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vendredi, 27 février 2009

Plan Sentimental de Paris

Années vingt... La guerre, ses souvenirs font mine de s'estomper de la mémoire des Français. Font mine. Après la Belle Epoque, donc, les Années Folles... Les fractures générationnelles n'ont jamais été si vives, dans ce vieux pays. Les idéologies ressurgissent, les financiers sortent de l'ombre. Paris, certes, Paris... Paris sera toujours Paris, ses boulevards, ses enseignes lumineuses, ses théâtres... version bien frenchie de the show must go on... Alors, soit !  Pigalle et ses bars... Montmartre et sa colline. Le caf-conc'. Le Moulin Rouge... !  «Paris ! Paris, proclame Béraud dans le Plan sentimental de la ville de Paris, on ne le voit et on ne l'aime bien qu'à travers une triste vitre ! ».

Quel lecteur, aujourd'hui, s'intéresserait à ce vieux livre oublié, le premier de la collection « Les Images du temps », publié en 1927 chez un éditeur disparu, du nom de Lapina ?  L'édition de tête comporte une centaine d'unités. Suivent mille exemplaires, sur Vergé de Rives pur chiffon, pas un de plus, chacun dans son étui en carton vert marbré de jaune. La couverture du livre, d'un vert plus pâle, est marbrée de rouge. Titre et marques de l'éditeur sont imprimés en rouge ;  Sur la page de garde, un portrait de l'auteur exécuté en pointe sèche par un certain L. Madrassi,  puis en double page, un fac similé d'un fragment manuscrit signé Henri Béraud. Le Plan Sentimental de Paris est dédié à Marise Dalbret, sa secrétaire, sa maîtresse, sa compagne d'alors.

Le texte se donne à lire comme un jeu, un pari : Prenant pour référence le temps où Jules Laforgue - encore le dix-neuvième, le monde d'hier -  s'exclamait : « Je viens de gagner une gageure. En plein Paris, j'ai passé trois journées sans adresser la parole à mes semblables, sans ouvrir la bouche, seul. Essayez. Vous m'en direz des nouvelles. »,  le narrateur fait mine de relever le défi : Huit nuits, huit nocturnes parisiens, huit errances ambiguës à la manière des Promenades d'un Nerval désinvolte, dans ce Paris des années folles. Huit promenades tout emplies de ce que Béraud appelle, avec une ironie désabusée, un romantisme rhumatismal.

« Les théâtres, les music-halls, les phonos, les cinémas et les bars populaires se jettent à la face, comme des provocations, les feux de leurs enseignes.  C'est, chaque soir, une fête violente et gaillarde comme un carrousel forain. Or cette liesse, je l'ai dédaignée pour entrer sous un porche plein d'ombre, où l'on voyait une à une s'engager des personnes à la contenance grave et méditative. »

C'est le porche du concert Touche, où des instrumentalistes à la vieille mode jouent les compositeurs des siècles précédents : « Ils jouent. Les sonorités frappent les murs comme les parois d'un tombeau. Les auditeurs écoutent pieusement. En passant au contrôle, n'ont-ils pas acheté du rêve ? N'ont-ils pas acquitté le péage de l'oubli ? » La musique suscite en cascade des images intérieures : « Wagner et Berlioz lâchent à pleines brides leurs coursiers. Schumann passe avec une langueur apprêtée sur sa barque de deuil. Franck apparaît dans un clair-obscur flamand, les mains sur le clavier, les yeux fouillant le clair-obscur violet ; et c'est Mozart, souriant à son destin mélancolique ; et c'est le vieux Moussorgsky, enluminé et dévotieux, errant sous la neige devant les portes de Kiew ; et c'est Schubert, dans le petit cabaret viennois, fumant sa pipe, tenant un bouquet de fleurs maladives ; et c'est Duparc, égaré devant un miroir où son passé merveilleux l'entoure comme un fantôme ; et c'est Debussy, le front dans sa main fine, et murmurant l'immortel poème de Mallarmé»

Mais sitôt dans la rue, le beau drame intérieur s'évanouit devant un autre spectacle : Un film qu'on tourne, un peu plus tard, place Pigalle. Se déroule là comme un surplus inutile et accablant de bruits, de lueurs, une surenchère de mouvements, détachés de tout  sentiment profondément ressenti, tel celui que la musique, par exemple, vient de procurer : La lumière électrique, assimilée à la foudre meurtrière, crée une sorte de cercle magique et brûlant où s'agitent des acteurs, assimilés à des ombres illusoires et morbides et d'où les vivants, simples spectateurs endeuillés, réduits en cendres, sont exclus :

« La foule en cercle noir, entourait un espace d'où, vers le ciel et les toits, montait une lueur de foudre. C'était, tout ensemble, aveuglant et lugubre. Tout ce qui ne vivait pas dans la blanche fournaise semblait pétri de suie. Les badauds avaient quelque chose de spectral. D'un porte voix jaillissaient sans relâche les ordres d'un metteur en scène. Alors surgissaient au milieu de l'espace enchanté, des simulacres de noctambules, tous en grand arroi de noces, avec des visages si fardés qu'ils semblent momifiés. Et l'on croyait suivre, en pleine rue, sous les quolibets de Montmartre, un blafard épisode de Pirandello. Quand j'eus assez longtemps joué mon rôle dans ce décor de folie, je partis le long des trottoirs. Au-dessus de ma tête, je voyais le ciel où passaient quelques nuages d'un impassible bleu »


