mercredi, 23 mai 2012
De la République et des extrêmes
Les tripatouillages financiers que les divers montages de sauvetage ou de sortie de la Grèce de la zone euro sont proprement incompréhensibles par la plupart des gens appelés à voter dans les divers pays européens. Coup de poker politicien, le catéchisme de la croissance est en train de remplacer dans le discours des politiciens celui de l’austérité ; le monde économique est ainsi peuplé de credo qu’on vient marmonner en groupes devant les électeurs, tel ou tel cierge à la main. Ici comme ailleurs, les mots sont illusoirement dotés de pouvoirs qu’on croirait magiques : eurobonds, projects bonds. Les chiffres qui s’alignent ne donnent même plus le tournis, tant la disjonction entre économie et raison est accomplie : Jamais l’arbitraire du signe monétaire n’a été aussi palpable et impalpable. Nous vivons dans la dette souveraine, plus dans l’état souverain. Nous vivons dans l’irrationalité de la valeur.
Du coup, les solutions dites politiques : rembourser, ne pas rembourser, mutualiser, nationaliser… échappent elles-aussi à l’entendement. Toutes, semble-t-il, se valent, pour peu qu’elles soient démocratiquement débattues. Illusion dans laquelle prolifèrent les medias. Comme elles voltigent sous la plume des chroniqueurs, on a l’impression que toutes pourraient s’essayer au fil des alternances. Comme la finance est devenue un jeu virtuel avec le porte-monnaie du consommateur, la politique en est devenue un des plus sordides avec la cervelle du citoyen. Dans les deux cas, comment s’étonner que la confiance si scandaleusement hypothéquée du chaland s’évapore comme neige au soleil ? Car dans les deux cas, la disjonction est telle entre le mot et la chose qu’il n’y a plus guère que des militants pour s’enthousiasmer (ou feindre de le faire) des solutions proposées par tel ou tel parti.
Devant le règne de tant de relatif, partout exposé à l’attention de tous, chacun se prend à rêver d’un pouvoir qui serait à la fois juste et absolu. Rien de plus humain que cela. Qu’est-ce que l’extrémisme, sinon ce rêve là ? Le rêve qu’un dieu, qu’un dictateur, qu’une idéologie, qu'une technologie ou qu’un principe souverain vienne comme par magie rétablir un peu de clarté au milieu de cette confusion généralisée. Un peu de lisibilité au sein d’une telle complexité. Qu’au coeur d’une telle folie, une saisie claire du monde demeure encore possible à ma raison solitaire... C’est la radicalisation des propos engendrée par ce rêve de chacun qui menace le monde, le monde commun, la république.
L’extrémisme, au contraire de ce qu’on veut nous faire croire, ne réside pas dans un parti clairement identifié à un extrême ou à un autre de l’échiquier politique : ce serait bien trop beau ! bien trop simple ! cela satisferait certes notre goût malsain pour les boucs-émissaires ! l'extremisme rode dans tous les partis, comme une tentative absurde en chacun d'entre nous de renouer le lien toujours perdu entre les mots et les choses, devant l'angoisse suscitée par ce qu'est au fond cette crise dans sa version culturelle : l'exhibition permanente et subie de l'arbitraire de la valeur, celle de la parole politique comme de la monnaie fiduciaire.
Cordonnier des rues, Ukraine, 1925
09:47 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : politique, littérature, france |
Commentaires
Il n'y a que les solutions proposées par les économistes hors du sérail habituel qui pourraient nous en sortir. Et déjà, la réglementation des marchés (du genre de ce que Roosevelt avait fait en son temps avec le Glass-Seagal act et le passage en jugement de plusieurs financiers), qu'aucun politique actuel n'arrive à mettre en place, et pour cause : trop d'intérêts mêlés. Du coup, le hold-up continue, au risque effectivement de saborder ce qui reste de démocratie (ce qui prouve bien que les financiers, plus sots qu'on ne le croit, se tirent tout un chargeur dans le pied).
Tout cela est déprimant.
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 23 mai 2012
La réglementation des marchés, oui, devrait être une priorité mondiale! Que fabrique-t-on dans ces G8, G20, à part brasser du vent?
