jeudi, 28 février 2013
Romanesque Vatican
Un conclave va s’ouvrir. Contre les portes de la Sixtine, le très moderne « droit à l’information », qui n’est souvent qu’une variante habile de l’antique curiosité (le premier degré de l’orgueil, un péché, nous dit-on), va venir buter pendant plusieurs jours, pendant que les hommes en mozettes rouges délibèreront, prieront et voteront. Les militants de la modernité vont réclamer un pape à leur convenance, qui tienne compte de la fameuse « évolution de la société » (1), les spécialistes des religions vont proposer de brèves analyses aux normes des contraintes des plateaux télé (2), les communicants vont produire des formules et des images, et les journalistes vont faire des micros-trottoirs à la sortie des messes en attendant la fumée blanche place Saint-Pierre.
Le conclave avec son rituel, son protocole, sa théâtralité est un objet éminemment romanesque. Comme l’est d’ailleurs, dans l’Italie en crise, l’Europe en crise, la planète en crise, l’étrangeté du Vatican lui-même, véritable OVNI de la Trinité dans un temps qui ne sait plus penser qu'en binaire : « La plus vieille loi d’élection du monde est la loi en vertu de laquelle le pouvoir pontifical a été transmis de saint Pierre au prêtre qui porte aujourd’hui la tiare : de ce prêtre vous remontez de pape en pape jusqu’à des saints qui touchent au Christ ; au premier anneau de la chaine pontificale se trouve un Dieu », écrit Chateaubriand, alors ambassadeur à Rome (3)
Du Da Vinci Code au Vatileaks, cet univers vivant en huis-clos reste une inépuisable source de fantasmes et de rumeurs diverses. Rien de très neuf, me direz-vous, les soupçons d’homosexualité et de blanchiment d’argent étant déjà présents chez Du Bellay au XVIe siècle
Si je monte au Palais, je n'y trouve qu'orgueil,
Que vice déguisé, qu'une cérémonie,
Qu'un bruit de tambourins, qu'une étrange harmonle,
Et de rouges habits un superbe appareil :
Si je descends en banque, un amas et recueil
De nouvelles je trouve, une usure infinie,
De riches Florentins une troupe bannie,
Et de pauvres Siennois un lamentable deuil (4)
Dans la figure du cardinal électeur se télescopent la mémoire séculaire de la Tradition et l’imaginaire moderne qu’elle ne cesse de heurter, par son seul et heureux maintien. Rajoutons le fait que le cardinal est un être de liturgie, dans un monde numérisé qui ne tolère plus que de l’opinion et de la communication. Or, rien n’est plus contraire à l’opinion que la liturgie. Or, rien ne résiste mieux à la communication que la liturgie : C’est pourquoi jamais la liturgie ne fut si nécessaire.
Je souris toujours quand j’entends des experts dire que le Vatican « a des problèmes de communication ».
Les mules rouges de Benoit XVI tiennent de l’icône, quand tous nos logos d’entreprise demeurent à peine des signes. Communiquer « au reste du monde » par une fumée noire ou blanche l’élection d’un nouveau pape relève à la fois du primitif et de l’universel. Toutes les caméras qui diffuseront via des satellites fort sophistiqués au monde entier l’image de cette simple fumée sont comme déjà prises à leur propre piège (et au sien).
« Il y a dans cette ville plus de tombeaux que de morts. Je m'imagine que les décédés, quand ils se sentent trop échauffés dans leur couche de marbre, se glissent dans une autre restée vide, comme on transporte un malade d'un lit dans un autre lit. On croirait entendre les squelettes passer durant la nuit de cercueil en cercueil » écrit également Chateaubriand (3), en évoquant les vestiges de la première basilique de Constantin, ceux du cirque de Caligula et de Néron, et ceux de la nécropole romaine du 1er siècle après J.C. sur quoi repose le Vatican.
Il n’y a en réalité, dans ce monde qui a perdu le sens du feuilleté, c'est-à-dire de l’équilibre entre la tradition et la modernité, l’innovation et la culture, la tension vers le futur et la mémoire du passé, peu d’êtres aussi poétiques qu’un cardinal, peu de lieux aussi romanesques que le Vatican. Je le dis sans ironie aucune.
