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lundi, 09 février 2009

Lieux communs sur le Lyonnais

Des rues noires, étroites, ou plutôt des ruelles se frayant un chemin sinueux au travers des maisons colossales, enduites d’une couche uniformément sombre par la vétusté jointe aux fumées de la houille ; un pavé boueux en toutes saisons ; de bâtardes allées vomissant dans la rue des ruisseaux d’une onde suspecte ; des boutiques obscures et de mince étalage ; de grandes portes cintrées, munies de barreaux de fer, éclairant, pour toute ouverture, les ténèbres à peine visibles de magasins que le soleil n’a jamais éclairés de ses reflets dorés et où la lampe mélancolique s’allume quelquefois dès le milieu du jour ; une population soucieuse, affairée, peu curieuse de la forme, et pour tout luxe d’équipage, dans ces rues dignes du XIIIème siècle, de lourds véhicules supportant des monts énormes de ballots de soie. Le Lyonnais est une sorte de Hollandais  auquel  le ciel a refusé  les grâces frivoles de l’affabilité, de la légèreté, de la sociabilité, cette fine fleur de l’intelligence qu’on nomme esprit ou, pour mieux dire et être plus juste, cet agréable badinage dont le plus pur béotien de Paris sait si bien masquer sa radicale nullité, en même temps que ce vernis  d’urbanité et d’élégance qui fait illusion aux étrangers et cache la vulgarité foncière ou l’égoïsme renforcé. 

            Le Lyonnais rit quand il a le temps. Son commerce, son industrie, ses chiffres l’absorbent tout entier. De là sa physionomie grave, morne. Il est austère sans effort. Il dîne à deux heures, soupe à neuf et se couche vertueusement ensuite, comme un marchand du Moyen Age. Ses jours, qui ne diffèrent pas sensiblement de ses nuits, il les passe, la plume à l’oreille, dans une façon de cave ou de rez-de-chaussée ténébreux qu’il affectionne ; car à la garde de ce lieu peu avenant sont confiés ses marchandises, son grand livre, le répertoire et le siège de ses affaires, le grand intérêt de sa vie.

            Le Lyonnais qu’enrichissent, à moins d’un grand désastre, trente ans d’une telle existence n’a pas un seul instant l’idée de se servir de sa fortune au profit de son bien-être.  Il n’en jouit ordinairement qu’à la troisième génération. Non seulement il blâme le luxe chez autrui, mais il ne l’aime point pour lui. Il connaît ses concitoyens et juge de leur naturel ombrageux par le sien propre. Les dépenses et l’étalage qui ailleurs soutiennent le crédit, le compromettraient à Lyon ; la seule joie que se permette le négociant enrichi, la seule que ne lui défendent pas les usages de la cité consiste à acheter une maison de campagne dans les environs de la ville pour y aller passer patriarcalement le jour du Seigneur en famille. L’aristocratie lyonnaise, qui est toute composée de commerçants passés par l’échevinage, est indifférente à tous les efforts que l’esprit humain peut tenter dans un autre but que la perfection du tissage ou la broderie des étoffes.

            L’étranger se sent envahi promptement par les méphitiques vapeurs de la tristesse et de l’ennui, ne sait où se pendre pour combattre cette malaria endémique et contagieuse qui l’oppresse. Les cafés, ce palliatif et grand narcotique de la vie de province, ne lui offrent pas un topique. Mornes et enfumés, ils ont plus de rapport avec les tavernes anglaises qu’avec ces élégants palais tout de glaces, d’or et de moulures érigés à la demi-tasse parisienne par des limonadiers artistes. Les plus célèbres restaurants sont des bouges que dédaigneraient nos cuisines à vingt-cinq sous.

            Le spectacle finit de bonne heure à Lyon. La population, sage, rangée, matinale, ne fait pas du jour la nuit. Si bien que deux librairies suffiraient à approvisionner la deuxième ville de France, et qu’un seul grand théâtre est plus que suffisant à satisfaire sa curiosité. A dix heures, les rues sont désertes, les phares des cafés et des boutiques s’éteignent, et l’étranger regagne une hôtellerie maussade où, dans une chambre confortable comme une posada espagnole, il écrit de rage à ses amis, à l’univers, que la seconde ville de France est la plus laide, la plus triste, la plus ennuyeuse, la plus etc, etc …

Article de l’ Illustration  (journal parisien), daté de 1848.

 

 

1848 / 2009 : Les choses ont-elles tant que cela changé ?  A chacun(e) d'apprécier...

 

18:07 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, l'illustration, littérature, culture, presse | | |

Commentaires

J'espère pour vous que cela a changé ! Quand je retourne dans une ville de province ce qui me surprend toutes les fois c'est que la nuit tout est mort (ou presque) alors qu'à Paris (pas dans tous les quartiers bien sûr) la nuit est souvent plus vivante que le jour. Les noctambules sont toujours plus survoltés moins ... bourgeois pour tout dire !

