vendredi, 05 juin 2009
Votez pur
Comment ne pas se souvenir, face au désintérêt visiblement ressenti par la plupart des Français pour les élections européennes qui s'approchent, du regain de ferveur politique qui avait secoué les gens le dimanche 29 mai 2005. 55 % des électeurs avaient alors refusé, à travers leur vote, la forme constitutionnelle de l’Europe pour laquelle on leur demande d’aller à présent élire un parlement. Comment les dignitaires du PS et ceux de l’UMP, complices du formidable déni de démocratie que représenta l’adoption en catimini, par le traité de Lisbonne, de la Constitution rejetée, peuvent-ils espérer à présent rassembler autour de leur pureté (1) ceux à qui ils ont tiré un aussi magistral pied de nez ?
Ces gens de partis me laissent et me laisseront toujours rêveur… Dans un sens assez négatif, je dois l’avouer.
(1) Le mot est de Valérie Pécresse et est explicité dans le billet qui précède. Il paraît, mesdames et messieurs, que les intentions des politiques sont pures... Pures. Vous avez bien lu... Que vos votes le soient aussi ! Amen ...
20:00 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : politique, europe |
jeudi, 04 juin 2009
Les impuretés de Pécresse
Trouvé cette perle de Pécresse dans le "Métro" d'aujourd'hui : "Il est très difficile de convaincre 57 000 enseignants chercheurs que nos intentions sont pures, surtout quand tant de fausses informations circulent sur les blogs ".
"Sur les blogs": première généralité, premier lieu commun. Tous les blogueurs sont donc des menteurs. Dans le même genre, madame la Ministre, je vous propose d'autres aphorismes dignes de votre hauteur d'esprit : tous les fonctionnaires sont des faineants, tous les ministres sont corrompus, tous les élèves sont nuls, tous les commerçants sont des voleurs, tous les financiers sont des salauds et toutes les blondes sont des imbéciles. A méditer, n'est-ce pas ?
" de fausses informations circulent sur les blogs" : Vous nous livrez là, implicitement, votre curieuse conception du blog. Jusqu'à preuve du contraire, un blog, de quelque bord politique (ou apolitique) qu'il soit, n'est pas un organe d'information, non ? Ne confondons pas ce qu'est un blog et ce que sont ces "gratuits" dans lesquels vous et vos congénères faites votre propagande au ras des paquerettes et dans les rames du métro.
"nos intentions sont pures" : J'avoue que les bras m'en tombent. Prenez-vous à ce point les gens pour des crétins ? Sans doute, oui... Remarquez... vous avez peut-être bien raison. Tout passe, dans ce discours tissé de lieux communs qui est celui de la propagande politique. Le pire, voyez-vous, c'est qu'il ne rencontre plus d'opposition, Ségolène et Besancenot tenant le même discours à leur manière : Nous sommes purs. La vie politique est pure. Nos intentions sont bonnes. Nous vivons tous une grande histoire d'amour dans le paradis retrouvé de nos engagements dévoués à la cause commune... n'est-ce-pas ?
"Qui fait l'ange fait la bête", pourtant. La grosse bête, même. Il est vrai que les Pensées de Pascal ne sont plus de mise, dans un pays où La Princesse de Clèves est un livre subversif...
20:21 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : pécresse, éducation nationale, enseignement, politique, presse gratuite, universités, réforme |
mardi, 02 juin 2009
Ecrivains de la fabrique
J’ai découvert un peu par hasard, il y a une vingtaine d’années de cela qu’il avait existé à Lyon un ensemble de romans structurés autour de la fabrique de la soie, des années 1870 à 1930. Quand je dis par hasard, c’est en réalité en fouinant chez des bouquinistes. Et petit à petit, les écrivains lyonnais ont trouvé place en mes rayons. La plupart ne sont que pittoresques. Certains sont vraiment attachants. Quelques-uns furent des maîtres dans leur domaine. Je songe à Henri Béraud, bien sûr, mais aussi à Gabriel Chevallier, à Nizier du Puitpelu.
