dimanche, 14 mars 2010
Le silence du champignon
Le mensonge des élus de tous bords est tel qu’il est devenu très compliqué, après les volte-face et les dénis, les compromissions et les assujettissements en quelque sorte professionnels de chacun, de voir en un quelconque homme politique autre chose qu’un fonctionnaire prétendant à la reconduction (ou a la conquête) de son poste. Par conséquent, le choix entre l’un ou l’autre, à les voir tous alignés sur le plateau d’Arlette Chabot ou, pour une élection régionale, sur celui de chaînes plus modestes, apparaît bien vain. On pourra toujours me dire que la chemise de Dany le Rouge n’est pas de la même couleur que celle de Sarkozy ou que celle d’Aubry, je vois bien que seule, une petite phrase les sépare tous. Cette petite phrase, qu’on ne compte pas sur moi pour la prononcer.
Je ne sais pas pourquoi la cueillette des champignons est devenue, plus que la pêche aux truites ou le ramassage des noix, le symbole même de l’abstentionnisme. Peut-être parce que, comme le souligne Lewis Mumford dans les Transformations de l’homme, « la vie archaïque, dans ses formes érodées par le temps et recouvertes de mousse, nous charme encore et nous attire (…) Nous sentons-nous jamais, en vérité, plus pleinement satisfaits du moment présent que lorsque nous cueillons des baies ou cherchons des champignons, comme le premier homme, ou quand nous ramassons des cailloux polis par le sable, des coquillages ou des bois flottés sur une plage, comme les hommes de l'âge de pierre ? »
Ainsi posée, l’abstention relèverait pour ses détracteurs d’une attitude archaïque, d’un refus de toutes les complications, devenues insurmontables, de la civilisation. Après tout, pourquoi pas ? S’agit-il d’une bouderie vilainement rousseauiste ? Non pas. Celui qui se penche pour ramasser un champignon accomplit un geste, en effet, bien plus ancien, bien plus fondamental, ben plus significatif, en réalité, que celui qui glisse son bulletin dans l’urne. Geste immémorial, même. Ce que je sauve en moi, en ne votant pas, ou du moins ce que je n’abime pas, c’est ma parole. Ma parole, devenue, je le consens volontiers, une sorte d’archaïsme. Mais il est des archaïsmes nécessaires. Comme la cueillette des champignons, un dimanche électoral.
12:52 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : politique, régionales, regionales, société, ps, ump |
vendredi, 12 mars 2010
Bruits de chiottes
Dans un café. Tous trois sont trentenaires. Deux filles, un garçon : bien propres sur eux, tous trois. Deux jus de fruits et une bière en bouteille. On parle à voix presque basse. Dehors, le soir tombe :
- - Elle serait, dit l’une, avec un chanteur, et lui avec une secrétaire d'Etat.
- - Tu l’as entendu dire aussi ?
- - Il y a eu des coups de fil à Europe Un. D'autres au J.D.D. Ils cherchent à étouffer le truc.
- - Et depuis longtemps ?
- - Cela fait six mois qu’ils ne sont plus ensemble.
- - Une secrétaire d'Etat ? dit le gars
- - Et un chanteur, confirme l’une des filles
- - Ça c’est un scoop ! répète le gars
- - Une conversation de nanas… rigolent les deux autres.
- - En tout cas Europe un a bien reçu des menaces… Et The Sun en a causé...
Dans un coin, l'écran plat, dont le patron a coupé le son. Y défilent les mêmes images en boucle. Sur la bande déroulante de news, celle-ci ne s’y trouve pas. C’est rien qu’une rumeur de bistrot. Un bruit de chiottes, comme on dit.
19:11 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : communication, politique, actualité, société, europe un |
jeudi, 11 mars 2010
Le parti des abstentionnistes
C’est ce que les partis ont trouvé de plus filou pour enrôler les abstentionnistes dans leur univers frelaté : cette expression ridicule, fausse et tordue : le parti des abstentionnistes. Je ne sais quel communicant véreux en profondeur a créé l’expression : un de gauche, un de droite ? un petit copain du centre ? Je ne me souviens pas, non plus, depuis quand on la répand à profusion dans les medias pour forcer la main de l’électeur. Voter étant, de ce point de vue, la seule attitude normale, civique, responsable, celui qui ne l’adopte pas n’est donc récupérable qu’au prix de cette contorsion sémantique absurde : lui aussi serait membre d’un parti, lui aussi aurait une opinion enrolable, il serait membre du parti des abstentionnistes. Les fumiers !