La spéculation sur les matières premières alimentaires devrait être purement et simplement interdite! Les émeutes de la faim qui avaient stupéfié le monde en 2008 étaient le fruit de la spéculation sur le riz, et rien d'autre. Malgré les dérèglements climatiques, la planète a quand même bon an, mal an, la capacité de nourrir tout le monde, et pourtant...
Écrit par : Sarah. S. | mercredi, 23 mai 2012
Je crois les politiques, aussi, paumés que le commun. Leur pléthore de conseillers sert de cache sexe à leurs désarrois et les enferment. Il y a une différence tout de même, ils sont payés pour donner l'illusion de maitriser l'avenir. Le présent est ,déjà, du passé.
Écrit par : patrick verroust | mercredi, 23 mai 2012
J'ai de plus en plus envie de hisser le drapeau rouge pour ma part! Sans pour autant adhérer à 100% aux théories communistes, je suis convaincue qu'il faut mettre à bas cet infect système ultra-libéral, Mettre fin au règne des financier, et introduire de l'humanité et de la morale dans les échanges. La spéculation à des aspects criminels parfois. Oui, il ne faut peut-être pas faire table rase de tout, mais un grand ménage s'impose!
Voilà pourquoi je ne tiens pas le PS pour un parti de gauche d'ailleurs...
Écrit par : Sarah. S. | mercredi, 23 mai 2012
Je ne suis pas certain qu'à l'épreuve de la réalité le communisme se soit révélé un mode de gouvernement très moral. Cette phrase de Béraud en 1926, aux ouvriers de Levalois Perret: "Il n'y a plus rien à espérer de la révolution russe : un capitalisme d'état a pris le pouvoir." en dit long là-dessus. A la tête d'un Etat comme à la tête d'un trust international, quand un groupe d'individus tout puissant prend l'ascendant, il est rare que ce soit pour le bien de tous...
Quant au ménage nécessaire, sans doute se fera-t-il par lui-même car il n'y a rien à attendre du PS, en effet, panier de crabes en place depuis des années occupés de leur seule survie politicienne comme l'UMP.
Écrit par : solko | jeudi, 24 mai 2012
"Si la Raison gouvernait sur la Terre, il ne se passerait Rien." Fontenelle. (Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686).
Écrit par : fred | mercredi, 23 mai 2012
Si ça continue comme ça, les États finiront, comme ils essayent de le faire en Grèce, par vider nos comptes d'épargne pour rembourser des consortiums qui paument du fric à acheter du vent pour spéculer. C'est fabuleux, non ?
Fabuleux.
Écrit par : Sophie K. | jeudi, 24 mai 2012
Un hold-up organisé par la haut, oui. C'est ce qui s'est passé avec l’introduction du papier monnaie (billets de 5 et 10 francs) avant quatorze, pour récupérer l'or des bas de laine... Et payer les armes aux industriels...
C'est alors qu'une génération a perdu confiance en l'Etat français, comme une génération est en train de perdre confiance en "la construction" de l'Europe.
Le gouvernement,comme la monnaie, repose sur des lois fiduciaires....
Écrit par : solko | vendredi, 25 mai 2012
Cette image de la dette qui vit sa propre vie, au-delà du monde de la Raison, était déjà décrite par Baudrillard, en 1995, dans "Dette mondiale et univers parallèle" (in Ecran Total) :
"La dette se meut sur une orbite bien à elle, celle des capitaux libérés de toute contingence économique, évoluant dans un univers parallèle, affranchis, par leur accélération même, de toute retombée dans l'univers banal de la production, de la valeur et de l'usage. Un univers pas même orbital : exorbital, excentré, excentrique. Avec une probabilité très faible qu'il rejoigne jamais le nôtre. C'est pourquoi aucune dette désormais ne sera remboursée".
C'est pourquoi le mot de Croissance, que l'on entend proféré depuis deux semaines, sur un ton incantatoire, n'est qu'une illusion... Rien ne se décrète, surtout pas la Croissance, encore moins quand les caisses sont vides. Seul la DETTE se décrète : pour avoir de la croissance, il faut décréter la dette. C'est tout. Dire le contraire, c'est un mensonge ; mensonge qui en a berné plus d'un le 6 mai dernier.
