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jeudi, 11 juin 2009

Le sourire de Voltaire

Un billet sur une table en formica. Un frigo tout neuf. Un champ de maïs.  Ou de colza ? Les souvenirs ne sont plus assurés. On plantait les deux, jadis, dans ces grandes terres que cernaient des corps de fermes, avant que sur ces terres ne poussât la banlieue. Car madame, mademoiselle, monsieur, dans ces champs-là, moi-même qui vous parle, j'ai vu surgir la banlieue. L’avenue que nous avons empruntée pour venir jusque-là n’était qu’un sentier à escargots, et ce rond-point qu’une simple boutasse, aussi vrai qu’un et un font deux sur les ardoises d'écoliers. Dans la cour du collège en contre bas paissaient des ruminantes, qui rentraient le soir en file indienne par cette allée Pablo Picasso, plus sages que ces collégiens gueulards et dépenaillés qu'on y voit à présent. Quant aux barres et aux tours, me demande bien qui aurait pu, de ceux qui dorment à présent dans le cimetière en contrebas, en imaginer la saisissante croissance !

Il n’empêche. De maïs ou de colza, à la place du centre commercial, il y avait un champ quand nous avons emménagé ici. A cette époque, le billet de dix représentait un drôle de Voltaire au sourire aigre-doux, dessiné par un certain Lefeuvre. Comme tous les candides de France, j’avais dû avaler quelques sonates à Voltaire en passant par le collège, aussi l'écrivain représentait-il un pensum indigeste à mes quelques années d'existence. En son recto, néanmoins, le palais des Tuileries, rien que ça me disais-je. Voilà qui contrastait singulièrement avec les champs de colza qu’on voyait de la fenêtre en partie obstruée par le ventre du frigidaire. Le palais des Tuileries vu du quai d’Orsay. C’est Nicolas Jean Baptiste Raguenet qui avait peint en 1757 la toile dont s’inspira Le Feuvre pour le fond de sa vignette, et dont voici la reproduction afin de faire une sorte de pause.

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En son verso, tout autre chose que la banlieue, ce château de Cirey qui remplaça in extremis (mais quand on est philosophe, on n’est pas à un château près, n’est-ce pas ?) le château de Ferney sur le billet. Ce que j’ai pu rêver devant ce billet, dans la France pompidolienne de ce temps-là. Ah, messieurs-dames, les pierres, qu’il est doux, n’est-ce pas, tant qu’il est encore temps, pierres de ponts ou pierres de château, qu’il est bon de se laisser raconter des histoires par leurs historiques et merveilleux empilements...

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Voltaire, donc, fils de notaire qui finit dans la défroque d’un comte et d'un académicien, auteur de tragédies que plus personne ne lit mais, devant l’Eternel, indécrottable père de Candide et autre Ingénu, penseur pour bac inimitable : Le portrait original avait été réalisé par un certain Vivant Denon, tragiquement oublié de nos jours bien oublieux - ne craignons nulle redondance. Le philosophe, qui avait 82 ans à l’époque de sa réalisation, s’y trouva fort laid ; preuve qu’il n’était pas totalement sénile, il parla même de « caricature » à propos de ce portrait. Sale blague que lui fit la Banque de France, quelques deux cents ans plus tard, en tirant son portrait à quelques 2,5 milliards d’exemplaires pour en remplir la poche de ces Français qui suivaient alors les aventures de Thierry la Fronde ou celles de Janique Aimée,  tandis qu’Edouard Leclerc leur fabriquait de quoi se ravitailler moins cher par temps de future crise.  Dix ans tout net, de janvier 1963 à décembre 1973 circula cette coupure qui rappellera des souvenirs à plus d’un et dont, pour clore, voici la version autant psychédélique qu’inoubliable, la Banque de France n’étant pas (c’est bien connu) l’institution austère qu’on croit...

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Commentaires

Le billet de dix francs, arrêté en 1973 ? Il y a 36 ans ? Remplacé par une pièce alors (ce qui était mauvais signe, vous l'avez expliqué, sa valeur déclinante ne justifiant plus ces tirages).
Le billet de dix francs, la table en formica, le frigo, Janique Aimée (avec Dajou), Thierry La Fronde, et Edouard Leclerc... Mais à l'époque, Solko, c'était de l'histoire immédiate ; trop le nez dedans pour y voir quelque chose. Et puis vous pour le billet de dix, c'était entre sept et dix-sept ans...

Écrit par : Michèle | jeudi, 11 juin 2009

@ Michèle :
Le "Voltaire", en 73, fut remplacé par un autre billet de 10, le "Berlioz," qui fut le dernier billet de dix et fut retiré en 78. D'ailleurs à ce titre, il aura droit, le Berlioz, à un billet à part.

Écrit par : solko | jeudi, 11 juin 2009

C'est le Debussy vingt francs (la plus petite coupure avant le passage à l'euro ?) qui suivit le Berlioz dix francs. Je viens de rechercher dans vos textes.
Qu'ils sont précieux ces textes !
Internet est une invention magnifique. Bonne nuit Solko.

Écrit par : Michèle | jeudi, 11 juin 2009

Retirés en 1973? Comment est-ce possible? Il me semble encore les voir, ces billets...

Écrit par : Feuilly | jeudi, 11 juin 2009

Je me dis la même chose que toi et pourtant tu es bien plus jeune que moi. Oh et puis un peu ras le bol de parler comme si j'étais une vieille chose ; je ne suis pas vieille du tout ; encore de très beaux jours devant moi, très très beaux jours même :-)
Et ces p... de billets, oui, c'était hier.

Écrit par : Michèle | jeudi, 11 juin 2009

"penseur pour bac inimitable", je l'avoue, j'ai ri !
Merci de continuer à nous faire voyager dans le temps et dans l'espace par les billets !

Écrit par : Zabou | jeudi, 11 juin 2009

C'est facile, mais je ne résiste pas : "je suis tombé par terre, c'est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c'est la faute à Rousseau." Finalement, pour Hugo, il n'y a que Diderot qui échappe au massacre.

Écrit par : Chaussette trouée | dimanche, 14 juin 2009

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