1 J’entendais tout à l’heure l’inénarrable Caroline Fourest protester contre le fait que le Vatican soit une monarchie et qu’aucune femme n’y exerce le pouvoir…
2 L’inénarrable Pujadas disant « merci pour votre analyse » à un expert venu énoncer trois banalités, c’est toujours un grand moment
3 Mémoires d’Outre Tombe, III, deuxième époque, Livre 9, chapitre 3 « conclaves », Chateaubriand
4 Regrets, sonnet 80, Du Bellay
5 Mémoires d’Outre Tombe, III, deuxième époque, Livre 9, chapitre 9 « promenades »
21:34 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : benoitxvi, rome, vatican, italie, conclave, religion, catholicisme |
mercredi, 27 février 2013
Impressionnant vieillard solitaire
Drôle de moment : Benoit XVI lit ses notes, assis sur un siège blanc. Devant les cardinaux réunis (parmi lesquels se trouve son successeur), il rappelle que « La personne qui accepte le ministère pétrinien n’a plus de dimension privée ». Cent mille personnes sont rassemblées là, place Saint-Pierre, un grand nombre de chaines de télévision retransmettent l’instant. Silence. Et je me dis que le catholicisme conserve un sens du spectacle vivant assez étonnant et presque à contre courant, dans ce monde fait de bruit et de fureur. Il explique : « J’ai toujours su que la barque de l’Eglise n’est pas la mienne, n’est pas la nôtre »
Silence de tous les fidèles rassemblés, au centre de cette place et de cette mise en scène, Impressionnant vieillard solitaire, que matraquent les cameras, en route pour l’isolement final. Fascinant, cette alliance de tradition et de modernité, du rite millénaire et de la simplicité de l'instant.
« Je vous demande de vous souvenir de moi devant Dieu », dit-il en français.
12:04 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : benoitxvi, vatican, rome, catholicisme |
lundi, 15 septembre 2008
N'ayez pas peur
N'ayez pas peur : le slogan est en passe de devenir un mot magique, une sorte de "sésame ouvre-toi de la popularité". Testée une première fois par Jean-paul II le jour de son intronisation, il a été martelé par Benoit XVI à l'occasion de son passage en France. D'abord, sur le parvis de Notre Dame ; puis aux Invalides : "N'ayez pas peur de donner votre vie au Christ." En 2007, déjà, Robert Hossein en avait fait le titre d'un spectacle. Etrange formule, a priori, par laquelle celui qui parle présuppose l'existence d'un grand méchant loup rodant à quelque pas de celui qui l'écoute. Etrange formule, qui offre, par ailleurs, le privilège de conférer une autorité à celui qui la prononce face à ce péril suggéré - une autorité à la fois bienveillante & rassurante-. Formule ambiguë, car il semble qu'il faille ne pas avoir peur de celui qui la prononce malgré le danger qu'il édifie lui-même. Formule qui laisse un COI dans l'implicite (mais de quoi devrions-nous ne pas avoir peur ?). N'ayons pas peur des mots, justement, et reconnaissons que la formule, manipulatoire, est politique au moins autant que religieuse : On se souvient que Sarkozy l'avait piquée, lui aussi, à Jean Paul II dans son discours aux jeunes du 18 mars au Zénith. N'ayez pas peur de la mondialisation, du libéralisme, de ma propre personne : je suis là et j'ai changé. N'ayez pas peur : De la place Saint-Pierre au Palais des Sports, du Palais des Sports au Zénith, du Zénith au Parvis de Notre-Dame, de Notre-Dame aux Invalides, des Invalides à Lourdes, la formule a fait mouche. Et ce n'est pas fini, si on songe à sa carrière déjà avancée dans le marketting et la pub. Il serait donc intéressant de savoir qui en fut réellement l'initiateur.
Or il se trouve qu'en fouillant les textes, on s'aperçoit que celui qu'aurait prononcé la Vierge elle-même à Mélanie et à Maximin à la Salette commence précisément par cette douce injonction : Avancez, mes enfants, n'ayez pas peur, je suis ici pour vous conter une grande nouvelle. (Pour la suite et la totalité de ce texte peu connu, suivre le lien). Dans ce texte cher à Léon Bloy, la "Dame de Lumière" accuse l'Eglise de son Fils d'être devenue "un cloaque d'impureté"; elle traite les prêtres qui la servent de "chiens", et annonce, faute d'un redressement spectaculaire de la Foi des Chrétiens, une série de catastrophes sans fin s'abattant sur le pauvre monde. Or l'Apparition de la Salette (19 septembre 1846) précède de deux ans la première apparition de Lourdes à Bernadette (février 1848). On sait à quel point Lourdes a, par la suite, occulté La Salette, non sans arranger d'ailleurs autant la politique de Napoléon III que celle de l'Eglise. On peut en tout cas penser que c'est dans ce discours, qu'il connaissait fort bien, que Jean Paul II a puisé la formule magique, reprise par Sarkozy en campagne électorale, reprise par son successeur aujourd'hui. Décidément, il n'y a pas que la comique Ségolène qui se prend pour une Madone : Quelle époque aurait dit ma mère-grand !
20:38 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : benoitxvi, pape, apparition, actualité, religion, politique, notre dame de la salette |