samedi, 20 juin 2009
Fête de la musique (1)
La mairie de Lyon se fout de la gueule de qui ? Je reçois hier une « lettre » signée d’elle, et se présentant comme la coordinatrice de la fête de la musique ; après avoir rappelé bêtement le caractère bon enfant de cette pseudo-fête organisée en plein air dans toute la ville (mâchon musical, stands d’association, ludothèque, spectacle de danse et pour finir concert festif) un peu à la façon d’un voisin indélicat qui va fêter son anniversaire à la con et prévient les voisins, elle (la mairie) poursuit en s’excusant : « cette manifestation, nous en sommes conscients, est susceptible de générer des nuisances sonores pour les habitations du voisinage. Nous vous prions en conséquence de nous en excuser par avance pour les désagréments occasionnés et comptons sur votre compréhension à l’occasion de cet événement exceptionnel. »
Quelques remarques :
-La mairie parle « des habitations du voisinage » alors que le boucan sera partout et, après leurs manifestations musicales, va se poursuivre jusqu’à l’aube, dans des débordements qui ne seront bien évidemment pas encadrés et laisseront les rues du centre dans un état indescriptible (voir le billet « fête de la merde » ( qui date de 2006) en lien.
-La mairie parle d’un événement exceptionnel alors que rien ne l’est moins que cette "fête" banale, répétitive et désormais programmée dans le calendrier, au même titre qu’une autre (on croule sous l’ordinaire des fêtes). Cette fête, qui obéit à la politique de divertissement populaire préconisée par la Trilatérale est suivie les doigts sur la couture par toutes les municipalités pour, dit-on, le bien et la liberté des populations.
La mairie clôt sa lettre en disant : « nous vous prions d’agréer, madame, monsieur, l’expression de notre sincère considération ».
La mairie se fout de la gueule de qui ?
21:36 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : musique, fête de la musique, politique, lyon, mairie de lyon |
vendredi, 19 juin 2009
Bétise et lieux communs
Notre quotidien, quel qu’il soit (& qui que nous soyons), nous ramène toujours aux mêmes tâches, aux mêmes pensées, aux mêmes remarques, déterminant notre vision du monde et le rapport souvent cliniquement désabusé que nous nourrissons avec lui. Cela m’a toujours frappé, la manière dont un médecin dit toujours « les malades » ou « les patients », un commercial ou un commerçant « les clients », un professeur « les élèves », un concierge « les résidents », un théâtreux « les spectateurs », un politique « les électeurs» et au final, pour parler de tous ceux qui ne sont pas encore tombés entre ses pattes, un gardien de morgue « les vivants ». Généralement, à cette portion de l’humanité avec laquelle sa profession le met en contact, avec ce qu’il est commun d’appeler « les autres » on accole une caractéristique générale : ainsi, les malades deviennent de plus en plus procéduriers, les résidents de plus en plus sales, les élèves de plus en plus nuls, les vivants (sans doute) de plus en plus nombreux, etc.… (1) C’est un effort quotidien de ne pas se laisser enfermer dans ce type de représentations, et dans l’ensemble des lieux communs qui vont avec. L’écrivain Rémi de Gourmont, dans sa réflexion sur les lieux communs (2), définit cet effort comme étant une « dissociation des idées » trop rapidement accolées l’une avec l’autre. Effort que je répugne une fois sur deux à faire, je l’avoue, tant je vois qu’autour de moi, peu de gens y consentent. Si par exemple une part de moi vit avec l’idée que les élèves sont nuls, c’est d’une part parce que je lis depuis trop longtemps leurs copies, d’autre part parce que ça m’arrange de le penser. Cela m’arrange doublement : d’une part, cela me permet de penser cette nullité comme une sorte de fatalité. D’autre part, lorsque j’en rencontre qui ne le sont pas, cela crée une bonne surprise. Une excellente, même ! Dans son essai, Rémi de Gourmont poursuit : « L’homme associe les idées non pas selon la logique, selon l’exactitude vérifiable, mais selon son plaisir et son intérêt. C’est ce qui fait que la plupart des vérités ne sont que des préjugés. »
Ainsi pense-t-on trop vite et trop souvent que c’est la simple bêtise qui est à l’origine de la plupart des lieux communs : trop rarement, parce que sans doute cela nous dérange, que c’est, en effet, le plaisir ou l’intérêt.
