mercredi, 01 juillet 2009
Batailles Perdues ?
La puissance de la littérature, c’est d’abord de dire le commun. Le commun dans ce qu’il a d’original, bien sûr, j’entends par là de non copié sur ou de non recopié de ou, à présent, de non "copier-coller"… Se souvenir de notre unicité commune.
Cette très belle phrase de Marcel Proust, que Louis Guilloux avait recopié en exergue sur l’un des cahiers où il écrivit, en 1934-1935 son très très beau roman, Le sang noir : «Ce que nous n’avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par notre effort personnel, ce qui était clair avant nous n’est pas à nous. Ne vient de nous-mêmes que ce que nous tirons de l’obscurité qui est en nous, et que ne connaissent pas les autres. »
Et puis aussi la formule percutante trouvée et mise en bandeau lors de la première parution du Sang Noir : « La vérité de cette vie, ce n’est pas qu’on meurt, c’est qu’on meurt volé ».
Je pensais à cela en arpentant les travées du cimetière de la Guillotière. Puis, chez un bouquiniste de la rue Juiverie, près de la gare Saint-Paul, j’ai trouvé l’adaptation que Guilloux a faite du Sang Noir pour le théâtre, qu'il a tout bonnement nommée Cripure, et que Marcel Maréchal a jouée dans les années soixante. Si loin de nous déjà, comme sourds, bien que sensibles, au temps. Le vingtième siècle se retire peu à peu, avec ses batailles. Drôle de journée. Un ami que j’ai rencontré hier après midi à l’enterrement de Maurice Moissonnier où furent longuement évoqués, bien sûr, les luttes et les combats populaires du vingtième siècle m’a dit, l’air absent : « il nous reste du grain à moudre ». Et comme il regardait le cercueil qui allait descendre dans l’incinérateur, je n’ai pas compris s’il voulait dire : il y a encore des luttes à mener ou bien il nous reste aussi à mourir. Etrange malentendu. Dieu sait que la mort n’est pas une mince affaire, et que cette société horrible et sa détestation de tout ce qui n’est pas spectacle immédiat ne nous aide pas à nous y préparer sereinement. Je regardais les assistants se disperser par grappes dans l’allée centrale, et je songeais pourtant à quel point, dans ce siècle technologique et dément, chacun d’entre nous aurait besoin du philosophe.
00:09 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature, louis guilloux, cripure, politique, cimetière, mort |
lundi, 29 juin 2009
Je classe, tu classes, nous classons...
L'Unesco vient de classer seize nouveaux sites au Patrimoine mondial de l'humanité. Le phare Brigantium, dit le phare d’Hercule à cause de ses 55 mètres de haut ce qui, du temps des Romains, représentait encore quelque chose. Ce phare est situé à l’entrée du port de la Corogne, en Espagne. La légende prétend qu’Hercule, après avoir liquidé le géant Gyrion, aurait entérré le chef de ce dernier dans les fondations même du bâtiment et qu’il aurait ensuite installé lui-même le miroir réfléchissant du sommet. Les ruines de Loropeni, situées sur le territoire du Burkina Faso rejoignent pendant qu’il en est encore temps le vénérable classement. Le palais du financier Alfred Stoclet à Bruxelles, construit entre 1907 et 1911, temple avant-gardiste de l’Art Nouveau à l’époque de l’Art Déco, le système hydraulique de la ville de Shushtar dans le Khuzestân, les quarante-tombes de la dynastie Joseon en Corée du Sud, dans les Andes le site archéologique de Caral-Supe, le centre historique de Levoca en Slovaquie, l’aqueduc gallois au nom imprononçable (Pontcysyllte) qui depuis 1805 traverse la rivière Dee, au-dessus de la vallée de Llangollen, à Santiago l’ancienne ville coloniale Ribeira Grande, la Chaux-de-Fonds et sa fabrique horlogère, la saline de Salins les Bains… toutes ces réalisations plus ou moins humaines tombent également dans l’escarcelle de l’UNESCO. On classe aussi des montagnes : En Chine, le mont Wuhtaï et ses 53 monastères ; au Kirghizistan, la montagne sacrée de Suleiman-Too, au croisement de plusieurs routes de la soie. En Italie, la Chaine alpine des Dolomites ; et pour finir, on classe aussi de l’eau : La mer des Wadden, mer côtière qui longe les Pays Bas et le Danemark ; aux Philippines, les atolls du parc naturel de Tubbataha.
