samedi, 05 septembre 2009
Jean-Jacques de BOISSIEU
Jean-Jacques de BOISSIEU est né à Lyon en 1736. Son père est un médecin originaire du Forez. L’un de ses ancêtres, Jean de Boissieu, fut secrétaire des Commandements de la reine Marguerite de Valois. Ses parents le destinent à la magistrature, mais lui s’intéresse très tôt à l’Art. Ils se décident alors à le placer sous la direction du peintre Frontier. Le jeune Jean-Jacques fait des progrès rapides et acquiert une grande habileté dans l’imitation des paysagistes hollandais Ruysdaël, Wynants, van de Velde, Karel Dujardin… Sur cette première gravure ci-dessus l'ancien pont de la Guillotière, identifiable avec sa tour de garde,et ses arches ; derrière les remous du Rhône, on voit la façade de l'Hôtel Dieu que Soufflot vient d'achever. En arrière-plan, le mont Fourvière sur lequel se devine le modeste clocher de l'ancienne chapelle.
On le retrouve ensuite à Paris, de 1761 à 1764. Il s'y lie avec divers artistes, dont Vernet, Soufflet, Greuze. Hélas une allergie maladive à l'huile altère sa santé et il doit renoncer à cette technique. C'est la raison pour laquelle il se spécialise dès cette époque dans l'eau-forte. En 1758, il publie à Paris six feuilles de croquis à l'eau-forte sous le titre de Livre de Griffonnements inventés et gravés par de Boissieu. Pour parfaire sa technique, il voyage en Bourgogne puis part en Italie avec le duc de La Rochefoucauld et rencontre des graveurs, dont J.G.Wille. Il en revient avec de multiples eaux-fortes, dessins aux crayons (mine de plomb, sanguine, pierre noire), lavis, représentants des monuments, des paysages campagnards, des intérieurs de fermes et quelques portraits. Dans la collection de l’institut Stade à Francfort sur le Main, on dénombre environ 140 pièces. Ci dessous, le Pont de pierre, gravure de 1799.
Revenu à Lyon, l'aquafortiste poursuit son œuvre artistique avec grand succès : Goethe collectionne ses œuvres, le frère du roi de Prusse vient visiter son atelier, il est reçu à l'Académie de Lyon (1780). Il réalise également quelques planches pour l’Encyclopédie de Diderot.
Tout en habitant Lyon, il acquiert la charge de conseiller du Roi en 1771, trésorier de France au bureau des Finances, et en 1773 épouse Anne Roch de Valous, d'une famille consulaire lyonnaise.
Pendant la Révolution, il est protégé par le peintre Louis David et ses cuivres sont placés « sous la sauvegarde de la loi ». En 1802, il est nommé membre de la commission administrative du Conservatoire des Arts. Il séjourna alors dans son château de Cruzol.
Jean-Jacques de Boissieu est maire de la commune de Lentilly dans le Rhône de 1806 jusqu’à sa mort, le 1er mars 1810.
Ci-dessus, l'autoportrait de l'artiste, ci-dessous, une scène représentant des paysans du Charollais
12:29 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : gravure, peinture, lyon, jean-jacques de boissieu, pont de la guillotière, soufflot |
vendredi, 04 septembre 2009
Palante et l'individualisme
On doit à Stéphane Beau, la réédition chez 1001nuits (octobre 2007) de deux petits essais de Georges Palante, La sensibilité individualiste et Anarchisme et individualisme. Georges Palante, tous les lecteurs de Louis Guilloux le savent, fut le philosophe qui lui inspira le personnage de Cripure du Sang Noir. La rencontre des deux hommes date d’octobre 1916 : Louis Guilloux, alors pion dans le lycée de Sant-Brieuc, lisait la Fin du voyage de Romain Rolland quand le professeur de philosophie, Georges Palante, s’approche et demande au jeune homme s’il consentirait à lui prêter le volume.
Le lendemain, Guilloux porta lui-même le livre chez le professeur. L’amitié naquit.