(1) Un professeur me manifestait l’autre jour sa surprise devant le choix précoce (fin de seconde) d’une de ses élèves qui veut être thanatologue : Après réflexion, nous avons convenu que c’était un bon choix qui, au vu du sort qui nous attend tous et vu le nombre que nous sommes, risque de la mettre durablement à l’abri du chômage.
(2) Rémi de Gourmont, La culture des Idées (1900)
18:42 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, rémy de gourmont, culture des idées, lieux communs, préjugés, éducation |
mardi, 16 juin 2009
Ulysse a 105 ans
Très honoré d'apprendre, grâce au toujours attentif et précieux Monsieur Photon qu'aujourd'hui 16 juin 2009, c'est l'anniversaire de Léopold Bloom ! Pour peu, j'enragerais d'être né d'hier, tiens ! Vous vous rendez compte un peu ? Naître un 16 juin ? Naître le jour qu'Ulysse déambula fictivement dans Dublin ? Y'a de quoi plus savoir où on habite, non ? Car c'est bien le 16 juin 1904, il y a tout juste cent-cinq ans, que Léopold Bloom, à la page 81 de mon édition (c'est en folio) se lève et commence sa journée. Alors pour fêter ça, on devrait tous marcher dans la ville où on habite, un exemplaire à la main, et se la refaire à nouveau, cette journée de mille pages : 1000 pages ! vraiment, quel "moderne" ou "post-moderne", quel "avant-gardiste" ou quel "nouveau romancier" des années cinquante fit mieux que James Joyce ? De pâles brouillons, à côté de cette radicale remise en cause de la narration. De ce système d’échos, de phrase en phrase, toujours juste, et tellement significatif : Ulysse, c’est un univers.
Pour preuve, deux débuts de chapitres, deux débuts d'une même journée : celle de Dedalus (première partie), celle de Bloom (deuxième partie): le fils, le père, Ulysse, Télémaque…
« - Majestueux et dodu, Buck Mulligan parut en haut des marches, porteur d'un bol mousseux sur lequel reposaient en croix rasoir et glace à main. » (Dédalus le considère avec froideur)
« - M Léopold Bloom se nourrissait avec délectation des organes des mammifères et des oiseaux
Mettez les deux en relation, la croix qu'on contemple (ici faite d'ustensiles prosaïques) et les entrailles dont on se nourrit (rognons, gésier, tranches de foie...), et ce système d'échos ensorcelant, dont aucun lecteur n'est à ma connaissance sorti indemne, commence, et vous obtenez déjà un début de retrouvailles, c'est à dire de sens, entre les deux.
J’ai lu Ulysse durant plusieurs nuits, des nuits interminablement denses, il y a longtemps, alors que je travaillais à l’hôpital. Lyon, Dublin, où habitais-je alors ? Lug est celte, d'ailleurs, Lug d'où jaillit la capitale des Gaules. Je me souviens qu'alors je voulais être écrivain, que cela seul comptait, que partout où je passais, l’usine, le bureau, l’hôpital, l’atelier, il me semblait que j’étais, et si insouciamment, en repérage. Et voilà que tout à coup, quelqu’un était soudain devant moi, dressé. Un maître. Pas un petit maître. A jamais devant moi, je lisais ce roman de ce type qui était déjà mort, de cet ainé irrémédiable, et je verrai ce dos qui marcherait devant moi, et j’aimais ce type, ce maître, et je le détestais de m’avoir, comme ça, coupé l’herbe sous l’pied. C’était James Joyce. Genre de rencontre dont on se remet mal, fort mal, je vous assure. On a beau faire son malin ...