Cela s'inscrit dans le paradigme d’une idéologie puante (comme beaucoup d’autres, venue des USA), le comportementalisme. De la même façon que vous seriez fumeur ou non fumeur, vous vous retrouvez ainsi votant ou non-votant ; ces gens-là, souvent adeptes de l’hygiénisme physique et moral au moins autant que de l’hygiénisme politique, vous expliqueront toujours que vous êtes réductible à ce que vous faites, comme le petit bourgeois est réductible à ce qu’il possède, l'animal à ce qu'il chasse. Pour ma part, j’ai tour à tour fumé et non fumé au moins autant que j’ai voté et non voté, bu et non bu, sans me définir pour autant comme un fumeur ou un non fumeur, un votant ou un abstentionniste, un gars sobre ou un alcoolique.
Abstenir : du latin abtinere, tenir éloigné. S’abstenir : se tenir éloigné…
Une attitude unanimement réprouvée, tant le vote est devenu, jusque dans les aspects les plus futiles de la société du spectacle, à la fois un jeu et une mise en scène de soi ; il n’est qu’à compter le nombre de fois où l’on sollicite, ici et là, de jeux stupides en sondages inutiles, votre implication, participation, point de vue, solidarité – appelons ça comme on veut – à l’édifice prétendument commun…
Je n’irai pas voter dimanche parce qu’au final les deux partis qui se retrouvent au second tour mènent sur le fond la même politique depuis des décennies. Ces deux partis n'ont-ils pas tous deux été créés, d'ailleurs, pour être, à toutes les strates de la participation citoyenne, de gigantesques et efficaces usines électorales ? Et qu’au premier tour les listes prétendument dissidentes, d’un bord comme de l’autre, ne font, in fine, que servir la soupe aux deux autres. Servir le nombre. On se compte.
Je n’irai pas voter parce que je n’ai aucun intérêt à voir au pouvoir untel plutôt qu’untel.
Aucun intérêt particulier non plus à faire partie du nombre. Je n’irai pas voter parce que je ne suis membre d’aucun parti, et surtout pas de celui des abstentionnistes.
Ne pas donner sa voix, pour sauver sa parole.
07:06 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (46) | Tags : régionales, politique, société, ps, ump, regionales |
dimanche, 07 mars 2010
Il faut voter
Je reviens tout juste du marché où, entre autre routine, j’ai vu les militants se mêler au piétinement marchand des chalands pour tenter de leur fourguer leurs prospectus électoraux. Pas l’air très convaincus, les militants, de l’un ou l’autre front! Je ne leur jetterai pas la pierre : comment être convaincu par quiconque dans un tel manège ? Je me suis arrêté devant la petite école où je suis censé aller voter dimanche prochain. Ai zeuté vite fait toutes les affiches, les unes après les autres. Du regard faussement candide de Begag (Modem) à celui dur et fermé de Gollnish, (FN) de l’air parvenu de Grossetête (UMP) à celui, (grand)paternaliste de Meirieu (Ecologie) ou rigide de Queyranne (PS). Sans compter la pléiade d’anonymes sur diverses listes… Vous me direz que dans la société du spectacle, on ne vote pas pour des hommes, hein, mais pour des idées... C'est ça, c'est ça... Je me suis dit qu’en politique, je n'avais jamais vu déloger des fripouilles que par d’autres fripouilles qui prenaient leur place. Un beau lieu commun, certes. Mais qui vaut bien cet autre-ci, « Il faut voter »… J'entendais, hier, l'inénnarrable Besancenot expliquer (après avoir dit qu'il était fier d'être facteur) que l'ennemi de son parti anticapitaliste, c'était le parti des abstentionnistes... Je republie, du coup ce billet, daté du 9 mars 2008.
Celui-ci a la vie dure et la peau solide. Il faut voter ! Je connais gens de toutes sortes et de toutes générations, capables de vous l'asséner en toute occasion. Si vous ne filez pas droit, vous êtes un mauvais citoyen ! Mauvais ! Vous ne songez pas à tous ces nobles esprits, à tous ces braves gens, à tous ces sacrifiés et ces martyres qui sont morts pour la démocratie ! Eh, dites ! Si vous n'aviez pas eu la chance extraordinaire d'être leur con-citoyen, si vous étiez né dans l'un de ces pays de sauvages ou de malheureux qui ne connait pas l'élection, ah ! ... Vous vous rendriez compte de votre égoïsme, de votre insouciance... Non! non ! Il faut voter, il faut y aller. Même blanc ! Mais il faut se déplacer.