 Ce qui se joue là, c'est bien une forme de résistance intérieure, autant esthétique que spirituelle. A celui qui reproduit des images truquées du réel en donnant ses ordres (le metteur en scène), celui qui décide les mots dont il a charge de nommer le réel (l'écrivain) a fait mine, un instant, de se soumettre. A peine s'est-il écarté de la ronde de lumière industriellement fabriquée que le narrateur regagne le réel, autrement dit le ciel naturel et sa couleur impassible. C'est ici l'écart entre deux formes d'art que le texte stigmatise, l'écart entre deux siècles également. Le cinéma s'apprête à mystifier le sentiment en dupliquant l'illusion. Dès son tournage, il envahit tout l'espace visible de la rue, qu'il truque,  pour ensuite envahir les écrans et les esprits d'une surabondance de sensations, une projection de signes, à l'infini. Cette critique, Béraud qui fut l'un des premiers spectateurs des projections des frères Lumière à Lyon n'est pas le seul écrivain à la formuler alors. Qui croirait aujourd'hui que cette phrase est de Cocteau : « Je plains la jeunesse moderne obligée de n'attendre que des fantômes à la sortie d'un film.» ? (1) L'irruption du parlant (et les chèques que les metteurs en scène en mal de scénarii offriront aux auteurs pour leur faire abandonner de telles réticences) fera changer d'avis beaucoup d'auteurs (Cocteau, Achard, Kessel, Pagnol...). Pas Béraud.  La supériorité incontestable de la musique et de la littérature, c'est qu'elles permettent d'identifier précisément, pour l'heure, la triste vitre de la conscience, au lieu de l'opacifier davantage. Quelle est cette triste vitre ? L'expérience collective qui, après avoir détruit un monde, s'ingénie à l'effacer. Alors le narrateur entraîne son  lecteur au récital d'un revenant tout chargé, lui, de sentiments : Aristide Bruant :

« C'est lui. C'est Bruant. Il n'a pas vieilli, il s'est réduit, il s'est raccourci, il s'est tassé. On gardait le souvenir d'une espèce de Goliath faubourien, large de gueule et de poitrail. Voilà que l'on a devant soi un vieux sec et fier (...) Il était le vengeur de la plèbe et de la canaille. Sa chemise rouge ne date-t-elle pas d'un temps où l'on venait à peine d'amnistier les dernières pétroleuses et les forçats de la Commune ? La gouaille et le poing levé de Bruant, c'était, aux années quatre-vingts, entre les funérailles de Blanqui et le Boulangisme, un peu de la sourde rancune populaire. Cela venait des bas-fonds. Cela préparait la folie dynamiteuse de 1892, cela sentait l'alcool, le coaltar  des prisons, le panier sanglant de la guillotine, c'était le cri de la vieille misère, mis en complaintes. Mais quelles complaintes ! Au lieu de lamenter le trépas de quelque bourgeois sans aventures, elles psalmodiaient l'âme des garces et des poisses. »

Il n'est jamais, chez Béraud, de revenant par hasard. Cette apparition inattendue sert à nommer précisément la réalité d'un certain type de rapport au lieu et à l'époque, qu'un rétrécissement fantastique qui procède de la modernité réduit à n'être qu'un simple espace et un moment banal. Bruant, plus qu'un homme, est une incarnation de la durée, au sens propre. De la durée du monde avant le cataclysme. De la guerre, il n'est pas vraiment question. Pourtant, le temps qu'on y a passé, la conscience du temps de paix qu'on y a perdu, affleure à chaque page, tel un trou noir que rien n'illumine dans la fête, au détour d'une comparaison, d'une métaphore. Ce temps qui ne se peut récupérer, ce vide que rien ne peut combler, ce cœur volé, fondent en creux toute la poétique de la description.

La critique du cinéma s'accompagne d'une critique virulente du tourisme. Les touristes (on disait, à l'époque, les étrangers), pas plus que les acteurs, n'ont de liens sentimentaux avec le lieu qui les entoure. Alors, que font-ils dans ce Paris décidément dénaturé, ivre de nouveautés et oublieux de son romantisme ? Produits littéralement de la vitesse (véhiculés par des bagnoles), ils consomment (déjà !) de l'alcool, des filles ou de la coco. Leurs attitudes grossières, assimilées à celles des colons, les rendent pareils à des clichés de magazines ou à des photomontages. Des garces et des poisses, il y en a toujours, certes, mais la vitesse a transformé leurs contours. Comme les personnages de la quatrième nuit ont charge de le démontrer, ils n'ont désormais plus la même signification poétique, car ils ne s'incarnent que dans l'instant insignifiant de la mode.  Aussi le narrateur oppose t-il une même résistance aux convives du réveillon de Babel qu'aux protagonistes du tournage. Acteurs et touristes : c'est la mort du Montmartre historique, le pastiche du sentiment intérieur, le travestissement de la réalité :

« Trois heures durant, j'ai, dans les remous de ce cosmopolis, mené mon ombre flâneuse et morose. J'étais un indigène, que mille colons en liesse bousculaient pour courir après les filles de chez nous. Rien que des étrangers véhiculés par des Russes dans les bagnoles nocturnes, et jetés par  escouades à des barmen venus en cargo de Smyrne ou du Pirée et qui se disent italiens. Il y avait, parmi les clients, des besicles d'écailles et des crânes ras, photos de magazines new-yorkais et dessins de Grosz. L'œil le moins exercé s'y retrouvait vite. Certains peuples ont leur drapeau sur la figure. Mais il y avait aussi les petites nations, qui, disposant enfin d'elles-mêmes, en profitent pour dresser sur la Butte une tour de Babel cimentée à la coco. Tous ces gens nous font un Montmartre désert et comme absent sous le va-et-vient d'une foule sans nombre - comme un cadavre est bien mort sous le grouillement de la vermine ».