09:18 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : ulysse, bloom, 16 juin 1904, james joyce, littérature, lyon, dublin |
lundi, 15 juin 2009
Anniversaire
Tiens ! ce n'est pas trop mon trip, les anniversaires. J'ai toujours préféré les fêtes. Je me rends pourtant compte à l'instant que Solko a aujourd’hui pile deux ans. Et comme la saint-Solko n'existe pas, reste que ça à fêter, l'anniversaire. Le petit Solko est né d'un coup de tête et d'une manip sur un ordi (et hop!), le vendredi 15 juin 2007. En consultant les archives, je me souviens que j'avais bidouillé certains articles pour les antidater. Notamment la "fête de la merde" (écrit en fait un an auparavant sur un cahier), billet qui sera réédité le 21 juin prochain, c'est désormais une tradition-maison. Le 15 juin, je ne sais pas trop pourquoi, j'antidatais aussi "temple" et "les épuisés", et je programmais le premier billet pour le lendemain 16 (compliqué tout ça, oui, je sais) "dater sa colère", tout premier billet, celui donc que je reproduis aujourd’hui et qui fut, fort modestement, placé sous les auspices de Baudelaire.
10:37 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : solko, fusées, dater sa colère, anniversaire, baudelaire |
dimanche, 14 juin 2009
Caniculaire
On annonce 33°. Lyon reprend ses habits de chaleur et sera aujourd’hui à nouveau la ville la plus chaude de France avec Grenoble (34°). C’est alors que dans l’immense espace d’une cuvette sèche et polluée, l’air enflammé se réverbère sans complaisance, figeant semble-t-il le déroulement des heures dans une attente du soir. Les fleuves et leur fraicheur filent entre les quais, rances et sans profondeur, comme vaincus, comme absents. Dans le silence des rues, on a soudain l’impression que la pierre des immeubles se dresse contre le ciel afin de protéger la chair des hommes de la trop brûlante malédiction solaire. L’ombre et la verdure même paraissent capituler. Toute la ville prend un air d’acier et, comme suspendue entre le ciel et le trottoir, toute vie attend l’orage. Il se lèvera. Il se lève toujours.
C’est d’abord une fraicheur vive et soudaine, prélude au tintamarre des gouttes de pluie ; le souffle alpin, tournoyant dans les rues pentues, balayant la pierre italienne de bourrasques, comme pour la laver du mal d’être habitée. Et la luisance soudain révélée de l’asphalte : dans l’humidité translucide de sa pierre, la ville, l’instant de quelques éclairs, retentit alors d'une histoire dont elle se montre riche autant que jalouse. Dans la noirceur extrême de l’orage, les puissants jets de Lug éclairent le sanctuaire de Marie, tandis que le reste de la ville, sur un tapis obscur, suspend son souffle.
Sur chaque boulevard, dans chaque rue, des gouttes drues comme des colonnes dressent une muraille infranchissable et joyeuse : je reçois à pleine gorge la violente chute du salut. Jusqu’à ce que, toutes pierres et toute chair fécondées par le ciel, l’aveuglant jet du couchant s’éclipse avec la dernière foudre, comme avalé par l’effondrement lointain de sinistres fondations : elle redevient grise et hautaine comme la nuit électrifiée, cette cité dans la nuit, armée.
21:43 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : lyon, canicule, météorologie, actualité, orages |
vendredi, 12 juin 2009
Réouverture du musée Gadagne à Lyon
La cour intérieure du musée Gadagne est, à midi, emplie de monde. D’une voix tremblante, Simone Blazy énumère les titres et noms des officiels. La restauration de « ce magnifique édifice » s’est étirée sur dix ans et a coûté 31 millions d’euros en tout. Depuis aujourd’hui, les deux musées qu’abrite l’hôtel des Gadagne (musée des marionnettes du monde et musée historique de la ville de Lyon) sont donc ouverts au public : trente neuf salles d’exposition en tout (neuf pour la marionnette, trente pour l’histoire de la ville de Lyon, de l’Antiquité à nos jours).
Après madame la Conservatrice, on annonce monsieur le Maire : Gérard Collomb, beau parleur devant l’Eternel, insiste sur la dimension culturelle de la politique menée dans la municipalité depuis vingt ans. Ce nouveau Gadagne « est au centre d’un réseau où doit s’élaborer une réflexion entre passé, présent, avenir, et qui comprend des associations et des universités ». Il est l’un des édifices principaux de ce grand pôle muséal qui doit intégrer des itinéraires par la ville, et dont le musée des Confluences sera l’autre monument. Le bâtiment restauré lui-même, insiste monsieur le Maire, est la première pièce de la collection. Il évoque au passage les restaurations des Subsistances, de l’Antiquaille, et se déclare fier de pouvoir « restituer bientôt l’Hôtel-Dieu aux Lyonnais. » Dont acte.