Ce catéchisme républicain ignore pour commencer que le droit de vote n'est pas un devoir. Remarquons bien que la confusion entre droit et devoir, (comme celle entre individu et citoyen, client et consommateur, choix et option...) est monnaie courante autour de nous. Cela ne signifie pas que j'aie le devoir impératif de voter : d'ailleurs il m'est arrivé de voter au moins aussi souvent qu'il m'est arrivé de ne pas voter, à des élections de toutes sortes. Et je dois dire que j'ai plus souvent regretté d'avoir voté que regretté de ne pas avoir voté. Toute une génération (celle d'Elections / pièges à cons) semble avoir à ce point viré sa cuti qu'elle culpabilise les plus jeunes aujourd'hui. Dans un de ses poèmes, Gaston Couté décrit ces chars à bans de moribonds qu'on traîne à la maison commune pour déposer dans l'urne au jour dit le bulletin sacré. Aujourd'hui, ce ne sont plus avec des bulletins de morts ou de moribonds qu'on bourre les urnes (encore que…), mais avec des bulletins de téléspectateurs. Est-ce un progrès ? Car on ne déloge des fripouilles du pouvoir que pour en mettre d’autres à leur place...
09:23 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, élections régionales, ps, ump, modem, europe ecologie, front de gauche |
mardi, 23 février 2010
Les transformations de l'homme
La première vertu de ce livre au sujet austère, c’est son aspect narratif. « Son œuvre entière est traversée par une immense sollicitude envers les réalités vivantes. » disait Jacques Dufresne de Lewis Mumford (1895-1990). Avec justesse. Et raison : Mumford est un conteur né et cela transparait dans ses livres qui pourtant ne sont pas des récits. Je viens d’achever « Les transformations de l’homme » (lequel date de 1956), dans une nouvelle traduction de Bernard Pécheur, que l’excellente maison l’Encyclopédie des Nuisances a éditée en 2008.
Le titre The transformations of man, donne déjà le ton. Lewis Mumford, contrairement aux progressistes béats applaudissant à tout rompre toute innovation technologique rompt avec ce terme imbécile d’évolution, qui postule implicitement l’idée d’une transformation forcément positive. Car s’il est vrai qu’il est des transformations aux effets positifs, il en est de nombreuses aux effets négatifs : Mumford est l’un des pionniers de la critique moderne du machinisme industrielle et de la société technique, et pour sûr des gens comme Marcuse ou Ellul l’ont lu avec attention.
Tout exposé d’ensemble du développement humain court bien sûr le risque de l’extrapolation ou celui de la généralité. L’axe que suit Mumford est cependant rigoureusement posé : au vu de la gouvernance technique du monde, gouvernance assurée de plus en plus par des machines, quelles illusions peut encore se faire le bipède humain sur le sort de sa propre liberté sans être ridicule ?
Dans le développement du monde, Lewis distingue plusieurs périodes. Au vrai, il les « raconte » (j’en reviens à l’art du récit, comme chez la Fontaine) :
Celle de « l’homme archaïque », en compagnie duquel nous restons quelques dizaines de pages. C’est l’occasion d’évoquer aussi bien des cueillettes de Neandertal que les Travaux et les Jours d’Hésiode, occasion de rappeler aussi quelles traces, du bon sauvage rousseauiste au sapiens middle class parti ramasser des champignons en famille, ce lointain souvenir nous a laissé. Avec la naissance des premières civilisations survient la première transformation de l’homme, dont l’effet principal (s’il fallait n’en retenir qu’un seul) par rapport au sujet qui nous intéresse fut la création de « l’homme partiel ».[1] Invention de l’écriture, naissance du politique, apologie et systématisation de l’art de la guerre, règne de l’utilitarisme, chef ou pharaon déifiés, développement du « panem et circenses » et des nombreux anesthésiques dont l’alcool ou la prostitution :
« Au fond, les bienfaits de la civilisation ont été pour une large part acquis et préservés – et là est la contradiction suprême – par l’usage de la contrainte et l’embrigadement méthodique, soutenus par un déchainement de violence. En ce sens, la civilisation n’est qu’un long affront à la dignité humaine ».
