Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 09 novembre 2007

Le novembre des canuts : Premiers coups de feu

Le 16 novembre, le représentant des chefs d'atelier Charnier écrit au préfet Bouvier Dumolard, afin de lui signaler quelques fautes d'impression sur les affiches du Tarif, toutes effectuées d'ailleurs au détriment des fabricants, et qui étaient sources de contestation entre ceux-ci et les chefs d'atelier.

Charnier croit-il encore au pouvoir ou à la parole du préfet ? Difficile à évaluer. Depuis l'hiver 1825, Pierre Charnier réfléchit aux "abus" dont souffre la Fabrique, et tout particulièrement ceux dont les chefs d'atelier en premier lieu, les compagnons en second, sont victimes. C'est lui qui est à l'origine de la première Association de Surveillance et Indication Mutuelle entre les membres de la corporation, ancêtre du Devoir Mutuel :

« Dans l'association, nous pourrons puiser toutes les connaissances de mécaniques et de droit industriel, toutes les consolations à nos maux. Nous apprendrons que l'homme pauvre n'est pas un pauvre homme, que cette dernière dénomination n'appartient qu'à l'homme dépourvu de probité. Axiome puissant pour nous procurer à résignation nécessaire à notre sort. Quand nous serons tous pénétrés de notre dignité d'hommes, les autres habitants de la cité dont, sans nous en douter, nous faisons depuis longtemps la gloire et la richesse, cesseront d'employer la mot canut dans un sens railleur ou injurieux. » Ainsi parlait Charnier. 

Le préfet lui répond le 18 novembre que « les erreurs qui peuvent exister doivent être rectifiées d'un commun accord entre fabricants et ouvriers. On doit en agir à cet égard comme on l'a fait pour le tarif et l'autorité ne peut intervenir que pour interposer sa médiation, si elle est nécessaire. » Le 19 novembre, écrit Bouvier du Mollard dans ses Mémoires, « les 104 fabricants signataires du Mémoire adressé au ministère, encouragés par la connaissance qui leur fut imprudemment donnée de l'improbation du Tarif par le gouvernement de Casimir Périer, s'entendirent pour refuser tout travail aux ouvriers. »

interieur-tisseur.jpg

 

 Les ouvriers, quant à eux, quelles que soient par ailleurs leurs sympathies ou tendances politiques, refusent de travailler à un prix plus bas. La situation est inextricablement bloquée. Le même jour, à une séance du Conseil des Prudhommes, on lit une lettre de Bouvier Dumolard qui déclare que le tarif est seulement un engagement d'honneur et qu'il n'est nullement légalement obligatoire. Manière prudente de répercuter la position de l'autorité parisienne sans désavouer la sienne propre.

Dès lors, le Conseil cesse de condamner la non-observation des conventions du tarif. Les délégués des chefs d'atelier au Conseil des Prudhommes ne purent évidemment considérer cela que comme un évident "déni de justice" Selon Charnier, « cela a beaucoup contribué aux malheurs dont notre cité a été le théâtre ». De part et d'autre, l'irritation devient extrême face au camp opposé. Les représentants des compagnons reprennent leurs visites de chaque atelier, afin de vérifier qu'aucun métier ne fonctionne et que la solidarité s'organise. On dit même qu'ils ont commencé, depuis quelques jours, à collecter des fusils auprès des maîtres, et que parmi ces derniers, très peu leur en refusent.

Le lendemain, 17 novembre 1831, on affiche dans la rue Tolozan, à la Grande Côte et à la Croix-Rousse  des placards manuscrits donnant rendez-vous à tous les ouvriers « pour dimanche et lundi prochain », c'est à dire pour les 20 et 21 novembre.  Les avis du commissaire central Prat sont, à ce sujet, très alarmants :

« Tous les rapports que j'ai reçus aujourd'hui, soit de mes amis, soit de mes agents, soit de messieurs les commissaires de police, m'annoncent que lundi (21 novembre) les ouvriers en soie veulent se faire justice des fabricants qui ne veulent pas leur donner de l'ouvrage ou qui refusent de payer le tarif. Les uns disent qu'ils doivent se réunir au Grand Camp, les autres qu'ils descendront de leurs quartiers pour se porter en masse aux Capucins. »

De fait, ceux qu'on appelle les canuts avaient eu le temps de bien s’organiser. Quelques centaines de chefs d'atelier étaient déjà goupés dans le Mutuellisme, et presque tous dans le Mutuellisme élargi. Et leur exemple avait été suivi par les compagnons. Outre ces organisations économiques, une partie était regroupé en une association plus politique : Les Volontaires du Rhône. Beaucoup de chefs d'atelier faisaient aussi partie de la Garde Nationale. Un certain nombre possédaient des fusils. Pris en masse, ils n'avaient certes pas un sentiment d'agression; ils voulaient tout simplement cesser de travailler jusqu'à ce que les fabricants, fatigués de voir leurs commissions en retard, auraient enfin consenti à les rétribuer au prix du tarif. Mais la morgue de ces fabricants, l'inconséquence de l'autorité politique avaient heurté les esprits et froissé les sensibilités. C'était suffisant pour regrouper tous ceux qui, autour du métier à tisser et sur les mêmes paliers, dans les mêmes immeubles, les mêmes rues, le même quartier, avaient le sentiment de partager le même sort injuste.

Lire la suite

08:10 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, croix-rousse, canuts, société, culture, lyon, révolte | | |