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dimanche, 21 novembre 2010

Alors, Vernay pleura

 

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Le 10 juin 1909  L'Art Libre éditait  à Lyon la plaquette d'Henry Béraud titrée François Vernay et illustrée par le peintre Jacques Martin. Elle rassemblait plusieurs articles publiés du 6 au 26 janvier de la même année dans l'Express de Lyon. En exergue, cette simple citation ô combien virulente, ô combien amère de Degas : On nous fusille mais on fouille nos poches.

La plaquette  débutait par ces lignes devenues légendaires : « Vers l'année 1897 mourut à Lyon un vieil artiste besogneux. Il se nommait François Vernay. On sait de lui qu'il vécut et travailla dans l'indifférence de ses concitoyens et qu'après une existence de misères et d'avatars, il mourut pauvre, dédaigné, ignoré, à l'hôpital. J'entreprends de raconter l'histoire de ce gueux»

C'était pour Béraud le prétexte de présenter au public de l'époque ce peintre en passe d'être reconnu, et de régler son compte à l'élite municipale composée, derrière Herriot et Bach Sisley, d'une bourgeoisie aussi bedonnante que béotienne. Il faut dire que la figure de François Miel, dit Vernay (1821- 1896), avait été pour ces notables provinciaux le vivant emblème de la bohème la plus scandaleuse qui soit : celle qui, se dégageant de ce que Baudelaire appela un jour  le bagne de la peinture pour désigner la Fabrique de soie dévoreuse de talents de dessinateurs, était partie par les chemins des lumineux paysagistes à la conquête des sentiers et des bois environnants, de Crémieu à Morestel. En préface du catalogue que le Musée des Beaux-Arts consacra à François Vernay à l'occasion du centenaire de sa tragique disparition, Jean-Jacques Lerrant rappelle quelle place ce gueux occupa entre Carrand et Ravier. 

Car il y a trois Vernay, tous trois remarquables : le peintre de natures mortes, le paysagiste, et celui des derniers dessins.

Du premier, voici ce que dit J.J.Lerrant, on ne saurait dire plus juste : « Quelle grâce majestueuse dans la plus intime de ces natures qu'on ne consent pas à dire mortes tant elles regorgent de sucs ! L'écorce, l'épiderme, la pulpe y proclament leur harmonie avec les grès, les porcelaines, le cristal, le lin, et les riches tissus de soie en rideaux de théâtre pour la mise en scène de ces festins...» 

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Dans les paysages aussi se devine la trame d'un tissu : « Inspiré par les tissus, leur ordonnance, il en arrive dans la nature morte et surtout le paysage à une composition qui participe de la mise en carte ou de la mise en règle , lesquelles déterminent un style synthétique, une manière de simplifier par masses et par taches de couleur parfois indépendantes de la forme. »

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Le troisième Vernay, le plus personnel, est celui des ultimes dessins :  « Les mines s'y écrasent quand il rehausse d'ocre, de gris, de vert, d'orangé, à coups de pastel, de taches d'encre et de gouache, les enveloppes estompées et sommaires du fusain, en a dit Marius Mermillon en juin 1946. Bien différent du premier, un autre peintre naît alors en lui, car on ose à peine nommer dessins ces images massives et complètes, prises autrefois pour des ébauches. Elles sont des tableaux faits d'ombres que modèlent, ça et là, des traits de lumière. Ainsi Vernay imagine-t-il, comme une fable, une nature qui n'appartient qu'à lui.»

 

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Quelques réflexions de Vernay, retrouvées après sa mort :

- La lettre tue et l'esprit vivifie : l'on ne connaît jamais assez la lettre. Et l'on ne possède jamais assez l'esprit.

- Sincérité et vérité. S'attacher à être le plus vrai avec soi-même

- Ne donne rien au hasard, mais laisse au sentiment

- L'art ne peut et ne doit être que création

- Nature, création de Dieu. Art, création de l'homme.

 - Avec l'amour de la vérité, élevez-vous jusqu'à l'art pour convaincre

- La nature consent à donner des leçons, les ayant méritées

- Savoir faire bon accueil aux idées qui viennent quand il leur plaît

- Le mieux est l'ennemi du bien ; surtout, pas d'efforts inutiles.