Tout ceci est très politiquement correct, très joli.
Très.
En tous points conforme avec la maladie des temps, qui consiste à se fabriquer une bonne conscience à coups de dossiers administratifs. Pour qui connait l’administration, c’est risible. Classera-t-on également la banquise et ses ours blancs, le Gulf-Stream et ses beaux tourbillons, l’Amazonie et ses oiseaux multicolores, la lune et ses croissants mélancoliques ?
Jusqu’à ce jour abominable où nous découvrirons, malades et blasés, qu’on vient de classer l’air non pollué, que seuls les touristes fortunés auront le droit de respirer…
22:44 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : unesco, patrimoine mondial, actualité, politique, alfred stoclet, loropeni, pontcysyllte, mer des wadden, la chaux-de-fonds |
mardi, 23 juin 2009
Stasiuk & les zlotys de son enfance
Andrzej Stasiuk est le premier auteur publié que je connaisse à développer un chapitre entier (C’est dans Fado, j’y reviendrai) sur les billets (de banque) disparus au profit de l'euro. Il s'agit des zlotys polonais.
Cela ne peut que susciter chez moi un intérêt très vif puisque, juste avant le passage à l’euro, j’ai couru les numismates pour récupérer le plus grand nombre de séries possibles de billets en francs ou anciens francs. Non pas par esprit de spéculation, ni de collection, mais vraiment par esprit de conservation. Distingo ! Je les ai ensuite classés dans un bel album. Il m’a vite semblé, en feuilletant ensuite cet album, voir défiler plusieurs pages de l’histoire de France du XXème siècle. Comme une sorte de bande dessinée. Belle Epoque, guerre de Quatorze, Années Folles, Seconde guerre Mondiale, Trente Glorieuses, Années Quatre-vingts… Et pour la première fois, ces images m’ont ému. Je me suis mis à songer à tous ces gens qui les avaient trimballées dans leurs poches, tous ces « francs » aussi morts que« ces francs » étaient démonétisés. A tous ces morts, ces disparus, ces anonymes. Un peu comme si ces vieilles images qu’ils avaient eues en poches, métonymiquement, les ramenaient jusqu’à moi. Expérience de l’imaginaire, bien sûr, fort troublante : le chiffre qui cessait d’être chiffre pour se muer en lettre, la valeur qui changeait de registre et, d'économique, devenait poétique. Par comparaison, ce jeune euro tiré au laser…
Cela a donné naissance a plusieurs textes ou nouvelles, dont quelques-uns figurent sur ce blog (voir colonne de droite, Nouvelles & les Anciens Francs), d'autres dans mes cartons.
Je suis content de voir que Andrzej Stasiuk ne dit rien de différent. Comme un camarade ou un frère. Cela régale toujours une partie de soi de sentir qu’on n’est pas le seul à ressentir ce qu’on ressent. Je suppose que cela n’a pas échappé à la discrète et malicieuse amie qui m’a offert ce livre, véritable hymne à la mémoire par ailleurs (j’y reviendrai)
Mais pour l’heure, je tiens juste à parler de ce chapitre sur les billets de banque (le dix-septième), envisagés, et c’est très rare (à ma connaissance, il n’y a que Béraud qui le fit durant ses reportages d’entre-deux guerres), comme un signe poétique.