Bernard Poche, qui avait déjà publié Lyon tel qu’il s’écrit (Presses universitaires de Lyon – 1990) propose chez Permezel (un éditeur courageux que je salue au passage) un « Dictionnaire bio-bibliographique des écrivains lyonnais – 1880-1940) : l’universitaire y a recensé plus de trois cents noms d’écrivains ayant, de 1880 à 1940 entretenus avec Lyon « un rapport significatif ». Parmi eux, ceux que j’appelle les écrivains de la fabrique, qui composèrent un jour un roman de mœurs, de sentiments ou de caractère ayant pour siège une maison de soierie, et participèrent ainsi à un témoignage entre réalisme littéraire et journalisme sociologique sur le Lyon de la Belle Epoque. Poche a retrouvé aussi la trace de nombreux poètes ou nouvellistes, conteurs et chroniqueurs. L’ouvrage a le mérite de rappeler la ferme volonté de décentralisation intellectuelle qui, jusqu’à 1940, a présidé dans l’esprit de plusieurs générations d’écrivains lyonnais. Le seul reproche qu’on lui pourrait faire, c’est que la recherche bibliographique a souvent pris le pas sur celle, biographique : sans doute parce que la première est plus simple à réaliser que la seconde, le monde et son labyrinthe étant plus vaste et hasardeux qu’une bibliothèque et ses rayons. Et que nombreux sont, parmi ces auteurs, ceux qui disparurent ou sombrèrent dans l’anonymat.
Je recopie une notice qui a tout particulièrement attiré mon attention, parce qu’elle est particulièrement emblématique, peut-être, et que j’ignorais tout de cet écrivain :
« BARDOT Henri (Lyon …- ….)
La totale ignorance dans laquelle on est de la vie d’Henri Bardot est d’autant plus surprenante que L’Autre Rive publié en 1917 mais qui reflète une certaine ambiance du Lyon des dernières années de l’avant-guerre, est peut-être l’expression la plus achevée du roman lyonnais de cette période et figure très honorablement à côté des œuvres antérieures d’Esquirol, d’Hennezel et de Rogniat. Les quelques échos que l’on recueille à son sujet laissent entendre qu’après la guerre il avait sombré dans la bohême et l’alcoolisme : l’amère misogynie de l’essai qu’il publie en 1920 se rattache aisément au pessimisme de son roman. Ses projets ultérieurs ( "pour paraître prochainement ») n’ont évidemment pas abouti. Aucune trace ne semble, apparemment, demeurer de ce naufrage.
L’Autre rive, P.Jouve, 1917 ; L’art de mal vivre et de bien mourir, ou maximes sans prétention suivies de quelques histoires également profitables, par Henri BARDOT, lyonnais, ill. Combet-Descombes, Ed de la Revue Fédéraliste, Trévoux, imp. Jeannin, 1920 »
Et je cite quelques patronymes (ou pseudonymes) de ces illustres oubliés, outre les maîtres que furent Clair Tisseur, Vingtrinier, Béraud ou Chevallier :
Alexandre Arnoux, Louis Aurenche, Emile Baumann (admirateur et ami de Léon Bloy, auteur de très beaux Mémoires), André Billy, Auguste Bleton (pour plaire à Marcel Rivière), Magali Cabanes (auteure d'un joli Masque de Lyon), Georges Champeaux (dont j'ai déjà beaucoup parlé pour le roman d'un vieux groléen), David Cigalier, Henry Clos-Jouve, Max André Dazergues (un pur Delly de Lyon !!!) , Jean Dufourt ( et son Calixte), Charles Fenestrier (co-singataire, avec Béraud, des Marrons de Lyon), Albert Giuliani, Marcel Grancher (qui mit en selle Frédéric Dard et son San Antonio et écrivit avec La Soierie se meurt un bouleversant témoignage de la faillite de Lyon en 1930), Henri d’Hennezel, Charles Joannin (pour Périssoud, militant lyonnais), Joseph Jolinon (voir mes billets sur trois de ses romans dans la rubrique : la bibliothèque est en feu), monseigneur Lavarenne (spécaliste de Guignol), Claude Le Marguet (pour Myrelingues la Brumeuse), Edmond Locard, Amédée Matagrin, Louis Pize (poète injustement oublié), Xavier Privas (prince des chansonniers), Léon Riotor (Léon de Lyon), Pierre Scize, Louisa Sieffert (une poétesse elle aussi injustement oubliée), Joséphin Soulary, Tancrède de Visan (Sous le signe du Lion) …
