jeudi, 15 novembre 2007
Le novembre des canuts : Les Trois Glorieuses
Arrêtons-nous quelques instants sur ce préfet en uniforme qui gravit la Grande Côte ce matin de novembre 1831 à la tête d’une colonne de la garde nationale, s’en allant à la rencontre du peuple. Louis Bouvier du Molart (1780-1855) n’est pas même cité dans le Dictionnaire des Lyonnaiseries de Louis Maynard, sinon dans l’article consacré à son successeur, Adrien Gasparin. Il faut dire qu’au contraire de ce dernier, Louis Bouvier du Molart ne possède pas de rue à son nom. La Petite histoire populaire de Lyon d’Auguste Bleton ne le mentionne pas davantage.
Le 11 mai 1831, il succède à un autre infortuné jeté aux poubelles de l’histoire, Paulze d’Ivoy, révoqué pour mollesse par Casimir Périer tout juste nommé président du Conseil. Ancien préfet sous l’Empire et les Cent jours, Bouvier du Molart mise sur la popularité dont l’Empereur jouit encore à Lyon (au point que certains le croient réfugié à Philadelphie et préparant un retour) pour imposer d’entrée de jeu l’autorité paternaliste qui sera sa marque de fabrique durant tous les événements. Sa proclamation aux Lyonnais du 17 mai débute par ces mots :
« Lyonnais, vous entendrez une voix qui ne doit pas vous être suspecte. Je n’ai ni servi ni trahi la Restauration. Le seul pouvoir qui jusqu’à notre glorieuse évolution ( il parle de 1830) avait reçu mers serments est celui qui a relevé votre grande ville de ses ruines, et je lui suis resté fidèle jusqu’à la proscription _inclusivement. La cocarde qui est à mon chapeau n’a jamais changé de couleur ». Et sa lettre à Casimir Périer du 19 mai est un modèle : « Je pense que votre Excellence peut maintenant être en parfaite sécurité sur le point important qui m’est confié (Il parle de la sécurité publique). Je me sens fort et je le suis en effet, puisqu’on croit généralement ici que je le suis. Je satisfais les gens du mouvement, parce que mon nom se trouve sur la liste de proscription des 38 (après les Cent jours) ; les patriotes sages voient en moi un des leurs ; les bonapartistes me tiennent compte d’une fidélité que j’ai gardée aussi longtemps qu’elle a été un devoir. Enfin la population générale d’une cité industrielle qui a essentiellement besoin d’ordre et de sécurité sait que je suis un homme de pouvoir et que j’ai appris à une grande école à le faire respecter. »
Reçue à coups de cailloux, de tuiles et de fusil, la colonne recule un instant, puis reprend sa marche, car Bouvier du Molart souhaite entrer en pourparlers avec les révoltés. Croit-il encore que sa fidélité de jadis à Napoléon lui servira de bouclier ?
De fait, il ne se trompe qu’à moitié. A près avoir obtenu une trêve, accompagné de son secrétaire et du général Ordonneau, il rejoint la mairie de la Croix-Rousse du balcon de laquelle il commence à haranguer la foule. Mais les ouvriers ne répondent à ses exhortations que par les cris : « De l’ouvrage ou la mort ! Nous aimons mieux une balle que la faim ! » Cependant, tous respectent la trêve et, grâce aux dispositions conciliantes du préfet, un accord est sur le point d’être trouvé lorsqu’une fusillade éclate et le grondement du canon se fait entendre au loin. Roguet y est-il pour quelque chose ? Se croyant trahis, les ouvriers indignés empoignent en tout cas les trois représentants de l’autorité. Si Bouvier Du Molart lui-même échappe à une exécution sommaire, c’est à un des chefs de section des ouvriers en soie nommé Carrier qu’il le doit, ce dernier l’entraînant à l’Hôtel du Petit-Louvre, juste à côté, où il est gardé à vue. La tension est vive. Des ouvriers déposent quatre cadavres devant la façade de l’hôtel, en exigeant un cinquième pour les venger.
La capture du préfet constitue évidemment l’événement le plus important de cette matinée-là, puisqu’elle paralyse l’action des troupes. Dans la relation qu’il fera lui-même de tous ces événements en 1832 (et qui sera vendu 2 francs - 2 jours de travail d’un compagnon !), il confiera qu’on lui aurait alors demandé de signer des ordres pour récupérer 40 000 cartouches et 500 gargousses à boulet de six, ce qu’il aurait refusé. « Dans les 8 heures de captivité que j’ai passées au milieu des ouvriers de la Croix-Rousse, écrit-il, j’ai pu pour ainsi dire les compter. Ils n’étaient certainement pas plus de mille à douze cents. Ils n’avaient pas cent fusils.»
