mercredi, 19 novembre 2008
The first hundred days
Les Américains sont un peuple étrange et les individus qui composent ce puzzle gens pleinement bizarres. Dans Le Monde daté d'aujourd'hui (1), je découvre ceci (page 6, article signé Corine LESNES) : « Il a suffi que Barack Obama mentionne, dimanche 16 novembre, pendant son premier entretien télévisé depuis l'élection présidentielle, qu'il lisait un livre récent sur les cent premiers jours de Franklin Roosevelt pour que le public se précipite »
Sont-ils pas extraordinaires, ces gens d'Outre-Atlantique ?
Il faut leur envoyer d'urgence un rejeton de La Bruyère ou de Montesquieu (le problème c'est qu'on n'en a plus) pour dépeindre ces comportements-là. Je continue :
« La chaîne CNN ayant désigné le livre : « The first Hundred days, du professeur anglais Antony Badger, la demande a été immédiate, au point que l'éditeur a ordonné une réimpression. » Si si. Comme disaient les laitiers, autrefois, si c'est écrit dans le journal c'est que c'est vrai : vous ne rêvez pas.
« Monsieur Badger a rappelé que Roosevelt, en arrivant au pouvoir en 1933, au milieu de la grande dépression, avait réussi à faire passer seize réformes en cent jours (2). Mais surtout, a-t-il dit "il a ramené la confiance chez les Américains". Tudieu ! Yes he can, lui itou ? ! Cela ne s'invente pas !
Je cite à nouveau La Bruyère - en allant cette fois vérifier dans mon édition pour ne pas froisser d'éventails (3) - : « Il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu'ils appellent saints, sacrés et redoutables; les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi, que l'on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l'esprit et tout le cœur appliqués. On le laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination; car ce peuple parait adorer le prince et le prince adorer Dieu. »
La fascination du pouvoir... Terrible, ça. L'opinion publique, la bonne opinion publique... les médias ont fait de nous des courtisans à distance, courtisans au rabais, c'est bien cela : tels ces courtisans cherchant à rentrer dans l'intimité d'une prière royale (?), ces électeurs américains tentant de surprendre, comme penché par-dessus son épaule, une phrase ou un chapitre d'une lecture présidentielle... terrible !
En rentrant chez moi, je suis allé ressortir de ma bibliothèque les quelques livres dont je dispose sur les années Roosevelt. Le Mémorial de Roosevelt, d'après les papiers d'Anthony HOPKINS (dont j'avais recopié une page le jour historique, mais ce livre débute au moment de la drôle de guerre, rien sur les 100 jours... Et un autre bouquin, de Frances Perkins, « The Roosevelt I knew », où figurent les cent jours (ouf). Je recopie quelques lignes, pas vraiment au hasard, allez : le samedi 4 mars 1933 (qu'est-ce qui se passe, le samedi 4 mars 1933 ?) On dirait un article du Monde, en effet :
« La situation était terrible. Les banques fermaient. La vie économique du pays était presque arrêtée. Roosevelt devait prendre en main ce jour-là le gouvernement des Etats-Unis. Ce fut impressionnant. Tout le monde priait !!!)... »
____________________________________________________________________________________________________________________
(1) Je n'achète jamais le Monde, je ne lis jamais le Monde, sauf quand je prends le métro, ce qui m'arrive tous les 36 de l'an, car m'énervent trop les lecteurs de gratuits. Dans un sursaut de ridicule vanité, honte de leur ressembler (Vous me direz que je pourrais lire La Vie de Rancé, c'est toujours mieux que Le Monde...
(2) Putain con, ô divin Barack, pense à tous les bébés qui porte ton nom, faudra en faire au moins 17, si possible en 50 jours : les reformes, demande à Nicolas, c'est comme les buts, demande aussi à Karim, faut en aligner un max au début pour enflammer les gradins.
(3) Je me serais encore trompé ! 'jai cherché d'abord cet extrait dans Du Souverain, puis dans De l'Homme, je le trouve finalement dans De la Cour...
Portrait de Jean de La Bruyère, attribué à Nicolas de Largillière (1656-1746), Musée de Versailles
06:27 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : élection d'obama, la bruyère, roosevelt |
mardi, 11 novembre 2008
La guerre a pour elle l'antiquité
La guerre a pour elle l'Antiquité ...
