait pas femme, on le devient : Ce qui était à l’origine un chiasme, figure de style assez performante pour dénoncer le conditionnement social et culturel subi par les petites filles en plaçant sous le même signifiant un signifié anatomique et un signifié culturel, a également été  réduit au slogan intempestif (c'est-à-dire au premier degré) par les façonneurs en mal de surinterprétations de la théorie du genre ; désormais, donc, tout a un sexe : les coutumes, les objets, les produits, les idées, les lois, les mots, les couleurs, les rites, tout, absolument tout sauf les corps, tout sauf nous.

Désormais, nous n’avons plus de sexe, nous ne disposons que d’un genre.

Genre qui nous appartient et dont nous pourrions, à notre guise, influer le cours et décider le sort. C’est à ce titre qu’un enfant peut se retrouver avec non plus un père et une mère, mais un parent 1 et un parent 2, lesquels, étant du même sexe, ne seront cependant pas du même genre. On se croirait sans rire dans La Cantatrice Chauve, on est juste dans la post-modernité libérale. Cette dernière ne se satisfait que d’individus libres (dit-elle) c'est-à-dire isolés. S’y développe donc l’idée, pernicieuse que les parents « génétiques » (1), ceux qui transmettent un lien avec l’origine, seraient de faux parents, des parents occasionnels, une mémoire qu’on peut jeter aux orties au bénéfice du parent intentionnel, celui qui a « aimé l’enfant » (je place ce terme entre guillemets par précaution, on l’a compris).  

Ce déni du sexe, alors que c’est toujours la première des choses qu’on regarde chez un nouveau-né pour fonder son état civil, ce déni des « géniteurs », alors que les tests ADN sont les derniers remparts nous dit-on pour garantir la sécurité et l’identité des personnes en matière juridique, suffisent à dire à quel point le mariage pour tous n’est qu’une construction rhétorique fausse, au regard et de la nature, et de la tradition. C’est pourquoi ses partisans le revendiquent comme étant une marque de culture et de modernité. Avec là encore, le sentiment de faire autorité avec de grands mots. Ce qui est toujours le propre de la doxa la plus aveugle et la plus intransigeante.

En parlant d’autorité, il n’est pas anodin que tous les chefs religieux – qui tous sont contre – se soient fait recevoir pour le principe et au nom de la démocratie participative qui ne fait rien sans « consulter » par les députés aussi sourds qu’hostiles à leurs arguments (lire ICI). Les religieux défendent la filiation, quand nous vivons dans un monde obsédé par la contemporanéité et ce qu’elle exige d’individus recomposés, isolés, manipulables à merci.

Le mariage pour tous se prétend enfin le modèle du mariage assumé. Il reposerait, nous dit-on sur un choix véritable, authentique, réfléchi, tout comme d'ailleurs la filiation qu'on veut lui garantir. C’est ici que ses partisans vous sortent l’argument du nombre de divorces et celui des « mauvais parents », des parents violents, traumatisants, voire incestueux ou même infanticides. Avec le présupposé que chez les homosexuel(le)s bien évidemment, on navigue  dans le monde des bisournous, la séparation, la violence, l’inceste, le meurtre y seraient par culture impossibles, parce que les individus y auraient intériorisé on ne sait quel sens de la responsabilité supérieur à toute contestation.

En définitive, le mariage pour tous serait le véritable mariage d’amour, le plus fiable dans les sociétés contemporaines parce que, comble du paradoxe, il serait le seul qui réponde aux canons de l’individualisme et de ses besoins. Il se présente délivré de la lourde tradition, garant d’une filiation horizontale et dégagée de la malédiction infinie des générations comme des impondérables du hasard. En fait ce mariage d’amour est au fond terriblement manufacturé, tel un produit de société, au même titre qu’un meuble Ikea ou un roman de Marc Lévy. C’est ce qui fait sa force dans l'opinion publique, dressée à la tolérance et à la permissivité au moins autant qu'à celui du discours des experts. Grâce à ce produit, les associations représentant les minorités prétendument discriminées tentent d’intégrer la norme avec leur exception, au prix d’un reniement sans précédent. 