Je regrette de ne pouvoir lire le texte en polonais, car je sens que la traduction fait perdre beaucoup de cette correspondance entre la lettre et le billet que le texte tisse, si j’ose dire. Stasiuk décrit d’abord le billet rouge de cent zlotys, l’architecture industrielle qui en constitue l’arrière plan. « comme si toute la scène se déroulait dans un au-delà prolétarien »C’est, dit-il, « le billet dont je me souviens le mieux parce que mon père travaillait à l’usine ». Voilà. Quelque chose d’essentiel et de très bref est dit là. « Mon esprit d’enfant s’imaginait que l’usine rémunérait son travail avec des images d’elle-même »
Puis il passe aux autres valeurs des séries de son enfance : cinquante, vingt, cinq-cents, mille… Et fort justement, Stasiuk déchiffre à partir des alphabets de ses zlotys ce que j’ai déchiffré à partir de ceux de mes francs : une relation de sens, créée quotidiennement entre l’homme qui figure sur le billet (vieux rois et leurs couronnes, héros nationaux,, écrivains…) et celui qui le trimballe dans sa poche quotidiennement. Entre vivants et morts. Entre récitants et recités. La présence presque impalpable du quotidien et de l’histoire à travers ces billets, à la puissance évocatrice soudain libérée : « Dans mon pays, dit-il, quand les temps sont incertains, on a l’habitude de se référer à la culture, domaine où les défaites ne sont pas si évidentes qu’en économie ou en politique ».
Stasiuk jette un œil désabusé sur les euros. Il a raison. Comment faire autrement ? Il écrit ceci : « Je regarde les euros et je me demande quelle histoire ces billets permettront de raconter. Je me demande quelle histoire y liront les habitants de mon village, par exemple. Ce que leur diront ces fenêtres et ces ponts dans le temps et l’espace, tout ce gothique, cette renaissance, ce baroque et cet art nouveau en nuances floues et pastel. Il n’y a pas de visage sur ces billets, pas d’objets, rien qui rappelle la vie quotidienne… »
Je ne sais plus qui a dit la même chose, de manière plus prosaïque, certes, et plus définitive : L’euro ne sera jamais qu’une monnaie de consommation. Triste sort… « Ces billets à la beauté pâle et universelle feront que l’argent deviendra une valeur abstraite détachée de la réalité, de l’aspect concret du travail, de l’échange de marchandises et de services réels. » Et Stasiuk de prophétiser : « nous recevrons de l’argent fantomatique pour ne pas produire des choses dont personne ne veut »
08:39 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : andrzej stasiuk, fado, litterature, zlotys, billets, politique, europe, pologne, numismatique |
dimanche, 21 juin 2009
Suceurs de micros
Le podium est installé sur la place. Pour quelques instants encore, il est permis d’entendre encore le frémissement du vent dans le feuillage des platanes. Quelques secondes seulement. Le groupe Mabite et Moncul va procéder à ses essais sonores pour la fête ordinaire de la musique. Une fête d’Etat : Dans ses opuscules de propagande distribués aux citoyens soumis, la mairie dit que c’est un événement exceptionnel.
L’un des chanteurs est arrivé. Entre les baffles, il prend un air d’importance pour tapoter d’un doigt sur son micro. « Test, test, test… » dit-il, d’un air de singe inspiré. Quand il ne répète pas « test », il répète « eh ! eh ! eh ! » Original ? Le voici dans son univers. Ou plutôt dans son fantaaaasme : quand il était petit, il voyait déjà ses grands cons de pères faire ça à la télé. Inspiré, à voir sa gueule, il l’est effectivement avec, pour lui, l’élégance du bermuda flottant autour de hautes quilles. A ses côtés, quelques femelles commencent à se trémousser du cul en levant les bras. Exceptionnel ? Quand elles étaient petites, elles voyaient déjà à la télé leurs conasses de mères faire à peu près ce genre de truc, en bans soumis, soudés. Rien de plus banal que tout ça. Quel boucan ! Tout juste vingt-huit ans que ce genre de conneries perdure. A présent, tous les pigeons, toutes les corneilles se sont barrés à tire-d’aile. Les chats de la place rampent sous les voitures et cherchent une planque. Ce soir, ce sera rempli d’humains mutants, pressés les uns contre les autres, tous sapés avec le même goût. La jeunesse qui ne fait au fond que ce que les plus vieux ont voulu qu’elle fasse, la jeunesse qui imite non plus ce qu’elle a pu lire, mais ce qu’elle a vu à la télé. Super.