20:42 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : bernard poche, permezel, littérature, romans, lyon, écrivains lyonnais |
lundi, 01 juin 2009
Maurice Chappaz, poète de passage
Un ami m’a offert un très beau texte de Maurice Chappaz dont je viens d’achever la première lecture. Il s’agit du tout dernier ouvrage du poète et vigneron suisse, La pipe qui prie et fume (Nov. 2008, réed. mars 2009, ed. de la revue Conférence). Maurice Chappaz s’est éteint au début de l’année 2009, le 15 janvier exactement. Ce texte constitue donc un legs poétique troublant, dans lequel l’expérience de la vieillesse et celle de l’écriture s’enlacent à chaque instant : « Je devine en moi la grande usure. L’Eternel est aux aguets » (p 9).
De Chappaz, je ne connaissais que le Testament du Haut Rhône, un recueil de 1953, réédité par Fata Morgana en 2003. La qualité avait sonné à mon oreille. Sonore et vive. Mais je ne sais pourquoi, sans doute cet endormissement administratif dont parle le poète, et propre aux citadins (là, c'est moi qui rajoute), je n'avais pas insisté. Chappaz n'est pas homme des villes, et nous qui y vivons y perdons trop souvent le goût et la paix de l'esprit.
La pipe qui prie et fume se présente comme une suite de 26 méditations, faites aux Vernys, son chalet sans route dans une haute vallée valaisanne. Pierre-Yves Gabioud, (peintre et graveur vivant dans le val Ferret), a accompagné les 26 textes de 26 monotypes reproduits dans l’édition. La valeur de cette écriture tient tout entier à la conscience de la mort, avec laquelle vit le poète nonagénaire. « A la suite d’un corps, il ne peut y avoir rien. Certes, personne n’est revenu des inimaginables villages. Quand nous serons en Dieu, nous passerons dans les nuages, le vent, les torrents qui bêlent, ça pourra prendre une forme humaine. Nos morts travaillent depuis toujours sur cette terre. Tel ou tel les a aperçus, je m’en suis parfois douté. Ils influencent le destin, ils remuent les événements » (p 21) « J’ai tant guetté le printemps, cette année, si anxieux de le manquer. A présent, guetté par l’âge, je le rumine comme les vaches ruminent l’herbe en clignant les paupières. » (p 71) « Les croyants, les incroyants… Voilà ce qui à l’instant s’est faufilé à l’intérieur. On est tout à la fois croyant et incroyant. Le choix se fait sans cesse et presque à notre insu, d’un jour à l’autre dans le dédale de l’âge où je trébuche. L’espoir même que j’ai et les miettes de la beauté du monde qui s’éparpillent en moi… des nuages dans le ciel aux arbres sur la terre qui attendent avec le cri d’un corbeau, tout me fait sentir mon rapprochement avec les bêtes. » (p 94) Et ce passage où Chappaz cite « le mot de la fin d’un fermier à sa parenté appelée autour de son lit : Eh bien ! mes pauvres, cette fois ça y est, j’ai fini de chier. » (p 94)…
Maurice Chappaz, jeune homme.
11:33 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : poésie, poèmes, la pipe qui prie & fume, maurice chappaz, littérature, corinna bille, vernys |
dimanche, 31 mai 2009
La fabrique d'un quartier
L'histoire des pentes de la Croix-Rousse et de leur architecture en conférence ...