Le mariage pour tous est surtout un concept dangereux, car il signe symboliquement la fin de la filiation sur laquelle repose toute société humaine, puisque que la filiation devient elle aussi et grâce à lui une offre pour tous. Une filiation libérale, conjoncturelle, procédurière, vide de mémoire ancestrale et mondialisée, et qui aura toujours besoin de ce que ce qu’il y a de pire : des preuves.

Le tout au nom d’un ultime lieu commun : ça se fait ailleurs…  Notamment en Belgique. Ce qui, disons-le sans blaguer, n’est pas pour le coup l’argument le plus convaincant du packaging.

Ainsi fabriqué, le mariage pour tous n’est qu’un produit linguistique et sociologique sans légitimité, tel qu’on ne peut s’y opposer sans passer pour un hétéro intransigeant, autocrate et homophobe. Ou bien un catho de droite, identitaire de surcroit. Ou bien un doux rêveur, un nostalgique qui n’a pas bien compris son temps.

A moins d’être tout simplement un homme libre.

 

(1) Le terme, qui fait autorité en matière d’état-civil, prend tout à coup une espèce de connotation péjorative  bestiale inquiétante, presque ordurière

golconde-magritte.jpg

Magritte pour tous

14:40 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : politique, france, lieu commun, mariage pour tous | | |

vendredi, 02 janvier 2009

Faire des efforts

« Pour nous en sortir, chacun devra faire des efforts » : L’énoncé repose sur un beau parallélisme : deux propositions aussi filoutes l'une que l'autre, de chaque côté de la virgule déhanchée, dans le flot du discours présidentiel de mercredi soir.

Tout d’abord, s’en sortir : Verbe à l’infinitif, expression populaire. On n’arrive plus à boucler les deux bouts, on s’en sort plus : propos de rues, de trottoir. Plainte récurrente du petit peuple, entendue mille et mille fois dans les familles. Nous, première personne du pluriel, ce qu’on appelle en grammaire l’emploi pédagogique de la première personne. Mais qu’est ce que ce président à 18.690 euros bruts par mois vient faire parmi ce collectif de pauvres qui ont besoin de s’en sortir ? Sa fortune jointe à celle de sa Carla, il s’en sort très bien, non ?  A-t-il besoin de le dire ? Pas plus qu’il n’a besoin de s’en sortir. Il ne vient faire ici qu’un discours. Un de plus. Cette expression, « s’en sortir », il l’a volée dans la bouche des pauvres gens. Voleur, devrions-nous dire. Voleur de mots.  Sale boulot de causeur de réveillon. Il y a ce pour, aussi, qui ne fixe aucune ligne présidentielle, mais dérobe aussi celle des pauvres gens car, bien sûr, ils n’aspirent qu’à ça, s’en sortir, depuis la nuit des temps, ils veulent s’en sortir, ils ne pensent qu’à ça, les pauvres. Sarkozy, c’est le renard dans le poulailler qui vient piquer le grain de la poulaillerie. Oui. Leurs mots. Leurs buts. Tout.  Il a le mot qui ment, tout comme le geste : « Pour nous en sortir », dit-il.…

Deuxième proposition : On passe soudain au singulier. Chacun. Pronom indéfini, troisième personne du singulier. Le collectif est soudain défait. Chacun. Solitude des fins de mois.  La Carla et le Nicolas les ont-ils connues, ces fins de mois-là ? On rigole. C’est pourtant pas drôle. Chacun, soudain, se retrouve tout seul : car soudain, le président, l'Etat, l'autorité se retirent. Réintègre la bibliothèque de l’Elysée. Celle de ses prédécesseurs. La taille et la majesté en moins. A petite époque, petit état. A petit état, petit président. Il n’est plus avec nous et le pluriel redevient un singulier, liberté individuelle, vous dira-t-il, oblige. Devra : indicatif futur, frôlant ici la valeur d’injonction. N’attendez rien de ce type que vous avez élu. Rien. Chacun devra (singulier) faire des efforts. Et notez bien le pluriel au mot effort : « des efforts ».  La grammaire est comme ça. Infaillible. Non pas le miroir de l’âme, mais celle des intentions ; Sarkozy ne dit pas : chacun devra faire un effort. Il ne dit pas Nous devrons faire des efforts. Mais cette tournure, à l’image du rictus sarkozien, à mi-chemin entre la faute de grammaire, le parler démagogique, le programme idéologique,: « chacun devra faire des efforts.» Faire des efforts. Cela sent bien sûr son bulletin trimestriel. Sarkozy parle à des enfants. Un monde nouveau, dit-il, doit sortir de cela. Et dans ce monde, Sarkozy l'avocat fera des discours.

