jeudi, 27 août 2009
Bergère, ô Tour Eiffel
« Le billet de 200 francs à l’effigie de Gustave Eiffel (1832-1923) rend hommage au génie créatif et au talent de cet ingénieur à travers son chef-d’œuvre le plus connu, la Tour Eiffel, construite pour l’Exposition universelle de 1889. La Tour Eiffel illustre à merveille la révolution que constitua l’introduction du fer dans l’art de la construction et symbolise l’esprit d’invention et de découverte de la fin du XIXe siècle. »
C'est ainsi que la BdF présente au public l'émission, fin octobre 1996, de son nouveau billet de 200 francs. Il fait partie de la dernière gamme du Franc, gamme hyper sécurisée (filigrane, strap, motifs à couleurs variables, encre incolore brillante, transvision, microlettres, numérotation magnétique, code infrarouge...) où l'on rencontre également le Saint Exupéry, le Cézanne et le Curie.
Ces billets de la dernière série, qui ressemblent à des coffre-fort de papier, sont de véritables allégories de la société qu'on met alors en place, monde de codes, d'alarmes et de surveillance-vidéo : Sont-ils encore des francs ( rappelons que franc signifie libre ) ou déjà des euros ? La question demeure pendante.
Ce que le prospectus de la Banque de France omet de dire, c'est qu'Eiffel et sa Tour ont remplacé in extremis un autre projet consacré aux frères Lumière et au cinéma, projet brusquement abandonné en raison d'une polémique quant à l'attitude des deux frères durant le gouvernement de Vichy.
Au recto, le portrait de Gustave Eiffel se détache devant la silhouette du viaduc de Garabit, construit entre 1880 et 1884 dans le Massif central. Eiffel a la barbe bien coupée et la mèche dynamique des sages élèves de la Modernité. Il regarde vers la gauche (vers le passé, dit-on). De part et d’autre de l’arche métallique du viaduc, des lignes courbes violettes, bleues, rouges et jaunes — inspirées d’une étude aérodynamique du patron — forment des cercles concentriques et symbolisent le mouvement. À l’arrière plan du portrait, on distingue le détail d’une charpente évoquant la Tour Eiffel, dont la structure métallique seule pèse 7.300 tonnes (avec les équipements, le poids total de la Tour s’élève à plus de 10 000 tonnes).
Au verso, une vue de la Tour Eiffel et du Champ de Mars lors de l’Exposition universelle de 1889. Au loin, le dôme du Palais des Beaux-arts ainsi que la verrière de la Galerie des Machines, construite à l’occasion de la même exposition et démolie au début du XXe siècle. En haut, à gauche du filigrane, une partie de la structure métallique de la Tour Eiffel est reproduite de manière symbolique ; lors de la construction de l’ouvrage, 2 500 000 rivets ont été utilisés pour assembler les quelques 18 000 pièces composant l’édifice. Au pied de l'édifice, quelques silhouettes de Parisiens de la Belle Epoque : les messieurs ont des gibus et les dames portent ombrelles et crinolines.
Devant tant de ferraille en hauteur, la bêtise elle-même est devenue lyrique, la sottise a médité, l'étourderie a rêvé; il tombait de là comme un orage d'émotions. On chercha à le détourner, il était trop tard, le succès était venu, écrivit Rémy de Gourmont en 1901 dans Le Chemin de Velours. »
« Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu'ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l'art et de l'histoire français menacés, contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d'esprit de justice, a déjà baptisée du nom de Tour de Babel... » : Tout le monde connait la pétition des artistes contre l'érection de la Tour, qui parut dans le Temps du 14 février 1887, parmi lesquels on retrouve François Coppée, Alexandre Dumas fils, Gérôme, Charles Gounod, Leconte de Lisle, Guy de Maupassant... Dans la polémique qui alors faisait rage, on retrouve toujours la comparaison avec Notre-Dame de Paris, et l’opposition entre leurs hauteurs réciproques, leurs matériaux réciproques – et ce débat entre pierre et fer n’en était qu’à son commencement – leurs structures et leurs rôles dans la cité réciproques. En face de la maison du Seigneur s’élevait en effet la Tour du Commerce universel.