Dans le recueil de nouvelles titré Voyage autour du Cheval de bronze, la défense de Vernay donnait naissance à un texte de Béraud d'une dizaine de pages. Ce sont des lignes magnifiques que cet adieu de François Vernay à sa ville natale, en clôture de la neuvième nouvelle du recueil, Une aventure nocturne.

L’argument en est fort simple : Un soir de flânerie le long des quais de Saône, le narrateur croise la route d’un « personnage dépenaillé et chenu, un vieillard sordide dont le nom est célèbre», en train de regarder la rivière « d’un petit œil rusé, sensuel et lointain », « non loin de la Mort-qui -Trompe, au coin du pont du Change ». En cette ombre, il reconnaît François Vernay, le vieux maître de l’Ecole de Peinture lyonnaise, mort en 1896. Ce dernier est revenu afin de vérifier qu’une plaque d’émail bleu, portant son nom, conserve bien la mémoire de son passage dans la ville. Entre le narrateur et lui une conversation s’engage. Béraud situe le dialogue en un lieu particulièrement significatif : Ce revenant est bien, en effet, un mort qui trompe, un mort qui donne le change puisqu’il est encore, malgré le changement de siècle, un peu vivant : « Notre ville, dit-il, est la plus belle du monde. Les Vrais Lyonnais ne savent pas vivre loin des rives de leurs fleuves, et nous, les trépassés, qui avons usé nos jours à glorifier notre pays, nous ne pouvons dormir sans quitter de temps en temps notre lit de pierre et parcourir les rues, dont chaque tournant nous est connu… »

La prosopopée se poursuit, égrenant avec simplicité les lieux les plus emblématiques du Lyon de nos pères. Le respect de l’ancien temps que constate François Vernay en se promenant parmi les bâtisses du Vieux Lyon l’enthousiasme. Mais, tandis que leurs pas les portent non loin du Rhône, le narrateur doit, sur ce point, le détromper : Le culte des vieilles choses n’est pas aussi enraciné qu’il le croit au cœur des jeunes générations. « Le ciment armé, le béton aggloméré et autres hideurs expéditives tendent à les faire oublier. » Et là-dessus, il lui apprend la destruction programmée de cet ancêtre, le pont de la Guille ... Page magnifique, que cet adieu de François Vernay à sa ville natale, une véritable mort lyrique : Alors, commence Béraud, Vernay pleura… Adieu qui paraît s'adresser à tout ce qui s’évapore du siècle précédent. adieu à sa propre ville que Béraud quittera bientôt, lui aussi, lorsque la guerre économique des nations et des industries s’attaquera aussi à la chair des hommes :

 « Et il me sembla, tandis que je regardais pleurer ce spectre bénévole, qu’une cohorte de disparus pleurait sur ses traces ; il me semblait que tous les gones du temps révolu, tous ceux qui traversaient aux crépuscules le géant de pierre en écoutant gronder le Rhône sous ses arches se pressaient, lamentables et plaintifs ainsi que des ombres au bord du Styx. Une grande clameur montait de ce troupeau, la voix du passé, cette grande voix que nul n’écoute plus, s’accordait au chant du fleuve. Et le pont noir s’arc-boutait de toutes ses forces, comme pour résister aux coups qu’on lui destinait. Il les attendait ; ses piliers féodaux semblaient frémir d’une secrète menace. O nuit romantique, o nuit baroque : je vis mon compagnon disparaître, fantôme anonyme dans l’assemblée murmurante des Lyonnais de jadis et, comme tintait le beffroi du vieil Hospital, un coup de vent dispersa ces visions qui s’éloignèrent en chuchotant : Ville ingrate, adieu ! Nous ne reviendrons plus. Nous te fuyons et nous te renions. Précipite dans les flots le témoin de nos existences ; ruine et construis. Sois neuf, aligné, hygiénique, mais renonce à ton histoire. Dans une cité neuve, les revenants sont des étrangers ! »

 