Les chefs d’atelier appartenant aux Volontaires du Rhône, et parmi eux Guillot et Lacombe, calment autant qu’ils le peuvent l’effervescence des compagnons, car ils redoutent une issue tragique pour tous. « Dans la nuit du lundi 21 novembre, écrit Guillot, vers 7 heures du soir, je pénétrai après bien des efforts vers l’hôtel qui servait de prison à M. le Préfet détenu par les ouvriers. Au moment où je l’abordai, notre courageux fonctionnaire haranguait le peuple et lui disait, ma foi, de bien belles choses, dont je n’ai pu retenir que les suivantes : « Braves ouvriers, je suis votre père, rendez-moi à la liberté et si le comte Roguet ne fait pas cesser le carnage, je marcherai à votre tête ». Entre 9 et 19 heures du soir, sur sa promesse d’obtenir du comte général Roguet la cessation des hostilités et des fabricants l’exécution du tarif, le préfet est reconduit en ville sous la protection des baïonnettes des « cadres d’officiers » des Volontaires du Rhône. Le général Ordonneau, lui, demeurera prisonnier jusqu’au lendemain, où il sera restitué en échange de la libération d’un ouvrier en soie emprisonné.
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vendredi, 09 novembre 2007
Le novembre des canuts : Premiers coups de feu
Le 16 novembre, le représentant des chefs d'atelier Charnier écrit au préfet Bouvier Dumolard, afin de lui signaler quelques fautes d'impression sur les affiches du Tarif, toutes effectuées d'ailleurs au détriment des fabricants, et qui étaient sources de contestation entre ceux-ci et les chefs d'atelier.
Charnier croit-il encore au pouvoir ou à la parole du préfet ? Difficile à évaluer. Depuis l'hiver 1825, Pierre Charnier réfléchit aux "abus" dont souffre la Fabrique, et tout particulièrement ceux dont les chefs d'atelier en premier lieu, les compagnons en second, sont victimes. C'est lui qui est à l'origine de la première Association de Surveillance et Indication Mutuelle entre les membres de la corporation, ancêtre du Devoir Mutuel :
« Dans l'association, nous pourrons puiser toutes les connaissances de mécaniques et de droit industriel, toutes les consolations à nos maux. Nous apprendrons que l'homme pauvre n'est pas un pauvre homme, que cette dernière dénomination n'appartient qu'à l'homme dépourvu de probité. Axiome puissant pour nous procurer à résignation nécessaire à notre sort. Quand nous serons tous pénétrés de notre dignité d'hommes, les autres habitants de la cité dont, sans nous en douter, nous faisons depuis longtemps la gloire et la richesse, cesseront d'employer la mot canut dans un sens railleur ou injurieux. » Ainsi parlait Charnier.
Le préfet lui répond le 18 novembre que « les erreurs qui peuvent exister doivent être rectifiées d'un commun accord entre fabricants et ouvriers. On doit en agir à cet égard comme on l'a fait pour le tarif et l'autorité ne peut intervenir que pour interposer sa médiation, si elle est nécessaire. » Le 19 novembre, écrit Bouvier du Mollard dans ses Mémoires, « les 104 fabricants signataires du Mémoire adressé au ministère, encouragés par la connaissance qui leur fut imprudemment donnée de l'improbation du Tarif par le gouvernement de Casimir Périer, s'entendirent pour refuser tout travail aux ouvriers. »
Les ouvriers, quant à eux, quelles que soient par ailleurs leurs sympathies ou tendances politiques, refusent de travailler à un prix plus bas. La situation est inextricablement bloquée. Le même jour, à une séance du Conseil des Prudhommes, on lit une lettre de Bouvier Dumolard qui déclare que le tarif est seulement un engagement d'honneur et qu'il n'est nullement légalement obligatoire. Manière prudente de répercuter la position de l'autorité parisienne sans désavouer la sienne propre.