Partout où le portent ses pas, il enregistre « les aspects d'un temps nouveau qui n'est déjà plus notre temps ». Un revenant, oui, tel le François Vernay de son Voyage d'avant guerre l'était autour du Cheval de bronze. A quarante ans ! Un revenant à la recherche de ses semblables, que l'hallucinant modernisme du spectacle qui règne un peu partout ne suffit pas à divertir. Qu'y manque-t-il ?

« Le sentiment est, en littérature, plus mort que la description. On est sec ou on ne l'est pas »(huitième nuit) . Le sentiment ! C'était le maître mot des Lumières, de Diderot, de Rousseau... Puis ce fut celui de Chateaubriand, de Hugo, de Nerval. C'est le maître mot de ce Plan. Bruant, dernier héritier du sentiment ? La chanson de Bruant, insiste Béraud, « c'est la chanson des pauvres » et sa rudesse cache « un cœur qui bat, en vérité, selon l'inimitable rythme du cœur populaire » Déjà Michelet, dans sa préface du Peuple, avait montré des réticences à l'égard des écrivains à longues figures qui, sans daigner avertir qu'ils peignaient l'exception, avaient détourné les yeux du sentiment pour les porter vers le fantastique, le violent, le bizarre, l'exceptionnel : « Un trait éminent, capital, note-t-il, qui m'a toujours frappé le plus, dans ma longue étude du peuple, c'est que parmi les désordres de l'abandon, les vices de la misère, j'y trouvais une richesse de sentiments et une bonté de cœur très rares dans les classes riches. Tout le monde, au reste, a pu l'observer ; à l'époque du choléra, qui a adopté les enfants orphelins ? Les pauvres. »  Alors ? Avec une amère perspicacité historique, égaré parmi les plus jeunes, l'ancien combattant dont les cadets (déjà) se moquent perçoit qu'il est, malgré lui, un fantôme issu de ce dix-neuvième siècle tout embelli par la romance, sous des éclairages bariolés et multicolores et devant des machines à sous où des fiers à bras étrangers au sentiment s'exercent au bluff du biceps. Ancien, à quarante ans, alors que sa carrière n'a réellement débuté que depuis cinq maigres années...

Au centre de l'ouvrage,  une adresse à ces cadets aussi fiers qu'imbéciles, qui dépasse de loin la simple réflexion d'un moraliste ou la lamentation décadente d'un bel esprit. « Vous n'aurez jamais mon âge, puisque nous ne l'aurons pas ensemble ». Quelle formule ! Ne pas avoir le même âge, quand l'Histoire vient de se manifester avec une telle force, c'est n'être pas marqué du même destin; ne pas décrypter de la même façon les éléments du réel, parce qu'une fracture générationnelle a douloureusement coupé le monde en deux : « Ne serait-ce pas, ce dépaysement, le plus aride sacrifice que le destin exige de la génération sacrifiée ?  Il y a eu, dans la vie du monde, un arrêt brusque, qui a jeté les uns dans les autres quadragénaires et moins de trente ans, et les voilà qui se frôlent et s'entre-regardent comme des étrangers. »

Le Plan sentimental s'achève sur un constat sévère : La guerre, le cinéma et le dollar ont créé un nouveau monde, un monde nouveau d'où le sentiment  s'est  écarté. A force de se voir méprisé, le sentiment a déserté la jeune génération. Le nouvel "enfant du siècle" sera donc un goujat aspirant à la possession d'une grand sport dont il deviendra le maître froid et réaliste. Pour lui, le geste désinvolte du payeur contiendra tous les émois de l'univers : « Il n'y aura qu'un langage, et même qu'un propos : Mademoiselle, je ne suis pas n'importe qui; je gagne de l'argent et j'ai ma voiture ! Bon. Mais après ? »  Un enfer, ce monde en gestation ? A Béraud, le mot de la fin : « Non point. A qui sait rêver, il n'est point de villes mortes. Tout seigneur possède le pouvoir de ressusciter le passé, s'il apporte en ses dispositions quelque soin. Oserons-nous dire quelque méthode ? Paris est plein de vieux chuchotements; mais il faut tendre l'oreille. Et quand on a trouvé un fantôme, il faut le suivre pas à pas, au travers de cent remous confus, sans se demander où l'on va. Le grand art, c'est d'avoir confiance en ses phantasmes. »

Années vingt... La guerre, ses souvenirs font mine de s'estomper de la mémoire des Français. Font mine. Après la Belle Epoque, donc, les Années Folles... Les fractures générationnelles n'ont jamais été si vives, dans ce vieux pays. Les idéologies ressurgissent, les financiers sortent de l'ombre. Paris, certes, Paris... Paris sera toujours Paris, ses boulevards, ses enseignes lumineuses, ses théâtres... version bien frenchie de the show must go on... Alors, soit !  Pigalle et ses bars... Montmartre et sa colline. Le caf-conc'. Le Moulin Rouge... !  «Paris ! Paris, proclame Béraud dans le Plan sentimental de la ville de Paris, on ne le voit et on ne l'aime bien qu'à travers une triste vitre ! ».

