lundi, 24 novembre 2008
Creative writing
Il parait qu'aux Etats Unis comme en Grande Bretagne, les creative writing ont le vent en poupe. C'est le Monde des Livres, celui daté de vendredi 21 novembre, qui l'affirme. Bigre. Sur une pleine page, Florence Noiville s'entretient avec plusieurs spécialistes de la chose. Un professeur, tout d'abord, du nom Amy Bloom, « professeur de creative writing à Yale ». Mes respects, professeur !
Amy Bloom commence par livrer une vision pour le moins caricaturale du travail d'écriture à la française : « En France, vous avez tendance à considérer que l'on nait écrivain » (je ne sais pas d'où il tire cette idiotie). C'est une vision romantique des choses (Ah, je vois ! d'une mauvaise compréhension de quelques poèmes de Musset, les Américains et le second degré, c'est vrai que c'est toujours difficile ...) La Grâce tombe sur l'auteur comme, à la Pentecôte, les langues de feu sur les apôtres... (Oui oui, bien sûr, les Français s'imaginent tous ça ... sont d'ailleurs tous - moi et toi compris, lecteur - des demeurés mentaux) ... Passons. Certains "auteurs" se font payer, apprend-on plus avant dans l'article, 150 000 euros annuels pour apprendre de la technicité littéraire à des gens qui les sollicitent. Non, je rêve ! Moi, je me pince, en lisant ça. Sérieux ? Autre chose : « 70 % des universités anglaises possèdent un cours de creative writing. » Pour elles, c'est en train de devenir une matière à part entière, si ! si ! Il paraît que ça peut même sauver la filière Lettres ! Catastrophe ! Imagine-t-on Stendhal ou Proust, Dostoiëvsky ou Joyce, Balzac ou Céline apprenant à l'écrire à l'Université ... De quoi se fendre en quatre de rigolade, non ? En même temps, ils ne manquent réellement pas d'air, ces techniciens de l'écriture ! Vous me direz qu'il faut bien occuper les imbéciles, comme le disait le bon Bernanos, et qu'ils sont légions. Certes. La suite : « La sélection, pour rentrer dans ces ateliers, s'effectue sur un manuscrit de 5000 mots, une lettre de motivation et de solides références. » Là j'ai la nausée. Une lettre de motivation, les gars, un projet d'écriture solide, quoi ! Ce qu'en dit Russell Celyn Jones, un autre zozo directeur du programme de Birbeck University, à Londres : « Le choix n'est pas difficile. En cinq minutes, je peux vous dire qui a le sens de la langue et qui ne l'a pas » (Tiens, le sens de la langue serait inné ? on naîtrait écrivain, à présent...).
De l'aveu de leurs propres directeurs, les gens qui s'adressent à ces ateliers n'auraient « jamais ouvert un bouquin ». Est-ce si étonnant ?
Je ne connais, pour ma part, d'autre façon d'apprendre à écrire que d'ouvrir des bouquins, pourtant. Des vrais bouquins, bien sûr.. Des bouquins d'auteurs. Comme le fit Calaferte dans son usine crapoteuse : Car l'autorité va se chercher dans les textes, à l'ombre des Grands, surtout pas sur les bancs de l'école. L'autorité, c'est l'auteur, pas la technique. Cette fièvre de technicité est désolante, ridicule, et de surcroit obscène, comme tous les marchés de dupes. Etrange ironie que ce tourisme littéraire à l'adresse des ambitieux, des vaniteux et des désœuvrés de tous poils, des Trissotin et des Bélise de tous âges : c'est la star academy versus littéraire, ça promet. Les lecteurs disparaissant, les auteurs (ou du moins ceux qui passent pour tels dans notre monde dément) devront, pour survivre, "apprendre" à écrire à ceux qui ne liront désormais jamais plus leurs livres, trop occupés qu'ils seront à littéraliser leur petit moi. Le marché de l'autofiction a encore de beaux jours devant lui. Car Florence Noiville conclut ainsi son article : « Ces cours seront désormais un point de passage obligé dans le paysage littéraire britannique. C'est là que se fait l'editing, c'est à dire le travail de mise au point et de polissage des textes.... »
Bref, on apprend à naître auteur, comme ailleurs à être journaliste ou politicien ... Orwellien au possible, au pays de Sa majesté, non ?