 

00:06 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (30) | Tags : sarkozy, lieu commun, langue française | | |

mardi, 05 août 2008

Je vous laisse

"Je vous laisse aller vers le fond", fait le chauffeur de bus, tourné vers des visages qui, dans la moiteur de l'été, suent comme vaches qui pissent. On se trouve déjà fort tassé, on maugrée et on se tasse davantage.  Chez le médecin, le dentiste : "je vous laisse patienter". Variante : "je vous laisse vous asseoir". Au musée, au centre commercial : "je vous laisse prendre l'escalator"... " Je vous laisse composer votre code" : celle-ci, on l'entend partout. Autre version : "je vous laisse ranger vos affaires dans le sac !". Caissières permissives ? Chauffeur de bus tolérant ? Gardes amicaux ? Secrétaires prévenantes ? Que nenni. L'Etat, lorsqu'il s'y mettra à son tour, nous dira : "je vous laisse payer vos impôts". Le flic, au carrefour, tout sourire : "je vous laisse me montrer vos papiers". Issu probablement de l'anglais : "I let you + infinitif", cette expression ridicule a pénétré le français courant depuis peu, au point d'être devenu un cliché utilisé dans toutes les situations professionnelles imaginables afin d'exprimer l'ordre atténué. Là où nos anciens disaient "Veuillez" ou "voulez-vous", suivi d'un "s'il vous plait", voilà qu'encore notre modernité ramène son narcissisme autoritaire & disgrâcieux en commençant une fois de plus par dire Je,  là où il conviendrait de dire Vous (dans le même goût que le "Je m'excuse", pour "Veuillez m'excuser") Ce je, qui pointe son museau se révèle d'autant plus mal élevé qu'il croit l'être bien : feignant la politesse, il est donc particulièrement irritant. Car ce "je", qui se place en position sujet, n'est jamais véritablement celui d'un sujet libre et autonome, mais plutôt celui d'un simple éxécutant, d'un kapo, qui vous transmet une consigne qu'il a lui-même reçue. Que vous laisse-t-il, en vérité ? C'est un je intimement policier qui parle, un je franchement haïssable : société où le pseudo-professionalisme de chacun contrôle les gestes de chacun. Pour le plus grand bonheur de tous ? Ecoutez-le ton neutre, vide, avec lequel c'est généralement prononcé. Un sujet ? Simple courroie de transmission, canal ou tuyau, petit larbin du système, comme on voudra. Pas de quoi être fier.

Laisser provient du latin laxare (relâcher). Le verbe signifie "consentir", "permettre". C'est ainsi que la caissière vous permet de saisir votre code, la secrétaire vous autorise à séjourner dans le salon de son patron, etc....  Laisser, c'est aussi confier, donner. On laisse ainsi toujours quelque chose de soi à quelqu'un, quelque part. En français correct, "Je vous laisse" signifie exactement "Je vous quitte", ou "je vous abandonne", ou comme l'a très bien écrit un jour Jean Echenoz, "Je m'en vais". Tel est bien mon cas. Je m'en vais quelque temps en vacances, aussi le titre de ce billet n'est pas (Dieu m'en garde !) un lieu commun. Il est à comprendre au sens le plus propre. Et comme je m'en voudrais de m'en aller les mains vides, en vous donnant rendez-vous aux premiers jours du beau mois de septembre, "je vous laisse" en bonne compagnie, en compagnie de quelqu'un que j'aime bien. Monique Serf  (Barbara 1930-1997) fut quelqu'un qui détestait plus que tout les lieux communs et qui savait, d'intuition au moins autant que d'expérience, que le boulot principal d'un journaliste consiste à pousser son interlocuteur à en proférer le plus possible en un minimum de temps et si possible sans bien s'en rendre compte.