Lorsque madame la Ministre prend la parole, on est debout déjà depuis trois quart d’heures et les moins hardis commencent quand même à s’impatienter. Christiane Albanel salue le caractère pionnier de la ville de Lyon en matière de politique patrimoniale, insiste sur le concept de ville durable (très à la mode ce concept : ville durable) Son dernier mot est pour rendre grâce à « l’aventure collective que nous sommes en train de vivre ». Clap clap clap.
Les derniers remerciements passés, on est prié de traverser le musée pour rejoindre le buffet, dans le jardin aménagé sur le toit de l’hôtel. L’assistance s’éparpille, de salle en salle (les neuf salles du musée des marionnettes contiennent, au passage de vrais joyaux, des plus anciens Guignols en tilleul aux Arlequins bergamasques, des burattini à gaine au fantoccini à fils, en passant par des héros russes, africains, japonais…) et par les ascenseurs. Il faut attendre encore quelque temps pour que la totalité des collections soient présentée, commentée. Dans quelques mois, Simone Blazy qui, depuis 1994, n’aura connu qu’un gigantesque chantier, passe la main, fière du bébé. Le (la ?) nouveau conservateur héritera d’un beau navire.
17:49 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : musée de la marionnette, musée gadagne, simone blazy, gérard collomb |
jeudi, 11 juin 2009
Le sourire de Voltaire
Un billet sur une table en formica. Un frigo tout neuf. Un champ de maïs. Ou de colza ? Les souvenirs ne sont plus assurés. On plantait les deux, jadis, dans ces grandes terres que cernaient des corps de fermes, avant que sur ces terres ne poussât la banlieue. Car madame, mademoiselle, monsieur, dans ces champs-là, moi-même qui vous parle, j'ai vu surgir la banlieue. L’avenue que nous avons empruntée pour venir jusque-là n’était qu’un sentier à escargots, et ce rond-point qu’une simple boutasse, aussi vrai qu’un et un font deux sur les ardoises d'écoliers. Dans la cour du collège en contre bas paissaient des ruminantes, qui rentraient le soir en file indienne par cette allée Pablo Picasso, plus sages que ces collégiens gueulards et dépenaillés qu'on y voit à présent. Quant aux barres et aux tours, me demande bien qui aurait pu, de ceux qui dorment à présent dans le cimetière en contrebas, en imaginer la saisissante croissance !
Il n’empêche. De maïs ou de colza, à la place du centre commercial, il y avait un champ quand nous avons emménagé ici. A cette époque, le billet de dix représentait un drôle de Voltaire au sourire aigre-doux, dessiné par un certain Lefeuvre. Comme tous les candides de France, j’avais dû avaler quelques sonates à Voltaire en passant par le collège, aussi l'écrivain représentait-il un pensum indigeste à mes quelques années d'existence. En son recto, néanmoins, le palais des Tuileries, rien que ça me disais-je. Voilà qui contrastait singulièrement avec les champs de colza qu’on voyait de la fenêtre en partie obstruée par le ventre du frigidaire. Le palais des Tuileries vu du quai d’Orsay. C’est Nicolas Jean Baptiste Raguenet qui avait peint en 1757 la toile dont s’inspira Le Feuvre pour le fond de sa vignette, et dont voici la reproduction afin de faire une sorte de pause.
10:09 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : voltaire, pompidou, billets français, dix francs, banlieue, politique, janique aimée, thierry la fronde |
lundi, 08 juin 2009
Dany l'incolore
Dany le rouge, Dany le vert … La presse s’en donne à cœur joie. Dany le caméléon, devrait-on dire. François Bayrou a eu parfaitement raison de rappeler au pays entier ce livre puant de Cohn Bendit. Je dois dire que de voir la tronche sur la une des journaux de celui dont Guy Debord parle (Le commencement d’une époque, 1969) comme de la « star au firmament nanterrois », « la vedette spectaculaire de mai» me débecte. Ce type me débecte. Je parle comme lui. Je parle comme ce « minable » » : Je me demande comment des gens peuvent voter pour des types comme Sarkozy ou comme lui, qui n’ont, pour le coup, pas de leçons de roublardise à se donner l'un l'autre. Vous me direz que quand on prône l’abstention, on ferait mieux de fermer sa gueule. Peut-être. Sauf que je ne prône pas l’abstention, je ne sais plus pour qui voter. Pour un type comme celui-là ? mais quelle naïveté… Cela me rappelle les premiers déçus d’Obama, qui s’étonnent à présent de son discours du Caire, favorable au port du voile.