12:29 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : pentes de la croix-rousse, architecture, actualité, esprit canut, jean-yves quay, lyon, histoire |
samedi, 30 mai 2009
La littérature constitutionnelle (2)
Deviendrai-je paranoïaque ? Ou hyper-stressé ? Ou les deux ?
Me voilà pris en flagrant délit de lecture approximative et trop rapide : J’aime autant cela, remarquez bien. Dans un commentaire du billet précédent sur le livre de Danièle Sallenave, Michèle Pambrun, cite l'extrait original d’où j’avais tiré une citation recopiée trop vite et tronquée d’un adverbe, à la suite d’une discussion hâtive avec un collègue. Autant pour moi. Mais je préfère cela : mon étonnement était tel que j'en avais fait un billet, Danièle Sallenave étant une figure décisive de la défense de l’enseignement de la littérature. Je préfère, et de loin, avoir lu trop vite. Voici donc le commentaire de Michèle, qui possède le livre en question, et la citation complète. Et merci encore à elle :
La citation que vous faites du livre de D. Sallenave, au tout début, m'étonnait par son "hélas". J'ai retrouvé ce passage à la page 129 et je me permets de le citer plus largement que vous ne l'avez fait, parce que cela éclaire le propos de D. Sallenave et qu'en oubliant le pronom "y" (nous "y" engage) renvoyant à la proposition précédente, vous rajoutez (involontairement) à la réduction / confusion du propos. Voici donc :
« Je regrette deux choses :
1) qu'il y ait trop de textes de littérature jeunesse, comme on dit aujourd'hui, au programme des collèges ; donc trop de langue moderne, pour ne pas parler du reste, du moralisme qui règne dans ces textes pétris d'une vision du monde étroitement liée à notre époque ;
2) que les professeurs qui s'en échappent, et ils sont nombreux, c'est heureux, aillent trop vers des textes traduits et pas assez vers des textes francophones. Je suis frappée du nombre de fois où on m'a parlé de "La Métamorphose" de Kafka. Naturellement c'est un très beau texte, extrêmement singulier et fort. Mais je me demande pourquoi on l'étudie si souvent. Je crains qu'elle n'ait lâché le morceau, cette jeune professeur qui m'a dit un jour : "Et puis c'est une leçon, c'est un bouquin qui apprend à accepter l'autre, l'étranger, celui qui est différent."
Cela m'a rappelé cette conversation cocasse reproduite dans un quotidien au moment (1995) où on célébrait le trois centième anniversaire de la mort de La Fontaine. C'était un couple de professeurs - La Fontaine ? Ah non, jamais ! disait le mari. Sa morale, c'est travail-famille-patrie. - Oui, rétorquait l'épouse, tu as raison, c'est vrai, mais tout de même, il était responsable des Eaux et Forêts, c'est le premier des écolos...