« Il viendra un temps où naitront aux hommes des enfants qui n’atteindront que l’âge de dix ans. Et avec ces hommes, des filles de cinq ans seront fertiles. La terrible insignifiance de cette culture des hommes de dix ans, déjà un peu partout perceptible, pourrait être symbolisée par un juke-box à pile atomique, car l’appareillage scientifique et technique le plus avancé y est au service des pulsions infantiles de l’humanité »
C’est Lewis Mumford qui a écrit cela, dans Les Transformations de l’homme » (1956), essai réédité l’an dernier par l’Encyclopédie des Nuisances. Dans l’avant-dernier chapitre (« La culture Mondiale »), il rappelle un mot de Wells : « L’esprit est au bout du rouleau ». Eh oui ! On ne saurait mieux dire.
La Culture Mondiale, c’est le règne des suceurs de micros, (comme les appelait ma vieille mère-grand). Et pour ces epsilons là, sans technologie, il n’est pas, même dans la fête, de salut.
Ne parlons plus d’esprit…
Sur ce, moi, je me barre.
12:10 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : musique, fête de la musique, politique, littérature, actualité, société |
samedi, 20 juin 2009
Fête de la musique (1)
La mairie de Lyon se fout de la gueule de qui ? Je reçois hier une « lettre » signée d’elle, et se présentant comme la coordinatrice de la fête de la musique ; après avoir rappelé bêtement le caractère bon enfant de cette pseudo-fête organisée en plein air dans toute la ville (mâchon musical, stands d’association, ludothèque, spectacle de danse et pour finir concert festif) un peu à la façon d’un voisin indélicat qui va fêter son anniversaire à la con et prévient les voisins, elle (la mairie) poursuit en s’excusant : « cette manifestation, nous en sommes conscients, est susceptible de générer des nuisances sonores pour les habitations du voisinage. Nous vous prions en conséquence de nous en excuser par avance pour les désagréments occasionnés et comptons sur votre compréhension à l’occasion de cet événement exceptionnel. »
Quelques remarques :
-La mairie parle « des habitations du voisinage » alors que le boucan sera partout et, après leurs manifestations musicales, va se poursuivre jusqu’à l’aube, dans des débordements qui ne seront bien évidemment pas encadrés et laisseront les rues du centre dans un état indescriptible (voir le billet « fête de la merde » ( qui date de 2006) en lien.
-La mairie parle d’un événement exceptionnel alors que rien ne l’est moins que cette "fête" banale, répétitive et désormais programmée dans le calendrier, au même titre qu’une autre (on croule sous l’ordinaire des fêtes). Cette fête, qui obéit à la politique de divertissement populaire préconisée par la Trilatérale est suivie les doigts sur la couture par toutes les municipalités pour, dit-on, le bien et la liberté des populations.
La mairie clôt sa lettre en disant : « nous vous prions d’agréer, madame, monsieur, l’expression de notre sincère considération ».
La mairie se fout de la gueule de qui ?
21:36 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : musique, fête de la musique, politique, lyon, mairie de lyon |
jeudi, 11 juin 2009
Le sourire de Voltaire
Un billet sur une table en formica. Un frigo tout neuf. Un champ de maïs. Ou de colza ? Les souvenirs ne sont plus assurés. On plantait les deux, jadis, dans ces grandes terres que cernaient des corps de fermes, avant que sur ces terres ne poussât la banlieue. Car madame, mademoiselle, monsieur, dans ces champs-là, moi-même qui vous parle, j'ai vu surgir la banlieue. L’avenue que nous avons empruntée pour venir jusque-là n’était qu’un sentier à escargots, et ce rond-point qu’une simple boutasse, aussi vrai qu’un et un font deux sur les ardoises d'écoliers. Dans la cour du collège en contre bas paissaient des ruminantes, qui rentraient le soir en file indienne par cette allée Pablo Picasso, plus sages que ces collégiens gueulards et dépenaillés qu'on y voit à présent. Quant aux barres et aux tours, me demande bien qui aurait pu, de ceux qui dorment à présent dans le cimetière en contrebas, en imaginer la saisissante croissance !
