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lundi, 09 mars 2009

Par temps de crise

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"La crise industrielle à Lyon - Sans travail"
Dessin d'après nature de Renouart
paru dans l'illustration

Scène d'actualité ?  651 000 emplois détruits aux USA en février.  600 000 en janvier. 2,6 millions durant la totalité de l'année 2008.  L'Etat de Californie, comme une vulgaire entreprise de distribution d epeanuts, en faillite. En France, 90.000 chômeurs de plus chaque mois.  Chiffres. Chiffres qui à la fois donnent le tournis et ne font plus ni mal ni peur à personne, tant ils sont monnaie courante, partie désormais intégrante de notre environnement. De nos mentalités. De notre aveuglement, également : Une bonne moitié de la population française est née avec. Pour raconter la crise, les dessins expressifs des caricaturistes du dix-neuvième siècle auront donc été habilement remplacés par les graphiques sinistres et bariolés du XXIème siècle naissant, manière de dire l'ampleur  - tout en la masquant derrière  l'objectif - de la même, triste et dérisoire réalité. La nudité des mains sur les genoux que recouvrait le tablier blanc, de l'artisan, le silence des vieilles visiteuses proclamaient peut-être de façon trop humaine la simplicité du malheur. On a trouvé cette façon plus neutre, d'aucuns diront plus schématique, plus administrative et moins crue, de  formuler les ravages du chômage, de "la meurte", disaient les ouvriers du dix-neuvième, lorsque l'ouvrage était absent :

Chomage-Jan09.jpg
"Beaux messieurs, qui venez nous prêcher
De vivre honnêtes et de fuir le péché,
Vous devriez d'abord nous donner à croûter.
Après, parlez : vous serez écoutés.
Vous aimez votre panse et notre honnêteté,
ALors, une fois pour toutes, écoutez :
Vous pouvez retourner ça dans tous les sens,
La bouffe vient d'abord, ensuite la morale."

(Brecht - "Car de quoi vit l'homme" - Deuxième finale de Quat'sous - trad. JC Hémery)

 

00:03 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : crise, lyon, histoire, bertolt brecht, l'illustration, canuts | | |

lundi, 09 février 2009

Lieux communs sur le Lyonnais

Des rues noires, étroites, ou plutôt des ruelles se frayant un chemin sinueux au travers des maisons colossales, enduites d’une couche uniformément sombre par la vétusté jointe aux fumées de la houille ; un pavé boueux en toutes saisons ; de bâtardes allées vomissant dans la rue des ruisseaux d’une onde suspecte ; des boutiques obscures et de mince étalage ; de grandes portes cintrées, munies de barreaux de fer, éclairant, pour toute ouverture, les ténèbres à peine visibles de magasins que le soleil n’a jamais éclairés de ses reflets dorés et où la lampe mélancolique s’allume quelquefois dès le milieu du jour ; une population soucieuse, affairée, peu curieuse de la forme, et pour tout luxe d’équipage, dans ces rues dignes du XIIIème siècle, de lourds véhicules supportant des monts énormes de ballots de soie. Le Lyonnais est une sorte de Hollandais  auquel  le ciel a refusé  les grâces frivoles de l’affabilité, de la légèreté, de la sociabilité, cette fine fleur de l’intelligence qu’on nomme esprit ou, pour mieux dire et être plus juste, cet agréable badinage dont le plus pur béotien de Paris sait si bien masquer sa radicale nullité, en même temps que ce vernis  d’urbanité et d’élégance qui fait illusion aux étrangers et cache la vulgarité foncière ou l’égoïsme renforcé. 

            Le Lyonnais rit quand il a le temps. Son commerce, son industrie, ses chiffres l’absorbent tout entier. De là sa physionomie grave, morne. Il est austère sans effort. Il dîne à deux heures, soupe à neuf et se couche vertueusement ensuite, comme un marchand du Moyen Age. Ses jours, qui ne diffèrent pas sensiblement de ses nuits, il les passe, la plume à l’oreille, dans une façon de cave ou de rez-de-chaussée ténébreux qu’il affectionne ; car à la garde de ce lieu peu avenant sont confiés ses marchandises, son grand livre, le répertoire et le siège de ses affaires, le grand intérêt de sa vie.

            Le Lyonnais qu’enrichissent, à moins d’un grand désastre, trente ans d’une telle existence n’a pas un seul instant l’idée de se servir de sa fortune au profit de son bien-être.  Il n’en jouit ordinairement qu’à la troisième génération. Non seulement il blâme le luxe chez autrui, mais il ne l’aime point pour lui. Il connaît ses concitoyens et juge de leur naturel ombrageux par le sien propre. Les dépenses et l’étalage qui ailleurs soutiennent le crédit, le compromettraient à Lyon ; la seule joie que se permette le négociant enrichi, la seule que ne lui défendent pas les usages de la cité consiste à acheter une maison de campagne dans les environs de la ville pour y aller passer patriarcalement le jour du Seigneur en famille. L’aristocratie lyonnaise, qui est toute composée de commerçants passés par l’échevinage, est indifférente à tous les efforts que l’esprit humain peut tenter dans un autre but que la perfection du tissage ou la broderie des étoffes.

            L’étranger se sent envahi promptement par les méphitiques vapeurs de la tristesse et de l’ennui, ne sait où se pendre pour combattre cette malaria endémique et contagieuse qui l’oppresse. Les cafés, ce palliatif et grand narcotique de la vie de province, ne lui offrent pas un topique. Mornes et enfumés, ils ont plus de rapport avec les tavernes anglaises qu’avec ces élégants palais tout de glaces, d’or et de moulures érigés à la demi-tasse parisienne par des limonadiers artistes. Les plus célèbres restaurants sont des bouges que dédaigneraient nos cuisines à vingt-cinq sous.

            Le spectacle finit de bonne heure à Lyon. La population, sage, rangée, matinale, ne fait pas du jour la nuit. Si bien que deux librairies suffiraient à approvisionner la deuxième ville de France, et qu’un seul grand théâtre est plus que suffisant à satisfaire sa curiosité. A dix heures, les rues sont désertes, les phares des cafés et des boutiques s’éteignent, et l’étranger regagne une hôtellerie maussade où, dans une chambre confortable comme une posada espagnole, il écrit de rage à ses amis, à l’univers, que la seconde ville de France est la plus laide, la plus triste, la plus ennuyeuse, la plus etc, etc …

Article de l’ Illustration  (journal parisien), daté de 1848.

 

 

1848 / 2009 : Les choses ont-elles tant que cela changé ?  A chacun(e) d'apprécier...

 

18:07 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, l'illustration, littérature, culture, presse | | |