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mercredi, 25 février 2009

Un révolté raffiné

Le jeune lion dort avec ses dents : Cela nous ramène à l'année 1974. Dans l'une des Radioscopies de Jacques Chancel, Michel Lancelot (1938-1984) était venu présenter un nouveau livre.  Ce titre, disait-il alors, il l'avait tiré d'un proverbe d'une tribu bantou. Il l'avait choisi parce que ce sommeil du jeune lion évoquait, pour lui,  «une menace positive ou négative ». Non, ce n'était pas forcément lui, « le jeune lion », répondait-il à Chancel. Mais c'était une partie de la jeunesse, disait-il, de la jeunesse de l'époque, celle qui en avait marre « des falsifications culturelles et des salades éhontées ». Le propos du livre, toujours d'après son auteur, c'était la tension, la guerre même, que se livrent la culture et la contre culture. « A trente-six ans, lui demandait alors Chancel, avec sa gueule de faux ingénu, «êtes-vous sorti de votre jeunesse ? » Lancelot éludait : « C'est chez eux que se produisent les créations les plus constructives » C'est pour eux qu'il avait écrit ce livre, parce que les jeunes étaient placés devant les génies et les faussaires de la contre culture. Et qu'il fallait faire le tri. « La véritable culture, c'est le pragmatisme de l'intelligence, qui peut prendre les choses, les exploiter, les dominer et les rejeter. »

Depuis 1974, la controverse est terminée parce que, comme toujours, c'est les faussaires  qui ont gagné, et les génies qui se sont tus. Un exemple : Cohn-Bendit est député européen, Debord est mort. Vous n'aurez aucun mal à en trouver d'autres.  Depuis 1974, les frontières entre mode, publicité, couture, cuisine, football, talk-shaw et culture sont tombées. Œuvre d'un certain Jack Lang, fossoyeur ministériel de la contre culture. Œuvre relayé par un certain Pivot, aujourd'hui académicien. Ainsi, dans le galimatias de ce qui définit ce qu'est la culture, à présent, on range tout ce qui a un peu de notoriété, et qui parait capable de fidéliser un public. Depuis Tonton qui fait déjà partie de l'ancienne France, (celle où l'on confondait les divinités et les grenouilles) les insoumis et les notables ont impunément partout partouzé ensemble. Témoin la vente Bergé, mécène de Ségolène, et le prix atteint par la Belle Haleine de  Marchel Duchamp. Les insoumis et les notables, guidés par Julia Kristeva et Philippe Sollers, ont fait la révolution culturelle dans les Garden party de l'Elysée que chaque Quatorze Juillet a fait, que le président fut de droite ou de gauche. Michel Lancelot n'aura jamais assisté à ça. Il est, dira-t-on, "mort à temps".  Et nous fêtons aujourd'hui l'anniversaire de sa disparition. La politique (Nicolas) et la culture (Carla) ont passé leur nuit de noces « à la Lanterne », résidence des premiers ministres à Versailles. A Versailles ! Les aristocrates, sait-on s'ils auront été pendus ? Ils  auront été, en tous cas, bien  b..... Depuis, Julien Clerc et sa voix de chèvre bêlante, a repris du service dans les box office. Michel Lancelot n'aura jamais vu cela. Julien Clerc remplaçant Line Renaud dans les cortèges officiels des chanteurs de la République ayant leurs entrées l'Elysée. Julien Clerc sera-t-il un jour ministre de la culture ? La chèvre de monsieur Lang, un beau conte à dormir debout, pour le coup...

Michel Lancelot est mort un 25 février, le 25 février 1984, précisément (l'année fatidique d'après Orwell)  ! Dans ces années encore cruciales, Lancelot fut l'un des derniers agitateurs à tenter de démêler le vrai du faux et le faux du toc dans le bazar culturel  de l'époque; où en est la jeunesse d'aujourd'hui, livrée aux mains seules des faussaires des désirs d'avenir et des ensemble tout est possible ? Pendant plusieurs années, la jeunesse de France écoutait Campus en douce, l'émission qu'anima Michel Lancelot de 20h 30 à 22h30 sur Europe1, de 1968 à 1972. Une telle émission serait aujourd'hui, sur une chaîne comme Europe1, carrément impensable. La roue a tourné, et c'est Drucker qui a placé sa nièce à la télé. C'est Drucker qui reçoit Besancenot à Vivement Dimanche, une belle affiche de plus après Rama Yade.  J'écoutais Campus. Je me souviens d'un concert de Barbara, enregistré en direct le 28 novembre 1969 à l'Alhambra de Bordeaux. Je me souviens d'un long entretien avec Brassens, lorsque sortit en 1972 « Le roi des cons ». Je me souviens d'une prise de bec avec Ferré, sur l'argent du show-business gagné sur le dos de l'anarchie. Ferré se défendant : « il vaut mieux vendre de l'anarchie que de vendre de la merde comme j'en écoutais l'autre soir à la télévision, c'est plus noble ». Lancelot, ne disant rien. J'ai retrouvé les paroles d'une chanson que le vieux Léo fit au jeune Michel, peu après sa mort :