Écrit par : Jérémie S. | jeudi, 24 mai 2012
Ceux qui parlent de croissance l'ont fait dans des buts purement électoraux et n'ont ni les moyens ni la volonté de la "restauter". On sait ce qu'est un discours électoral. Formules incantatoires des politiciens d'un parti ou de l'autre...
Écrit par : solko | vendredi, 25 mai 2012
La croissance de quoi, surtout ? Quand on dépasse les pics de réserves de matières premières, il n'y a plus de croissance possible. Il ne devrait plus y avoir que de la gestion intelligente, et en tout cas pas ce gâchis constant, cette "obsolescence programmée" qui ne fait que creuser le trou.
Non, je suis surtout de plus en plus stupéfaire par l'extraordinaire bêtise de dirigeants comme Jamie Dimon (le PDG de JP Morgan). Comment ces types-là sont-ils arrivés à ce poste-là, et comment y restent-ils en toute impunité, ça me dépasse.
Écrit par : Sophie K. | vendredi, 25 mai 2012
@Solko
Certes, le communisme n'est qu'une utopie, et l'Histoire a prouvé que son application n'était pas infaillible.
Il ne s'agit pas de refaire 1917, mais d'admettre que l'ultra-libéralisme a atteint ses limites. On peut s'en inspirer pour trouver des solutions, toutefois. Et il va falloir le faire très, très vite, car le chaos menace l'Europe.
Écrit par : Sarah. S. | dimanche, 27 mai 2012
Je n'ai jamais été ultra-libéral et je crois que la plupart des gens ne le sont pas. Comment expliquer, alors, que cette Europe, cet euro le soit ? Parce que ce n'est pas une question d'idéologie, mais d’intérêts et de moyens. Les partis, les médias, les instances des gouvernements démocratiques ainsi que les médias (aussi bien les dits conservateurs que les dits progressistes) ont été infiltrés par des hommes de la finance dans tous les pays. Et ceux-là vous vendent du Hollande comme du Sarkozy.
Le chaos ne menace pas l'Europe, le chaos est inscrit dans les traités de Maastricht qui ont crée cette Banque inédite dans l'histoire des hommes et dans laquelle Mitterrand a entraîné le pays, à savoir une banque privatisée sur laquelle le politique n'a plus d'influence qu'en cas de chaos, précisément (et encore...)...
Écrit par : solko | dimanche, 27 mai 2012
J'ai 25 ans, et de plus en plus la conviction que notre génération à été trahie et sacrifiée d'avance. On veut nous vendre de l'espoir alors qu'on nous a, à la naissance, poignardés dans le dos! Les années 80...
Écrit par : Sarah. S. | dimanche, 27 mai 2012
Les années 8O sont celles où en effet fut mise sur pied l'exploitation politique de la crise afin de précariser les emplois jeunes; gauche et droite s'y sont mises tour à tour. De là à parler de génération sacrifiée... A ma connaissance, rappelle-toi qu'il n'y en eut vraiment qu'une, celle de 14/18
Écrit par : solko | dimanche, 27 mai 2012
Oui bien sûr, "sacrifiée" est à prendre avec des pincettes et c'est l'amertume qui parle aussi. Les années 80 c'est aussi le sang contaminé et le mensonge institutionnalisé de Tchernobyl, d'où peut-être mon incapacité à faire confiance à nos dirigeants, quel que soit leur bord.
Écrit par : Sarah. S. | dimanche, 27 mai 2012
Ne pas être naïve en politique est une preuve de maturité. D'autant plus que le système "met le paquet" si j'ose dire.
Écrit par : solko | dimanche, 27 mai 2012
C'est aussi l'irruption du SIDA, qui a donné un bon coup de jeune à la capote à papa
Écrit par : solko | dimanche, 27 mai 2012
Oui, et une fin brutale à cette "libération sexuelle", cette insouciance, qu'ont connues nos parents...
Écrit par : Sarah. S. | dimanche, 27 mai 2012
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