« Je considère Palante comme mon premier maître ». « Je ne puis imaginer ma personnalité distincte de la sienne » : Dans ses Souvenirs sur Georges Palante et dans L’Herbe d’oubli, Louis Guilloux a souvent rendu compte de sa dette : lui et Palante avaient des «vues communes sur la vie sociale». Dans un dialogue intérieur plein de sérénité, il avoue à celui qui fut le modèle de Cripure : « Ce personnage, ce n’était pas lui, mais nous, lui et moi », ajoutant à l’adresse de son ami suicidé : « tes ennemis ont toujours été les miens ».
Ceux qui se sentent également floués par le socialisme délétère des années quatre-vingts, l'écologie bavarde et électoraliste ainsi que le libéralisme planétaire qu’il aura contribué à mettre sur le trône depuis le début du vingt-et-unième siècle, ceux que ne satisfont ni l’égalitarisme aussi démagogique que nauséeux de la « gauche » ni l’affairisme marchand et revanchard de la « droite », et qui se demandent de quelle façon, tirer leur individu du naufrage collectif verront une planche de salut dans la philosophie individualiste prônée par Palante.
Cet individualisme, le philosophe en dessine les contours dans une résistance de chaque instant aux idéologies dominantes, un vif besoin d’indépendance, un amour pour la culture et la paix, un pragmatisme lucide devant la nature humaine et la société des hommes. Il n’est à confondre ni avec l’égoïsme primaire, ni avec la défense de ses seuls intérêts, ni avec l’anarchisme utopique, ni avec le volontarisme syndical.
C’est avant tout, affirme Palante qui cite abondamment Amiel, Constant et Stendhal, une sensibilité qui affirme l’unicité du moi et se déjoue de toutes les utopies susceptibles de le corrompre. Ces deux textes courts et lisibles de tous, pour la modique somme de 3 euros, constituent donc une introduction accessible à tout lecteur désireux de pénétrer l’œuvre et la pensée de ce philosophe injustement mis à l’index durant tout le vingtième siècle. Merci à Stéphane Beau, dont le site le Grognard est en lien ici, pour cette ré-édition dont la rentrée 2009 doit garder le souvenir.
Liens à suivre : Georges Palante, un précurseur oublié de la sociologie de l'individu, par Stéphane Beau
19:51 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : georges palante, stephane beau, philosophie, littérature, la sensibilité individualiste |
jeudi, 03 septembre 2009
Nous rentrons
On parle de rentrée un peu partout, on parle de la Rentrée, comme si un grand corps indéterminé composé d’une multitude de cellules plus ou moins interchangeables avait regagné depuis peu ses bancs, ses classes, ses bureaux, accomplissant un acte quasi liturgique commandé par un calendrier auquel nous sommes désormais tous rodés.
Ce singulier, encore un effet linguistique de notre façon aveugle et conditionnée d’appréhender le monde. Les journaux ne disent jamais le réel.
Car la rentrée, cela n’existe pas.
En revanche, il y a des rentrées.
Une multitude de rentrées. Un sacré paquet.
Autant de rentrées qu’il y a d’individus. C’est dire.
Hier, j’ai «fait » (abus, partout, du verbe faire : faire un tour, faire la cuisine, faire l’amour, faire des manières, faire la cour, faire semblant, faire peur, faire le ménage, faire la gueule, faire des courses, faire des crasses, faire un cours, faire la rentrée…) mon premier cours de la « nouvelle » année.
Curieuse sensation.
Hésitation entre deux impressions :
La première, comme si monsieur Toto, professeur, qui l’avait mise en veilleuse (sa langue) pendant quelques semaines, la laissait soudain tel un organe indépendant, se remettre en route, et refaire son cirque. Pilotage automatique qui effacerait d’un trait les vacances et leur bénéfice, dans le décor à la fois neutre et si connoté d’une salle de cours… On reprend.