 

Ce qu'il ne faut pas dire en fait toi tu le dis Michel
Ce qu'il ne faut pas faire en fait toi tu le fais Michel
Chaque soir à
Campus
Avec dans l'œil et dans l'oreille
Les chants perdus du bout d'la terre
Et de Nanterre
Rappelle-toi là-bas chez les hippies
J'y étais moi aussi
Comme ceux de Nanterre et de
Campus
Michel


Ce qu'il ne faut pas dire en fait toi tu l'as dit Michel
Ce qu'il ne faut pas faire en fait toi tu l'as fait Michel
Chaque soir à
Campus
Après ce mec tout noir
Avec dans l'œil les chants perdus du bout d'la terre
Et du boulevard Saint-Michel Michel
Rappelle-toi là-bas chez les hippies
Nous y étions nous aussi
Comme ceux de Nanterre et de
Campus
Michel

 

Michel Lancelot avait dans les veines du sang irlandais. « Quand on parle de sang irlandais, disait-il, on oublie de raconter le massacre des Irlandais par les Britanniques. »  Et du sang autrichien : « Dans l'univers germanique, les Autrichiens, c'est le raffinement face à l'oppression ! » Michel Lancelot était au final français. Et donc, concluait Chancel « un révolté raffiné. » Michel Lancelot est mort il y a pile vingt-cinq ans. Le temps de faire ce qu'on appelle à présent  un jeune. Une citation de Bernanos, à l'intention de ce jeune : « Quand la jeunesse se refroidit, le monde entier claque des dents. »  Et une question, legs d'outre-tombe de ce bel esprit hélas oublié : Dans le pays de France, dort-il toujours avec ses dents, le jeune lion ?

 

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00:06 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : campus, michel lancelot, culture, contre-culture, littérature, europe1 | | |

Commentaires

Je ne connaissais évidemment pas ce Lancelot et son campus... Toute une époque à grands traits brossée, merci.

Écrit par : tanguy | mercredi, 25 février 2009

Oui, la roue a tourné. Il suffit de consulter la rubrique "culture" dans les journaux en ligne pour s'en rendre compte. On y trouve de tout: des chanteurs, les histoires d'amour des vedettes de cinéma, la rubrique "people" du monde du spectacle, les films à grand succès, etc.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 25 février 2009

Gardons nous de comparer l'incomparable mais nous avons encore Daniel Mermet sur France-Inter (Là bas, si j'y suis) et toutes proportions gardées (j'insiste) tout n'est peut-être pas perdu car l'homme a son utilité.
J'ai trouvé délicieuse votre évocation de la France où l'on confondait les divinités et les grenouilles ...
Qui sait, peut-être avons nous assisté sans le savoir à une nouvelle métamorphose de Zeus destinée à séduire une conservatrice du musée d'Orsay ?

Écrit par : simone | mercredi, 25 février 2009

Ah, l'indicatif mythique de Radioscopie ! J'ai quelque part un enregistrement de l'année d'avant (1973) où Chancel interrogeait Brel. Le grand Jacques conclue son entretien par ce propos : "Je suis un sale gosse !"

"Ce qu'il ne faut pas dire en fait toi tu l'as dit Michel
Ce qu'il ne faut pas faire en fait toi tu l'as fait Michel"
Ça marche aussi avec du sang vendéen dans les veines ?
("lol", comme dirait un contre-culturel...)

Écrit par : Michel | mercredi, 25 février 2009

Regrets, quand même, de cette époque où une "contre culture" critique s'opposait à une culture officielle de bonne tenue. Tandis que la "contre-culture" à force de jouer sur l'égalitarisme est devenue complaisante, la culture officielle, adoptant le ton de celle qui la contestait, est devenue très démagogique. C'est grand corps malade, dans tous les cas, qui fait la synthèse de cet abrutissement. Dommage.
Tristesse, aussi, de voir qu'on conserve la mémoire de Joe Dassin, de Dalida ou de Claude François, esprits de haute volée, n'est-ce-pas, et qu'on oublie si facilement un type comme Michel Lancelot.

Écrit par : solko | jeudi, 26 février 2009

C'est vous Solko, le révolté raffiné!

Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 26 février 2009

Et donc vous n'êtes pas un brouzouf!

Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 26 février 2009

Encore une belle transmission de pensée... Bravo ! Ce week end justement en écoutant "Metamec", je me disais... Il faudrait faire un hommage à Michel Lancelot et je suis ravie que vous l'évoquiez, Michel Lancelot c'est un type formidable (certes l'adjectif fait un peu spectacle mais "formidable" ça va, pour une génération d'abrutis comme la mienne -parenthèse - j'adore me faire des amis sur le blog des autres, pourvu que l'on ne croit pas, que je vous insulte, c'est l'essentiel.) donc "formidable" ce Michel Lancelot, pour une génération qui est arrivée quand la contre-culture était représentée par Plastic Bertrand. Formidable, de trouver par terre deux livres de Michel Lancelot, de les ramasser, puis de les lire. Ce fut un choc très salutaire. Par hasard, j'ai lu d'abord "Campus"bien après sa sortie,donc sans jamais avoir pu écouter les émissions, dans mon appart, où l'ancien locataire (un inconnu) avait laissé "Campus" et "je veux regarder Dieu en face", alors l'appart étant vide pour tuer le temps, j'ai essayé... Michel Lancelot, pour moi c'était un naze qui avait pris un pseudo de moyen âge pour faire un truc de gare (je vous dis, notre génération est ainsi faite, mais nous sommes des victimes;-) c'est de la faute à Plastic Bertrand et au collaro show, tout ça). Hasard bête et vraie providence ces livres ont "éclairée" ma pauvre lanterne. Et après, forcément, je ne voulais plus, je ne pouvais plus, regarder plastic Bertrand en face. Tout était modifié. M. Lancelot, parlait principalement des autres. ou plutôt, avant de parler, il observait, écoutait, sans doute. L'écoute, c'est cela qui manque. Aujourd'hui, tout le monde parle en même temps en commençant ses phrases par "écoutez!". Lancelot est exactement à l'opposé de ce no man's land. Pour la contre-culture: Il fût un vrai passeur. Pas un simple médiateur. Il transmettait, il proposait. Après l'avoir lu, on se retrouvait sur une autre rive. ça marche toujours : aujourd'hui après relecture, l'effet est intact. J'admire. Aucune corde pincée sur cette nostalgie bêtifiante . Juste La bonne distance. Il est regrettable, que Michel Lancelot soit si méconnu aujourd'hui. La contre-culture normalisée, je me demande comment M. Lancelot aurait regardé tout cela aujourd'hui, il n'aurait sans doute pas courbé... Ce qui est vache c'est que même les gens de sa génération, ceux qui l'ont lu, aimé, l'ont oublié, Les ingrats. Voilà pourquoi j'aime particulièrement votre billet. Et je bénis encore cet inconnu, ce distrait qui avait oublié ses 2 livres en déménageant... C'était peut être vous ? non ?

Écrit par : frasby | vendredi, 27 février 2009

- " pourvu qu'on ne croit pas que je vous insulte ... "
(ça plane pour moi) sic et re-sic. Ah ! Frasby ...

Écrit par : simone. | vendredi, 27 février 2009

@ Frasby : Oh j'ai semé tant de livres derrière moi. Mais pas de cette façon, non. Merci de votre sensibilité à ce billet, et de ce commentaire plein de vie.
@ Frasby & Simone : Eteignons les malentendus et fumons les calumets de la paix !

Écrit par : solko | vendredi, 27 février 2009

Rassurez vous Solko, Frasby citant Cioran, aucun malentendu pérenne n'est possible entre nous ...

Écrit par : Simone. | vendredi, 27 février 2009

@Simone : Sans rancune, j'étais juste très embêtée pour notre ami Solko, à cause de mes gros sabots. Mais entre nous point de malentendu possible >Et j'aime beaucoup cette formule "aucun malentendu perenne" elle est très harmonieuse au sens comme à l'oreille. Merci de votre indulgence ;-)
@Solko: Je n'ai pas trop coutume de raconter ma vie, mais je n'ai trouvé que 2 livres par terre... de toute façon, si cela avait été vos "Lancelot", pour vous les rendre il avait prescription...

Écrit par : frasby | vendredi, 27 février 2009

Ce n'est pas de l'indulgence, l'incident n'existe pas et n'a jamais existé.

Écrit par : simone. | vendredi, 27 février 2009

je recherche le nom de l'indicatif de campus pour le réécouter et, si possible, le télécharger.
serait-il aussi possible d'avoir accés aux archives -sonores- des fameuses radiophychose ?..
Béjaia (Bougie) le 08 août 2009

Écrit par : mouloud ghedj | samedi, 08 août 2009

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