Dès lors, le Conseil cesse de condamner la non-observation des conventions du tarif. Les délégués des chefs d'atelier au Conseil des Prudhommes ne purent évidemment considérer cela que comme un évident "déni de justice" Selon Charnier, « cela a beaucoup contribué aux malheurs dont notre cité a été le théâtre ». De part et d'autre, l'irritation devient extrême face au camp opposé. Les représentants des compagnons reprennent leurs visites de chaque atelier, afin de vérifier qu'aucun métier ne fonctionne et que la solidarité s'organise. On dit même qu'ils ont commencé, depuis quelques jours, à collecter des fusils auprès des maîtres, et que parmi ces derniers, très peu leur en refusent.
Le lendemain, 17 novembre 1831, on affiche dans la rue Tolozan, à la Grande Côte et à la Croix-Rousse des placards manuscrits donnant rendez-vous à tous les ouvriers « pour dimanche et lundi prochain », c'est à dire pour les 20 et 21 novembre. Les avis du commissaire central Prat sont, à ce sujet, très alarmants :
« Tous les rapports que j'ai reçus aujourd'hui, soit de mes amis, soit de mes agents, soit de messieurs les commissaires de police, m'annoncent que lundi (21 novembre) les ouvriers en soie veulent se faire justice des fabricants qui ne veulent pas leur donner de l'ouvrage ou qui refusent de payer le tarif. Les uns disent qu'ils doivent se réunir au Grand Camp, les autres qu'ils descendront de leurs quartiers pour se porter en masse aux Capucins. »
De fait, ceux qu'on appelle les canuts avaient eu le temps de bien s’organiser. Quelques centaines de chefs d'atelier étaient déjà goupés dans le Mutuellisme, et presque tous dans le Mutuellisme élargi. Et leur exemple avait été suivi par les compagnons. Outre ces organisations économiques, une partie était regroupé en une association plus politique : Les Volontaires du Rhône. Beaucoup de chefs d'atelier faisaient aussi partie de la Garde Nationale. Un certain nombre possédaient des fusils. Pris en masse, ils n'avaient certes pas un sentiment d'agression; ils voulaient tout simplement cesser de travailler jusqu'à ce que les fabricants, fatigués de voir leurs commissions en retard, auraient enfin consenti à les rétribuer au prix du tarif. Mais la morgue de ces fabricants, l'inconséquence de l'autorité politique avaient heurté les esprits et froissé les sensibilités. C'était suffisant pour regrouper tous ceux qui, autour du métier à tisser et sur les mêmes paliers, dans les mêmes immeubles, les mêmes rues, le même quartier, avaient le sentiment de partager le même sort injuste.
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lundi, 05 novembre 2007
Le novembre des canuts : Premières dérobades
Depuis le début de l’automne 1831, la somme des impôts exigée à la classe ouvrière de Lyon s’étant trouvée triplée, voire pour certains cas quintuplée, les maires de Lyon et des communes environnantes avaient signalé au préfet en place, Bouvier du Molart le risque imminent de troubles à la tranquillité publique. A titre d'information, les salaires, pour les compagnons tisseurs, n’excédaient pas un franc par jour, quand le kilo de pain valait en moyenne 0,40 franc. Et de fait, dès le 8 octobre 1831, fut convoquée une première assemblée générale de chefs d’ateliers ; on y divisa en 40 circonscriptions la ville de Lyon et ses faubourgs, ce qui permit de répartir les 8000 chefs d’ateliers d’alors en sections de 200 chefs d’atelier. Leur revendication principale était de contraindre les fabricants à augmenter le prix de la façon.
Le 10 octobre une nouvelle assemblée exigea que fût créée une commission permanente de négociants et de chefs d’atelier. Deux jours plus tard, avec l’aide de l’adjoint au maire de Lyon Boisset, qui jugeait utile l’établissement d’un tarif au minimum pour le prix des façons, vingt deux commissaires furent désignés pour siéger dans la Commission du Tarif et établir ce tarif dans l’intérêt commun des deux parties, chefs d’atelier et négociants. Le 16 octobre, le préfet recevait une adresse de la part de cette Commission, laquelle était lue dans les assemblées générales de chefs d’atelier. Le 18 octobre, la Commission Centrale était reçue par Bouvier du Molart à la préfecture de Lyon, située encore place des Jacobins (voir gravure), tandis qu’un cortège de 150 compagnons défilait en chantant la Marseillaise dans les rues du plateau de la Croix-Rousse. Le 21 octobre, sous la présidence du préfet, en présence des maires de Lyon et faubourgs, se tint une première réunion qui promit de fixer le tarif avant le 1er novembre. Quatre jours plus tard, le 25 octobre 1831, tandis que la Commission rencontrait à nouveau le préfet pour signer le tarif qui venait d’être voté, un cortège de 6000 compagnons et apprentis s’avançait en silence vers la place des Jacobins, « sans armes ni bâtons ». Selon le journal le Précurseur : « c’était à la fois l’ordre et le désordre et, dans le désordre même, il y avait le calme et la régularité d’une organisation qu’on eût difficilement supposée dans une manifestation d’ouvriers. »
En cette journée du 25 octobre 1831 le préfet Bouvier Dumolard pouvait écrire au Président du Conseil : « J’ai joué dans cette grave circonstance le rôle de médiateur et de conciliateur. Ma voix a été entendue. Une augmentation considérable a été librement consentie. Je suis dix fois plus fort que je n’étais ce matin, et je vous réponds de la tranquillité publique ». La population de la Croix-Rousse,quant à elle, fit la fête dans les rues de la colline jusque tard dans la nuit. On pouvait penser que tout allait revenir en ordre, et que les jours à venir seraient des jours de bonheur.