La seconde, comme si cette année était bien une nouvelle année. Dans une situation où la parole est à ce point instrumentalisée, la parole a-t-elle une chance d’être, ne serait-ce qu’un tout petit peu, neuve ? Ne pas rentrer, renaître, dirait Novarina, expert en matière de théâtre de paroles… ou, sans lyrisme excessif, entrer en cours, commencer.
Plus difficile.
Plus souhaitable aussi.
Ce qui est vrai de la parole du professeur l’est aussi de l’écoute des étudiants. Comment écoutent-ils ?
Je le dis souvent, il n’y a pas de bons profs, il n’y a pas de bons élèves, il n’y a que de bonnes rencontres.
Mais c’est de plus en plus difficile, justement, de se rencontrer, dans le magma sociétal où périssent les individus.
Hier, avec le soleil déclinant, je me suis laissé glisser dans le sommeil, comme un enfant. Comme pour rompre avec cette idée de Rentrée qui m'entoure. Ce matin, le jour m’a réveillé.
Individualisme absolu.
Ma façon de rentrer.
09:00 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : valère novarina, littérature, rentrée des classes, politique, société, individualisme |
mercredi, 02 septembre 2009
Saint-Exupéry
Articles sur Saint-Exupéry publiés sur ce blog :
Solitudes de Saint-Exupéry :
http://solko.hautetfort.com/archive/2008/10/07/la-solitud...
La toile souveraine :
http://solko.hautetfort.com/archive/2008/12/18/la-toile-s...
Saint-Exupéry côté jardin :
http://solko.hautetfort.com/archive/2009/07/31/les-etres-...
23:55 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : saint-exupéry, littérature, billets français, écrits de guerre |
Henri Béraud
Les articles consacrés à l'oeuvre Henri Béraud consultables sur ce blog sont des extraits d’un essai non publié, La Force du Temps.
- une biographie commentée :
http://solko.hautetfort.com/archive/2009/01/22/henri-bera...
- une critique de la Gerbe d'Or :
http://solko.hautetfort.com/archive/2009/01/25/la-gerbe-d...
- une critique du Plan Sentimental de la Ville de Paris :
http://solko.hautetfort.com/archive/2009/02/27/plan-senti...
- une critique de son roman Lazare :
http://solko.hautetfort.com/archive/2009/09/08/c3066770e1...
- plusieurs commentaires de la première période de Béraud, dite "lyonnaise" (avant 1914) :
http://solko.hautetfort.com/archive/2008/06/19/comment-pe...
-une lecture de son roman Le Vitriol de Lune
http://solko.hautetfort.com/archive/2007/06/21/la-prose-poetique-de-beraud.html
- un commentaire de trois grands reportages de Béraud (Moscou, Rome, Berlin) :
http://solko.hautetfort.com/archive/2009/03/02/1925-berau...
- François Mauriac et Henri Béraud :
http://solko.hautetfort.com/archive/2010/01/03/francois-m...
- document video :
Lyon, mon pays (enregistrement)
23:32 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, henri béraud, la force du temps, roland thevenet |
mardi, 01 septembre 2009
Fin de l'Odéon ; Mort des CNP ?
Trois cinémas lyonnais sont menacés de fermeture définitive: Pour le premier, l’Odéon de la rue Grolée, c’est déjà fait. Les deux autres, le CNP Bellecour et le CNP Terreaux sont dans l’attente de connaître leur sort.
Pour mémoire, ces salles appartiennent à Galeshka Moravioff depuis 1998 et ont été crées par Roger Planchon sur le modèle du TNP.
Au mois d’août, sur l’ordre de son PDG, et alors que ses employés étaient en congés, l’Odéon de la rue Grolée a été vidé de tous ses sièges et son matériel de projection a été expédié dans une salle marseillaise.
A la suite de cet événement, les employés des CNP ainsi que l’association "les Inattendus" organisent le SAMEDI 5 SEPTEMBRE 2009 une journée de protestation PLACE DES TERREAUX à partir de 9H30.
