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mercredi, 01 juillet 2009

Batailles Perdues ?

La puissance de la littérature, c’est d’abord de dire le commun. Le commun dans ce qu’il a d’original, bien sûr, j’entends par là de non copié sur ou de non recopié de ou, à présent, de non "copier-coller"… Se souvenir de notre unicité commune.

Cette très belle phrase de Marcel Proust, que Louis Guilloux avait recopié en exergue sur l’un des cahiers où il écrivit, en 1934-1935 son très très beau roman, Le sang noir : «Ce que nous n’avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par notre effort personnel, ce qui était clair  avant nous n’est pas à nous. Ne vient de nous-mêmes que ce que nous tirons de l’obscurité qui est en nous, et que ne connaissent pas les autres. »

Et puis aussi la formule percutante trouvée et mise en bandeau lors de la première parution du Sang Noir : « La vérité de cette vie, ce n’est pas qu’on meurt, c’est qu’on meurt volé ».

Je pensais à cela en arpentant les travées du cimetière de la Guillotière. Puis, chez un bouquiniste de la rue Juiverie, près de la gare Saint-Paul, j’ai trouvé l’adaptation que Guilloux a faite du Sang Noir pour le théâtre, qu'il a tout bonnement nommée Cripure, et que Marcel Maréchal a jouée dans les années soixante. Si loin de nous déjà, comme sourds, bien que sensibles, au temps. Le vingtième siècle se retire peu à peu, avec ses batailles. Drôle de journée. Un ami que j’ai rencontré hier après midi à l’enterrement de Maurice Moissonnier où furent longuement évoqués, bien sûr, les luttes et les combats populaires du vingtième siècle m’a dit, l’air absent  : « il nous reste du grain à moudre ». Et comme il regardait le cercueil qui allait descendre dans l’incinérateur, je n’ai pas compris s’il voulait dire : il y a encore des luttes à mener ou bien il nous reste aussi à mourir. Etrange malentendu. Dieu sait que la mort n’est pas une mince affaire, et que cette société horrible et sa détestation de tout ce qui n’est pas spectacle immédiat ne nous aide pas à nous y préparer sereinement. Je regardais les assistants se disperser par grappes dans l’allée centrale, et je songeais pourtant à quel point, dans ce siècle technologique et dément, chacun d’entre nous aurait besoin du philosophe.

 

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00:09 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature, louis guilloux, cripure, politique, cimetière, mort | | |

Commentaires

La littérature, parce qu'elle est parole unique et commune, adoucit parfois la peine. Et permet de soulager l'inquiétude du devenir...

Écrit par : Nénette | mardi, 30 juin 2009

Je ne sais pourquoi (ou plutôt je sais... Disons que je ne sais pas si c'est recevable), mais ce billet très beau, m'évoque un autre livre : "L'homme devant la mort" ( I :"Le temps des gisants") de Philippe Ariès.

Écrit par : frasby | mercredi, 01 juillet 2009

"le commun dans ce qu'il a d'original" m'évoque Céline. Il a su si bien évoquer la médiocrité vertigineuse qui est tapie (endormie ou muselée) au fond de chacun. A part cela, comment sympathiser avec des personnes qui, apparemment, n'ont pas l'air de savoir qu'elles sont mortelles ? J'avoue n'y avoir jamais vraiment réussi, même si je m'efforce à une certaine légèreté, la gravité n'étant pas compatible avec l'urbanité du gentleman que j'ambitionne.

Écrit par : Rodrigue | mercredi, 01 juillet 2009

"....et que cette société horrible et sa détestation de tout ce qui n’est pas spectacle immédiat ne nous aide pas à nous y préparer sereinement."
Poignante, grave et, ô combien urgente, que cette réflexion, Solko.
Sûr que nous crèverons volés, floués, spoliés.

Écrit par : Bertrand | mercredi, 01 juillet 2009

"Il nous reste aussi à mourir", c'est cela, chaque fois, notre adieu à celui que nous portons en terre.

Je serai toujours émue par la jaquette d'un livre et celui-là particulièrement, que vous offrez à notre regard. On tend la main.

La Guillotière : dans votre livre " Lyon légendaire & imaginaire", la liste informée des professions perdues qui s'y exerçaient autrefois. Une merveille.

Écrit par : Michèle | mercredi, 01 juillet 2009

En lisant votre billet on se dit que dans ce siècle technologique et dément vous êtes prêt. Mais n'allez pas vous presser.

Cela faisait longtemps que je ne m'étais arrêté le temps de vous lire, merci.

PS: Je ne connaissais pas du tout Maurice Moissonnier...

Écrit par : tanguy | mercredi, 01 juillet 2009

@ Nénette : Précieux témoignage, oui.

Écrit par : solko | mercredi, 01 juillet 2009

@ Frasby : Merci de citer Aries. Magnifique "l'homme devant la mort" en deux tomes chez Points seuil. Un livre de chevet, sans exagérer. C'était avant que ne sévisse le tout sociologique. Histoire de la mort, des mentalités, des textes littéraires, de la chrétienté, de la terre et de la chair et des gisants. Quand cette semaine d'oral sera terminée, je m'y replongerai aussi. Merci.

Écrit par : solko | mercredi, 01 juillet 2009

@ Rodrigue : J'ai le même problème que vous. Tant pis : je ne sympathise pas. Ou je fais semblant. Hélas. Enfin, il reste aussi bcp de gens plus conscients de la mort qu'ils ne le laissent croire ou paraître. Et de toutes les façons, n'est-ce pas ...

Écrit par : solko | mercredi, 01 juillet 2009

@ Bertrand : au moins que nous crévions le plus lucide possible. Et le plus simplement.

Écrit par : solko | mercredi, 01 juillet 2009

@ Michèle : Un salut tout spécial aux tondeurs de draps. Je sais que j'ai eu un aïeul qui rasait le velours.

Écrit par : solko | mercredi, 01 juillet 2009

@ Tanguy :
Merci de votre mot.
Rassurez-vous : j'essaie de ne jamais courir après les autobus, même si je suis en retard, ça me fait horreur de voir des gens qui courent après des bus.
Alors des corbillards ...

Écrit par : solko | mercredi, 01 juillet 2009

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