Lorsque fut affiché le placard du Tarif, le 27 octobre, une grande effervescence gagna la population. On promettait son application pour le 2 novembre. Au même moment circulait un prospectus annonçant la création d’un journal par actions, « L’ écho de la fabrique, journal des chefs d’atelier ». Dans son premier numéro, daté du 30 octobre, L’Echo de la Fabrique livre un résumé des négociations en cours et annonce la création d’une « association générale et mutuelle de secours pour parer aux besoins de ceux qui manqueraient d’ouvrages par l’égoïste spéculation de certains chefs de fabrique, ou qui ne pourraient travailler en raison de maladies graves ou de malheurs imprévus ». Cependant, de la Croix Rousse aux Terreaux, des rassemblements d’ouvriers impatients de voir la tarif promulgué appliqué par les fabricants, se déroulaient, chaque jour plus nombreux.
Mais le tarif voté tardit à être appliqué, les fabricants ayant usé de toutes les arguties pour le repousser. Une réunion des Volontaires du Rhône eut lieu le 1er novembre, présidée par le chef d’atelier Lacombe. Suite aux nombreux refus, voire dans certains cas aux menaces que quelques fabricants avaient déjà concrètement opposés à plusieurs tisseurs, le 2 novembre, des rassemblements d’ouvriers se déroulèrent à nouveau à la Croix-Rousse. Depuis le 31 octobre, une cinquantaine de femmes, découpeuses de châles, s'étaient réunies place des Carmes dans l’intention, disent-elles, de briser une mécanique. Pendant ce temps-là, les négociants utilisaient leurs amis parisiens pour persuader le président du Conseil, Casimir Périer, de l’illégalité de ce nouveau tarif, dans lequel ils feignaient de ne rencontrer que leur future ruine. Le 3 novembre, la grogne monte encore d’un cran : compagnons et apprentis menacent désormais tous ceux qui travaillent en deçà des prix fixés par le tarif de déchirer les pièces sur leurs métiers. La tension est partout sensible.
Les délégués des chefs d’atelier commencent à perdre la direction du mouvement lorsque à leur tour, les compagnons décident de s’organiser en commissions. Le 4 novembre, Richan, maire de la Croix-Rousse, tente de raisonner les ouvriers. En vain. Le préfet Bouvier du Molart, de son côté, fait placarder un avis dans lequel il invite les « honnêtes gens à ne pas se mêler aux groupes afin de ne pas nuire à l’action répressive de la police » Au soir, un cortège se forme aux Terreaux. Des cris fusent : « A l’eau, la garde nationale ! Au Rhône, les artilleurs ! » Deux ouvriers en soie, un teinturier, un mousselinier (soit quatre ouvriers de la Fabrique ), deux pâtissiers, un boulanger, un tailleur, un voiturier et un ouvrier de la Manufacture des Tabacs, en tout dix personnes, sont arrêtées.
11:00 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lyon, société, politique, canuts, révoltes, histoire, culture |
mercredi, 10 octobre 2007
Antiquaille à vendre
Au temps de Pierre Sala, la mode était de posséder dans le jardin de sa villa quelque débris de l’Antiquité, sarcophage, morceau de colonnade ou épitaphe, témoignage exhumé d’un passé romain dont on ne cernait alors que fort approximativement les contours : en sa prestigieuse maison de Lanticaille se pouvait ainsi déchiffrer cette épitaphe latine, conçue de son vivant par un certain Claudius Rufinus : « et, puisque que ces lettres confiées à la pierre conservent le son de ma voix, ma voix vivra par la tienne, inconnu qui t’arrêteras sur ces lignes… ».