Voici un extrait de leur appel :
Afin que cette journée soit à la mesure de l'indignation suscitée par la fermeture de l'Odéon et de l'inquiétude ressentie pour le sort des deux autres sites des CNP ainsi que des personnes qui y travaillent, et qu'elle constitue une manifestation marquante et efficace de cette indignation et de cette inquiétude, il faut évidemment qu'elle regroupe un nombre aussi important que possible de participants !
D'autant que, plus généralement, c'est la question de l'existence de cinémas indépendants dans la Presqu'île lyonnaise, mais aussi la pérennité à Lyon de la diffusion de tout un pan du cinéma (qui ne se cantonne pas à l'Art et essai dit « porteur ») que pose cette triste affaire.
Nous en appelons à votre confiance : de concert avec les employés, nous allons tout faire pour que cette journée soit à la fois dynamique, mémorable ET cinéphile ! A la stupéfaction qu'a provoquée la fermeture abrupte de l'Odéon, nous tenterons de répondre par de très heureuses surprises, qui soient à la hauteur de l'amour et de l'admiration qu'on peut porter au travail de transmission cinématographique des CNP.
Nous insistons sur le fait que cet événement se déroulera sur la journée entière, aussi nous vous invitons à la réserver pour celui-ci. Un repas collectif aura lieu à midi : merci de bien vouloir y contribuer en boissons et/ou nourritures terrestres ! Par ailleurs, chacun pourra librement participer aux frais de la journée.
En attendant, vous pouvez émarger au comité de soutien créé par les employés des CNP en vous rendant sur l’un des deux sites encore en activité : le CNP Terreaux (40 rue Président-Edouard-Herriot Lyon 1er, Métro Hôtel de ville) ou le CNP Bellecour (12 rue de la Barre Lyon 2ème, Métro Bellecour).
Si vous ne pouvez pas vous y rendre avant le 5 septembre, voici l’adresse du comité, à laquelle vous pourrez laisser vos nom, prénom, adresse postale et électronique, message de soutien : collectifsoutiencnp@gmail.com
Photo : Le Progrès
19:28 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : galeshka moravioff, cnp odéon, cnp bellecour, cnp terreaux, roger planchon, lyon, cinéma |
lundi, 31 août 2009
Chronique du gras, de l'idiotie, de l'oursin et du prolétaire
« J'étais il y a quelques jours sur les plages de Sète, de plus en plus emplies de familles de gros (voire d'obèses), qui ne se déplacent plus sans un attirail littéralement dément (pliants, parasol, crèmes, serviettes, balles, vêtements de rechange, musique, magazines...) et je pensais à Jules Michelet qui ne venait dans ce genre de lieu qu'avec une plume et une page de papier, pas pour y piailler ou y cuire sur le sable, pas pour y draguer ou y mater ses voisin(e)s, mais pour y comparer par exemple un oursin à un prolétaire (1)ou une baleine (2) à une mère universelle : quels dégâts auront fait, quand même, et la mal-bouffe et cette confusion incessante entre culture et divertissement, me disais-je. »
Consignant à l’instant cette phrase dans un commentaire laissé sur le blog de Bertrand Redonnet à la suite d’un superbe texte de lui sur sa lecture de l’Histoire de la Révolution Française de Jules Michelet, me sont revenues ces images que la société de consommation a faites peu à peu du littoral maritime, si éloignées de celle du rêveur romantique, seul avec son papier, son esprit. Si humain, lui.
Si humain car pour lui (Jules Michelet) les grands événements de l’histoire (Histoire de la Révolution française), les grands éléments (La Mer) et les grands corps sociaux (Le Peuple) avaient le pouvoir métaphorique de se signifier les uns les autres : ainsi, dans l’œuvre de l’historien romantique, le Peuple du dix-neuvième siècle est presque au sens propre un océan, dont le cours est aussi inévitable que ne l’est celui du temps, transformant un moyen âge en renaissance. Il y a ainsi chez Michelet une même vision économique et sociale de la marche du monde, qui embrasse et les grands espaces (La Mer) et les grandes périodes historiques (Moyen Age, Renaissance, Révolution) pour acquérir une véritable valeur poétique et spirituelle, fascinante, vraiment.