Écrit par : simone | lundi, 09 février 2009

Bien sûr que ça a changé... Mais il y a toujours cette image qui traîne ici ou là, du lyonnais froid, avec son bas de laine sous l'édredon, mangeant tous les soirs des quenelles cuites dans un caquelon orange. Ou la culture lyonnaise vue par le Parisien (dans sa forme la plus caricaturale), le lyonnais entouré de tableaux de Mick Micheyl, fier de son Jacques Martin, avec un seul club à la mode "le hot club" ;-) un seul restau valable : Bocuse. Ou bien, L'image de Lyon, ville noire traversée par l'autoroute, une gare pas loin d'une prison avec un escalator qui ne marche pas avec un couvercle en plastique dessus tout sale datant de 1973 (pardon pour les dates) c'est ce qu'un pauvre ami Parisien, avait retenu la première fois de Lyon, avant que je ne l'entraîne voir loulou junior au Parc de la tête d'Or, evidemment, on frime! Voilà, tout a changé, aussi grâce à internet: lyonnais, parisien, clermontois, on s'en fout, au contraire, ça émerge,maintenant les gens creént des réseaux, ils prennent des trains, il n'y a plus le lyonnais, le parisien... C'est bien, c'est mal ? on n'en sait rien. La Manille ou la cloche valent 100 fois le café Charbon, mais il nous manquera toujours un Chartier avec ses avocats sauce crevette à 3,30euros , un Fouquets (et son pop club de José Arthur)(vraiment le bar américain c'est plouc), il nous manque un boulevard du crime et une maison Guerlain, notre métro n'a pas d'odeur, ni nos rues, donc c'est vrai, y'a un truc en moins (le truc en plumes aussi, ça on l'a pas). Et puis à Lyon, difficile de rencontrer des stars, comme Laurent Ruquier, Bigart, A Lyon. Les stars se cachent. Solko, par exemple, il vit caché, inaccessible ;-) Alceste n'en parlons pas !

Écrit par : frasby | lundi, 09 février 2009

Ce que je sais de Lyon ? Ce que vous en dites et qui rend la ville si enviable pour le mélancolique que je suis. Et aussi que j'y ai passé du temps à me demander pourquoi Paris, finalement, s'était vue gratifiée d'une peine capitale. Alors que n'y vivent plus que le colifichet et le souvenir inactinique.

Écrit par : Lephauste | lundi, 09 février 2009

Solko, j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je vous avoue ne connaître de Lyon que le tunnel de Fourvière ... personne n'est parfait et surtout pas moi. En revanche, depuis que je vous lis l'envie me prend souvent de connaître enfin cette ville de visu. En matière de voyages j'ai conservé les moeurs de mes grand-parents et la présence de mes animaux à domicile n'arrange pas les choses. Pourtant je suis du genre à parcourir une ville avec son historique en mains. Disons que cela fait partie des quelques projets dont je rêve encore et la tâche est immense ! Je ne savais pas que Mick Micheyl était lyonnaise. C'est bien elle qui chantait " tu n'es qu'un maillon de la chaîne " ? ... Puis elle a quitté la chanson pour la sculpture si mes souvenirs sont exacts. Elle avait un sacré talent en tout cas !
@ Lephauste - " pourquoi Paris s'est vue gratifiée d'une peine capitale " ? Cela a bien failli être Troyes à une certaine époque. Comme quoi, je ne devais pas passer au travers ...
Quant aux colifichets, Paris n'a même plus les moyens de se les offrir, la pierre ou plutôt le béton y pèse trop lourd.

Écrit par : simone | mardi, 10 février 2009

Honnêtement je suis un grand avocat de notre ville mais tous les témoignages de l'époque convergent dans le sens de celui-ci

Écrit par : romain blachier | mardi, 10 février 2009

@ Simone : Mick Micheyl... Je n'ai jamais bien connu. Pour ce qui est du tunnel de Fourvière, c'est l'oeuvre d'un certain Pradel qui a en effet eu tout faux, sur toute la ligne. Bien que s'érieusement amochée par le vingtième siècle, Lyon vaut enccore le détour, bien sûr. Ce qui y pêche le plus, c'est la vie culturelle, quand on est habitué à celle de Paris... Encore qu'un trait d'époque tende tout le pays vers le bas, me semble-t-il.

Écrit par : solko | mardi, 10 février 2009

@ Frasby : A qui le dites-vous ! Ce Solko vit en permanence caché derrière mon dos, je n'arrive jamais à mettre la main dessus. Quant à Alceste, c'est une toute autre histoire : Quelque chose me dit qu'on le retrouvera au printemps, assez fringant...

Écrit par : solko | mardi, 10 février 2009

@ Romain : Vous savez bien ce qu'a dit l'UNESCO : le charme de Lyon, c'est son site... Sorti de là ...

Écrit par : Solko | mardi, 10 février 2009

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