1 Ce pont du Change, qui reliait la place du Change à Saint Nizier, fut un témoin emblématique de la vieille cité des échevins. Anciennement pont de Saône, il avait longtemps constitué le seul axe entre le centre ancien (Saint Jean) et le nouveau  (Terreaux). L’ancien pont de pierre, immortalisé par une multitude de toiles et de gravures avait dû céder la place pour faciliter le passage des péniches en . A cet endroit de la Saône , le courant tourbillonnant était particulièrement dangereux  sous l’ arche du vieux pont (Arche des Merveilles). Il avait été nommé «  la Mort qui trompe. » L’élargissement du quai Saint-Antoine (alors Villeroy) en 1847, avait écarté tout danger. Béraud reprend donc ici une appellation déjà en voie de disparition.   

2 Le pont de la Guillotière  : Il fut durant des siècles le seul pont sur le Rhône. L’ancien pont en bois s’étant effondré en 1190, il fut sans cesse reconsolidé jusqu’à sa reconstruction définitive en pierres (1661). La popularité et l’iconographie de ce pont sont considérables.

 

Le nom de François Vernay a été donné une rue du 5ème arrondissement. Lire billet ICI

Ce billet a été réaménagé à partir d'un billet déjà publié en mai 2008

14:20 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : henri béraud, françois vernay, lyon, peinture | | |

Commentaires

Merci pour cette belle page!
Vernay est pour moi un des plus grands peintres du siecle passé!
Quel plaisir de constater qu'il n'est pas tombé aux oubliettes de l'histoire de la peinture!
Vivement une nouvelle exposition de ses oeuvres!

Écrit par : Guillaume Convert | mercredi, 07 mai 2008

on trouve des oeuvres de Vernay au musée Paul Dini à villefranche

Écrit par : peju | mardi, 03 juin 2008

Une citation de Claudius Payet (catalogue de l'expo 1999) qui l'a rencontré au soir de son existence : "C'était chez un marchand de couleurs : son béret noir, rejeté en arrière, découvrait le front large d'une face osseuse, ridée, qu'encadraient une longue barbe et de grands cheveux blancs qui, en mèches, tombaient sur son ample pélerine usée; ses vêtements flottaient autour de son corps trop maigre : une de ses mains nerveuses taquinait un bâton, l'autre tenait un carton dont le temps avait mangé les bords; les yeux ne brillaient plus du sublime feu de l'intelligence : Vernay était presque aveugle. "

Écrit par : solko | samedi, 22 novembre 2008

Bonjour,

Une remarque tout de même: la "nature morte" ,que vous montrez dans cet article et qui est présentée en vente demain soir, a malheureusement subi beaucoup de dommages, suite à une restauration abusive,effectuée par "un laveur de pont" qui , comme souvent, ne devait pas connaître la technique de VERNAY. Il en résulte une oeuvre qui a perdu tous ses glacis,et surtout dans laquelle on ne retrouve plus le "mystère" insufflé par VERNAY dans ses tableaux!!!Quel massacre ont fait les restaurateurs lyonnais au fil du temps!!!

Écrit par : STEFFAN Patrice | dimanche, 21 novembre 2010

@ Patrice STEFFAN : Je reviens de l'exposition où j'ai vu le tableau :
même "délavé", ça reste un Vernay. Vu aussi quelques très beaux Ravier.

Écrit par : solko | lundi, 22 novembre 2010

Merci Solko.

Écrit par : Sophie K. | lundi, 22 novembre 2010

Votre billet est une mine (si j'ose dire). Je découvre, ce peintre, émerveillée. Les citations sont superbes, (avec un faible pour les ocres du troisième Vernay). Merci Solko et félicitations !

Écrit par : Frasby | lundi, 22 novembre 2010

Merci Solko de permettre à des amateurs de partager des émotions devant des oeuvres aussi originales que celles de F.VERNAY ou C-H.CARRAND.
Peut-être serons-nous beaucoup plus nombreux dans le futur à découvrir nos beaux peintres lyonnais grâce à votre site....

Écrit par : STEFFAN Patrice | mercredi, 24 novembre 2010

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