 


03:33 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : langue française, société, littérature, lieu commun | | |

mercredi, 09 avril 2008

Le monde bouge

Vérité copernicienne indiscutable, n'est-ce pas ? Vérité copernicienne qui, depuis qu'elle fut abjurée dans la douleur par Galilée jusqu'à ne plus survivre qu'en un murmure - et pourtant, elle tourne ! -, bénéficie dans l'inconscient collectif d'un crédit dont les agences publicitaires, depuis quelques années auront fait leurs choux gras. La version moderne de « Et po1806624074.jpgurtant elle tourne », c'est « le monde bouge ».

Et c'est devenu le chiffre d'or de la mondialisation libérale qui fait non plus tourner, mais bouger le monde et tous ses habitants, qu'ils soient consentants ou récalcitrants, jeunes ou vieux, riches ou pauvres. On bouge aussi bien dans sa tête, suggère le lieu commun, que dans son corps, dans son studio que dans la rue, avec sa copine qu'avec son banquier. On bouge de la crèche à la croisière Paquet. Et, tout en bougeant, on ne s'installe jamais, on ne séjourne nulle part.

Posez-vous sur un banc et observez une place, une rue, une terrasse, un hall, une avenue. Qui est vraiment là ? Chacun, sollicité jusqu'en sa poche ou son sac à mains, par un portable ou par un autre, projeté ailleurs et ailleurs dans une conversation plus lointaine avec ce fameux monde qui bouge. Une sagesse très ancienne nous a pourtant appris que le monde, le monde et son mouvement perpétuel, le monde ne change guère. Les flammes olympiques passent et trépassent, les causes bonnes ou mauvaises aussi. Tandis que bouger est devenu une sorte de verbe d'état, absolument intransitif (« Je bouge, tu bouges, nous bougeons donc nous sommes »), un vieux monsieur qui a fait caca sous lui attend, dans le carré d'une chambre peu hospitalière qu'une infirmière vienne le laver.

Cela, ça ne change pas. Non loin de là, dans la cour intérieure de l'hôpital, un bambino écrabouille un insecte entre ses doigts et constate qu'il y a un certain stade d'écrabouillement à partir duquel les pattes de l'insecte ne bougent plus. Les pattes, ni le reste. Et tandis que partout,  bouger est devenu une fin en soi, tant pour l'entreprise qui délocalise que pour le salarié en permanente insuffisance de formation, il y a un peu partout dans le monde des gosses d'un sexe et de l'autre dont les doigts galopent sur leur corps, le soir, sous les draps de tous les continents, pour explorer les endroits où c'est bon, en rêvant de grandir. N'y a-t-il plus, dans ce monde d'affaires qui bouge tout le temps, que le sexe et la mort pour faire face au lieu commun ?

17:03 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lieu commun, galilée, copernic | | |

