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lundi, 25 mai 2009

Zozo, chômeur éperdu

 

Bertand Redonnet ne manque pas de malice. Zozo, son personnage, est un «vrai visionnaire », nous voici prévenus dès les premières lignes : ce qu’il voit arriver, c’est un monde où chacun sera assigné à sa place par une administration de mieux en mieux organisée ; un monde sans rivière à vairons ni battue aux sangliers ; un monde pour transformer les braconniers de son espèce en une autre espèce d’hommes, une espèce nouvelle de chômeurs -parce que chômeur, ça  sonne mieux que sans profession ; un monde qui se met en place vers la fin des années cinquante, au prix de la fin d’un autre, le sien : voilà ce que Zozo.jpgZozo, de loin, a vu  venir.  Chômeur ! Tel est le mot central du titre, et l’on ne comprendra que dans les dernières pages, sur un coup de fourche à fumier aussi imprévu qu’inévitable, pourquoi éperdu.

« Il était le principal personnage de ce drame, après le pendu bien sûr, quoique… » : Bertrand Redonnet signe là une fable, nous dit le quatrième de couverture « sans morale apparente ». Quoique… Les quatre dernières lignes en livrent une, aussi ironique qu’explicite… Que je ne dévoilerai pas, pas davantage que je ne dévoilerai la trajectoire de Zozo, d’arabesque en arabesque, toute tracée.

Pour inscrire sa fable dans l’histoire en marche, Redonnet évoque de ci de là quelques événements : météorologique, comme le mois de février cinquante-six, « alors que le gel mordait la pierre et la terre et que la neige durcie comme une croûte engloutissait le monde depuis des semaines » ; historique, comme le dix-neuf mars 1962, jour des accords d’Evian, ou décembre 1918, année de la de la naissance de son héros peu après l’armistice. Au cours de la narration, quelques dates (62, 64) plantées dans le texte comme des bornes, jalonnent la résistance de Zozo aux assauts des bureaucrates.

Pourtant, bien qu’il ait « la manie des dates et des symboles », le calendrier de Zozo s’écoule en marge du temps des hommes, « selon un ordre bien défini qui, s’il n’était pas réfléchi, n’en était pas moins réglé sur le grand mouvement des choses, en fonction des saisons, les saisons elles-mêmes vécues par rapport aux mois et les mois articulés sur les lunes ». L’histoire de Zozo se déroule dans un pays fait de pommiers de plein-vent, d’allées de noyers  et de taillis bourrus, un pays de légende, signe l’éditeur… on a plutôt envie de dire de mémoire, puisque c’était le pays de Genevoix, le même que celui de Giono, que celui de Guilloux.  Assurément, Redonnet est de cette écurie-là .

 


Genevoix, le texte lui-même y fait allusion, lorsqu’autour d’une longue réminiscence qui nous ramène au temps des hussards de la République, pivote le récit ; Giono, comment ne pas y songer, au fur et à mesure qu’on sent sourdre le drame final, dans ce coin de France sans divertissement ? Quant à Guilloux, son titre Coco perdu ne s’impose-t-il pas comme en filigrane derrière celui de Bertrand, tel le signe d’une autre tragique et inévitable dérive ? « Ecrire, faut-il le rappeler, c’est avant tout hériter d’une langue », rappelait Richard Millet dans son si juste et si dérangeant Désenchantement de la littérature (Gallimard, 2006).

Redonnet est héritier de tout ce qui estsi bon à retrouver chez ces écrivains de pays : la précision du lexique, la correction dans l’incorrection quand il s’agit de rapporter du discours ; le cousu main, de phrase à phrase, et le cheminement du récit qui suit sa pente, comme une rivière à truites.

Et cette manière aussi de camper des personnages dans leur juste et dure solitude.

Tout comme eux, il possède non seulement de la technique et du style, mais surtout ce qui compte le plus : une voix. Une voix pour accompagner et assister le regard qu’il pose sur le devenir du monde. Une voix qui, comme le professait si justement Louis Guilloux, monte du «monde d’en bas ». Et concernant ce livre il faudrait rajouter « du monde d’avant ». C’est de-là, je crois, que ce récit tient sa plus grande force : rendre contemporaine, extrêmement contemporaine, cette voix  longtemps méditée et comme jaillie d’un roc chaque jour sauvegardé, le roc du passé.  