L’épitaphe de Claudius Rufinus, d’une hauteur de 90 cm, est l’un des plus célèbres et des plus anciennement connus. Il séjourna dans la maison de Sala, devenu couvent des Religieuses de la Visitation , jusque vers 1809, date à laquelle on le transporta au musée de Lyon. On peut l’admirer actuellement au musée de la Civilisation gallo romaine.
En 1629 les sœurs Visitandines de Bellecour firent l’acquisition du domaine qu’elles transformèrent en couvent. Elles lui adjoignirent une chapelle, un cloître et plusieurs corps de logis. L’une d’entre elles fut convaincue, en y découvrant un cachot, que les martyrs lyonnais, au premier chef Saint Pothin, le premier évêque de Lyon, y avaient été incarcérés :
« Je me trouvais en dormant pénétrée d’une grande dévotion pour Saint Pothin.(…) Et je vis tout le devant du cachot de Saint Pothin revêtu de fin or, et au dessus du cachot un trône d’un éclat et d’une beauté admirables, et ce saint évêque assis dessus déclara : Ma fille, je suis en ce lieu d’une présence particulière pour assister de ma protection tous ceux qui m’invoqueront », écrit-elle dans un mémoire. C’est cette religieuse qui est à l’origine du culte de Saint-Pothin martyr.
En 1796, la vente des biens nationaux livra le bâtiment à divers propriétaires, avant que la ville ne le réunît à ses Hospices Civils pour y abriter ses aliénés de 1806 à 1876, date à laquelle on ouvrit l’hôpital psychiatrique de Vinatier. Une rotonde demi-circulaire de style toscan fut alors construite sur vingt-huit colonnes de pierre. En raison du type de malades qu’elle hébergeait, elle reçut une appellation spéciale jusqu’à sa démolition : la rotonde des folles.
On a souvent prétendu que dans l'Antiquité se dressait à l'emplacement de l'Antiquaille le palais impérial qui aurait pu servir de villégiature à Auguste, Caligula, Domitien, Sévère, Albin lorsque ces empereurs séjournaient à Lugdunum. Cette légende a nimbé le bâtiment d'une aura toute spéciale. On rajoutait que rois de Bourgogne puis ducs se Savoie l’auraient investi ensuite tour à tour. On a supposé que l’empereur Claude y était né, que ses bâtiments abritaient le caveau où l’évêque Pothin fut incarcéré juste avant son martyre. L'Antiquaille s'est retrouvé ainsi au centre de nombreuses légendes. La littérature a pris le relai. Dans l’un de ses romans les plus célèbres, Place des Angoisses, l’écrivain Jean Reverzy met en scène cet hôpital où médecine, archéologie et religiosité cohabitent, et dans lequel il effectua son externat en 1934, sous la férule du professeur Joberton de Belleville :
« Je ne m’étais pas douté que l’hôpital fut si vaste. Le cortège cheminait dans d’immenses bâtiments désaffectés, gravissait des escaliers, franchissait des passerelles au-dessus de jardins aux murs de pisé hérissés de tessons de bouteilles. Le train ne ralentissait pas, et je me demandai où finirait cette marche folle. Cependant, à la sortie d’un défilé enjambé par des voûtes, la troupe s’engouffra dans une salle où quatre rangées de lits tendus de rideaux blancs s’étiraient jusqu’à de hautes fenêtres ouvertes sur le ciel vide. Une centaine de femmes y étaient couchées, dont seules les têtes émergeaient des draps. Le cortège, à même vitesse, défila entre les rangées centrales, puis, après une hésitation en tête, ralentit sa marche, se resserra et enfin s’aggloméra autour d’un lit au montant duquel le Professeur s’appuya des deux mains pendant qu’une religieuse poussait derrière lui une chaise où il se laissa tomber. »
Il aura été dans la destinée de l’Antiquaille de passer par toutes les phases de la fortune : Résidence d'empereurs et cachot de martyrs sous l'Antiquité, palais de rois au Moyen Age, cabinet de curiosités antiques au XVIème, refuge d'aliénés au XIXème, hospice romanesque au XXème : chaque siècle aura donc eu son Antiquaille; une antiquaille à son image, dans le pire comme dans le meilleur des cas. Le notre, qui ne répugne pas à transformer ce lieu de mémoire, de légende et de soin en une résidence privée avec vue tranquille et privilégiée sur la ville, doublé d'un centre commercial et culturel ne déroge pas, on le voit, à la tradition. Pour le pire ou pour le meilleur ? Chacun reste juge.