jeudi, 13 mars 2008

J'ai du talent

Cela va de soi !C'est en effet par lui, avec lui et en lui que je suis moi. Grâce à lui que je me réalise. Saurait-on un seul instant imaginer un individu sans talent ? Cela n'existe plus. Rien n'est plus commun que le talent. Désormais toutes les catégories de la société sont concernées par sa production. J'ai du talent. Dans le ventre de ma mère, déjà, n'écoutais-je pas Chopin ? Si, si...  tout en effectuant mes premières positions de hatha-yoga... Oh oui, du talent, j'en ai développé en masse. Comme toute le monde. Socialisé dès ma naissance, comment pourrait-il en être autrement ? A mes heures perdues dans la crèche, j'effectuais déjà mes premières aquarelles, toutes très prometteuses - que dis-je, promesse...( promesse de quoi ? - L'œuvre n'était-elle pas déjà promesse que d'elle-même ). D'elle-même, l'œuvre que je suis... A peine ai-je su marcher que des animateurs bienveillants m'ont enseigné avec un ballon rond l'art de la fugue et du détour : je dribble et je tire des pénos comme un Platoche. A peine ai-je su lire que j'ai voulu écrire comme Minou Drouet et Anne Franck. Un poème, une pièce de théâtre, un roman. Car j'ai du talent. J'ai du talent même en politique, domaine essentiel puisqu'il touche à la vie publique de mes contemporains, mes semblables. Je me présente aux élections. Les classes européennes, où l'on parle une langue par matière, m'ont permis de développer en démocratie marchande une telle compétence de globe-trotter que les explorateurs-amateurs du début des Temps Modernes n'auraient rien à m'envier. Qui parviendrait à compter le nombre de photos (de tout, d'êtres, de choses, de lieux et de bâtiments) que j'ai déjà prises sur les cinq continents ? Photos d'art, absolument. Et, de même, je ne sais plus combien j'ai donné de baisers, ni connu de frissons ! J'ai tant de talents divers et post-modernes que je ne suis plus qu'une gigantesque boule de soi réalisée. Dans la grande matrice de l'humanisme marchand, comme tout un chacun, j'ai tant de talent que je n'entre plus en conflit avec rien.

 

Lorsqu'en 1877, Léon Bloy quitta Paris pour La Trappe, Barbey d'Aurevilly lui déclara : « Je regarderais comme un vrai malheur que vous ne devinssiez pas le grand écrivain catholique dont je perçois en vous les facultés et les puissances. » Rapportant ce propos, Bloy confie à une amie : « Vous me dites que j'ai du talent et vous en déplorez le sacrifice. Je ne le déplore pas. Au contraire, et je serai bien débarrassé. Mon plus grand ennemi, c'est mon talent. Je lui dois le plus ignoble orgueil et l'ambition la plus insensée. Apprenez que je suis dévoré de la plus féroce des passions coupables, la passion de la gloire humaine. Je veux l'exterminer en lui tranchant la tête d'un seul coup et c'est pour cela que je vais à la solitude. Vous dites encore que si je consentais à devenir un religieux militant, je pourrais rendre de considérables services en écrivant sous l'œil de mes supérieurs pour la défense de l'Eglise et l'édification des âmes. Peut-être avez-vous raison, mais je crois qu'un seul Ave Maria  dit avec  cœur au pied de la Croix dans l'obscurité d'un désert est un fait plus considérable par ses résultats que la bataille d'Austerlitz et que la chute de quarante empires. Après cela, qu'ai-je à faire de votre papier et de vos phrases ? Je méprise absolument la littérature, que je regarde comme un jouet plein de tranchants et de piquants empoisonnés, dans les mains inexpérimentées d'un pauvre enfant. »

 

14:31 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : lieu commun, léon bloy, barbey d'aurevilly, littérature | | |

samedi, 08 mars 2008

IL FAUT VOTER !

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Celui-ci a la vie dure et la peau solide. Il faut voter ! Je connais gens de toutes sortes et de toutes générations, capables de vous l'asséner en toute occasion. Si vous ne filez pas droit, vous êtes un mauvais citoyen !  Mauvais ! Vous ne songez pas à tous ces nobles esprits, à tous ces braves gens, à tous ces sacrifiés et ces martyres qui sont morts pour la démocratie ! Eh, dites ! Si vous n'aviez pas eu la chance extraordinaire d'être leur con-citoyen, si vous étiez né dans l'un de ces pays de sauvages ou de malheureux qui ne connait pas l'élection, ah ! ... Vous vous rendriez compte de votre égoïsme, de votre insouciance... Non! non ! Il faut voter, il faut y aller. Même blanc ! Mais il faut se déplacer.

