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mercredi, 27 mai 2009

La littérature constitutionnelle

Danielle Sallenave s’était, à la fin du siècle dernier ( !), placée à la pointe du mouvement Sauvons les lettres avec notamment deux ouvrages qui avaient fait date : Lettres mortes (1995) et A quoi sert la littérature (1997). Dans le dernier essai qu’elle consacre au sujet, Nous on n’aime pas lire (janvier 2009) elle raconte un séjour effectué dans un collège difficile, et sa rencontre avec des « jeunes » d’aujourd’hui. Le livre m’est tombé hier entre les mains, un peu par hasard, je dois dire. Dans un chapitre où Sallenave souligne à mi-voix la nécessité d’enseigner à la fois des grands textes mais aussi des "œuvres dérangeantes", elle entrouvre une drôle de porte en écrivant ceci :

« La Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, hélas, nous engage quand elle assigne à l’éducation la tache de favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux »

J’avoue que dans ma pratique de classe et le choix des œuvres que je propose à des élèves, je ne me suis jamais senti « engagé » par la Déclaration des Droits de l’Homme.  Ni désengagé d’ailleurs. Je n’ai jamais fait appel qu’à mon jugement littéraire, et ma culture universitaire. Jugement & culture : voilà deux termes à remettre au goût du jour.

Car ce paragraphe de Sallenave, qui choisit le verbe «engager» pour évoquer le  lien tissé entre un projet constitutionnel et l’enseignement de la littérature française (verbe aussitôt modalisé par l’adverbe hélas, mais lien cependant affirmé), m’a fait jeter sur la dame un regard soudain très soupçonneux.  D’autant plus qu’un peu plus loin, feignant de donner des conseils à de jeunes professeurs, elle glisse un ironique et fort habile « je vous laisse le choix de quelque indignité littéraire»… On appréciera. Dans l'empire droit-de-l'hommiste, on n'enseigne donc plus la littérature qu'à l'aune du dogme officiel : cela n'avait jamais été dit aussi explicitement.

La littérature française, qui brilla des mille feux de la libre-pensée, du sentiment et du style, est donc bel et bien morte. Dans les centres de distribution d'objets culturels indéterminés, j'ai vu d'ailleurs qu'on ne disait plus littérature française, mais littérature francophone. Cela fait plus ouvert sur le monde, sans doute. Sans aucun doute. Si l'agrégation n'est pas supprimée dans les mois qui viennent, les gens passeront bientôt une agrégation de littérature francophone, vous verrez... Avec Nancy Huston en présidente du jury.

Quant à son enseignement, il est rendu impossible : la morale cul-béni des droits-de-l’hommistes et le catéchisme euro-républicain auront réussi à l’étrangler, bien  plus surement que l’Inquisition, beaucoup plus efficacement que n’importe quelle église. Beau travail. Où l'on voit que les Tartuffe ne sont pas à l'endroit où on les imagine

Un  professeur de Lettres doit faire face, aujourd’hui, non seulement à la déflagration linguistique qui est en train d’ébranler une génération entière, à l’inculture immodeste d’une génération de parents désormais dressée au bon goût par les medias (genre : pourquoi vous n’aimez pas amélie nothomb, vous ? Ou encore : Il vaut mieux lire harry potter que rien du tout, hein ? hein ?), mais également à ce moralisme institutionnalisé et revendiqué même par ceux qui passent pour des défenseurs de la littérature et de son enseignement. Rajoutez à cela le pragmatisme économique prôné par l’OCDE, qui voit dans l’enseignement des Lettres un surcoût financier à évacuer progressivement des budgets, rajoutez l'image totalement caricaturale que deux films (Entre les murs, L'année de la jupe) viennent de donner du cours de littérature (je poserai inlassablement la même question : pourquoi, s'il ne s'agissait de ne parler que de l'école et ses "problèmes", ainsi que du désormais tarte à la crème - élève de banlieue, ne pas prendre un prof de maths ? ou de gestion ?). Rajoutez tout ça et, avant de passer au four,  rendez vous aux assises internationales du roman.... On y rencontre des auteurs et des auteures vivants. C'est bath.