Quel lecteur, aujourd'hui, s'intéresserait à ce vieux livre oublié, le premier de la collection « Les Images du temps », publié en 1927 chez un éditeur disparu, du nom de Lapina ?  L'édition de tête comporte une centaine d'unités. Suivent mille exemplaires, sur Vergé de Rives pur chiffon, pas un de plus, chacun dans son étui en carton vert marbré de jaune. La couverture du livre, d'un vert plus pâle, est marbrée de rouge. Titre et marques de l'éditeur sont imprimés en rouge ;  Sur la page de garde, un portrait de l'auteur exécuté en pointe sèche par un certain L. Madrassi,  puis en double page, un fac similé d'un fragment manuscrit signé Henri Béraud. Le Plan Sentimental de Paris est dédié à Marise Dalbret, sa secrétaire, sa maîtresse, sa compagne d'alors.

Le texte se donne à lire comme un jeu, un pari : Prenant pour référence le temps où Jules Laforgue - encore le dix-neuvième, le monde d'hier -  s'exclamait : « Je viens de gagner une gageure. En plein Paris, j'ai passé trois journées sans adresser la parole à mes semblables, sans ouvrir la bouche, seul. Essayez. Vous m'en direz des nouvelles. »,  le narrateur fait mine de relever le défi : Huit nuits, huit nocturnes parisiens, huit errances ambiguës à la manière des Promenades d'un Nerval désinvolte, dans ce Paris des années folles. Huit promenades tout emplies de ce que Béraud appelle, avec une ironie désabusée, un romantisme rhumatismal.

« Les théâtres, les music-halls, les phonos, les cinémas et les bars populaires se jettent à la face, comme des provocations, les feux de leurs enseignes.  C'est, chaque soir, une fête violente et gaillarde comme un carrousel forain. Or cette liesse, je l'ai dédaignée pour entrer sous un porche plein d'ombre, où l'on voyait une à une s'engager des personnes à la contenance grave et méditative. »

C'est le porche du concert Touche, où des instrumentalistes à la vieille mode jouent les compositeurs des siècles précédents : « Ils jouent. Les sonorités frappent les murs comme les parois d'un tombeau. Les auditeurs écoutent pieusement. En passant au contrôle, n'ont-ils pas acheté du rêve ? N'ont-ils pas acquitté le péage de l'oubli ? » La musique suscite en cascade des images intérieures : « Wagner et Berlioz lâchent à pleines brides leurs coursiers. Schumann passe avec une langueur apprêtée sur sa barque de deuil. Franck apparaît dans un clair-obscur flamand, les mains sur le clavier, les yeux fouillant le clair-obscur violet ; et c'est Mozart, souriant à son destin mélancolique ; et c'est le vieux Moussorgsky, enluminé et dévotieux, errant sous la neige devant les portes de Kiew ; et c'est Schubert, dans le petit cabaret viennois, fumant sa pipe, tenant un bouquet de fleurs maladives ; et c'est Duparc, égaré devant un miroir où son passé merveilleux l'entoure comme un fantôme ; et c'est Debussy, le front dans sa main fine, et murmurant l'immortel poème de Mallarmé»

Mais sitôt dans la rue, le beau drame intérieur s'évanouit devant un autre spectacle : Un film qu'on tourne, un peu plus tard, place Pigalle. Se déroule là comme un surplus inutile et accablant de bruits, de lueurs, une surenchère de mouvements, détachés de tout  sentiment profondément ressenti, tel celui que la musique, par exemple, vient de procurer : La lumière électrique, assimilée à la foudre meurtrière, crée une sorte de cercle magique et brûlant où s'agitent des acteurs, assimilés à des ombres illusoires et morbides et d'où les vivants, simples spectateurs endeuillés, réduits en cendres, sont exclus :

« La foule en cercle noir, entourait un espace d'où, vers le ciel et les toits, montait une lueur de foudre. C'était, tout ensemble, aveuglant et lugubre. Tout ce qui ne vivait pas dans la blanche fournaise semblait pétri de suie. Les badauds avaient quelque chose de spectral. D'un porte voix jaillissaient sans relâche les ordres d'un metteur en scène. Alors surgissaient au milieu de l'espace enchanté, des simulacres de noctambules, tous en grand arroi de noces, avec des visages si fardés qu'ils semblent momifiés. Et l'on croyait suivre, en pleine rue, sous les quolibets de Montmartre, un blafard épisode de Pirandello. Quand j'eus assez longtemps joué mon rôle dans ce décor de folie, je partis le long des trottoirs. Au-dessus de ma tête, je voyais le ciel où passaient quelques nuages d'un impassible bleu »