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samedi, 22 septembre 2007
L'agenda des présidents
Hasard de la mise en page ou volonté délibérée ? L'édition du Monde du 23 septembre place en vis à vis un article sur la méthode de Sarkozy en France, un autre sur celle de Chavez au Vénézuéla. A lire les deux articles, on voit bien que les deux présidents ont la même obsession ; remplir leur agenda, afin d'occuper à temps plein chaque jour et chaque heure. Gouverner via les médias. D'un certain côté, Nicolas parait un peu amateur puisqu'on apprend qu'Hugo Chavez, dans une émission titré Allo président, a tenu l'antenne 7 heures et 43 minutes !!!... De quoi essouffler PPDA mais, se dit-on, peut-être pas le vaillant tchatcheur ...
D'un autre, Chavez a quand même un sacré foutu train de retard sur Sarkozy ! La même édition du Monde ne m'apprend-elle pas, dans son supplément TV (page 11), que sera diffusé mardi prochain 25 septembre un téléfilm sur l'affaire de la maternelle de Neuilly, dans lequel un acteur ( Frédéric Quiring, c'est un type connu, ça ?) tient le rôle de l'actuel président français, à l'époque (qui l'ignore encore ?) où il n'était que maire de Neuilly et rival de Jacques Martin. Nicolas Sarkozy ferait donc mieux que Chavez, puisqu'il est, lui, porté deux fois à l'écran, une fois par Sa Majesté Lui-même et une autre fois par une doublure. Si ça, c'est pas de la french touch !
Il fait aussi mieux aussi que De Gaulle, que Mitterrand et que Jean Paul II, lesquels durent quand même attendre de mourir pour se voir enfin porter sur la scène ou bien à l'écran. Au passage, petit compte rendu, page 21, de l'inquiétante mise en scène de Robert Hossein qui raconte au Palais des sports la vie du défunt-pape en 33 tableaux dans son "N'ayez pas peur" Ironie du journaliste, qui se plaint que rien ne soit montré des "trois heures que ce pape politique et visionnaire passait chaque jour à genoux dans sa chapelle". Voilà qui me donne l'idée d'une mise en scène : le public assis trois heures dans le silence et dans l'obscurité (si! si!), trois heures devant un homme qui prie... A l'heure du bagout officiel et de la bougeotte présidentielle, cela m'ouvrirait-il la Cour des Papes l'an prochain ?
Rappelons quand même, puisque Robert Hossein l'a oublié, que celui qui allait devenir Jean Paul II fut un véritable homme de théâtre, lui. Qui inaugura jadis le théâtre de Cracovie, lieu où devait exceller, quelque temps plus tard, le magnifique et irremplacé Tadeusz Kantor... Lequel n'avait pas peur de faire perdre (ou gagner) son temps au public. Mais il serait sans doute plus judicieux de ma part de jouer le sacre de Nicolas, si Yasmina Reza, qui veille au grain, n'est pas déjà sur le coup. Ou Le sacre de Chavez au Vénézuela ?
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mardi, 18 septembre 2007
Tiens, voilà du Boutin !
Le réaménagement de la place Bellecour ne prévoyait pourtant que le remplacement des anciens marronniers (qu'on dit malades) par des tilleuls, afin de rendre à la place son allure du bon vieux temps. Au lieu de ça - et avec, on l'imagine, la bénédiction de la mairie et de son locataire socialiste -, la place Bellecour se métamorphose en ministère du logement ! Elle devient au vu et au su de tous, le squat de la ministre du logement et de son staff décontracté. Mââme Boutin, tout droit débarquée de Paris avec sa lampe-empire et le portrait de son président, campe, tel un ouvrier en bâtiment, dans une cabane ALGECO et bosse dur, dans l'incognito très people de la foule des passants qui s'entrecroisent en se demandant ce qu'elle fout là.
On a parlé beaucoup des frais occasionnés (250.000 euros !) pour une opération qui rappelle, versus officiel, celle des Don Quichotte de l'hiver dernier. On a moins parlé de la surveillance et de la sécurité policière que le badaud découvre, étonné, pour le moins : Traverser la place relève de la gageure, d'ailleurs on n'en a même plus envie tant pullulent les uniformes. Mais de la gueule de qui se fout-on, franchement ? Le citoyen contribuable devrait-il s'en réjouir ? Tiens, je me demande, plutôt, si je ne vais pas aller à mon tour camper un de ces jours sur la place Bellecour, histoire d'exposer moi-aussi ma bobine aux caméras et rencontrer quelques éminences du Régime.