 

Bienheureux les quelques-uns, les happy few, vraiment, qui passeront à travers les mailles du filet.

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Commentaires

Solko vous êtes dans le vrai vous, vous enseignez, cette personne parle d'éducation c'est à dire elle donne à enseigner des valeurs à des jeunes, elle favorise" la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux " Ça c'est de l'éducation que donne une famille qui est enrichie avec les rencontres extérieures.

Vous, professeur de lettres, vous enseignez et de ce fait vous avez une culture et un jugement.

Sans des personnes de goût nous ne connaitrions pas ( suis pas sûre de la conjugaison, pardon professeur) les auteurs qui ont traversé les siècles, les millénaires et c'est valable pour la musique, la peinture, la sculture ....

Cette personne est polluée par le climat actuel et cela ne la dérange pas de mettre l'enseignement au plus bas.

Je me demande ce que les jeunes de ce collège "difficile" auront retenu de ces enseignements.

Je suis pessimiste pour cette époque que nous vivons, mais je me dis que la France et son peuple, quand ils reculaient, tous les deux faisaient des grands pas ensuite.J'espère en voir le début .

Écrit par : La Zélie | mercredi, 27 mai 2009

@ Zélie : Vous savez très bien que la fonction de la littérature n'est pas de communiquer ou d'inculquer des valeurs morales aux gens (solidarité, tolérance, respect des autres, bla bla bla). Bien au contraire (à moins qu'on parle de la comtesse de Ségur). La fonction de la littérature c'est d'en dénoncer les limites, le caractère factice, voire insipide.
Il revient aux parents d'enseigner la morale (!!!), aux divers éducateurs. Les auteurs, qu'on leur fiche la paix avec cela.
La morale, qu'elle soit religieuse ou laïque, c'est la morale; la littérature, c'est la littérature.
Si l'on veut instrumentaliser l'école pour enseigner la morale, qu'on le dise, mais qu'on fiche la paix aux auteurs avec cela.
Qu'on crée des cours de morale officielle,avec des sbire spatentés dont ce sera le métier de dire qu'il faut bien s'aimer et se tolérer les uns les autres !
Qu'on supprime les cours de littérature.
D'ailleurs, c'est quasiment déjà fait officieusement, ça le sera officiellement bientôt, vous verrez !
Travail conjoint des ministres PS (allègre et royal) et UMP (ferry et darcos).
Bonne journée.

Écrit par : solko | mercredi, 27 mai 2009

Cher ami, c'est "la journée de la jupe", pas l'année ! Il manquerait plus que ça dure 365 jours !!!!

Écrit par : Porky | mercredi, 27 mai 2009

"Le don des morts (1991) aussi, est dans la veine de "Lettres mortes" et de "A quoi sert la littérature?". J'avais découvert Danièle Sallenave avec "Les portes de Gubbio" et j'ai tout lu d'elle, avec une prédilection pour "Passages de l'Est"(1992).
Le dernier livre que vous évoquez "Nous on n'aime pas lire", je l'ai acheté avec méfiance et j'avoue qu'il m'est tombé des mains. Danièle Sallenave enseignait en fac, à Nanterre je crois et dans ce livre que j'ai parcouru, (je ne suis pas arrivée à le lire) on voit bien qu'elle découvre un univers qui lui est inconnu, celui des collèges, ici "ambition réussite", celui d'adolescents qui pour la plupart n'iront pas en fac.

Écrit par : Michèle | jeudi, 28 mai 2009

Z'essayez de me faire peur avant que je n'entre dans la carrière ? Je sais malheureusement que ce n'est pas le cas, mais brrr !

Pour l'agrégation, si elle n'est pas supprimée, je ne pense tout de même pas que celle de "littérature francophone" arrive si rapidement... Même en master, nous avons encore des parcours différenciés "littérature francophone", "littérature comparée" et, bien sûr, "littérature française". Tout au moins à Paris.

Écrit par : Zabou | jeudi, 28 mai 2009

Porky, pour moi c'était "l'année"...
J'ai toujours enseigné en jupe mais comme une année scolaire ne dure pas 365 jours !
J'ai aimé ce film, téléfilm plutôt, qui me paraît très révélateur de ce qui se passe dans certains collèges... et non dans les lycées.