S’il y a de la nostalgie dans ce livre, elle est, comme dit l’auteur, « imprécise ». J’en retiens surtout pour ma part la dimension critique qui apparait en creux, tant à l’égard de la structure technocratique, pour ne pas dire totalitaire, qui a balayé cette France-là, que du type de littérature standardisée que les sbires de l’industrie culturelle débitent en séries : Monde où ne triomphent, au mépris du chant des saisons, que celles et ceux qui connaissent la Loi : « Fallait trouver un boulot, c’était la loi. La Loi. Mur infranchissable. Fossé jeté au travers de la route. Dieu cruel et tout puissant ».

Que peut-on souhaiter de mieux à ce livre, sinon qu’il finisse tel Raboliot ou la Dernière Harde, et parmi eux («livres de poches à moitié usés jusqu’à la corde, salis aux pages écornées tellement jaunies qu’elles en étaient marron, aux couvertures froissées, criblées de chiures de mouches et maculées de tâches de gras »), offert par un instituteur à un de ses anciens, comme « quelque chose d’insaisissable et jusqu’alors inconnu »… ?

 

Bertrand Redonnet : Zozo chômeur éperdu  (Ed. Le Temps qu’il fait, avril 2009)

 

Commentaires

Ah solko, vous ne me faites pas chômer.

Comme je n'ai plus les moyens de m'acheter des livres je vais m'activer à convaincre ma bibliothécaire municipale de prévoir dans ses futurs achats "Zozo chômeur éperdu".
Je viens de passer à nouveau un très très long moment sur le site de l’auteur. Ses commentateurs sont aussi intéressants que lui et aussi comme les blogs à visiter (colonne de gauche sur votre site)

Écrit par : La Zélie | dimanche, 24 mai 2009

Vous me donnez envie de lire Redonnet (Déjà que j'ai du retard sur Joyce, Béraud )
Redonnet c'est un très beau verbe.

Écrit par : Frasby | lundi, 25 mai 2009

Je suis ému de votre lecture, Solko.
Je dis bien ému.
Et fier.
Ému parce que rien n'est plus gratifiant pour un auteur que d'être lu tel qu'il a écrit.
Fier parce que cette lecture,venant de vous, donne un certain blason à mon texte.
Je le pense très sincèrement. Et vous m'avez situé exactement où je voudrais être, à contre courant des sbires, dont on n'entend plus que la cacophonie désordonnée..
Merci, Solko.
Du fond du cœur, vous me redonnez (beau verbe) du cœur à l'ouvrage.

Écrit par : Bertrand | lundi, 25 mai 2009

J'avais déjà prévu de le lire.

Bertrand avec un blason : je ne veux pas manquer ça.

Écrit par : Rosa | lundi, 25 mai 2009

@ Bertrand : Je crois que, malgré nos différences, nous avons de nombreux goûts communs, et peut-être des formes de combats également. Et c'est une fort bonne nouvelle. En tous cas, merde à Zozo, qui va poursuivre son petit bonhomme de chemin et à bientôt.

Écrit par : solko | mardi, 26 mai 2009

Petit billet au supporter de Zozo que vous aussi avouez être, Solko, Zozo ce héros crucifié par sa propre confiance ...

Et si Zozo, au profil bien campé par l'auteur dans la vie et le temps, n'était-il pas le héros, bien malgré lui, victime de la Trahison. Oui, la trahison avec un grand T, TanT elle est énorme que même le lecteur, attentif à la trame de l'histoire, ne la voit pas venir.

Ce qui amène ce même lecteur à parcourir, à peine sa lecture terminée et sa surprise encaissée, car il se sent un peu "pas malin" de n'avoir pas éventé un seul instant cette part de l'intrigue que nous a habilement, sans invraisemblance aucune, dissimulé l'auteur derrière les lignes apparentes, une deuxième fois Zozo, en lecture rapide, pour tenter de trouver des indices de cette trahison qui lui auraient échappé.

Car enfin ça l'agace le lecteur d'être aussi "con" que Zozo. Bien sûr il nous est impossible de révéler encore et déjà ici toute l'intrigue du récit de Redonnet, tant le rebondissement final est important pour le plaisir de ses "encore nombreux" n'en doutons pas, futures lecteurs et lectrices.

