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vendredi, 19 septembre 2008

Vidéo surveillance et lieux communs (2)

« L'homme, malgré sa tendance au mensonge, a un grand respect pour ce qu'il appelle la vérité », note Rémi de Gourmont dans la Culture des Idées (page 48, titre ré-édité par Bouquins, l'an dernier). Il explique ce respect par le besoin que l'individu a de conduire son existence en se sentant dans le vrai : C'est, dit-il, que « la vérité est son bâton de voyage à travers la vie ». Si la métaphore est bien éculée, c'est qu'elle énonce une évidence, effectivement. Mais comme la vérité n'est pas aussi aisée à connaître que cela, des siècles de pratique philosophique en sont la preuve, Gourmont explique que le cerveau de l'homme civilisé ( du bourgeois, dirait Léon Bloy) est devenu une fabrique de lieux communs, où incessamment s'associent à des idées anciennes des idées plus nouvelles, donnant naissance à ce monstre de stupidité certain de ses droits qu'est le lieu commun... « Le cerveau de l'homme civilisé, dit-il, est un musée de vérités contradictoires ».

Les débats sur la vidéo-surveillance, qui n'ont pas fini d'être tenus au sein de nos opulentes, frileuses et dogmatiques démocraties sont un bon exemple de cette désolante manufacture à lieux communs : l'opulence de nos sociétés - de quelque ordre qu'elle soit- génére de l'envie, et cette envie de l'insécurité. Les modes de vie que nous avons adoptés vaille que vaille ont fait de nous des créatures de plus en plus assistées, autant sur le plan économique (le crédit, les aides multiples) technologique (ça se passe d'illustrations) qu'intellectuel (ah! les sacro-saints experts, les spécialistes et les conseillers en tous genres, ceux-là même qu'un honnête homme du temps de Fénelon aurait appelé "les pédants..."). La vulnérabilité qui en découle génère en nous et presque à notre insu une sorte de besoin non pas d'ordre mais au moins de sécurité, et ce besoin, relève du fait; un fait que beaucoup de citoyens assimilent par ailleurs à un droit (la confusion est vite effectuée). Dans la société du spectacle, le besoin de sécurité est entré en conflit avec un droit que garantit depuis plusieurs siècles la Constitution, droit plus abstrait mais néanmoins vital pour chacun d'entre nous :  la liberté.

Revenons à Gourmont, page 49, cette fois-ci.

« Un grand nombre de lieux communs ont une origine historique : deux idées se sont unies un jour sous l'influence des événements et cette union fut plus ou moins durable. (...) Les idées isolées ne représentant que des faits ou des abstractions, pour avoir un lieu commun, il faut deux facteurs. Il faut, c'est le mode de génération le plus ordinaire, un fait et une abstraction. Presque toute vérité, presque tout lieu commun, se résout en ces deux éléments. »

Et c'est ainsi qu'après avoir résisté massivement à l'utilisation quasi générale de la videosurveillance au nom d'un concept auquel ils sont attachés (la Liberté), les Français sont en train, lentement, de retourner leurs vestes, parce qu'on les a persuadés à coups de lieux communs régulièrement assénés - c'est peut-être à cela que servent aussi les campagnes électorales -  que la videosurveillance serait capable non seulement de ne pas entraver « 'leurs libertés fondamentales », mais bien plus, qu'en garantissant leur sécurité, elle garantirait du même coup leur liberté : Si l'argument est, en bonne logique, imparable, le lieu commun est bel et bien là, installé comme un « Grand Frère » qui risque de protèger encore longtemps notre sommeil contre les mauvais coups du vilain grand méchant Sort. Car cette liberté dorénavant fragmentée en deux (les libertés fondamentales que protègent des caméras et celles qui le seraient moins, qu'elles assassinent) n'est plus un Concept ou un Idéal. Elle devient, au même titre que la sécurité, un simple fait, comme boire et manger, mais pas penser ; c'est à dire quelque chose qu'on peut réguler, gérer, surveiller...

 « Y-a-t-il encore une vie intellectuelle en France ? », s'interrogeait je ne sais plus qui, il y a déjà quelques années. Devant la gueule narquoise de la caméra qui non seulement nous débite son catéchisme le soir à la Télé, mais aussi nous transforme en images surveillées à chaque coin de rues, de gares ou de grands magasins, santons bizarrement uniformes et tristement décolorés sur des écrans policiers, j'ai bien peur que se poser la question ne devienne, aux yeux même des partisans de la vidéosurveillance (qui sont aussi producteurs du lieu commun érigé en Bible à tout faire), la preuve d'une maladive parce qu'incorrigible fatuité... Un avis, autrement dit, dont on peut se passer.

 

22:46 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : rémy de gourmont, vidéo-surveillance | | |