Ce qui se joue là, c'est bien une forme de résistance intérieure, autant esthétique que spirituelle. A celui qui reproduit des images truquées du réel en donnant ses ordres (le metteur en scène), celui qui décide les mots dont il a charge de nommer le réel (l'écrivain) a fait mine, un instant, de se soumettre. A peine s'est-il écarté de la ronde de lumière industriellement fabriquée que le narrateur regagne le réel, autrement dit le ciel naturel et sa couleur impassible. C'est ici l'écart entre deux formes d'art que le texte stigmatise, l'écart entre deux siècles également. Le cinéma s'apprête à mystifier le sentiment en dupliquant l'illusion. Dès son tournage, il envahit tout l'espace visible de la rue, qu'il truque,  pour ensuite envahir les écrans et les esprits d'une surabondance de sensations, une projection de signes, à l'infini. Cette critique, Béraud qui fut l'un des premiers spectateurs des projections des frères Lumière à Lyon n'est pas le seul écrivain à la formuler alors. Qui croirait aujourd'hui que cette phrase est de Cocteau : « Je plains la jeunesse moderne obligée de n'attendre que des fantômes à la sortie d'un film.» ? (1) L'irruption du parlant (et les chèques que les metteurs en scène en mal de scénarii offriront aux auteurs pour leur faire abandonner de telles réticences) fera changer d'avis beaucoup d'auteurs (Cocteau, Achard, Kessel, Pagnol...). Pas Béraud.  La supériorité incontestable de la musique et de la littérature, c'est qu'elles permettent d'identifier précisément, pour l'heure, la triste vitre de la conscience, au lieu de l'opacifier davantage. Quelle est cette triste vitre ? L'expérience collective qui, après avoir détruit un monde, s'ingénie à l'effacer. Alors le narrateur entraîne son  lecteur au récital d'un revenant tout chargé, lui, de sentiments : Aristide Bruant :

« C'est lui. C'est Bruant. Il n'a pas vieilli, il s'est réduit, il s'est raccourci, il s'est tassé. On gardait le souvenir d'une espèce de Goliath faubourien, large de gueule et de poitrail. Voilà que l'on a devant soi un vieux sec et fier (...) Il était le vengeur de la plèbe et de la canaille. Sa chemise rouge ne date-t-elle pas d'un temps où l'on venait à peine d'amnistier les dernières pétroleuses et les forçats de la Commune ? La gouaille et le poing levé de Bruant, c'était, aux années quatre-vingts, entre les funérailles de Blanqui et le Boulangisme, un peu de la sourde rancune populaire. Cela venait des bas-fonds. Cela préparait la folie dynamiteuse de 1892, cela sentait l'alcool, le coaltar  des prisons, le panier sanglant de la guillotine, c'était le cri de la vieille misère, mis en complaintes. Mais quelles complaintes ! Au lieu de lamenter le trépas de quelque bourgeois sans aventures, elles psalmodiaient l'âme des garces et des poisses. »

Il n'est jamais, chez Béraud, de revenant par hasard. Cette apparition inattendue sert à nommer précisément la réalité d'un certain type de rapport au lieu et à l'époque, qu'un rétrécissement fantastique qui procède de la modernité réduit à n'être qu'un simple espace et un moment banal. Bruant, plus qu'un homme, est une incarnation de la durée, au sens propre. De la durée du monde avant le cataclysme. De la guerre, il n'est pas vraiment question. Pourtant, le temps qu'on y a passé, la conscience du temps de paix qu'on y a perdu, affleure à chaque page, tel un trou noir que rien n'illumine dans la fête, au détour d'une comparaison, d'une métaphore. Ce temps qui ne se peut récupérer, ce vide que rien ne peut combler, ce cœur volé, fondent en creux toute la poétique de la description.

La critique du cinéma s'accompagne d'une critique virulente du tourisme. Les touristes (on disait, à l'époque, les étrangers), pas plus que les acteurs, n'ont de liens sentimentaux avec le lieu qui les entoure. Alors, que font-ils dans ce Paris décidément dénaturé, ivre de nouveautés et oublieux de son romantisme ? Produits littéralement de la vitesse (véhiculés par des bagnoles), ils consomment (déjà !) de l'alcool, des filles ou de la coco. Leurs attitudes grossières, assimilées à celles des colons, les rendent pareils à des clichés de magazines ou à des photomontages. Des garces et des poisses, il y en a toujours, certes, mais la vitesse a transformé leurs contours. Comme les personnages de la quatrième nuit ont charge de le démontrer, ils n'ont désormais plus la même signification poétique, car ils ne s'incarnent que dans l'instant insignifiant de la mode.  Aussi le narrateur oppose t-il une même résistance aux convives du réveillon de Babel qu'aux protagonistes du tournage. Acteurs et touristes : c'est la mort du Montmartre historique, le pastiche du sentiment intérieur, le travestissement de la réalité :

« Trois heures durant, j'ai, dans les remous de ce cosmopolis, mené mon ombre flâneuse et morose. J'étais un indigène, que mille colons en liesse bousculaient pour courir après les filles de chez nous. Rien que des étrangers véhiculés par des Russes dans les bagnoles nocturnes, et jetés par  escouades à des barmen venus en cargo de Smyrne ou du Pirée et qui se disent italiens. Il y avait, parmi les clients, des besicles d'écailles et des crânes ras, photos de magazines new-yorkais et dessins de Grosz. L'œil le moins exercé s'y retrouvait vite. Certains peuples ont leur drapeau sur la figure. Mais il y avait aussi les petites nations, qui, disposant enfin d'elles-mêmes, en profitent pour dresser sur la Butte une tour de Babel cimentée à la coco. Tous ces gens nous font un Montmartre désert et comme absent sous le va-et-vient d'une foule sans nombre - comme un cadavre est bien mort sous le grouillement de la vermine ».