Mais je ne veux pas développer outre mesure la poétique de Michelet, j’en serais incapable au-delà de ces quelques généralités et surtout, tel n’est pas le propos de ce billet.
Le propos de ce billet est juste de livrer à vous tous une sorte d’étonnement devant ce peuple d’occidentaux abondamment et si universellement gras (y compris les enfants) du XXIème siècle ; ce peuple vautré sur ces plages du XXIème siècle où l’on rencontre à bien y regarder si peu de lecteurs ; ce peuple littéralement noyé (comme aurait dit Jules) dans la mer du divertissement et dans la graisse de la mal-bouffe.
Georges Pompidou, auteur d’une anthologie de la poésie française qui a fait date, aurait dit que les Français ne lisaient pas assez (je crois que c’est Claude, sa veuve, qui rapporte ces propos) et qu’à l’origine, le centre Pompidou était censé n’être « qu’une bibliothèque, avant de s’ouvrir à d’autres champs disciplinaires ». Il est vrai que jamais, dans l’histoire de l’humanité, la culture n’a été aussi disponible. Il me semble aussi que jamais, dans l’histoire de l’humanité, la culture n’a été autant confondue avec tout et n’importe quoi. Et que jamais, les autorités ou les institutions chargées de la porter aux gens (je pense en premier lieu à l’école) n’ont autant trahi leurs missions.
Ainsi, comme on dit que le design d'une carosserie est poétique, on dit que le très bling bling BEIGDEGGER est un écrivain, ou que la première dame de France est une chanteuse, et autres terrifiants foutages de gueules, comme le fait que les Français seraient des lecteurs.
Et pourtant je ne peux m’empêcher de constater que de la Mer de Michelet à celle de mes contemporains, un océan, si je puis dire, un véritable abîme, pour reprendre les métaphores romantiques, s’est creusé, se creuse encore… Qui fait qu’on croise à Sète (voir billet du jour précédent) des prolétaires embourgeoisés, défaits de tous piquants et armés d'un seul barda photographique, sautant hystériquement d’un cimetière à l’autre, de la tombe de Valéry à celle de Vilar ou de Brassens, sans trop savoir qui est qui, au nom de ce sacro-saint divertissement culturel qui engouffre dans l’’idiotie aussi surement que la malbouffe généralisée dans le gras des êtres dont je ne peux m’empêcher de penser, comme Vilar en son temps, qu’ils méritaient autre chose.
Et c'est ansi que Jules et Alexandre sont grands.
(1) La Mer, folio 1470 – II, 7, « le piqueur de pierres »
(2) La Mer, folio 1470 - II,12, « la baleines »
17:39 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : jules michelet, littérature, malbouffe, divertissement, sète, jean vilar |
dimanche, 30 août 2009
Trompettes de la renommée
Il y a deux choses à voir à Sète. Enfin deux choses parmi d’autres… La mer, diront la plupart, soit. Mais la mer est partout la même et n’est donc ni le plus spécifique ni le meilleur de Sète. Les joutes, diront certains autres. Vrai que la Saint-Louis y est le prétexte à des tournois qui obéissent à la plus stricte tradition. Mais les joutes nautiques sont bien vite répétitives pour le non spécialiste que je suis. Et puis des joutes, n'en déplaise aux sétois, il n'y en a pas qu'à Sète...
Deux choses donc, la chapelle de Notre Dame de La Salette, qui domine la ville et d’où le point de vue est incomparable et, bien sûr, le cimetière marin.
Je ne me suis donc privé ni de l’un ni de l’autre et rapporte, en guise de souvenir quelques propos sur le vif.