« Nul monument, depuis les cathédrales et peut-être depuis les pyramides, n'a remué comme la tour Eiffel la sensibilité esthétique de l'humanité
Léon Bloy consacre un article entier (qu'on peut trouver dans Belluaires et Porchers) à la promenade qu'il effectua dans les entrailles de cette nouvelle « Babel de Fer » alors qu'elle n'était qu"en cours de construction:
« J’aime Paris qui est le lieu des intelligences et je sens Paris menacé par ce lampadaire véritablement tragique, sorti de son ventre, et qu’on apercevra la nuit de vingt lieues, par-dessus l’épaule des montagnes, comme un fanal de naufrages et de désespoir. J’en appelle, néanmoins l’achèvement de tous mes vœux, parce qu’il faut, une bonne fois, que les prophéties s’accomplissent et parce que j’ai le pressentiment que cette quincaillerie superbe est attendue par les destins.
Ah ! Ce noble Paris, comme il ne sera plus rien du tout, aperçu de cette hauteur ! Il s’humilie déjà bien assez du point où les ferrailleurs sont parvenus. Il lui faudra donc rentrer sous terre, quand on aura boulonné sur son front de gloire quelques dizaines d’arbalétriers de plus.
Et puis cette tour, on ne la sent pas fraternelle comme les autres monuments de Paris. Elle ressemble à une étrangère d’Orient, et on devine qu’elle n’aura jamais pitié de nos pauvres. »
08:40 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : tour eiffel, pétition des artistes, deux-cents francs eiffel, rémy de gourmont, léon bloy, billets français |
Commentaires
Je me demande ce qu'ils auraient pensé de ce monument en béton: La Défense.
C'est de très belles photos de l'édification de la tour, je n'en ai pas vu de semblables pour le béton.
Merci pour toutes ces pages de cet été.J'ai lu et relu et fait pleins de découvertes.
Bonne rentrée Solko
Écrit par : La Zélie | jeudi, 27 août 2009
Quelle coïncidence : j'ai fait étudier "Zone" aux étudiants que j'avais au tutorat ce matin !
Et merci pour cet excellent billet sur billet (comme d'habitude) mais qui me touche particulièrement parce que, quand même, je l'aime cette "capitale infâme" !
Écrit par : Zabou | jeudi, 27 août 2009
Pour ma part je trouve le travail du fer beau et noble. Il honore des métiers fort peu connus quand ils ne sont pas méprisés, ceux de métalliers.
De très beaux ouvrages d'art comme nos grands ponts ont pris la suite de cette tour Eiffel sans connaître la même notoriété : quoi de plus beaux, dans les constructions actuelles, que les viaducs de Millau ou le pont de Normandie ?
Quant au manque de fraternité par rapport aux autres monuments de Paris, cela est discutable : je ne vois pas en quoi l'arc de triomphe (que personnellement je déteste) le serait davantage.
Bonne rentrée...
Écrit par : Rosa | vendredi, 28 août 2009
La tour Eiffel ne semble guère en harmonie avec le reste de la capitale. Cela n'a rien d'étonnant que sa construction ait déclenchée un tel tollé. Mais sa présence si longue, si inévitable (sa taille la rend omniprésente dans le paysage), si absurde(je sais,je sais,elle sert maintenant d'antenne émétrice radio-télé), en fait un symbole de cette ville. Mais pourquoi ce génial ingénieur n'a-t-il pas eu l'idée de construire sa tour à la campagne? Tenait-il tant à ce qu'on la voit?
Écrit par : Rodrigue | samedi, 29 août 2009
Rodrigue ! Ce fut une commande pour l'exposition universelle après laquelle elle devait être démontée.
Pourquoi ne l'a-t-elle pas été serait la bonne question.
Écrit par : Rosa | samedi, 29 août 2009
Ah c'est très bien comme cela. On rentre de vacances, on a laissé un ou deux petit billets et on trouve des amis installés en train de discuter. Je vous remercie donc tous et toutes de faire vivre par vos commentaires ce blogue et vous souhaite bonne rentrée.
Et pour ceux qui sont lyonnais ou s'intéressent de loin à cette bonne ville, j'aurais peut-être dû rajouter quelques mots sur la tour lyonnaise, créé par un restaurateur du nom de GAY, et qui est aussi demeurée comme celle de Paris après l'exposition (c'était la partie panoramique du restaurant qui, lui, a disparu).
Bonne rentrée à vous aussi.
Écrit par : solko | dimanche, 30 août 2009
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