Partout où le portent ses pas, il enregistre « les aspects d'un temps nouveau qui n'est déjà plus notre temps ». Un revenant, oui, tel le François Vernay de son Voyage d'avant guerre l'était autour du Cheval de bronze. A quarante ans ! Un revenant à la recherche de ses semblables, que l'hallucinant modernisme du spectacle qui règne un peu partout ne suffit pas à divertir. Qu'y manque-t-il ?

« Le sentiment est, en littérature, plus mort que la description. On est sec ou on ne l'est pas »(huitième nuit) . Le sentiment ! C'était le maître mot des Lumières, de Diderot, de Rousseau... Puis ce fut celui de Chateaubriand, de Hugo, de Nerval. C'est le maître mot de ce Plan. Bruant, dernier héritier du sentiment ? La chanson de Bruant, insiste Béraud, « c'est la chanson des pauvres » et sa rudesse cache « un cœur qui bat, en vérité, selon l'inimitable rythme du cœur populaire » Déjà Michelet, dans sa préface du Peuple, avait montré des réticences à l'égard des écrivains à longues figures qui, sans daigner avertir qu'ils peignaient l'exception, avaient détourné les yeux du sentiment pour les porter vers le fantastique, le violent, le bizarre, l'exceptionnel : « Un trait éminent, capital, note-t-il, qui m'a toujours frappé le plus, dans ma longue étude du peuple, c'est que parmi les désordres de l'abandon, les vices de la misère, j'y trouvais une richesse de sentiments et une bonté de cœur très rares dans les classes riches. Tout le monde, au reste, a pu l'observer ; à l'époque du choléra, qui a adopté les enfants orphelins ? Les pauvres. »  Alors ? Avec une amère perspicacité historique, égaré parmi les plus jeunes, l'ancien combattant dont les cadets (déjà) se moquent perçoit qu'il est, malgré lui, un fantôme issu de ce dix-neuvième siècle tout embelli par la romance, sous des éclairages bariolés et multicolores et devant des machines à sous où des fiers à bras étrangers au sentiment s'exercent au bluff du biceps. Ancien, à quarante ans, alors que sa carrière n'a réellement débuté que depuis cinq maigres années...

Au centre de l'ouvrage,  une adresse à ces cadets aussi fiers qu'imbéciles, qui dépasse de loin la simple réflexion d'un moraliste ou la lamentation décadente d'un bel esprit. « Vous n'aurez jamais mon âge, puisque nous ne l'aurons pas ensemble ». Quelle formule ! Ne pas avoir le même âge, quand l'Histoire vient de se manifester avec une telle force, c'est n'être pas marqué du même destin; ne pas décrypter de la même façon les éléments du réel, parce qu'une fracture générationnelle a douloureusement coupé le monde en deux : « Ne serait-ce pas, ce dépaysement, le plus aride sacrifice que le destin exige de la génération sacrifiée ?  Il y a eu, dans la vie du monde, un arrêt brusque, qui a jeté les uns dans les autres quadragénaires et moins de trente ans, et les voilà qui se frôlent et s'entre-regardent comme des étrangers. »

Le Plan sentimental s'achève sur un constat sévère : La guerre, le cinéma et le dollar ont créé un nouveau monde, un monde nouveau d'où le sentiment  s'est  écarté. A force de se voir méprisé, le sentiment a déserté la jeune génération. Le nouvel "enfant du siècle" sera donc un goujat aspirant à la possession d'une grand sport dont il deviendra le maître froid et réaliste. Pour lui, le geste désinvolte du payeur contiendra tous les émois de l'univers : « Il n'y aura qu'un langage, et même qu'un propos : Mademoiselle, je ne suis pas n'importe qui; je gagne de l'argent et j'ai ma voiture ! Bon. Mais après ? »  Un enfer, ce monde en gestation ? A Béraud, le mot de la fin : « Non point. A qui sait rêver, il n'est point de villes mortes. Tout seigneur possède le pouvoir de ressusciter le passé, s'il apporte en ses dispositions quelque soin. Oserons-nous dire quelque méthode ? Paris est plein de vieux chuchotements; mais il faut tendre l'oreille. Et quand on a trouvé un fantôme, il faut le suivre pas à pas, au travers de cent remous confus, sans se demander où l'on va. Le grand art, c'est d'avoir confiance en ses phantasmes. »

(1) Jean Cocteau, Portraits, Souvenirs, Cahiers Rouges, Grasset, Paris, octobre 1984

 

 

17:37 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : henri béraud, littérature, plan sentimental de paris, musique, concert touche | | |

Commentaires

Je découvre ce billet à l'instant ; il est 17 H ; je le lirai attentivement ce soir, tard, et je m'en impatiente déjà.
C'est une belle émotion de voir cette chronique du "Plan sentimental de Paris" sur l'écran. Et je voulais déjà vous remercier de cela.

Écrit par : michèle pambrun | vendredi, 27 février 2009

Eblouissants d'un bout à l'autre: le billet, Béraud, et l'âme des garces et des poisses.Bonne journée Solko.