Ce catéchisme républicain ignore pour commencer que le droit de vote n'est pas un devoir.   Remarquons bien que la confusion entre droit et devoir, (comme celle entre individu et citoyen, client et consommateur, choix et option...) est monnaie courante autour de nous. Cela ne signifie pas que j'aie le devoir impératif de voter : d'ailleurs il m'est arrivé de voter au moins aussi souvent qu'il m'est  arrivé de ne pas voter, à des élections de toutes sortes. Et je dois dire que j'ai plus souvent regretté d'avoir voté que regretté de ne pas avoir voté. Toute une génération (celle d'Elections / pièges à cons) semble avoir à ce point viré sa cuti qu'elle culpabilise les plus jeunes aujourd'hui. Dans un de ses poèmes, Gaston Couté décrit ces chars à bans de moribonds qu'on traîne à la maison commune pour déposer dans l'urne au jour dit le bulletin sacré. Aujourd'hui, ce ne sont plus avec des bulletins de morts ou de moribonds qu'on bourre les urnes, mais avec des bulletins de téléspectateurs. Est-ce un progrès ?

 

08:48 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, élections, lieu commun | | |

lundi, 25 février 2008

Profiter de la neige

C'est la saison. Ce lieu commun fait office de version hivernale pour « profiter du soleil », plus ancien que lui. Dans la bouche des premiers vacanciers, « profiter du soleil », cela se concevait par rapport à une conception éprouvée du temps qui passe. De la même façon, on profitait aussi du jour, par rapport à la nuit, de l'été, par rapport à l'hiver, de sa jeunesse, avant la décrépitude ... Profiter relève donc d'une conception épicurien et bon enfant de l'existence, sorte de carpe diem économique dont Léon Bloy dirait qu'il est le propre de la satisfaction bourgeoise, et aussi d'un certain renoncement spirituel. Il rappellerait aussi que ce profit de jouissance, ce carpe diem anodin, a forcément aussi un coût de souffrance pour un salaud de pauvre, et d'argent pour un quelconque exploiteur. Qui profite en vrai du soleil ? Le touriste qui se fait bronzer par lui, ou les métiers du tourisme que ce dernier fait vivre en profitant ? Accorder à un seul verbe (profiter) un champ sémantique susceptible de se déployer tout aussi bien dans le domaine du pragmatisme que dans celui de l'hédonisme, la langue du bourgeois a de ces capacités !

Mais laissons cela. En février, c'est de la neige, donc, qu'on profite. Avec le développement du tourisme de masses, selon le point où l'on se situe, on tire de la neige toutes sortes de profits : un profit en terme de jouissance du côté du touriste, un profit en terme de pognon du côté des stations, sauf que  certains consommateurs  (on ne dit pas profiteurs ?) se plaignaient ce matin d'avoir trouvé des remonte-pentes fermés pour cause de grève. On aura bien tout vu, n'est-il pas ? Pour que la France entière puisse sans encombre profiter de la neige, l'Etat Providence a donc créé ces trois zones ( A,B,C) qui relèvent du n'importe quoi le plus pédagogique. Mais que font les Sciences de l'Education ? La neige, dite aussi poudreuse ou (métaphore plus significative du profit qu'on peut tirer d'elle) or blanc, la neige, donc, a le mauvais goût (avec le réchauffement climatique) de se faire (à certains endroits) tirer l'oreille pour tomber de façon juste et égalitaire, comme tout flocon devrait pourtant le faire en démocratie. Les stations de moyenne et basse altitudes emploient par conséquent des « re-enneigeurs (métier d'avenir ? ) pour répartir de façon plus conforme au droit de l'homme et du touriste la précieuse matière. Je ne sais pas s'il existe un BTS de ré-enneigement. Ce serait fort bon : Sigismond Bétéhesse se porterait sans doute volontaire pour enseigner à ces étudiants-là le charme des très beaux poèmes qu'Yves Bonnefoy a consacrés à la neige en train de tomber durant des nuits et des nuits, sur des plaines et des plaines. Ce n'est pas « du mouvement et de l'immobilité de la neige », mais ça lui ressemble. Bref, avec la poésie- vers laquelle mon cœur ne peut s'empêcher de revenir -, je quitte le lieu commun.

Profiter de la neige, c'est pourtant tout un programme :

1. prendre son pied en prenant le moins de gamelles possible sur des pistes encombrées de ses congénères -

2 payer au prix fort des locations de meublés pourris dans des stations de moyenne altitude ré-enneigée chaque nuit par les étudiants de Sigismond.

