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mercredi, 27 février 2008

Notre société

C'est la nôtre! Et elle est rien qu'à nous. A nous ! Notre société,  c'est la plus belle des sociétés, comme notre maman est la plus belle des mamans. Là ! Notre société : lieu commun qui atteint le bel âge depuis peu. Au XVIIème siècle, La Bruyère parlait dans ses Caractères du « dédain de la société » ou « du plaisir de la société » dans un chapitre entièrement consacré au sujet (« De la société et de la conversation ») Et sous la plume de son rêveur de père, Alceste ne songeait qu'à fuir « la société des hommes », c'est-à-dire leur commerce, leur compagnie, leur conversation, en effet.

Société : nom commun, normalement  déterminé par un article défini. On trouve dans Le lys dans la vallée de Balzac les bienveillantes recommandations d'Henriette de Morsauf à Felix de Vendenesse : « Acceptez la société comme elle est, et ne commettez point de fautes dans la vie » . A la fin des Illusions Perdues, ceux de Vautrin à Lucien de Rubempré : « Le grand point est de s'égaler à toute la société. » Et lorsque le même Vautrin, déguisé en abbé espagnol, emploie un déterminant possessif (votre société), c'est pour évoquer péjorativement auprès du jeune imbécile qu'il a sous les yeux cette société dans laquelle il n'est plus qu'un forçat évadé.

De La Bruyère à Balzac, le sens du mot s'est donc infléchi (on passe de compagnie des hommes à corps social). Mais cela serait pareillement une faute de français (et une faute de goût) de s'attribuer à soi-même la société en la disant « nôtre ». L'emploi du possessif ne se justifie que dans le cas où on veut opposer la société contemporaine aux sociétés précédentes (notre société par rapport à celle des Anciens) ou bien la société française aux sociétés étrangères, les bas-fonds aux beaux salons. « Ce que les artistes appellent intelligence  semble prétention à la société élégante » ecrit encore Proust au début du vingtième.

Une société commerciale peut en revanche devenir mienne de façon métonymique, pour peu que j'aille y user le fond de mes culottes un nombre d'heures conséquent chaque jour. Ma société, ma boite... Notre société, notre entreprise : nous touchons à la racine du lieu commun, à l'instant pivot. A ce moment satanique (vers le milieu des années 80 ) où il est apparu, lorsque la publicité est devenue « une culture », et « la société » « notre société ». Que n'a-t-on pas écrit à propos de cette libéralisation de l'espace public, de cette lente dilution des frontières entre le public et le privé, du rachat progressif du premier par le second, de l'envahissement de la sphère social par le moi prédateur... La res publica, la chose commune, celle qui justement, n'appartenant à personne, ni aux « nouveaux arrivants » ni à ceux qui sont sur le départ, est disponible à tous, devient comme un produit, une marchandise ou un divertissement, quelque chose de nôtre.

Notre société ! Insignifiante et sordide faute de grammaire qui, l'air de rien, transforme le citoyen averti en consommateur abruti. Alors que l'intégration est un échec patent, un simple déterminant pour en donner l'illusion et discréditer toute critique, toute opposition : Car de même que tu n'as pas intérêt à toucher à ma mère, tu ne touches pas à ma société...

15:57 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, société, balzac, la bruyère, proust | | |

Commentaires

Les trois premières lignes sont-elles tirées de "ma vie en rose" de l'ineffable Pimprenelle ? Citez vos sources, que diable !

Écrit par : Porky | jeudi, 28 février 2008

Notre société? le possessif, en effet, aurait semblé incongru à Rousseau qui, dans son "Contrat social" définit les rapports qui unissent les individus et la société qu'ils ont décidé de constituer. Issue de la volonté de tous de vivre en commun (afin de dépasser les dangers de l'état de Nature), cette société impose ses règles ainsi que ses travers ("l'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt). Entité théorique transcendante, personne ne peut donc se l'approprier, même si chacun a accepté de limiter sa liberté individuelle pour se soumettre à ses règles.

Notons que cette manière de tout s'approprier se retrouve également dans des expressions (qui me choquent toujours) comme "je vais M'écouter un disque" ou « on va SE manger une petite pizza »qui témoignent d'une sorte de droit au plaisir. Devenu roi puisqu’il est client, l’individu s’approprie le monde, qu’il détourne à son seul profit. Il est devenu le centre de tous les plaisirs et il se trouve toujours quelqu’un pour les lui vendre.

Écrit par : Feuilly | jeudi, 28 février 2008

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