Écrit par : Sophie L.L | samedi, 28 février 2009

" Les idéologies ressurgissent (il était temps), les financiers sortent de l'ombre" ... Et oui, car nous avons dormi, dûment anesthésiés par cette société de consommation destinée aux myopes mais tout se paie un jour ou l'autre.
La vie de ceux qui habitent dans ces pays dits riches (notre vie) fut conçue comme un crédit revolving ... c'est à la longue que cela finit par coûter très cher, bien au dessus du prix réel !

" En plein Paris, j'ai passé trois journées sans adresser la parole à mes semblables, sans ouvrir la bouche, seul. Essayez. Vous m'en direz des nouvelles. "

Ce qui - hier, était inconcevable est devenu banal aujourd'hui. Le contact humain a disparu des grandes villes, nous sommes devenus des ombres qui se croisent, se regardant à peine, chacun vivant (ou survivant) enfermé dans sa bulle.
Or, si les idéologies ressurgissent en dépit de tout le danger qu'elles véhiculent cela prouve aussi qu'un rebondissement conséquence d'une prise de conscience n'est pas exclu. Chaque tunnel a une fin, non ?

Écrit par : simone. | samedi, 28 février 2009

Vous donnez vraiment envie de lire ce Béraud. Merci.

Écrit par : Pascal Adam | samedi, 28 février 2009

Cette phrase qui sera toujours là, après qu'on l'a entendue : " Vous n'aurez jamais mon âge, puisque nous ne l'aurons pas ensemble." M'a assaillie dès le réveil, ce matin.

Vous avez l'art, Solko, de faire sortir d'une oeuvre une quantité de choses.

Quel lecteur aujourd'hui s'intéresserait à ce vieux livre oublié (...), dites-vous ? Mais nous ! nous, qui rêvons de tenir ce livre à la couverture vert pâle marbrée de rouge et de voir sur la page de garde ce portrait de l'auteur "exécuté en pointe sèche par un certain L. Madrassi".
Je me demande si Mère Grand a aussi ce livre-là, l'un de ces mille exemplaires qui ont suivi les cent de l'édition de tête.

Je ne sais plus quel écrivain, peut-être Michaux, à une certaine époque de sa vie de travail, s'imposait un jour par semaine sans parler à quiconque.

Dans les 38 pages de "Promenades et souvenirs" de Nerval ( en pdf, sur Publie.net, chez François Bon, www.tierslivre.net ), à Nerval cherchant à se loger à Paris, le propriétaire d'un logement "au-dessous de trois cents francs", demande : "Avez-vous un état pour lequel il faut du jour ?"

C'est réconfortant cette liberté intérieure de Béraud, cette "forme de résistance intérieure, autant esthétique que spirituelle", ainsi que vous l'écrivez.
Une sorte de dromologue avant l'heure. Faisant une critique de la vitesse qui instaure un autre rapport au temps et à l'espace.
Alors qu'une guerre mondiale de quatre longues années a décimé le pays et que les Années folles des années vingt sont destinées à faire oublier la folie meurtière des hommes, Béraud lui n'oublie rien et certainement pas "le temps de paix perdu".

Sa critique du cinéma, sa critique des "touristes" (quand j'étais môme, les touristes c'étaient les "couillès") - les touristes qui n'ont aucun lien avec les lieux dans lesquels ils sont touristes - sa critique est liée, me semble-t-il, au désir chez lui de dire le réel, de refuser le simulacre.

Cela me ramène au Nerval des "Nuits d'octobre" lorsqu'il dit : "Qu'ils sont heureux les Anglais de pouvoir écrire et lire des chapitres d'observation dénués de tout alliage d'invention romanesque ! A Paris on nous demanderait que cela fût semé d'anecdotes et histoires sentimentales - se terminant soit par une mort, soit par un mariage. - L'intelligence réaliste de nos voisins se contente du vrai absolu."

François Bon écrivait : "Un chef-d'oeuvre a tôt fait de sortir, quand une interprétation vraie lui rend sa beauté."
C'est le travail que vous faites, Solko. Reconnaissance infinie.

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 01 mars 2009

Voilà que j'attribue à François Bon une phrase de Marcel Proust !
J'écrivais mon commentaire à 2h du mat., mais quand même ! Bref j'ai eu un doute tout à l'heure et après vérification, "Un chef-d'oeuvre a tôt fait de sortir, quand une interprétation vraie lui rend sa beauté", c'est dans le chapitre sur Sylvie de Nerval dans le " Contre Sainte-Beuve".
Ma confusion, parce que j'avais lu du François Bon sur "Les Promenades" dans le même temps.
Et bien que FB connaisse Proust, sans doute pas par coeur comme il connaît Rabelais, Balzac ou Baudelaire et tant d'autres, son écriture est une voix qu'on ne peut confondre.

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 01 mars 2009

@ Pascal : Lisez-le. A l'heure actuelle, il faut lire Béraud.