Ce que je retiens de cette élection, c’est que le taux de votants (60%) aux premières élections européennes organisées en France (1979) est en gros devenu, en trente ans, le nombre d’abstentionnistes (2009).
De quoi relativiser les victoires de messieurs les députés.
Et que l’alliance des libertaires et des libéraux qui vient de dévaster le monde ces trente dernières années a encore de beaux jours devant elle.
Je suis inquiet.
20:29 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : bayrou, cohn-bendit, guy debord, europe |
dimanche, 07 juin 2009
Oncle Vania aux Célestins
Vu hier soir Oncle Vania, aux Célestins de Lyon. Mise en scène de la maîtresse de maison, Claudia Stavisky.
Etrange, vraiment, cette impression en retrouvant le pavé mouillé et la brasserie Francotte (celle où Charles Dullin allait boire son café), quelques heures après avoir quitté la salle, de ne pas avoir vu une véritable représentation; mauvais signe : signe d'un théâtre instable, d'un théâtre fugace, spectacle de quelques instants, dont rien ne demeure dans la ville, dans l’âme, dans l’esprit. A peine quelque perspective dans le regard, quand la foule se répand sur la place en quittant le grand hall : un effet de mise en scène, vase de roses brusquement transpercé d’une balle. Le souvenir d'un axe par lequel les comédiens entrent côté cour et sortent par la salle. L'image d’une robe, d’une table sur laquelle tout le monde, à tour de rôle, vient s’asseoir ou se coucher pour débiter du texte. Le souvenir pénible de la toile peinte d’une maison au demeurant fort laide qu’on conserve sous les yeux durant trois des quatre actes. Le texte de Tchekhov, pourtant, est passé par là.
Au théâtre tout est une question d’échelle : aussi une hiérarchie entre les acteurs s’est rapidement installée. Autant le dire tout de suite, je n’aime pas ce que fait généralement Philippe Torreton. En toute honnêteté, il fut pourtant, et de très loin, le moins pire, le meilleur, même... Torreton qui jouait un Astov, certes un peu d’un bloc… mais au moins campait-il un personnage cohérent, capable de jouer avec le silence, capable de prendre son texte à bras le corps, capable enfin d’écouter et de s’adresser à un partenaire, bref de produire de l'illusion théâtrale. Bientôt, on finira par trouver que c’est un exploit, vous verrez ! Quelques très beaux moments, notamment dans l’acte III, en compagnie de Marie Bunel, qui jouait Elena. Une brève complicité dans le premier tableau, avec Maria Verdi (la nounou)… Et une sortie fort juste. Ce qui fait que contre toute attente, je me retrouve à dire bravo Torreton. Pour le reste…
Etrange, cette impression, que les autres comédiens qui s’envoyaient des répliques par-dessus la table ne comprenaient ce qu’ils disaient qu’au premier degré. Et encore ! Parfois ne comprenaient pas. Ou ne comprenaient chaque réplique que toujours et inconsidérément ramenée à eux-mêmes, à leur petite aptitude à respirer et à l’instant toujours linéaire de leur gesticulation. C’est tout. Comme si l’art était mort, et que ne subsistait qu’un boulot assez narcissique qu’on fait sans passion quand le soir arrive. Tchékhov exige de la nuance. Un peu comme la fadeur de Verlaine. Et beaucoup d'intelligence. Une nuance qui ne fût pas de la convention. Une intelligence qui ne fût pas du lieu commun. Là, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y en eut pas. De nuances. De la convention, du lieu commun, on n’avait que l’embarras du choix.
