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mercredi, 10 octobre 2007

Antiquaille à vendre

Au temps de Pierre Sala, la mode était de posséder dans le jardin de sa villa quelque débris de l’Antiquité, sarcophage, morceau de colonnade ou épitaphe, témoignage exhumé d’un passé romain dont on ne cernait alors que fort approximativement les contours : en sa prestigieuse maison de Lanticaille se pouvait ainsi déchiffrer cette épitaphe 462020019cf75310e904cf4c7b7d9020.jpglatine, conçue de son vivant par un certain Claudius Rufinus : « et, puisque que ces lettres confiées à la pierre conservent le son de ma voix, ma voix vivra par la tienne, inconnu qui t’arrêteras sur ces lignes… ».

L’épitaphe de Claudius Rufinus, d’une hauteur de 90 cm, est l’un des plus célèbres et des plus anciennement connus. Il séjourna dans la maison de Sala, devenu couvent des Religieuses de la Visitation , jusque vers 1809, date à laquelle on le transporta au musée de Lyon. On peut l’admirer actuellement au musée de la Civilisation gallo romaine.

En 1629 les sœurs Visitandines de Bellecour firent l’acquisition du domaine qu’elles transformèrent en couvent. Elles lui adjoignirent une chapelle, un cloître et plusieurs corps de logis. L’une d’entre elles fut convaincue, en y découvrant un cachot, que les martyrs lyonnais, au premier chef Saint Pothin, le premier évêque de Lyon, y avaient été incarcérés : 

« Je me trouvais en dormant pénétrée d’une grande dévotion pour Saint Pothin.(…) Et je vis tout le devant du cachot de Saint Pothin revêtu de fin or, et au dessus du cachot un trône d’un éclat et d’une beauté admirables, et ce saint évêque assis dessus déclara : Ma fille, je suis en ce lieu d’une présence particulière pour assister de ma protection tous ceux qui m’invoqueront », écrit-elle dans un mémoire. C’est cette religieuse qui est à l’origine du culte de Saint-Pothin martyr.

4ff314d772b9b1c4231a43e6f411884d.jpgEn 1796, la vente des biens nationaux livra le bâtiment à divers propriétaires, avant que la ville ne le réunît à ses Hospices Civils pour y abriter ses aliénés de 1806 à 1876, date à laquelle on ouvrit l’hôpital psychiatrique de Vinatier. Une rotonde demi-circulaire de style toscan fut alors construite sur vingt-huit colonnes de pierre. En raison du type de malades qu’elle hébergeait, elle reçut une appellation spéciale jusqu’à sa démolition : la rotonde des folles.

On a souvent prétendu que dans l'Antiquité se dressait à l'emplacement de l'Antiquaille le palais impérial qui aurait pu servir de villégiature à Auguste, Caligula, Domitien, Sévère, Albin lorsque ces empereurs séjournaient à Lugdunum. Cette légende a nimbé le bâtiment d'une aura toute spéciale. On rajoutait que rois de Bourgogne puis ducs se Savoie l’auraient investi ensuite tour à tour. On a supposé que l’empereur Claude y était né, que ses bâtiments abritaient le caveau où l’évêque Pothin fut incarcéré juste avant son martyre. L'Antiquaille s'est retrouvé ainsi au centre de nombreuses légendes. La littérature a pris le relai. Dans l’un de ses romans les plus célèbres, Place des Angoisses, l’écrivain Jean Reverzy met en scène cet hôpital où médecine, archéologie et religiosité cohabitent, et dans lequel il effectua son externat en 1934, sous la férule du professeur Joberton de Belleville :

« Je ne m’étais pas douté que l’hôpital fut si vaste. Le cortège cheminait dans d’immenses bâtiments désaffectés, gravissait des escaliers, franchissait des passerelles au-dessus de jardins aux murs de pisé hérissés de tessons de bouteilles. Le train ne ralentissait pas, et je me demandai où finirait cette marche folle. Cependant, à la sortie d’un défilé enjambé par des voûtes, la troupe s’engouffra dans une salle où quatre rangées de lits tendus de rideaux blancs s’étiraient jusqu’à de hautes fenêtres ouvertes sur le ciel vide. Une centaine de femmes y étaient couchées, dont seules les têtes émergeaient des draps. Le cortège, à même vitesse, défila entre les rangées centrales, puis, après une hésitation en tête, ralentit sa marche, se resserra et enfin s’aggloméra autour d’un lit au montant duquel le Professeur s’appuya des deux mains pendant qu’une religieuse poussait derrière lui une chaise où il se laissa tomber. »

 Il aura été dans la destinée de l’Antiquaille de passer par toutes les phases de la fortune : Résidence d'empereurs et cachot de martyrs sous l'Antiquité, palais de rois au Moyen Age, cabinet de curiosités antiques au XVIème, refuge d'aliénés au XIXème, hospice romanesque au XXème : chaque siècle aura donc eu son Antiquaille; une antiquaille à son image, dans le pire comme dans le meilleur des cas. Le notre, qui ne répugne pas à transformer ce lieu de mémoire, de légende et de soin en une résidence privée avec vue tranquille et privilégiée sur la ville, doublé d'un centre commercial et culturel ne déroge pas, on le voit, à la tradition. Pour le pire ou pour le meilleur ? Chacun reste juge.  

08:25 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lyon, écriture, actualité, société, politique, immobilier | | |

Commentaires

Juste une remarque, très cher : Il était bègue, Claudius Machin ?

Écrit par : Cunégonde | dimanche, 14 octobre 2007

Ne fais pas attention aux commentaires désobligeants.

Écrit par : vase clos de gamète | lundi, 15 octobre 2007

Les commentaires sont fermés.