Mais la civilisation pousse aussi celui qu’elle met en esclavage au dépassement de soi, elle devient un leurre ou un mal nécessaire à une transformation par lequel l’homme grégaire trouve sécurité et protection et surtout parvient à une émancipation et à une domination collective sans précédent. Nous revisitons rapidement, avec Mumford, les grandes épopées, celle de Gilgamesh, le Mahâbhârata, l’Iliade. Pour à nouveau aboutir à ce cul de sac antique, celui où se trouvait Saint-Augustin lorsqu’il commença La Cité de Dieu.
Avec les religions, les philosophies et les maîtres de la pensée axiale, nous entrons dans un nouveau processus qui tente d’humaniser cet homme civilisé sans cesse menacé d’être reconduit à sa barbarie initiale. Débute alors la première phase des temps modernes, celle qui, contestant les apports purement techniques de la civilisation, fonde, de la Chine à l’Europe en passant par le Proche Orient, ce qu’on pourrait en un mot appeler l’Humanisme du vieux monde. « La civilisation, écrit Mumford, cesse d’être un but pour devenir un moyen ». L’écrivain recense tous les apports des religions axiales (qu’on peut assimiler aux religions monothéistes), la principale étant l’invention de la liberté individuelle qui, jusqu’alors, était le privilège du seul souverain. Il n’oublie pas les inconvénients, le principal étant de n’avoir su éradiquer la guerre et d’avoir échoué à créer un réel universalisme.
Nous arrivons peu à peu à l’homme moderne, soumis à des forces de plus en plus hasardeuses et contraignantes. Nous sommes en 1956 : « Jamais auparavant l’homme n’a été aussi affranchi des contraintes imposées par la nature, mais jamais non plus il n’a été davantage victime des sa propre incapacité à développer dans leurs plénitudes ses traits spécifiquement humain ». Et Mumford étudie la manière dont les mécanismes du pouvoir et de l’ordre, censés libérer l’homme moderne, ont contribué finalement, avec une efficacité redoutable à créer de la désorganisation et de la violence, tant dans la société que dans le cœur des hommes. C’est un homme de soixante et un an qui compose le livre, et qui vient de vivre – et c’est au fond toute l’histoire de sa génération – deux guerres mondiales. Les enjeux de la culture mondiale et les perspectives qu’elle ouvre à ce qu’il appelle l’homme post-historique sont-elles réjouissantes ?
Ce livre, écrit à peu près au moment où je naissais, ne donne, à dire vrai, qu’à moitié envie de naître. Mumford conclut par une réflexion cependant positive, concernant la génération à venir (il se trouve que, c’est la nôtre, au sens large, celle des vivants actuels) : « la génération à venir dispose encore d’une autre possibilité de choix, la plus ancienne pour l’homme : celle de cultiver consciemment les arts qui humanisent l’homme ».
Je n’étais pas loin de penser comme lui à dix-huit ans, lorsque je pris fort naïvement mon sac à dos, en partance pour le monde. J’avais déjà vu les rivières de mon enfance, là où nous péchions goujons et brochets à cœur joie, comme des Neandertal, polluées une à une, j’avais constaté l’inévitable assujettissement de chacun à l’impuissance politique que masque en réalité le grand progrès démocratique auquel avait cru l’homme moderne. Avais-je sincèrement, comme lui, la possibilité de croire « aux arts qui humanisent l’homme » ?
Hmmmm...
Ce billet commence à être bien long.
La suite au prochain numéro.
15:18 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lewis mumford, littérature, société, politique |
lundi, 22 février 2010
En noeuds pap' et noir et blanc
Cette image fut, en son temps (juillet 1972), un exemple de communication politique en bonne et due forme : voyez comme le président Pompidou et le chancelier Willy Brandt, sur les épaules de qui la communauté européenne repose, ont l’air, les mains dans les poches l’un et l’autre, décontracté. Marchant en devisant sur des centaines de petits cailloux blancs, lumineux, les dirigeants du vieux monde se portent bien. Sous peu (quelques mois) on va commencer à parler de crise à la télé. (1) Mais pour l'heure, dans le parc de la Villa Hammerschmidt à Bonn, voici une nuit de juillet douce à souhait, en nœuds pap’ et noir et blanc, qui possède quelque chose à présent devenu presque cinématographique, j’entends par là un charme irréel et séduisant dans le geste de la main, pour les Européens hygiénistes et politiquement corrects que nous sommes devenus …
(1) C'est le 5 juillet 1972 que le président Pompidou signa un décret qui créait les régions. A ce sujet, je remarque que l'enthousiasme est à son zénith. Quel est le nom des prochaines élections ?