Écrit par : solko | dimanche, 01 mars 2009

@ Michèle : Béraud a été un très grand lecteur de Nerval. Et dans une certaine mesure, un continuateur quelque peu anachronique. Son "romantisme rhumatismal" est une trouvaille. J'aurais l'occasion d'en reparler dans d'autres billets. En réalité, je publie sur ce blog des bribes d'un essai sur lui, sur l'oeuvre entière, que j'ai passée deux ans à lire et à commenter. Votre réaction, comme celles d'autres lecteurs, m'encourage à retravailler cet essai. Je reprendrai des billets sur "Lazare", un roman contemporain du "plan sentimental", les livres de reportages qui sont d'un intérêt historique indéniable ("Ce que j'ai vu à Rome, à Berlin, à Moscou, Le feu qui couve, les rendez-vous européens"). Et puis le grand Béraud romanesque, qui se bat contre la modernité des "gallimardeux" et les "gidards", non seulement dans la croisade des longues figures, mais en écrivant "la conquête du pain", une trilogie que clôt le magnifique "ciel de suie". Et puis la suite de la Gerbe d'or, "qu'as tu fait de ta jeunesse", "les derniers beaux jours". Vous m'encouragez vraiment, car j'ai souvent eu l'impression, pardonnez-moi, que tout cela n'intéresserait plus grand monde à l'heure du littéralement correct et du commercialement littéraire. Altération due, sans doute, à ce métier que j'exerce, à l'époque majoritairement défaite de son passé et si inculte, aussi. Merci beaucoup de vos longs et attentifs commentaires.

Écrit par : solko | dimanche, 01 mars 2009

On ne peut pas s'intéresser à ce qu'on ne connaît pas. A ce dont on ignore l'existence.
C'est pourquoi votre travail est si précieux, et je suis incapable de m'expliquer quel heureux phénomène a fait que je me suis mise à lire vos chroniques sur Béraud.
Je suis restée assez longtemps à regarder ce site qui parlait de questions auxquelles je ne connaissais strictement rien et dont j'avais fini par penser que cela ne me concernait pas.
Je crois bien qu'une de mes entrées a été vos billets sur les Anciens Francs et déjà Béraud donc, quand on lit l'extrait en exergue, tiré de "Ce que j'ai vu à Rome" 1929.
Puis j'ai lu vos deux nouvelles, "Le Dernier Franc" et "Un Pascal sans la neige". Et là j'étais cuite. Et fière de l'être. Fière d'être tout à coup de cet endroit, comme on peut être fier d'avoir osé s'élancer à l'élastique dans le vide. (Autant prendre un exemple bien impossible).
Quel intérêt de décrire ce cheminement ? Celui de montrer (à peine, car est-on capable de donner les raisons profondes ) comment les choses arrivent, que rien n'est jamais perdu.
Et lire Béraud est devenu bien vital, mais je sais aussi que sans votre travail, sans vos chroniques, jamais je ne serais allée le lire.
Alors oui, c'est une immense chance que vous continuiiez à porter ce travail sous nos yeux et ce serait justice et aboutissement normal que cet essai voie le jour en édition papier. Et qu'il provoque la réédition de cette oeuvre.
Mère Grand a tout lu de Béraud. Et quand je pense qu'elle a peut-être tous ses livres...
Je me demande, ces exemplaires de chaque titre, où ils sont, chez qui, quelle étagère, quel grenier, quelle malle.
Quand je pense que dans une bibliothèque (que je ne désignerai pas) on m'a dit que Vitriol-de-lune était parti au pilon, j'ai envie de hurler. Quand j'ai demandé comment il fallait faire pour "sauver" des livres, je n'ai obtenu aucune réponse, de la sidération tout au plus.

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 01 mars 2009

Les bibliothèques mettent les livres au pilon ? Pourquoi pas revenir aux autodafés tant qu'ils y sont !!! " coupables de ne pas avoir été suffisamment demandés, j'imagine ? Quelle époque ! Si en plus des libraires, les bibliothèques pratiquent la course en avant, la culture est cuite ...

Écrit par : simone | dimanche, 01 mars 2009

Débarrasser les étagères de livres devenus encombrants, faire de la place, ils appellent cela le "désherbage".
Pour le pilon, je me rappelle avoir vu jouer à Avignon une pièce de Bohumil Hrabal, dont le titre m'échappe et qui montrait un homme dont le boulot était de pilonner des livres. Terrible. C'était joué par René Gouzenne, directeur aujourd'hui décédé, de La Cave Poésie à Toulouse.

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 01 mars 2009

"Une trop bruyante solitude" de l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal.

Écrit par : michèle p. à simone | dimanche, 01 mars 2009

Exact. C'était un monologue (autant que je me souvienne) mais il s'agissait de livres ou de revues ? Je ne crois pas m'être procuré le texte et la scénographie avait empilé des masses de vieux journaux.
Amélie Nothomb a en quelque sorte repris le thème avec Les Combustibles ...

Écrit par : de simone à michèle P. | dimanche, 01 mars 2009

Je rectifie, l'idée est identique. Pas le thème.

Écrit par : Simone | dimanche, 01 mars 2009

" La culture est cuite". Disons plutôt qu'elle s'est affreusement individualisée. Le désherbage en bibliothèque... Pratique antinomyque, en effet. A l'école, comme l'excellent Michea depuis longtemps l'a déjà analysé, sévit "l'enseignement de l'ignorance." Tout cela pourrait rendre morose.
Je ne connais pas Bohumil Hrabal. Mais j'imagine le monologue assez poignant, sans rapport avec Amélie Nothomb, je veux bien le croire.

Écrit par : solko | dimanche, 01 mars 2009

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