Il n’empêche. De maïs ou de colza, à la place du centre commercial, il y avait un champ quand nous avons emménagé ici. A cette époque, le billet de dix représentait un drôle de Voltaire au sourire aigre-doux, dessiné par un certain Lefeuvre. Comme tous les candides de France, j’avais dû avaler quelques sonates à Voltaire en passant par le collège, aussi l'écrivain représentait-il un pensum indigeste à mes quelques années d'existence. En son recto, néanmoins, le palais des Tuileries, rien que ça me disais-je. Voilà qui contrastait singulièrement avec les champs de colza qu’on voyait de la fenêtre en partie obstruée par le ventre du frigidaire. Le palais des Tuileries vu du quai d’Orsay. C’est Nicolas Jean Baptiste Raguenet qui avait peint en 1757 la toile dont s’inspira Le Feuvre pour le fond de sa vignette, et dont voici la reproduction afin de faire une sorte de pause.
10:09 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : voltaire, pompidou, billets français, dix francs, banlieue, politique, janique aimée, thierry la fronde |
vendredi, 05 juin 2009
Votez pur
Comment ne pas se souvenir, face au désintérêt visiblement ressenti par la plupart des Français pour les élections européennes qui s'approchent, du regain de ferveur politique qui avait secoué les gens le dimanche 29 mai 2005. 55 % des électeurs avaient alors refusé, à travers leur vote, la forme constitutionnelle de l’Europe pour laquelle on leur demande d’aller à présent élire un parlement. Comment les dignitaires du PS et ceux de l’UMP, complices du formidable déni de démocratie que représenta l’adoption en catimini, par le traité de Lisbonne, de la Constitution rejetée, peuvent-ils espérer à présent rassembler autour de leur pureté (1) ceux à qui ils ont tiré un aussi magistral pied de nez ?
Ces gens de partis me laissent et me laisseront toujours rêveur… Dans un sens assez négatif, je dois l’avouer.
(1) Le mot est de Valérie Pécresse et est explicité dans le billet qui précède. Il paraît, mesdames et messieurs, que les intentions des politiques sont pures... Pures. Vous avez bien lu... Que vos votes le soient aussi ! Amen ...
20:00 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : politique, europe |
jeudi, 04 juin 2009
Les impuretés de Pécresse
Trouvé cette perle de Pécresse dans le "Métro" d'aujourd'hui : "Il est très difficile de convaincre 57 000 enseignants chercheurs que nos intentions sont pures, surtout quand tant de fausses informations circulent sur les blogs ".
"Sur les blogs": première généralité, premier lieu commun. Tous les blogueurs sont donc des menteurs. Dans le même genre, madame la Ministre, je vous propose d'autres aphorismes dignes de votre hauteur d'esprit : tous les fonctionnaires sont des faineants, tous les ministres sont corrompus, tous les élèves sont nuls, tous les commerçants sont des voleurs, tous les financiers sont des salauds et toutes les blondes sont des imbéciles. A méditer, n'est-ce pas ?
" de fausses informations circulent sur les blogs" : Vous nous livrez là, implicitement, votre curieuse conception du blog. Jusqu'à preuve du contraire, un blog, de quelque bord politique (ou apolitique) qu'il soit, n'est pas un organe d'information, non ? Ne confondons pas ce qu'est un blog et ce que sont ces "gratuits" dans lesquels vous et vos congénères faites votre propagande au ras des paquerettes et dans les rames du métro.
"nos intentions sont pures" : J'avoue que les bras m'en tombent. Prenez-vous à ce point les gens pour des crétins ? Sans doute, oui... Remarquez... vous avez peut-être bien raison. Tout passe, dans ce discours tissé de lieux communs qui est celui de la propagande politique. Le pire, voyez-vous, c'est qu'il ne rencontre plus d'opposition, Ségolène et Besancenot tenant le même discours à leur manière : Nous sommes purs. La vie politique est pure. Nos intentions sont bonnes. Nous vivons tous une grande histoire d'amour dans le paradis retrouvé de nos engagements dévoués à la cause commune... n'est-ce-pas ?
"Qui fait l'ange fait la bête", pourtant. La grosse bête, même. Il est vrai que les Pensées de Pascal ne sont plus de mise, dans un pays où La Princesse de Clèves est un livre subversif...