Ce serait terrible de penser qu'on étudie des textes parce qu'ils pensent bien, et qu'on les refuse quand, selon nos critères, ils "pensent mal". La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, hélas, nous y engage, quand elle assigne à l'éducation la tâche "de favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux". Fuyons plutôt tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à l'enseignement d'une morale positive, comme l'est aujourd'hui ce curieux mélange d'antiracisme et de tri sélectif des déchets qui sévit dans nos écoles. Allons plutôt droit aux textes, aux "grands textes" qui sont une méditation sur l'existence, la finitude, les conflits, l'expérience intérieure, le tragique de toute vie. Et souvent une version non religieuse des questions morales. Si l'enseignement des lettres et la lecture des textes littéraires devaient avoir un sens, et conserver un rôle, ce dès les petites classes, ce serait aussi celui de faire entendre des voix qui pensent mal, des voix politiquement incorrectes, des opinions mal acceptées, de leur temps ou aujourd'hui ; des styles audacieux. Pour que les élèves voient se profiler des personnalités non conformes, de Baudelaire à Villon, et de Socrate à... - Je vous laisse le choix de quelque grande Indignité Littéraire. »
12:28 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : danièle sallenave, éducation |
mercredi, 27 mai 2009
La littérature constitutionnelle
Danielle Sallenave s’était, à la fin du siècle dernier ( !), placée à la pointe du mouvement Sauvons les lettres avec notamment deux ouvrages qui avaient fait date : Lettres mortes (1995) et A quoi sert la littérature (1997). Dans le dernier essai qu’elle consacre au sujet, Nous on n’aime pas lire (janvier 2009) elle raconte un séjour effectué dans un collège difficile, et sa rencontre avec des « jeunes » d’aujourd’hui. Le livre m’est tombé hier entre les mains, un peu par hasard, je dois dire. Dans un chapitre où Sallenave souligne à mi-voix la nécessité d’enseigner à la fois des grands textes mais aussi des "œuvres dérangeantes", elle entrouvre une drôle de porte en écrivant ceci :
« La Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, hélas, nous engage quand elle assigne à l’éducation la tache de favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux »
J’avoue que dans ma pratique de classe et le choix des œuvres que je propose à des élèves, je ne me suis jamais senti « engagé » par la Déclaration des Droits de l’Homme. Ni désengagé d’ailleurs. Je n’ai jamais fait appel qu’à mon jugement littéraire, et ma culture universitaire. Jugement & culture : voilà deux termes à remettre au goût du jour.
Car ce paragraphe de Sallenave, qui choisit le verbe «engager» pour évoquer le lien tissé entre un projet constitutionnel et l’enseignement de la littérature française (verbe aussitôt modalisé par l’adverbe hélas, mais lien cependant affirmé), m’a fait jeter sur la dame un regard soudain très soupçonneux. D’autant plus qu’un peu plus loin, feignant de donner des conseils à de jeunes professeurs, elle glisse un ironique et fort habile « je vous laisse le choix de quelque indignité littéraire»… On appréciera. Dans l'empire droit-de-l'hommiste, on n'enseigne donc plus la littérature qu'à l'aune du dogme officiel : cela n'avait jamais été dit aussi explicitement.
La littérature française, qui brilla des mille feux de la libre-pensée, du sentiment et du style, est donc bel et bien morte. Dans les centres de distribution d'objets culturels indéterminés, j'ai vu d'ailleurs qu'on ne disait plus littérature française, mais littérature francophone. Cela fait plus ouvert sur le monde, sans doute. Sans aucun doute. Si l'agrégation n'est pas supprimée dans les mois qui viennent, les gens passeront bientôt une agrégation de littérature francophone, vous verrez... Avec Nancy Huston en présidente du jury.
Quant à son enseignement, il est rendu impossible : la morale cul-béni des droits-de-l’hommistes et le catéchisme euro-républicain auront réussi à l’étrangler, bien plus surement que l’Inquisition, beaucoup plus efficacement que n’importe quelle église. Beau travail. Où l'on voit que les Tartuffe ne sont pas à l'endroit où on les imagine
Un professeur de Lettres doit faire face, aujourd’hui, non seulement à la déflagration linguistique qui est en train d’ébranler une génération entière, à l’inculture immodeste d’une génération de parents désormais dressée au bon goût par les medias (genre : pourquoi vous n’aimez pas amélie nothomb, vous ? Ou encore : Il vaut mieux lire harry potter que rien du tout, hein ? hein ?), mais également à ce moralisme institutionnalisé et revendiqué même par ceux qui passent pour des défenseurs de la littérature et de son enseignement. Rajoutez à cela le pragmatisme économique prôné par l’OCDE, qui voit dans l’enseignement des Lettres un surcoût financier à évacuer progressivement des budgets, rajoutez l'image totalement caricaturale que deux films (Entre les murs, L'année de la jupe) viennent de donner du cours de littérature (je poserai inlassablement la même question : pourquoi, s'il ne s'agissait de ne parler que de l'école et ses "problèmes", ainsi que du désormais tarte à la crème - élève de banlieue, ne pas prendre un prof de maths ? ou de gestion ?). Rajoutez tout ça et, avant de passer au four, rendez vous aux assises internationales du roman.... On y rencontre des auteurs et des auteures vivants. C'est bath.
