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mardi, 06 avril 2010

Géographiques (Bertrand Redonnet)

Je ne connais pas la Bouleure. Pourtant, si j’en crois le Géographiques que Bertrand Redonnet vient de nous offrir, et dans lequel j’apprends que ce « ruisseau versatile » fut pour lui « une appropriation poétique du monde », alors je dois avouer que si, si, bien sûr, je la connais. Même si la mienne porta un autre nom - la vôtre aussi, sans doute – je la connais fort bien : qui n’a pas au fond de soi une rivière où il connut le monde, enfant ? Nous avons tous nos paysages, tout comme nous avons chacun une langue, et c’est à ces paysages que chacun porte en soi que s’adressent ceux de Géographiques, les seuls, les vrais personnages de ce livre dont le premier tour de force est quand même d’effacer les humains de son tissu, jusqu'à nous les faire oublier presque totalement.

Des hommes, me direz-vous, il y en a bien quelques-uns dans ce livre, et qui causent. Une poignée de géographes, dont l’un ressemble à Ferré, l’autre à Roger Vailland, tous réunis autour d'une table en bordure de la Vistule pour évoquer cette mise à sac du climat par les hommes, cet acculement du paysage à son point extrême, cette «gigantesque erreur». geographiques.jpgDrôle de géographes, tout de même, tout comme cet autre qui ressemble à Redonnet, chacun devisant de son coin de pays, qui sa Normandie, sa Bretagne, son Auvergne, ou sa Charente-Maritime. Certes. Avec ce sous-titre générique au pluriel, « divagations », Géographiques feint de se proposer à nous tel un récit polyphonique. Pourtant l’absence de guillemets ne doit-elle pas s’entendre comme un signe ? La lecture climatique que Redonnet fait du monde n’est que la face cachée de la lecture autobiographique qu’il nous tend de lui-même, puisque l’exil est, comme il l’a dit lui-même par ailleurs, une « notion du dedans ». Lecture métonymique d'un parcours, de son enfance charentaise à un exil polonais dont ce texte ô combien intime décline les raisons d’être, une par une.

« L’exil des mots », d’abord (c’est le titre de son blog auquel ce lien renvoie), titre qu’il insère malicieusement dans son texte tout comme, à un autre endroit, le nom de son éditeur, « Le temps qu’il fait ». L’exil des mots quand, « ils ne sont plus, constitutifs ».

L'exil loin du climat natal, ensuite : « Enfant, nous dit le narrateur, quelque chose de non identifié ne collait pas entre le climat océanique et moi.» Quelque chose ne collait déjà plus, non plus, entre « l’espèce humaine et son habitat ». Cela n’a fait qu’empirer depuis ; chaque lecteur, même le plus inattentif aux paysages, a pu le constater :  aussi le narrateur se refuse d’être, comme tant d’autres de ses confrères, l'un de ces «valets du corps social ». Comme le rêveur, il «ignore la moyenne » et comme l’auteur lui-même, il a donc entrepris de marcher « vers la démesure », en provoquant cet exil, dont le troisième de couverture nous dit qu’il est « volontaire ».

Le paysage, cependant, c’est ce qu’un poète ne peut fuir, où qu’il dirige ses regards et ses pas. Pas plus que la littérature C’est donc en géographe « cueilleur » ou « berger » (j’aime la connotation préhistorique de ces termes), en géographe d’un temps qui remonte à bien avant la découverte de l’écriture que Bertrand nous parle. Lui qui se veut un « mécréant du paganisme », il lui faudra me pardonner si je lui dis que c’est au catholique Bernanos que j’ai songé en le lisant, Bernanos qui, dans La France contre les robots, petit essai magnifique écrit en 1945, s’écrie : « rien n’est plus difficile que de prendre conscience d’un pays, de son ciel et de ses horizons, il y faut beaucoup de littérature. Les vieux paysages nous parlent à travers l’histoire ! » (1) On ne s’étonnera donc pas de voir ce narrateur, à quelques pages de la fin, nous souffler son propre nom à l’oreille dans un rire de corbeau, tout en reconnaissant dans le geste de trouer la glace polonaise une vieille ruse de son compatriote, le bien nommé Renart.

Je voudrais pour conclure revenir à la Bouleure. Car il me semble qu'au fond, le cours versatile  de ce ruisseau peut figurer une clé de lecture de ce récit divaguant, dans lequel un poète paye une part de la dette que nous avons tous contractée envers la beauté du monde et celle de ses paysages. Car c'est à eux qu'en définitive, et la conclusion du livre le dit magnifiquement, appartient ce que nous avons de plus cher : notre mélancolie.

 

Bertrand Redonnet
Géographiques

Divagations
96 p., 14/19.
Mars 2010. ISBN 978.2.86853.532.0 — 15,00 Euros

 

(1) Georges Bernanos, La France contre les robots, chapitre V - 1945

 

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Polska BZozo, chômeur éperdu



 

lundi, 25 mai 2009

Zozo, chômeur éperdu

 

Bertand Redonnet ne manque pas de malice. Zozo, son personnage, est un «vrai visionnaire », nous voici prévenus dès les premières lignes : ce qu’il voit arriver, c’est un monde où chacun sera assigné à sa place par une administration de mieux en mieux organisée ; un monde sans rivière à vairons ni battue aux sangliers ; un monde pour transformer les braconniers de son espèce en une autre espèce d’hommes, une espèce nouvelle de chômeurs -parce que chômeur, ça  sonne mieux que sans profession ; un monde qui se met en place vers la fin des années cinquante, au prix de la fin d’un autre, le sien : voilà ce que Zozo.jpgZozo, de loin, a vu  venir.  Chômeur ! Tel est le mot central du titre, et l’on ne comprendra que dans les dernières pages, sur un coup de fourche à fumier aussi imprévu qu’inévitable, pourquoi éperdu.

« Il était le principal personnage de ce drame, après le pendu bien sûr, quoique… » : Bertrand Redonnet signe là une fable, nous dit le quatrième de couverture « sans morale apparente ». Quoique… Les quatre dernières lignes en livrent une, aussi ironique qu’explicite… Que je ne dévoilerai pas, pas davantage que je ne dévoilerai la trajectoire de Zozo, d’arabesque en arabesque, toute tracée.

Pour inscrire sa fable dans l’histoire en marche, Redonnet évoque de ci de là quelques événements : météorologique, comme le mois de février cinquante-six, « alors que le gel mordait la pierre et la terre et que la neige durcie comme une croûte engloutissait le monde depuis des semaines » ; historique, comme le dix-neuf mars 1962, jour des accords d’Evian, ou décembre 1918, année de la de la naissance de son héros peu après l’armistice. Au cours de la narration, quelques dates (62, 64) plantées dans le texte comme des bornes, jalonnent la résistance de Zozo aux assauts des bureaucrates.

Pourtant, bien qu’il ait « la manie des dates et des symboles », le calendrier de Zozo s’écoule en marge du temps des hommes, « selon un ordre bien défini qui, s’il n’était pas réfléchi, n’en était pas moins réglé sur le grand mouvement des choses, en fonction des saisons, les saisons elles-mêmes vécues par rapport aux mois et les mois articulés sur les lunes ». L’histoire de Zozo se déroule dans un pays fait de pommiers de plein-vent, d’allées de noyers  et de taillis bourrus, un pays de légende, signe l’éditeur… on a plutôt envie de dire de mémoire, puisque c’était le pays de Genevoix, le même que celui de Giono, que celui de Guilloux.  Assurément, Redonnet est de cette écurie-là .

 

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