20:18 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : pompidou, bonn, willy brandt, politique |
lundi, 08 février 2010
Tout bas
J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un exemplaire de la Poétique d’Aristote. J’ai pu constater l’autre mois en allant à Paris que la librairie où je l’avais acheté n’existe plus. Le livre est, lui, toujours-là, encore que quelque peu oublié, sur mes rayons : « Collection Poétique », aux éditions du Seuil, 1980. Des lignes, auxquelles je ne faisais pas attention à l’époque se découvrent. A la page 9, par exemple :
« La publication de ce livre a été facilitée par des aides financières de l’Ecole Normale supérieure et de la Compagnie IBM France. Que MM Jean Bousquet et Michel Hervé, directeurs de l’ENS, et M René Moreau, directeur du développement scientifique à la Compagnie IBM, soient ici remerciés de leur généreux appui. »
Ce n'est qu'alors que je m'aperçois que l’édition est bilingue, ce dont je ne me souvenais pas du tout. Cela fait longtemps que mon regard ne s’était pas posé sur des paragraphes en grec ancien. Je ne saurais dire pourquoi, à cette heure, c’est si reposant. En couverture, le détail d’un bas relief de la cathédrale de Chartres, représentant Aristote. La préface est de Todorov et la traduction de Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot. Le texte et sa traduction occupent très exactement 107 pages (de la page 32 à la page 139). S’y rajoutent 270 pages de notes et une soixantaine d’autres, d’index et de bibliographie.
Ce livre, avant de vous le décrire, je l’ai feuilleté en rêvant. Et puis je me suis demandé – juste à titre de curiosité – combien il coûtait à l’époque. J’aurais voulu comparer avec ce qu’il coûterait à présent. Mes yeux se sont machinalement dirigés au bas du quatrième de couverture, là où il se trouve d’habitude. Surpris, je n’ai rien vu.
Et puis je me suis rendu compte à quel point j’avais oublié l’état dans lequel se trouvait le monde dans lequel j’avais grandi. Forcément. Ni l'évolution qu'il a subi. C’est arrivé peu à peu, tout bas. C’était avant la loi sur le prix unique du livre. Bel apologue, finalement, dont je laisse à chacun tirer la morale.
06:31 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : aristote, littérature, la poétique, société, politique |
vendredi, 05 février 2010
Scandaleux,sordide,fascisant...
Scandaleux, sordide, fascisant…
Que n’ai-je entendu sur le débat suscité par Besson à propos de l’identité nationale. Tandis que Besson et son inquiétant rictus politicien sortait du bois, Peillon instrumentalisait le non-débat pour placer ses billes dans son parti décomposé.
Et puis, comme on le fit de l’épidémie de la grippe A, on déclara le débat terminé.
Jusqu’à ce que ce que, pour faire parler de soi, à droite comme à gauche, ces deux partis interchangeables que sont le PS et l’UMP trouvent autre chose.
Scandaleux, sordide, fascisant : ce débat est surtout inutile, imbécile et sans issue. Il me rappelle ces espèces de questions bidonnées que posait Delarue dans son talk-show : comment vit-on avec un paraplégique ? Y-a-t-il une vie après un troisième divorce ?
Qu’est-ce qu’être français ?
Etre français, c’est avoir épousé, comme un italien, un russe, un marocain, ou un esquimau, les contours d’un certain particularisme au sein de la grande famille universelle. Mais j’emploie des mots que l’idéologie dominante, à l’élaboration de laquelle PS et UMP auront bien contribué de pair (1), n’aime pas : l’idéologie dominante préfère mondialisé à universel, et communautariste à particulier. Demander aux français résidents en France de se poser la question de leur identité, cela revient à les considérer comme une communauté parmi d’autres. Or nous ne sommes pas une communauté parmi une autre. Car le communautarisme est une imposture autant idéologique qu’historique, nous le savons tous. J’en veux pour preuve cette réflexion identitaire que je viens de conduire à travers nombreux textes sur le fait d’être lyonnais : réfléchir au particularisme sans déboucher sur l’universel, c’est se perdre dans le communautarisme, comme le lit d’un torrent qui prendrait la mauvaise pente et n’arriverait plus ensuite à trouver la route de la mer.