Cela me rappelle un alexandrin que j'avais crayonné sur le trottoir d'une rue, il y a longtemps, très longtemps. Quand je croyais encore qu'on pouvait, oui, comme au temps de l'heureux mal-être (1), exprimer un peu de sa révolte et faire la manche en un même élan :
Combien m'achetez-vous ce bel alexandrin ?
(1) Expression de Lephauste, dont je recommande la lecture à tous des textes "à rebrousse-poil" sur Humeur Noirte. Par ces tristes temps de malheureux bien-être, c'est salutaire.
06:06 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (30) | Tags : creative writting, george orwell |
Commentaires
Je vous quitte de ce pas: j'ai atelier de creative commenting. On nait pas commentateur, qu'est-ce-que vous croyez! Je me dépêche, c'est loin, c'est cher, veux pas en rater une minute, j'veux apprendre,moi! Bonne journée!
Écrit par : Bélise | lundi, 24 novembre 2008
Bélise est le lapin blanc!
Creating writing ou ce que la loi Pécresse appelle sensibilisation au monde du travail? :) Personnellement, je préfère qu'on enseigne les techniques d'écriture, qui peuvent aller de pair avec les techniques du discours. Après, il est vrai que la prétention dissimulée derrière me semble urgente à corriger.
Écrit par : Léopold | lundi, 24 novembre 2008
Tout de manière, nous savons bien que les Joyce, Stendhal, Flaubert et autres Dostoievsky, Char n'auraient pas été admis à ces cours.
Écrit par : Léopold | lundi, 24 novembre 2008
ATELIER DES VENTS
Le vent écrème les barrages
Pour affiner la porosité
Des oreilles du temps
Le cerumen adopte une attitude fluide
Dès l'émergence de la nitroglycérine
Et des enzymes carnivores
Le sens des mots upside down
Inverse le fil du regard
Et le tracé des cygnes
Forgée par la fonte et la fusion
La parole s'écrit d'elle-même
Au travers des tamis de soie
Écrit par : gmc | lundi, 24 novembre 2008
@ Léopold : Et vous faites comment pour les corriger ?
Moi, je vois cela comme une sorte de police éditoriale soft, placée en amont, qui épure le contenu des discours, normalise tout ce qui est déviant, hiérarchise les talents (le tout sous couvert d'apprendre à écrire). Un comité d'écriture préfigurant insidieusement les futurs comités de lecture : ils le disent d'ailleurs clairement. C'est le modèle "littéraire" anglo saxon, pour finir, en train de triompher du modèle latin. Le collectif mettant, une fois de plus, le solitaire au ban. Ce que confirme votre second commentaire : aucun auteur digne de ce nom n'aurait été admis à ces cours
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
@ Bélise : Et gare au moindre barbarisme !
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
@ GMC
Le tracé des cygnes
Ne perd pas le sens
Ni l'écoute du temps
Dans la langue entraperçue
Par la fenêtre de l'atelier
Dans la rue, où jurent les catins
Et pissent les voyous.
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
Une tentative supplémentaire de normalisation autrement dit de nivellement. Ecrire est un besoin et de ce fait, ne peut venir de l'extérieur. C'est la conséquence d'un univers que l'on s'est créé peu à peu. Le talent ne s'apprend pas évidemment, il se construit au fil des jours tout comme l'individu. C'est souvent, aussi l'a t-on oublié ? ... un cri de révolte. Depuis que les ateliers d'écriture théâtrale se multiplient on ne s'est jamais autant ennuyés au théâtre ... Solko a parfaitement raison, c'est un contrôle supplémentaire que l'on met en place. Un droit de regard sur les productions à venir.
Écrit par : simone - | lundi, 24 novembre 2008
Pareil aux States, man, concernant les arts plastiques. On obtient un "diplôme d'artiste" ! Il y en a plus eu depuis la fondation de ce diplôme, à travers tous les Etats-Unis, qu'il n'y a eu de Botticelli et de Titiens à toutes les époques dans le monde ! Ca passera, ça passera... Courage... Toutes les époques finissent bien par crever, la nôtre fera de même...
Écrit par : kohnlili | lundi, 24 novembre 2008
@ kohnlili : C'est en partie fait ...
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
@ Simone : Je ne sais plus qui a dit "si vous vous ennuyez au théâtre, regardez le public." Remarquez, même ça, ça ne marche plus trop , si ?
