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lundi, 03 mars 2008

Le devoir de mémoire

Des milliers de « professeurs de citoyenneté » entretiennent ce lieu commun dans l'esprit de plus en plus explosé et indifférent d'une jeunesse rendue parfaitement amnésique. Depuis une vingtaine d'années, en effet, la société moderne a fait de la mémoire des camps un devoir ; devoir que le président Sarkozy a même eu l'idée - en apparence saugrenue-  d'imposer à tous les enfants dès l'école primaire, et ce au même titre qu'un autre. Dans une nouvelle qu'il intitule « Repos éternel », l'écrivain russe Vassili Grossman a décrit en des termes que je crois indépassables ce qu'est l'horreur de la mort. L'horreur de la mort, c'est qu'elle n'est précisément que silence. Silence devant lequel même les tombes, les monuments, les paroles, les épitaphes, les exvotos et les pleurs font figure de vacarme et de profanation. C'est, dit-il, pour les passants qu'on écrit le nom, la fonction et les sentiments qu'on a eus pour les morts sur leurs tombes. Ce n'est jamais pour eux. Silence : C'est d'ailleurs parce que le mort se tait absolument qu'il était sacré pour les Anciens. Que n'aura-t-on pas fait dire aux millions de malheureux gazés dans les camps de la mort ? De quel vacarme aura-t-on empli l'infini de leur silence ! 

« Lorsque Auschwitz est devenu un mythe social, une métaphore de la vie moderne, les gens ont perdu de vue l'unique leçon qu'il avait à offrir : à savoir qu'il n'offre aucune leçon » : c'est ainsi que Christopher Lasch, dans  Le Moi assiégé, conclut le chapitre qu'il consacre à Auschwitz et à ce qu'il appelle le "survivalisme". L'étrange point de vue de Sarkozy, fort heureusement provisoirement écarté par une commission, qui visait à associer un enfant mort en camp à un enfant vivant aujourd'hui, aurait eu pour effet d'imposer "ce survivalisme" comme unique vision et unique morale, dans un monde soumis à la Loi de la jungle du libéralisme devenu une sorte de camp de concentration de luxe. Chaque enfant mort serait devenu une sorte de double ou d'alter ego, sinistre ange gardien et scolaire veillant sur le destin de chaque enfant vivant. Faire porter tout cela à des enfants, la commission a fort justement estimé que c'était proprement inacceptable. Pourtant on réfléchit encore à d'autres solutions pour imposer ce devoir de mémoire  érigé à la fois en dogme officiel et en lieu commun de la bien pensance. Quel silence, quel grave et nourricier silence, ce faisant, estompe-t-on ?

11:51 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : christopher lasch, vassili grossman, le moi assiégé | | |

Commentaires

Oui, c'est en effet devenu un dogme officiel. Respectable, certes, mais un dogme tout de même.
Une manière pour les uns de se donner bonne conscience (en se recueillant quelques minutes par an) et pour les autres de bombarder Gaza en toute impunité.

Écrit par : Feuilly | lundi, 03 mars 2008

ASK EMBRA

Tyr qui connaît la justice
Sait que la mémoire
Porte le nom de Munin
En dehors de cet oiseau
Il n'est que volatilité des eaux
La frémissante sait lire les secrets
Contenus dans le flanc des dieux
Et la fontaine qui reçoit l'oeil
Donne aux hommes la sagesse
Des anneaux qui drainent la pluie

Écrit par : gmc | lundi, 03 mars 2008

Très beau texte. Merci.

Écrit par : Pascal Adam | jeudi, 06 mars 2008

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