Nous sommes trahis, par ceux dont nous ne doutons jamais un seul instant qu'ils puissent nous trahir. Si il y a une morale ou une éthique qui préside à Zozo, ce serait celle de la fidélité et de l'amitié réelle, celle du partage du goût de vivre le réel de la vie telle qu'elle va, là simplement, au jour le jour, sans carrière, sans affaires, sans consumérisme éperdu, sans compétition, sans trahison, la vie des saisons quoi, celle des plaisirs du sentir, du voir, du manger, du jouir du temps qui passe.

Et malgré nous, nous sommes trahis par une époque et plus tragiquement encore par ceux que l'on aime le plus, même si on ne passe pas son temps à le leurs dire ... il y a un peu de tragédie chez Zozo, car Zozo est un héros crucifié par sa propre confiance. la trahison est telle qu'il ne peut que vouloir se venger illico presto, il ne peut pardonner et rester obsédé par un tel traumatisme. Mais il ne voit pas, il n'a pas vu que les traîtres ont même prévu son ultime sursaut de clairvoyance et sa vengeance possible.

Pour Jean Genet, la trahison est le plus grand mal, "c'est le mal qui se fait mal à lui-même".

Il existe une histoire juive très bizarre qui raconte la chose suivante :

Un père veut apprendre à son jeune fils à avoir moins peur et à être plus courageux en le faisant sauter au bas des escaliers. Il le met sur la deuxième marche et lui dit :
"Saute, je te rattrape."

Et le petit garçon saute. Puis le père le place sur la troisième marche et répète la même injonction. L'enfant a beau avoir peur, il a confiance en son père et obéit en se jetant dans ses bras. Le père le place ensuite sur la marche suivante, puis sur la suivante, lui disant à chaque fois :
"Saute, je t'attrape."

Et chaque fois l'enfant saute et son père le réceptionne. Cela se poursuit quelque temps. Puis le gosse s'élance d'une très haute marche, comme précédemment. Mais, cette fois-ci le père fait un pas et l'enfant tombe la tête la première. Tandis qu'il se relève, en pleurs et en sang, son père lui dit :
"Que cela te serve de leçon : ne fais jamais confiance à un juif, même s'il s'agit de ton propre père."

En dépit de son antisémtisme apparent, cette histoire renferme pour moi une signification plus profonde, surtout du fait qu'elle m'a été racontée, à moi, en tant que juif, par un juif, et que c'est une histoire juive très connue. Elle éclaire magnifiquement, comme Zozo le fait admirablement, ce qu'est fondamentalement la trahison.

Pourquoi faut-il apprendre à un petit garçon à ne pas faire confiance, ni à un juif, ni à son propre père ? Que signifie le fait d'être trahi par son père, ou bien par quelqu'un de très proche ?

Chaleureusement à vous. Philip Seelen

Écrit par : Philip Seelen | mardi, 02 juin 2009

@ Philip : il y a une morale plus "positive" (quelle horreur, ce mot !!!) à votre histoire juive, c'est celle du père qui voudrait apprendre à son fils à ne compter que sur soi (ce qui revient, implicitement, à lui apprendre à se défier de lui, le père).
Ne faire confiance à personne d'autre qu'à soi, cela pourrait être le versant "positif" de l'apprentissage ou de l'initiation, mais le problème est que souvent ce genre de morale débouche sur des certitudes fausses ou arbitraires, et parfois même dévoyées.

Ce qui est très fort dans le livre de Bertrand concernant ce thème de la trahison, c'est l'idée sur laquelle il insiste indirectement mais de façon très prononcée à la fin : les traitres sont aussi ceux qui connaissent la loi. Trahir sans connaitre ses droits est un risque que ces gens-là n'osent prendre. C'est leur principale force, et la faiblesse de Zozo est de l'ignorer.
Mais comme vous le dites, ne révélons pas ici l'intrigue de ce roman. C'est pourquoi j'ai d'ailleurs insisté davantage sur le style et le "cousu" de Bertrand qui, sans lui jeter trop de fleurs, est vraiment remarquable, surtout par les temps qui courent. Et je ne saurai que ré-engager les lecteurs qui passent par là à lire ( & relire ) Zozo...
Merci à vous, Philip.
A bientôt

Écrit par : solko | mardi, 02 juin 2009

Connaître La Loi, connaître Le Droit pour dégainer le premier et tuer avant d'être tué ...

Fin tireur de fourche le "Besancenot" du Village !

Au plaisir de continuer à vous lire. A bientôt itou. Philip

Écrit par : Philip Seelen | mardi, 02 juin 2009

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