Le marché mondialisé a besoin de penser le monde sans histoire et sans transcendance : c'est-à-dire sans particularisme et sans universel. Le monde a besoin d’un seul marché et le marché a besoin qu’il n’y ait face à lui qu’un monde fait d’individus et de communautés qui auraient besoin exclusivement de lui pour trouver (et se payer) de pauvres repères afin de survivre dans une idéologie et une histoire faites de bric et de broc. S’interroger sur une quelconque identité dans un tel contexte, cela revient à renoncer (ou faire mine de) à la sienne. Seul celui qui est perdu se demande qui il est. Et ce qui était vrai, jadis, sur un plan uniquement ontologique, l’est devenu, aussi dans ce monde post-moderne et foireux, sur le plan identitaire. Dans un tel contexte, et au vu des échéances électorales qui se préparent, nous n’avons pas fini d’entendre un peu partout des âneries en cascades. Je viens par exemple d'apprendre hier soir qu'on pouvait, au XXIème siècle, porter le voile pour les beaux yeux de Mahomet et militer dans un parti d'obédience marxiste. Visiblement, il n'y a pas que la religion qui est l'opium des peuples... Vive les facteurs !
Comme demeure d'actualité, dès lors, cette remarque de Léon Boitel dans ce passage où il justifie l'existence de la revue qu'il vient de créer en 1835 :
« Au milieu des graves préoccupations qui dominent notre société, au milieu de tant de partis qui la déchirent, de tant de corruption et de scepticisme qui l’envahissent, au moment enfin où, à voir les transes convulsives qu’elle éprouve, on devine l’enfantement de nouvelles idées et l’agonie d’idées anciennes ; nous dirons qu’avec les révolutions matérielles il nous faut les révolutions intellectuelles ; qu’aux hommes ballottés par la politique décevante et irritante, il faut souvent une page où reposer l’esprit. »
(1) L’encartage politicien mis à part, rien ne ressemble plus à Nicolas Sarkozy que Dominique Strauss-Kahn. Les sondages qui discrètement nous rappellent l'existence d'une opposition entre eux deux en témoignent. Rien, hélas, ne ressemble non plus tant à Martine Aubry (M.A) que Michèle Alliot Marie (MAM).
23:52 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, ps, france, régionales, actualité, société, identité nationale |
dimanche, 17 janvier 2010
Big Laden is watching you
Le FBI surpris en flagrant délit de tripotage photographique : la tronche d’un politicien espagnol, Gaspar Llamazares, (voir ICI et ICI) aura donc servi à « vieillir » le portrait (doit-on dire officiel) de l’homme le plus recherché du monde (25 millions de dollars à quiconque permettrait d’arrêter le « terroriste saoudien » Ben Laden). La rédaction de France 2, le 28 décembre 2009, chopée en train de diffuser une image du Honduras pour illustrer des manifestations censées se dérouler à Téhéran (voir ICI). Je ne vais pas passer à la loupe les images provenant d’Haïti. Ni les archiver pour, un jour, être à même de brandir une réutilisation maladroite ou malveillante…
Depuis Timisoara, nous savons que le mensonge et le tripotage sont au cœur de la stratégie politique moderne de l’information.
Qu’est-ce que l’Amérique comptait faire de ce portrait trafiqué ? L’utiliser tel celui d’un Big Brother à sa botte, capable d’influencer l’opinion mondiale ? Le ressortir sous peu à propos justement du Honduras de l’Iran. Pourquoi le FBI s’est-il laissé surprendre aussi facilement ?
« Vers les temps les plus noirs du monde » : tel était le titre d’un article de Saint-Exupéry qu’il écrivit peu de temps avant sa mort. Nous y sommes. Nous y sommes bien. Car au fond, savoir qui ment n'est pas plus le propos. Ce propos interessera, me direz-vous, les historiens un jour. Soit. Ce n'est pourtant pas le plus intéressant. Alors, dans le monde, crise ou pas crise ? Grippe ou pas grippe ? Le plus intéressant, c'est que le citoyen lambda soit déstabilisé. En crise, le citoyen lambda. Ne sache plus. Grippé, bel et bon. Comme cela, la société (notre société, comme ils disent, tous) n'aura plus qu'à gérer ses peurs de simple humain, ses doutes d'homme de la rue, ses divertissements de pauvre monsieur tout l'monde. Il ne pourra qu'être consentant. Tel est le pari.
Et déstabilisés, qu'on le veuille ou non, nous le sommes tous.
Reste à ne pas être consentants.
09:08 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : usa, politique, information, société, manipulation |