Bienheureux les quelques-uns, les happy few, vraiment, qui passeront à travers les mailles du filet.
07:41 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : danielle sallenave, europe, éducation nationale, enseignement, politique |
mardi, 26 mai 2009
Assises internationales du roman
Connaissez-vous Les Subsistances ?
Les Subsistances, c’est un fort que l’armée française fit construire au XIXème siècle, à l’emplacement du couvent des Visitandines à Lyon, un couvent établi en ce lieu depuis 1640.
Le XIXème siècle fut ce siècle de fer, où l’on tenta de faire croire à de pauvres gens naïfs qu’en mettant des forts militaires à la place des couvents de religieuses, on réglerait leur schmilblick.
Mais à Lyon les canuts savaient bien que tous ces forts étaient en fait dirigés contre eux et contre leur persistance chronique à se révolter contre le bourgeois pour de sordides questions de tarifs.
Par la grâce de Raymond Barre, cet ancien fort se transforma à la fin du siècle dernier en un lieu culturel sur lequel l’ombre toujours pesante de la DRAC plane de toute sa bienveillante autorité.
Les Subsistances sont situées en un lieu fort joli,
Un goulot d’étranglement entre deux rocs,
Un défilé étroit que la Saône emprunte avant d’entrer dans la ville.
L’ombre fantastique des archevêques qui habitèrent l’endroit durant le Saint Empire Germanique y plane
Et chaque remou est semble-t-il encore hanté du cri d’un noyé
Ou du rire d’une jolie fille.
Du monde entier, depuis hier lundi et jusqu’à dimanche soir, des écrivains du monde entier vont débarquer à Lyon-Saint-Exupéry
Le nombril gros comme un soleil éteint
Pour venir colloquer, conférencer et table-ronder à propos de leur art.
On appelle cela la troisième édition des Assises Internationales du Roman.
Et la Villa Gillet, et France Inter
Sont de la partie, oui, oui
Jadis, Lyon avait ses foires et ses expositions universelles
Maintenant elle possède ça, d’international.
Je suis certain que de nombreux collègues, en activité ou à la retraite, vont s’y précipiter
Des étudiants aussi, pour y paraître.
De 10 heures à minuit, durant toute la semaine, les entrées se suivront et c’est à chaque fois cinq euros.
Faites le compte.
Mais comme c’est étrange, ces gens assis sur des bancs durs
Ecoutant d’autres, assis dans des fauteuils mous,
Leur parler de ce qu’ils ont ou vont écrire.
Lyon est une ville qui a toujours maltraité ses écrivains.
Il en surent quelque chose, Léon Boitel le noyé, et Puitspelu le provincial, et Beraud le bagnard, et Reverzy le médecin des pauvres.
Comme le disait Hannah Arendt, quand une société s’est transformée en une société de masse, elle est condamnée à transformer sa culture en culture de masse, tant le rapport entre culture et société est lié.
Et c’est le boulot de ces écrivains, de ces professeurs, chacun assis, se regardant, de faire cela.
De la faune internationale et médiatisée.
Pivotisée
Sur le programme, chaque écrivain (e) a mis sa photo,
Comme en classe le trombinoscope,
Hommes, femmes, jeunes, vieux, blancs, noirs,
Aucun(e) n’a refusé et certains (es) mêmes
Tels stars et starlettes
Ont pris la pose, eh oui,
La pose d’écrivains comme sur le quatrième de couverture,
Tous en carrés
Quelle époque !