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
pourtant hank a tout dit à ce sujet:
So you want to be a writer?
if it doesn't come bursting out of you
in spite of everything,
don't do it.
unless it comes unasked out of your
heart and your mind and your mouth
and your gut,
don't do it.
if you have to sit for hours
staring at your computer screen
or hunched over your typewriter
searching for words,
don't do it.
if you're doing it for money or fame,
don't do it.
if you're doing it because you want
women in your bed,
don't do it.
if you have to sit there and
rewrite it again and again,
don't do it.
if it's hard work just thinking about doing it,
don't do it.
if you're trying to write like somebody else,
forget about it.
if you have to wait for it to roar out of you,
then wait patiently.
if it never does roar out of you,
do something else.
if you first have to read it to your wife
or your girlfriend or your boyfriend
or your parents or to anybody at all,
you're not ready.
don't be like so many writers,
don't be like so many thousands of
people who call themselves writers,
don't be dull and boring and
pretentious, don't be consumed with self-love.
the libraries of the world have
yawned themselves to sleep
over your kind.
don't add to that.
don't do it.
unless it comes out of
your soul like a rocket,
unless being still would
drive you to madness or
suicide or murder,
don't do it.
unless the sun inside you is
burning your gut,
don't do it.
when it is truly time,
and if you have been chosen,
it will do it by
itself and it will keep on doing it
until you die or it dies in you.
there is no other way.
and there never was.
[Charles Bukowski]
Écrit par : gmc | lundi, 24 novembre 2008
@ Solko, au sujet des spectateurs au théâtre en tant que diversion ... Effectivement, cela ne marche plus trop pour une simple et bonne raison, c'est que depuis longtemps - même quand les spectateurs s'enquiquinent comme des rats morts, je sais qu'ils vont presque toujours applaudir à tout rompre à la fin. Certains vont jusqu'à dormir pour se réveiller au moment de la claque. S'il n'y avait que moi, inutile de vous dire qu'ils se la prendrait sur la margoulette ! Je n'ai toujours pas trouvé l'explication à ce genre d'attitude. Veulerie ? manque de confiance en soi et par conséquent, panurgisme ? Je m'interroge encore ...
Écrit par : simone - | lundi, 24 novembre 2008
@ Simone : Cette habitude de ne plus réagir ne vient pas de la passivité développée par ailleurs face à l'écran ?
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
@ GMC. Je ne connaissais pas ce texte. A placarder sur les portes de tous les "creative writing". Encore que. Car il semble que Bukowski soit déjà d'une autre époque.
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
Vous auriez aussi bien pu titrer "Les ateliers d'écriture ont le vent en poupe". Creative writing ou atelier d'écriture, c'est la même chose: une affaire juteuse. Il y a des imbéciles crédules partout. Je connais fort bien les Etats-Unis et je ne compte plus le nombre de fois où j'ai entendu des gens qui n'y ont jamais mis les pieds affirmer les pires âneries à propos des Américains et des Etats-Unis. Je regrette d'un côté comme de l'autre ces jugements à l'emporte-pièce.
Écrit par : Elsa | lundi, 24 novembre 2008
p
Écrit par : Elsa | lundi, 24 novembre 2008
@ Elsa : Je ne suis pas sûr de comprendre le sens de votre intervention : j'ai repris l'expression du Monde ("creative writing"), journal français qui est le premier ridicule, justement, en utilisant l'expression américaine dans un journal français, alors que le terme "atelier d'écriture"existe. Qu'il y ait des gens crédules en France ( si c'est le sens de ce que vous voulez dire), je n'en doute pas : quant aux aneries sur les Américains ( et vice-versa), de quoi voulez vous parlez ?
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
@ Solko - c'est surtout l'habitude de gober n'importe quoi, de ne plus faire le moindre effort pour avoir un avis personnel. Effectivement, le petit écran y est pour beaucoup, combien de fois ai-je dû réagir parce que j'avais des voisins qui se communiquaient leurs impressions en cours de spectacle sans se préoccuper du fait que les comédiens eux-mêmes pouvaient les entendre. Il y a tellement de petites salles ici ... Ah ! nous sommes loin de l'écoute religieuse.
Écrit par : simone - | lundi, 24 novembre 2008
@ Simone : Sans parler d'avis personnel, au moins une écoute, une attention personnelle. Depuis que j'ai quitté Paris, je vais beaucoup moins au théâtre. A Paris, pendant trois saisons, j'ai pu voir trois ou quatre spectacles par semaines, je me souviens avoir vu le pire comme le meilleur, sur scène, comme dans la salle. Mais je ne suis pas très optimiste quant à la survie de l'art théâtral tel que nous avons pu le connaitre - et encore, il était souvent déjà mal en point...