3. Vendre aux touristes les tomates, le café et tout le tsoin-tsoin trois fois plus cher que le restant de la saison

4. Tant qu'il y a encore de l'or blanc et avant que la planète ne soit en surchauffe toute l'année, apprécier en poète (que le bourgeois est toujours à ses heures perdues) les courbes et les arabesques de chute et de dépôt d'une blancheur éphémère sur le paysage.

Enfin, profiter, dans la société de consommation, c'est aussi détruire... Mais ça, le lieu commun ne le signifiera jamais explicitement.

 

19:12 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bonnefoy, bloy, lieu commun, sigismond bétehesse | | |

mercredi, 20 février 2008

Le foot, c'est que du bonheur...

« Fuyez le lieu commun…  » : tel était le conseil de James Joyce aux jeunes écrivains. « Dès que vous entendez quelqu'un en proférer un auprès de vous, fuyez ». Facile à dire ! Mais fuir où et par où ? Et où aller ? En quel lieu de la Terre, Seigneur, en quel lieu de l'esprit ?  Léon Bloy n'essaya pas de fuir ceux de son temps, lui. Au contraire, il les regardait bien en face, yeux dans les  yeux, et en dressa une exégèse méticuleuse qui parut en deux tomes. Petite pioche dans l'index : Dieu n'en demande pas tant ; les affaires sont les affaires ; les enfants ne demandent pas à venir au monde ; tout le monde ne peut pas être riche ; bien faire et laisser dire ; être  poète à ses heures

Les  locutions patrimoniales de la Belle Epoque étaient des formules bourgeoises, dixit Bloy dans sa préface.

A l'époque, ces formules circulaient de bouches en bouches ; de boutiques en boutiques et de paillassons en paillassons. On ramassait les premiers à l'école. On en trouvait aussi dans les colonnes des journaux, certes. Et dans les pages des meilleurs romanciers sans doute aussi. Cependant, la vitesse de propagation du virus demeurait sans doute raisonnable.  Aujourd'hui, le lieu commun est d'origine essentiellement médiatique. En bonne place, on trouve évidemment les lieux communs politiques, et nous connaissons tous certains candidats de second tour qui eurent récemment l'art et la manière d'en gaver les Français pour une saison. Les lieux communs journalistiques. Les lieux communs du show-business, et ceux du monde économique.  Les lieux communs cinématographiques.  Ecrans, véhicules commodes. Ne pas se laisser contaminer par eux, depuis que la libre expression de tout un chacun et l'égalitarisme souverain les ont faits se répandre avec une même audace dans tant de bouches, c'est une entreprise quasiment aussi impossible que de respirer de l'air pur dans une métropole un jour de pic de pollution.

Tiens, ce soir, Lyon-Manchester, Ligue des champions à Gerland.  A la limite, on s'en fout de qui va gagner, parce que de toute façon, depuis déjà une bonne dizaine d'années, non ? … « Le foot, c'est que du bonheur! »

Le foot, c’est que du bonheur ;   Remarquez comment on a ôté le « ne » et gardé le « que », histoire de donner un air positif à ce qui reste en grammaire, même restrictive, une négative. La phrase a du coup l'air positif qui convient à l'époque (le foot c'est du bonheur). Pourtant ce n'est pas que ça, mais cela il ne faut pas le dire. Chacun sait que c'est aussi des magouilles, par exemple. Allez voir Courbis il en sait quelque chose. Et puis du fric - oh beaucoup de fric ! - Mais dans le stade, comme dans l'église, non, ça ne se dit pas. On dira donc que c'est le jeu, rien que lui qui (n)'est que du bonheur.

Du coup des tas de petits gamins essayent de trouver le bonheur en tapant le plus jeune possible dans le ballon. Taper dans le ballon le plus jeune possible, c'est un peu comme sucer le micro dès son plus jeune âge, ça laisse quelques espoirs à des parents de s'assurer une retraite paisible. J'ai écrit une connerie ? Oui. Parce que l'argent, bien sûr, ça ne fait pas le bonheur. L'exploit sportif, si. Le foot, c'est que du bonheur...

 

19:00 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : football, lieu commun, léon bloy, solko | | |