Celui d’un curé, tout d’abord, à qui je demandais pourquoi et comment naquit une telle dévotion envers Notre Dame de la Salette, si loin de Corps et de Grenoble, à Sète, quelques années seulement après « l’apparition ». Sa réponse : «la dévotion des sétois à Notre dame de la Salette est due à l’extrême pauvreté des pécheurs de l’époque. Il ne faut pas oublier que l’apparition est contemporaine de la rédaction du manifeste du parti communiste par Marx ! » ( NDLR 1846 et 1847). Devant ce curé sympathique et chaleureux (il m'avoue être en vérité un ch'ti du Nord), je ne peux m'empêcher de penser à Léon Bloy, et à son magnifique Celle qui pleure..., et à son non moins superbe Sang du pauvre...
Ceux de quelques touristes, ensuite. Nous étions quelques-uns, comme en hypnose métaphorique devant « ce toit tranquille où marchent les colombes », la mer surplombant la tombe de Paul Valéry. Passe un premier touriste qui me demande où se trouve la tombe du « poète Brassens » (prononcez avec l’accent anglo-saxon). Lui explique qu’il n’est pas dans le bon cimetière. L’humble troubadour étant, comme nous le rappelle Bertrand en commentaire d’un autre billet, enterré dans un autre lieu que le bon maître. Quelques minutes après, rebelote : deux jeunes filles en quête de Georges. Nous leur montrons la tombe du pauvre Paul. Elles font la moue. La palme (sans jeux de mots) revient à un couple de franchouillards, vers la soixantaine : Brève explication pour leur dire qu’ici c’est le cimetière marin où se trouve inhumé Valéry, mais le type insiste : non, non, n’est-ce pas Brassens qui a écrit le cimetière marin, non ? Nous hésitons à lui expliquer la différence entre un cimetière et une plage, et finissons par lui dire qu’ici, c’est quand même Paul Valéry.
Il zyeute enfin la tombe. Comme les jeunes filles, fait la moue. Et puis du ton du type qui a choisi sa pizza, déclare : « Ah Paul Valéry … non ! »
Je le regarde partir et disparaître sous le toit tranquille ...
Tout cela aurait-il plu à Brassens ?
Pas sûr, pas sûr… Trompettes de la renommée…
La rentrée s'annonce chaude.
19:11 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : georges brassens, paul valéry, sète, notre dame de la salette |
jeudi, 27 août 2009
Bergère, ô Tour Eiffel
« Le billet de 200 francs à l’effigie de Gustave Eiffel (1832-1923) rend hommage au génie créatif et au talent de cet ingénieur à travers son chef-d’œuvre le plus connu, la Tour Eiffel, construite pour l’Exposition universelle de 1889. La Tour Eiffel illustre à merveille la révolution que constitua l’introduction du fer dans l’art de la construction et symbolise l’esprit d’invention et de découverte de la fin du XIXe siècle. »
C'est ainsi que la BdF présente au public l'émission, fin octobre 1996, de son nouveau billet de 200 francs. Il fait partie de la dernière gamme du Franc, gamme hyper sécurisée (filigrane, strap, motifs à couleurs variables, encre incolore brillante, transvision, microlettres, numérotation magnétique, code infrarouge...) où l'on rencontre également le Saint Exupéry, le Cézanne et le Curie.
Ces billets de la dernière série, qui ressemblent à des coffre-fort de papier, sont de véritables allégories de la société qu'on met alors en place, monde de codes, d'alarmes et de surveillance-vidéo : Sont-ils encore des francs ( rappelons que franc signifie libre ) ou déjà des euros ? La question demeure pendante.
Ce que le prospectus de la Banque de France omet de dire, c'est qu'Eiffel et sa Tour ont remplacé in extremis un autre projet consacré aux frères Lumière et au cinéma, projet brusquement abandonné en raison d'une polémique quant à l'attitude des deux frères durant le gouvernement de Vichy.