Didier Bénureau en oncle Vania, c’est effrayant. Carrément. Et tandis qu’il se convulsionnait sur scène, l’ombre de Jean Pierre Marielle, au théâtre de l’Est parisien, dans la mise en scène de Christian Benedetti, qui date de 1986, me revenait mélancoliquement en mémoire. Un doux et lumineux souvenir refaisant surface, devant ce jeu ridicule, faux, boursouflé que propose Bénureau. Pas un seul moment juste. Mais qu’est-ce qui a pris à Staviski de le distribuer ainsi ? Et pourtant, Dieu sait si Vania est un beau rôle, Dieu sait ! On ne saura jamais ce que Bacri, l’acteur initialement prévu, en aurait fait… Ni à quoi tient que Bénureau soit si mauvais.
Quant à la comédienne interprétant Sonia, qui hurlait dans ce si beau morceau final « nous nous reposerons » assise sur une table... qu’en dire, qui ne soit pas cruel ? Rien, sans doute.
A quelle nécessité obéit donc, au final, cette mise en scène ?
La question demeure pendante.
Car ces comédiens/acteurs du vingt-et-unième siècle me paraissent plus éloignés de ce dix-neuvième siècle tchékhovien, que ceux du vingtième l’étaient, il y a trente ans, du Moyen-âge. Impression d’une incompréhension radicale entre un monde où le crépuscule était encore chrétien, et un autre où il n’est plus que technique. Où la province était encore un pays, l’ennui une émotion complexe, le rêve un refuge pour tout l’être, une rencontre un événement véritable. Où dire un texte était encore un vrai défi ; penser quelque chose un véritable goût; à présent… A présent, on ne comprend plus que la colère puisse se réfugier et presque prendre pour bouclier la pudeur, par exemple. On ne comprend plus que la passion puisse trouver son maître dans la charité. Demandez à une actrice de vous jouer ça. C’est bien pourtant cela, Sonia. A l’heure où triomphe le kit Charlotte Gainsbourg, vous ne trouverez plus aucune actrice foutue de jouer ça. Aucune. A qui la faute ? J’ai entendu une dame qui, en quittant les lieux, disait à son mari (j’ai supposé que c’était le mari): « C’est moderne, ça parle de déforestation des forêts ». Voilà ce qu’elle aura retenu du texte de Tchékhov qu’elle découvrait, visiblement. Elle a donc trouvé ça moderne. Un auteur écologique. « Qu’y faire ? Nous devons vivre ! », dirait Sonia. Devant ce truc, j’ai eu l’impression que tout le monde avait fait son boulot et qu’en n’applaudissant pas, j’étais au fond le seul à ne pas faire le mien. Mauvais garçon, une fois de plus.
Faut-il, alors, ne plus aller au théâtre ? J'ai l'impression finalement qu'il arrive au théâtre ce qui arrive à tout le reste, la politique, la littérature, l'enseignement ... Et pour quelle raison ai-je cru qu'il avait, lui, les moyens de passer à travers ? Je me souviens avec émotion de Giorgio Strehler, de Jean Claude Penchenat, de Patrice Chéreau, d'Antoine Vitez, de...
C'était un autre siècle.
A méditer. Dans le même ordre d’idée est-ce un hasard, qui a placé côte à côte, dans l’actualité du Grand Lyon ces deux nouvelles :
- Les droits TV accordés à l’OL s'élèvent à 43,5 millions d’euros. C’est un peu moins que Marseille (46,5) et un peu plus que Bordeaux (41,4). Joyeux transferts à tout le monde.
- Et le même jour, la Région vote un budget pour l’enseignement supérieur et la recherche : 39 millions.
Je ne ferme jamais les yeux sur ces rencontres inopinées d'informations, ces collages sans rigueur et pourtant très significatifs. A travers eux, bien souvent, se déchiffre l'air du temps d'une époque, se déclinent les priorités intellectuelles ou économiques d'une société. La société actuelle, qui a fait de l'ennui un vice, de la solitude un problème, de la sensation un impératif, est-elle encore une société à qui peut s'adresser, ne serait-ce que deux heures, l'oncle Vania ? Je rentre à pieds, du théâtre à la maison. Une violence latente flotte dans les rues, les places. Les gens qui crient se ressemblent. J'en doute.
10:41 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : oncle vania, torreton, claudia stavisky, didier bénureau, tchekhov, littérature, écologie |