Dimanche soir, (« la veille ») Lanzmann, espèce d’invité d’honneur pour ses Mémoires qui viennent de sortir et que Josyane Savignot a trouvé magnifiquement écrits
A parait-il déclaré, le gros con :
« Le cinéma est le septième art, et Shoah le huitième… »
Renversant, non ?
Nancy Huston, dont je n’ai jamais pu lire un seul livre tant l’aphonie y est de mise,
Sera l’un des clous du spectacle,
Mais moins cependant que la Dombasle lisant la Duras…
Comme je n’ai reçu aucune invitation,
Et qu’avec cinq euros, je préfère boire un petit quart de blanc en bordure de Saône
Plutôt que d’écouter des fadaises ou des choses que je sais déjà,
Dans les remous lascifs et presque gourmands de l’ondoyante rivière,
Je guetterai l’ombre des archevêques ironiques
Ainsi que le rire des baigneuses qui venaient y laver,
Sous leurs regards faussement courroucés,
Leur blanche et délicate peau.
Il y a quand même un avantage des Assises Internationales du Roman sur les Nuits Sonores,
C’est leur discrétion.
Privilège du tittytainment culturel...
Santé !
23:05 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : assises internationales du roman, les subsistances, villa gillet, littérature, la saône, archevêques et jolies filles |
lundi, 25 mai 2009
Zozo, chômeur éperdu
Bertand Redonnet ne manque pas de malice. Zozo, son personnage, est un «vrai visionnaire », nous voici prévenus dès les premières lignes : ce qu’il voit arriver, c’est un monde où chacun sera assigné à sa place par une administration de mieux en mieux organisée ; un monde sans rivière à vairons ni battue aux sangliers ; un monde pour transformer les braconniers de son espèce en une autre espèce d’hommes, une espèce nouvelle de chômeurs -parce que chômeur, ça sonne mieux que sans profession ; un monde qui se met en place vers la fin des années cinquante, au prix de la fin d’un autre, le sien : voilà ce que Zozo, de loin, a vu venir. Chômeur ! Tel est le mot central du titre, et l’on ne comprendra que dans les dernières pages, sur un coup de fourche à fumier aussi imprévu qu’inévitable, pourquoi éperdu.
« Il était le principal personnage de ce drame, après le pendu bien sûr, quoique… » : Bertrand Redonnet signe là une fable, nous dit le quatrième de couverture « sans morale apparente ». Quoique… Les quatre dernières lignes en livrent une, aussi ironique qu’explicite… Que je ne dévoilerai pas, pas davantage que je ne dévoilerai la trajectoire de Zozo, d’arabesque en arabesque, toute tracée.
Pour inscrire sa fable dans l’histoire en marche, Redonnet évoque de ci de là quelques événements : météorologique, comme le mois de février cinquante-six, « alors que le gel mordait la pierre et la terre et que la neige durcie comme une croûte engloutissait le monde depuis des semaines » ; historique, comme le dix-neuf mars 1962, jour des accords d’Evian, ou décembre 1918, année de la de la naissance de son héros peu après l’armistice. Au cours de la narration, quelques dates (62, 64) plantées dans le texte comme des bornes, jalonnent la résistance de Zozo aux assauts des bureaucrates.
Pourtant, bien qu’il ait « la manie des dates et des symboles », le calendrier de Zozo s’écoule en marge du temps des hommes, « selon un ordre bien défini qui, s’il n’était pas réfléchi, n’en était pas moins réglé sur le grand mouvement des choses, en fonction des saisons, les saisons elles-mêmes vécues par rapport aux mois et les mois articulés sur les lunes ». L’histoire de Zozo se déroule dans un pays fait de pommiers de plein-vent, d’allées de noyers et de taillis bourrus, un pays de légende, signe l’éditeur… on a plutôt envie de dire de mémoire, puisque c’était le pays de Genevoix, le même que celui de Giono, que celui de Guilloux. Assurément, Redonnet est de cette écurie-là .
00:05 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : zozo chômeur éperdu, bertrand redonnet, le temps qu'il fait, romans |