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
Et au fait, c'était une manche qui marchait quand vous écriviez sur le trottoir "combien m'achetez vous ce bel alexandrin?"
Écrit par : Sophie L.L | lundi, 24 novembre 2008
@ Sophie : A dix-huit ans, tout marche...
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
@ Solko - 4 spectacles par semaine était mon rythme radiophonique puisque j'étais censée en sélectionner 2 pour interview chaque lundi. Depuis, sans cette contrainte j'avoue lever un peu le pied surtout maintenant que je suis plus loin de tout mais bon ! cela fait un quart de siècle que ça dure et sans pour autant me déclarer blasée je n'ai plus la même boulimie. Quant à l'évolution ... j'essaie au maximum de dégager le positif, ce qui n'est pas toujours facile. Période de transition, peut-être ? Bien que de tout temps, le théâtre se soit nourri de crises ... Et quel miroir de la société !
Écrit par : simone - | lundi, 24 novembre 2008
@ Simone : Un genre d'expérience qui n'est possible qu'à Paris. Très précieux, malgré les lassitudes. Je comprends pourquoi la capitale "vous a eue" et ce sentiment que vous évoquiez il a peu.
Écrit par : solko | lundi, 24 novembre 2008
Il est bien chouette votre article ! il mord bien dedans. (j'en reprendrai bien une louchette) Créative writing ! la bonne blague . sensibilisation créative ? (cf merci le post de Leopold) , il faudrait arrêter avec ces mots comme "Sensible", créative" "créativité"et "writing !"... en outre maintenant la top- tendance c'est le rajoût d' "atypique" en fin de phrase concernant la créativité (le top-sésame ) j'avais entendu dire ça par une zouave responsable de l'anpe des z'artisses, qu'elle m'a dit un jour, je cite : "vous êtes une créative atypique" il reste plus qu'à rajouter le "bon sens" mot réanimé par les politiques en ce moment de tous bords et on aura bientôt des cours à l'université et des ateliers populaires pour former des" bons petits créatifs atypiques plein de bon sens !" Bon, personne ne donne des cours de secourisme par chez vous par hasard ? Merci encore et merci aussi de nous rappeler le très beau style de "humeur noirte".
Bonne soirée à vous.
Écrit par : frasby | lundi, 24 novembre 2008
Zut, moi qui comptais justement m'inscrire à un atelier d'écriture.
Pour réussir.
Écrit par : Pascal Adam | mardi, 25 novembre 2008
Cher Solko,
je suis attristée de constater que ma naissance ne me permet pas d'avoir le talent nécessaire pour vivre de ma plume. Cependant, je prie jour et nuit pour que la Fée-clochettes, ma marraine, grâce à sa baguette magique y remédie. D'ailleurs, ma lettre au Père Noël est prête à être postée mais j'attends qu'elle soit d'abord validée par les hautes instances littéraire du pays de peur qu'il y ait quelques fautes d'orthographe qui m'auraient échappées ce qui me priverait de mon cadeau de talent littéraire pour les fêtes. Merci de m'avoir épargnée d'une gageure en me prévenant.
Bien à vous
Écrit par : File la laine | mardi, 25 novembre 2008
@ Pascal Adam : J'en ouvre un dans trois jours. Cela vous intéresse ?
@ File la laine : Je vous embauche. Votre nouveau pseudo sera File la plume.
Écrit par : solko | mardi, 25 novembre 2008
@ Léopold : Valérie Pécresse, prochain prix Goncourt ?
@ Frasby : Oui, merci de le rappeler. Notre philosophie, c'est désormais le bon sens près de chez nous
Écrit par : solko | mardi, 25 novembre 2008
Je me disais bien que vous aviez de la técheunique et que ça n'avait pas pu tomber comme ça de l'exégèse des textes qu'aphone Carla... Je suis donc ravi de m'inscrire à votre atelier l'écrivance créative (j'ai traduit tout seul comme un gland). Par contre, je ne dispose pas de suite de 150 000 euros (au soleil), mais comme je suis très motivé j'aurais bien droit à une ristourne (de toute façon, sinon, j'appelle 60 millions de contributeurs...).
Écrit par : Pascal Adam | mardi, 25 novembre 2008
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