Autrefois, il y avait à Bellecour, une célèbre voiture aux chèvres qui, pour quelques sous, baladait les gosses autour du cheval de bronze. Aujourd'hui, il y a la Boutin qui ballade les caméras autour de sa personne. Et derrière les caméras les gosses que nous sommes. Un peu plus en arrière, le général de Castellane, Gouverneur de Lyon, venait y promener son bedon et passer sa revue militaire hebdomadaire sous le Second Empire. Ainsi, la place Bellecour a toujours été le lieu privilégié des parades de propagande. En quatorze, c'est là qu'on exposait les chars d'assaut capturés au front, afin de rassurer l'Arrière. Aujourd'hui, Sarkozy délègue Boutin pour y assurer sa communication sociale et rassurer les foules : « Tiens, voilà du Boutin ! Voilà du Boutin ! PoPoPoPoôôômmm ! »
L'enterrement de Jacques Martin a lieu jeudi; on peut donc imaginer que la zélée ministre du logement, qui n'aura qu'à traverser le pont pour se rendre à la primatiale, viendra se fendre d'un coup de goupillon à la mémoire du héros défunt. On peut imaginer aussi que quelques officiels ayant fait le déplacement en profiteront pour aller la visiter dans ses éphémères mais très médiatiques baraquements forains.
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vendredi, 10 août 2007
QU'IL VIVE !
Article publié dans L'Esprit canut du mois de juin 2007
Selon un vieil adage qui souligne qu’en toute chose, il convient de préférer l’original à la copie, nous poursuivons notre défense des visites de l’atelier MATTELON, seul atelier croix-roussien rescapé du XIXème siècle puisque la bâtisse qui l’héberge date de 1841. C’est en 1878 que Mr Milan, son propriétaire, la rehausse afin d’installer plusieurs métiers à bras dans un espace adapté. Lequel, par conséquent, alignera fièrement l’an prochain ses cent trente printemps, tandis que son métier le plus ancien aura connu rien moins que la révolution de 1830 et la romantique bataille d’Hernani.
En 1947, Georges Mattelon, le successeur de Mr Milan, organise les premières visites, parmi lesquelles l’élégant Graham Green. Le syndicat d’initiative de l’époque était alors demandeur pour élaborer une collaboration public/ privé, dans laquelle il trouvait son intérêt et qui a perduré jusqu’au décès de monsieur Mattelon. Le livre d’or que nous montre sa veuve s’ouvre en 1956, par une photo dédicacée du président Herriot. « Emerveillement, plaisir, habileté du goût français, splendeur… » Venus de Grèce, de Madagascar, de Tahiti, du Togo, du Brésil, les hommages pleuvent… « Il ne faudrait surtout pas que ce genre d’industrie disparaisse car alors la gloire de Lyon et de la France disparaîtrait », souligne, parmi tant d’autres, Monique Duval, journaliste à L’Evénement du Québec en 1957.
Que reste-t-il de cette collaboration aujourd’hui ? La municipalité en exercice a décidé de la suspendre pour des raisons de sécurité et de concentrer ses efforts sur d’autres lieux. Ces derniers ont probablement leur intérêt. Mais ils ne possèdent ni le charme ni l’authenticité de l’atelier de 1878 - authenticité avec laquelle monsieur Jacques Mattelon et sa mère n’ont pas l’intention de transiger : s’il est possible, disent-ils, d’installer une porte coupe-feu et de repenser l’installation électrique, il n’est nullement question de toucher aux tomettes du sol ni aux murs. De fait, cet atelier « dans son jus », qui a traversé tant de décennies, demeure un joyau unique au monde. Une sorte de France ou de Concorde de la canuserie qu’il faut préserver vaille que vaille, car pas un seul lieu recomposé, quelque sécurisé qu’il soit, ne saurait lui être comparé. Et comme monsieur Jacques Mattelon le répète avec humour : un atelier de 1878 peut-il être aux normes de 2007 ? Ce dernier a beau être inscrit au Patrimoine (« lequel n’est pas très généreux puisqu’il refuse de payer l’assurance », précise madame Mattelon), il semble que la présente équipe municipale n’ait jamais eu véritablement l’intention de le sauver mais qu’elle ait trouvé dans ces raisons de sécurité un prude cache-sexe et un pratique alibi pour se débarrasser de ses responsabilités :
« J’ai essayé de toutes mes forces de maintenir la tradition là où elle est née, disait son mari en 1963. Il me semblait que le bistenclaque ne pouvait pas tout à fait mourir à Lyon. Qu’il y aurait toujours de belles choses à faire avec lui, qui ne pourraient naître que des doigts de fée d’un canut, au fond d’un atelier aveugle et inconfortable. Maintenant, j’ai perdu la foi. Le canut à bras est devenu un objet de musée »
Un objet de musée ? Encore faudrait-il qu’un véritable lieu, digne de ce nom, voie le jour à la Croix Rousse, qui puisse in fine intégrer à sa visite un précieux détour par le survivant insolite qu’est l’atelier Mattelon.