Écrit par : Rosa | jeudi, 28 mai 2009

@ Rosa.
Tu as aimé, soit. Bravo.
Mais en quoi est-ce un argument ?
Le film est-il bon pour autant ?
Et en quoi le débat sur l'enseignement de la littérature est-il enrichi ?

Écrit par : solko | jeudi, 28 mai 2009

@ Zabou : Mon conseill : Ne vous attendez à rien en entrant dans cette profession qui n'est ni pire ni meilleure qu'une autre. On avale des couleuvres partout.

Écrit par : solko | jeudi, 28 mai 2009

Michèle : "Le don des morts", oui. C'était sans doute le meilleur. Sallenave a rejoint le clan des bien pensants. Dommage. Nul (le) n'est infaillible.

Écrit par : solko | jeudi, 28 mai 2009

La littérature dit des mondes, intérieurs et extérieurs, des mondes humains, des douleurs, des espoirs, des questionnements et des appropriations poétiques de ces mondes.
C'est de l'intimité, de la révolte, de la peur, de la conscience de soi et de l'existence, dites au public avec un outil artistique qu'on appelle, depuis la fin de la préhistoire, l'écriture.
La morale politique, laïque, constitutionnelle, civique, européaniste et mercantile dit des mondes comme ils doivent être dessinés, intériorisés, pensés et finalement vécus par chacun comme étant les seuls possibles et les meilleurs pour accéder au bonheur tel que pensé par l'idéologie sociale.
Quand on veut faire copuler littérature et cette morale du "malhonnête homme", on fait de la littérature de putains.
Comme cette dame que j'ai l'infini bonheur de ne pas connaître.

Écrit par : Bertrand | vendredi, 29 mai 2009

Le débat sur la Littérature n'est peut-être pas enrichi mais le film trace le portrait d'une enseignante ambitieuse qui veut enseigner Molière à ses élèves. C'est impossible pour elle en raison, entre autres, de ce qu'il faut bien appeler la lâcheté de l'administration du collège.
Ce que je reproche à la Littérature, c'est d'avoir déserté le réel (sauf peut-être les polards qui ne sont pas consiérés comme littéraires) : on ne peut donc reprocher au cinéma d'occuper ses friches.

Écrit par : Rosa | vendredi, 29 mai 2009

Rosa :
Réfléchis : ça veut dire quoi, « enseigner Molière » ? Vraiment, Pose toi la question.
Quand on est seul, sans tréteaux, sans comédiens, juste avec une édition scolaire bâclée par un universitaire qui veut avec ses "droits" (quel mot atroce, dans ce cas-là !) payer ses impôts ou envoyer son fils en voyage linguistique durant l'été à New York, devant des gamins et des gamines qui ne savent pas ce que c'est qu'une phrase complexe, ni les règles de la bienséance, ni celle des trois unités (et pourtant, il y en a eu des pingouins pour le leur expliquer...) ?
Honnêtement ?
Cela veut dire quoi ? Cela veut dire quoi ?
Les profs n’enseignent qu’un programme, c’est tout. Ne nous racontons pas d’histoire les uns les autres. J’ai même pire à te dire : les parents ne veulent qu’un programme. La plupart des élèves aussi.
Molière, chef de troupe, comédien, auteur, ne peut s’enseigner. Dieu merci. Il peut se pratiquer. c‘est autre chose.
J'ai bien peur que ce film, (dont je n’ai vu que cette abominable et très commerciale affiche), tourné par des gens qui ne connaissent rien, mais rien au terrain, soit une fois de plus un morceau de pain béni trempé dans du lieu commun pour ramasser des sous-sous, vois-tu. Un navet.
Quant à Adjani. Bon, Bref.
Bonne soirée à toi.

Écrit par : solko | vendredi, 29 mai 2009

Précisément dans le film le personnage (laissons Adjani de côté, c'est subjectif) bénéficie d'une salle de théâtre, en tout cas d'une scène, où elle essaie d'initier les élèves à l'interprétation, seule manière en effet d'aborder le théâtre.