Au recto, le portrait de Gustave Eiffel se détache devant la silhouette du viaduc de Garabit, construit entre 1880 et 1884 dans le Massif central. Eiffel a la barbe bien coupée et la mèche dynamique des sages élèves de la Modernité. Il regarde vers la gauche (vers le passé, dit-on). De part et d’autre de l’arche métallique du viaduc, des lignes courbes violettes, bleues, rouges et jaunes — inspirées d’une étude aérodynamique du patron — forment des cercles concentriques et symbolisent le mouvement. À l’arrière plan du portrait, on distingue le détail d’une charpente évoquant la Tour Eiffel, dont la structure métallique seule pèse 7.300 tonnes (avec les équipements, le poids total de la Tour s’élève à plus de 10 000 tonnes).
Au verso, une vue de la Tour Eiffel et du Champ de Mars lors de l’Exposition universelle de 1889. Au loin, le dôme du Palais des Beaux-arts ainsi que la verrière de la Galerie des Machines, construite à l’occasion de la même exposition et démolie au début du XXe siècle. En haut, à gauche du filigrane, une partie de la structure métallique de la Tour Eiffel est reproduite de manière symbolique ; lors de la construction de l’ouvrage, 2 500 000 rivets ont été utilisés pour assembler les quelques 18 000 pièces composant l’édifice. Au pied de l'édifice, quelques silhouettes de Parisiens de la Belle Epoque : les messieurs ont des gibus et les dames portent ombrelles et crinolines.
Devant tant de ferraille en hauteur, la bêtise elle-même est devenue lyrique, la sottise a médité, l'étourderie a rêvé; il tombait de là comme un orage d'émotions. On chercha à le détourner, il était trop tard, le succès était venu, écrivit Rémy de Gourmont en 1901 dans Le Chemin de Velours. »
« Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu'ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l'art et de l'histoire français menacés, contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d'esprit de justice, a déjà baptisée du nom de Tour de Babel... » : Tout le monde connait la pétition des artistes contre l'érection de la Tour, qui parut dans le Temps du 14 février 1887, parmi lesquels on retrouve François Coppée, Alexandre Dumas fils, Gérôme, Charles Gounod, Leconte de Lisle, Guy de Maupassant... Dans la polémique qui alors faisait rage, on retrouve toujours la comparaison avec Notre-Dame de Paris, et l’opposition entre leurs hauteurs réciproques, leurs matériaux réciproques – et ce débat entre pierre et fer n’en était qu’à son commencement – leurs structures et leurs rôles dans la cité réciproques. En face de la maison du Seigneur s’élevait en effet la Tour du Commerce universel.
« Nul monument, depuis les cathédrales et peut-être depuis les pyramides, n'a remué comme la tour Eiffel la sensibilité esthétique de l'humanité
Léon Bloy consacre un article entier (qu'on peut trouver dans Belluaires et Porchers) à la promenade qu'il effectua dans les entrailles de cette nouvelle « Babel de Fer » alors qu'elle n'était qu"en cours de construction:
« J’aime Paris qui est le lieu des intelligences et je sens Paris menacé par ce lampadaire véritablement tragique, sorti de son ventre, et qu’on apercevra la nuit de vingt lieues, par-dessus l’épaule des montagnes, comme un fanal de naufrages et de désespoir. J’en appelle, néanmoins l’achèvement de tous mes vœux, parce qu’il faut, une bonne fois, que les prophéties s’accomplissent et parce que j’ai le pressentiment que cette quincaillerie superbe est attendue par les destins.
Ah ! Ce noble Paris, comme il ne sera plus rien du tout, aperçu de cette hauteur ! Il s’humilie déjà bien assez du point où les ferrailleurs sont parvenus. Il lui faudra donc rentrer sous terre, quand on aura boulonné sur son front de gloire quelques dizaines d’arbalétriers de plus.
Et puis cette tour, on ne la sent pas fraternelle comme les autres monuments de Paris. Elle ressemble à une étrangère d’Orient, et on devine qu’elle n’aura jamais pitié de nos pauvres. »
08:40 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : tour eiffel, pétition des artistes, deux-cents francs eiffel, rémy de gourmont, léon bloy, billets français |