Citation de La Bruyère ( Les Caractères) qu'on trouve dans le chapitre "Du souverain ou de la république": J'ai toujours beaucoup aimé cette citation lapidaire, car je n'ai jamais vraiment compris ce qu'elle signifiait, en réalité : Est-ce une reconnaissance admirative de l'autorité de l'Art militaire sur tous les autres, comme on dirait : « Socrate a pour lui l'Antiquité... » Est-ce un constat désolé ? Une sorte de maxime ironique et critique, comme le roué moraliste en a produit tant et tant... Ou bien les deux à la fois, dans un effet de polysémie fort efficace ? Difficile à dire. Nous sommes si éloignés de la rigueur souveraine des classiques et de leur morale, celle du Grand Siècle. J'ai toujours pensé qu'il était fort facile pour les générations contemporaines de la dissuasion nucléaire d'être contre la guerre ou anti-guerre, mais que celles d'avant, à fortiori celles de l'Ancien Régime, que rien de technique ni de technologique ne protégeait des caprices ni des foudres de Mars, ne pouvaient adopter une telle posture sans être carrément irresponsable ou puérile. Il y a dans la morale raisonnée et toujours distanciée de La Bruyère une façon de soulever ce type de questions, de mettre en tension l'éthique et le pragmatique, de solliciter l'intelligence tout en la mettant en échec, qui me séduit vraiment.
00:48 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : la bruyère, commémoration, 11 novembre |
mercredi, 29 octobre 2008
De la bonté égarée des Grands de ce monde
"La prévention du peuple en faveur des grands est si aveugle, et l'entêtement pour leurs gestes, leur visage, leur ton de voix et leurs manières si général que, s'ils s'avisaient d'être bons, cela irait à l'idôlatrie"
La Bruyère - DES GRANDS (Les CARACTERES - 1688 / 2008)
00:09 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : crise financière, la bruyère |
mercredi, 27 février 2008
Notre société
C'est la nôtre! Et elle est rien qu'à nous. A nous ! Notre société, c'est la plus belle des sociétés, comme notre maman est la plus belle des mamans. Là ! Notre société : lieu commun qui atteint le bel âge depuis peu. Au XVIIème siècle, La Bruyère parlait dans ses Caractères du « dédain de la société » ou « du plaisir de la société » dans un chapitre entièrement consacré au sujet (« De la société et de la conversation ») Et sous la plume de son rêveur de père, Alceste ne songeait qu'à fuir « la société des hommes », c'est-à-dire leur commerce, leur compagnie, leur conversation, en effet.
Société : nom commun, normalement déterminé par un article défini. On trouve dans Le lys dans la vallée de Balzac les bienveillantes recommandations d'Henriette de Morsauf à Felix de Vendenesse : « Acceptez la société comme elle est, et ne commettez point de fautes dans la vie » . A la fin des Illusions Perdues, ceux de Vautrin à Lucien de Rubempré : « Le grand point est de s'égaler à toute la société. » Et lorsque le même Vautrin, déguisé en abbé espagnol, emploie un déterminant possessif (votre société), c'est pour évoquer péjorativement auprès du jeune imbécile qu'il a sous les yeux cette société dans laquelle il n'est plus qu'un forçat évadé.
De La Bruyère à Balzac, le sens du mot s'est donc infléchi (on passe de compagnie des hommes à corps social). Mais cela serait pareillement une faute de français (et une faute de goût) de s'attribuer à soi-même la société en la disant « nôtre ». L'emploi du possessif ne se justifie que dans le cas où on veut opposer la société contemporaine aux sociétés précédentes (notre société par rapport à celle des Anciens) ou bien la société française aux sociétés étrangères, les bas-fonds aux beaux salons. « Ce que les artistes appellent intelligence semble prétention à la société élégante » ecrit encore Proust au début du vingtième.
Une société commerciale peut en revanche devenir mienne de façon métonymique, pour peu que j'aille y user le fond de mes culottes un nombre d'heures conséquent chaque jour. Ma société, ma boite... Notre société, notre entreprise : nous touchons à la racine du lieu commun, à l'instant pivot. A ce moment satanique (vers le milieu des années 80 ) où il est apparu, lorsque la publicité est devenue « une culture », et « la société » « notre société ». Que n'a-t-on pas écrit à propos de cette libéralisation de l'espace public, de cette lente dilution des frontières entre le public et le privé, du rachat progressif du premier par le second, de l'envahissement de la sphère social par le moi prédateur... La res publica, la chose commune, celle qui justement, n'appartenant à personne, ni aux « nouveaux arrivants » ni à ceux qui sont sur le départ, est disponible à tous, devient comme un produit, une marchandise ou un divertissement, quelque chose de nôtre.
Notre société ! Insignifiante et sordide faute de grammaire qui, l'air de rien, transforme le citoyen averti en consommateur abruti. Alors que l'intégration est un échec patent, un simple déterminant pour en donner l'illusion et discréditer toute critique, toute opposition : Car de même que tu n'as pas intérêt à toucher à ma mère, tu ne touches pas à ma société...
15:57 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, société, balzac, la bruyère, proust |