20:21 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : pécresse, éducation nationale, enseignement, politique, presse gratuite, universités, réforme |
mercredi, 27 mai 2009
La littérature constitutionnelle
Danielle Sallenave s’était, à la fin du siècle dernier ( !), placée à la pointe du mouvement Sauvons les lettres avec notamment deux ouvrages qui avaient fait date : Lettres mortes (1995) et A quoi sert la littérature (1997). Dans le dernier essai qu’elle consacre au sujet, Nous on n’aime pas lire (janvier 2009) elle raconte un séjour effectué dans un collège difficile, et sa rencontre avec des « jeunes » d’aujourd’hui. Le livre m’est tombé hier entre les mains, un peu par hasard, je dois dire. Dans un chapitre où Sallenave souligne à mi-voix la nécessité d’enseigner à la fois des grands textes mais aussi des "œuvres dérangeantes", elle entrouvre une drôle de porte en écrivant ceci :
« La Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, hélas, nous engage quand elle assigne à l’éducation la tache de favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux »
J’avoue que dans ma pratique de classe et le choix des œuvres que je propose à des élèves, je ne me suis jamais senti « engagé » par la Déclaration des Droits de l’Homme. Ni désengagé d’ailleurs. Je n’ai jamais fait appel qu’à mon jugement littéraire, et ma culture universitaire. Jugement & culture : voilà deux termes à remettre au goût du jour.
Car ce paragraphe de Sallenave, qui choisit le verbe «engager» pour évoquer le lien tissé entre un projet constitutionnel et l’enseignement de la littérature française (verbe aussitôt modalisé par l’adverbe hélas, mais lien cependant affirmé), m’a fait jeter sur la dame un regard soudain très soupçonneux. D’autant plus qu’un peu plus loin, feignant de donner des conseils à de jeunes professeurs, elle glisse un ironique et fort habile « je vous laisse le choix de quelque indignité littéraire»… On appréciera. Dans l'empire droit-de-l'hommiste, on n'enseigne donc plus la littérature qu'à l'aune du dogme officiel : cela n'avait jamais été dit aussi explicitement.
La littérature française, qui brilla des mille feux de la libre-pensée, du sentiment et du style, est donc bel et bien morte. Dans les centres de distribution d'objets culturels indéterminés, j'ai vu d'ailleurs qu'on ne disait plus littérature française, mais littérature francophone. Cela fait plus ouvert sur le monde, sans doute. Sans aucun doute. Si l'agrégation n'est pas supprimée dans les mois qui viennent, les gens passeront bientôt une agrégation de littérature francophone, vous verrez... Avec Nancy Huston en présidente du jury.
Quant à son enseignement, il est rendu impossible : la morale cul-béni des droits-de-l’hommistes et le catéchisme euro-républicain auront réussi à l’étrangler, bien plus surement que l’Inquisition, beaucoup plus efficacement que n’importe quelle église. Beau travail. Où l'on voit que les Tartuffe ne sont pas à l'endroit où on les imagine
Un professeur de Lettres doit faire face, aujourd’hui, non seulement à la déflagration linguistique qui est en train d’ébranler une génération entière, à l’inculture immodeste d’une génération de parents désormais dressée au bon goût par les medias (genre : pourquoi vous n’aimez pas amélie nothomb, vous ? Ou encore : Il vaut mieux lire harry potter que rien du tout, hein ? hein ?), mais également à ce moralisme institutionnalisé et revendiqué même par ceux qui passent pour des défenseurs de la littérature et de son enseignement. Rajoutez à cela le pragmatisme économique prôné par l’OCDE, qui voit dans l’enseignement des Lettres un surcoût financier à évacuer progressivement des budgets, rajoutez l'image totalement caricaturale que deux films (Entre les murs, L'année de la jupe) viennent de donner du cours de littérature (je poserai inlassablement la même question : pourquoi, s'il ne s'agissait de ne parler que de l'école et ses "problèmes", ainsi que du désormais tarte à la crème - élève de banlieue, ne pas prendre un prof de maths ? ou de gestion ?). Rajoutez tout ça et, avant de passer au four, rendez vous aux assises internationales du roman.... On y rencontre des auteurs et des auteures vivants. C'est bath.
Bienheureux les quelques-uns, les happy few, vraiment, qui passeront à travers les mailles du filet.
07:41 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : danielle sallenave, europe, éducation nationale, enseignement, politique |