Mais je me sens vraiment seule sur ce blogue à essayer de faire le tri de ce qui n'est pas forcément nul dans la "nouveauté".
Donc je crois que je vais m'abstenir dorénavant...
Bon week-end Solko.

Écrit par : Rosa | samedi, 30 mai 2009

Cher Solko

La citation que vous faites du livre de D. Sallenave, au tout début, m'étonnait par son "hélas". J'ai retrouvé ce passage à la page 129 et je me permets de le citer plus largement que vous ne l'avez fait, parce que cela éclaire le propos de D. Sallenave et qu'en oubliant le pronom "y" (nous "y" engage) renvoyant à la proposition précédente, vous rajoutez (involontairement) à la réduction / confusion du propos.
Voici donc :

"Je regrette deux choses : 1) qu'il y ait trop de textes de littérature jeunesse, comme on dit aujourd'hui, au programme des collèges ; donc trop de langue moderne, pour ne pas parler du reste, du moralisme qui règne dans ces textes pétris d'une vision du monde étroitement liée à notre époque ; 2) que les professeurs qui s'en échappent, et ils sont nombreux, c'est heureux, aillent trop vers des textes traduits et pas assez vers des textes francophones. Je suis frappée du nombre de fois où on m'a parlé de "La Métamorphose" de Kafka. Naturellement c'est un très beau texte, extrêmement singulier et fort. Mais je me demande pourquoi on l'étudie si souvent. Je crains qu'elle n'ait lâché le morceau, cette jeune professeur qui m'a dit un jour : "Et puis c'est une leçon, c'est un bouquin qui apprend à accepter l'autre, l'étranger, celui qui est différent." Cela m'a rappelé cette conversation cocasse reproduite dans un quotidien au moment (1995) où on célébrait le trois centième anniversaire de la mort de La Fontaine. C'était un couple de professeurs - La Fontaine ? Ah non, jamais ! disait le mari. Sa morale, c'est travail-famille-patrie. - Oui, rétorquait l'épouse, tu as raison, c'est vrai, mais tout de même, il était responsable des Eaux et Forêts, c'est le premier des écolos...
Ce serait terrible de penser qu'on étudie des textes parce qu'ils pensent bien, et qu'on les refuse quand, selon nos critères, ils "pensent mal". La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, hélas, nous y engage, quand elle assigne à l'éducation la tâche "de favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux". Fuyons plutôt tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à l'enseignement d'une morale positive, comme l'est aujourd'hui ce curieux mélange d'antiracisme et de tri sélectif des déchets qui sévit dans nos écoles. Allons plutôt droit aux textes, aux "grands textes" qui sont une méditation sur l'existence, la finitude, les conflits, l'expérience intérieure, le tragique de toute vie. Et souvent une version non religieuse des questions morales. Si l'enseignement des lettres et la lecture des textes littéraires devaient avoir un sens, et conserver un rôle, ce dès les petites classes, ce serait aussi celui de faire entendre des voix qui pensent mal, des voix politiquement incorrectes, des opinions mal acceptées, de leur temps ou aujourd'hui ; des styles audacieux. Pour que les élèves voient se profiler des personnalités non conformes, de Baudelaire à Villon, et de Socrate à... - Je vous laisse le choix de quelque grande Indignité Littéraire. "

Voilà, bien tout lire et citer.
J'ai moi-même lu ce livre en diagonale, c'était un tort.

Amicalement
Michèle

Écrit par : Michèle Pambrun | samedi, 30 mai 2009

Chère Rosa

Je n'ai pas trop le temps pour le moment, mais je suis à vos côtés pour dire, chaque fois que je le pourrai, l'excellence de certaine littérature contemporaine, trop peu lue (quelque happy few) , me semble-t-il, et en tout cas complètement absente des médias, ce qui est un honneur. Un malheur quand même parce que c'est le patrimoine de tous les hommes.

Écrit par : Michèle à Rosa | samedi, 30 mai 2009

@ Rosa et Michèle : D'où l'importance de distinguer la littérature ou le cinéma ""de qualité" de la production industrielle "de propagande."

@ Michèle : Merci de vous être donnée la peine de retrouver la page dans le livre de Sallenave. Je republie une correction.

Écrit par : solko | samedi, 30 mai 2009

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