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mardi, 31 juillet 2007
Sale temps pour les tréteaux
Après avoir décliné avec véhémence sa nomination au Collège de France, Ariane Mnouchkine est revenue sur sa décision (Le Monde, 28 07 2007) et déclare ne pas vouloir faire de caprice auprès de gens qu'elle aime et admire" L'égérie de la gauche bobo-momifiée, on s'en souvient, n'en fit pas, non plus, pour lâcher les intermittents du spectacle en juillet 2004, lorsqu'un bras de fer opposait ces derniers avec le pouvoir politique de droite en Avignon. La fille à papa du théâtre du Soleil, aujourd'hui mémé gâteuse au quartier latin a-t-elle voulu nous faire croire qu'elle avait soudain retrouvé du courage politique ? Elle qui, à l'abri des milliards de son père Alexandre, vomissait jadis l'Institution sous couvert d'Odéon, ne crache plus longtemps dessus sous couvert de Collège de France !
C'est vrai que le bouddhisme aide à se détacher de tous les faux semblants de ce bas monde ! Finalement, l'ardente "metteuse en scène" de Cixous et le brûlant soutien de Ségolène devrait se réjouir de la victoire écrasante de Sarkozy : Au moins ne prendra-t-on pas sa nomination comme un renvoi d'ascenseur entre Précieuses Ridicules. Son seul souci étant qu'on ne la prenne pas, non plus, pour un ralliement à Sarko, dame Trissotine précise :"Je me sens instrumentalisée par la Présidence de la République, et je ne l'accepte pas"!!!!!
L'ego surdimensionné d'Ariane n'a vraiment d'égal que sa fatuité. Et son hypocrisie frôle ici celle des vieillards moliéresques, dont elle ne doit plus beaucoup être capable de rire. Comme il est loin le temps de la coopérative ouvrière et de la Cartoucherie de Vincennes, Ariane ! Et à quand, sur les traces de Marguerite, un fauteuil à l'Académie, auprès de Jean d'Ormesson ? Il paraît que plusieurs sont vacants. Pour moi, je me demande avec Molière ce qu'une femme aussi savante que toi pourra bien enseigner au Collège de France : La recette des nouilles asiatiques ou l'art d'enc... son public ? On attend la Leçon Inaugurale avec impatience pour en décider.
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lundi, 30 juillet 2007
Délocalisations
Conversation surprise, vendredi dernier, à la terrasse mi pleine d'un café bien lyonnais, propos échangés entre deux trentenaires (un mâle et une femelle) bien friqués, bien bronzés, mal sapés et bien ... :
-Il parait qu'y vont délocaliser les maisons de retraite aussi. Y z'ont commencé, vers l'Inde...
- Ah ? (seul émoi manifeste). C'est pas trop humide là-bas, pour des vieux ?
Pas de réponse. La fille conclut : « Pauvres vieux ! »
On leur apporte un demi-pêche. Il fait moite.
Alors, ils passent à autre chose.
Le lendemain samedi, après la messe de 16 heures, à Saint-Bonaventure. Un beau vieillard (Son chapeau accroché au rebord de la grille de la chapelle, sa canne, ses cheveux blancs, assez fournis, un peu long; sa veste : une certaine élégance malgré la difficulté à tenir la station debout; quelque chose de joycien chez cet octogénaire - peut-être même nonagénaire...), après la messe, donc, ce beau vieillard est allé s'agenouiller dignement dans la chapelle Notre Dame de Piété. Et plaçant son front assez haut dans ses doigts très maigres et noueux, il a prié longtemps...
Avait-il surpris, lui-aussi, cette conversation entre deux monstres ?
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