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lundi, 11 mai 2009

La tête dans le miroir

Peu importe qui c’était. Moi, je ne le connaissais pas. Vous non plus. Son nom, brutalement a fait par deux fois la une des journaux. Cela s’est passé à Lyon. A  Lyon-Vaise plus précisément. Vers 2h 30, une nuit, un homme est réveillé par des cris provenant de l’appartement du dessus, au 12ème étage. Il dira, plus tard : « Les cris sortaient de sa gorge ». Evidence, pour dire ce qui le dépasse, et de loin. Et puis aussi : « je n’ai pas osé monter, des bruits pareils, ça fait vraiment peur ». L’homme, donc, appelle la police ; vérification d’identité. Ils frappent au-dessus, ça ne répond pas, ils s’en retournent. Routine ? « Je suis persuadé que la police a raté l’assassin à cinq minutes près », dira l’homme. « Juste avant que la police arrive, j’ai entendu la porte du-dessus se refermer, l’ascenseur descendre. » Ambiance. Ambiance Derrick, n’est-ce pas ?

Là il faudrait presque un intermède. Une pub, comme il y en a après Derrick, vous savez ? Une pub pour les vélos d’appartement ou les barres de baignoires qui aident les personnes âgées à se relever dans l’eau glissante. Mais la maison n’a pas ça. On s’en passera. L’épisode reprend.

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Larry Clark, Tête coupée  (2003)

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dimanche, 10 mai 2009

Le sourire d'une mère (Pollio IV)

Le Pollio de Virgile pose à ses traducteurs un ultime problème,  avec une incertitude sur les mots «cui» et «parentes», lesquels pourraient être une altération de «qui» et de «parenti». « Cui non risere parentes » se traduit par « celui à qui ses parents n’ont pas souri » ; « qui non risere parenti » par « celui qui n’a pas souri à sa mère » (parent, au singulier, pouvant être l’un ou l’autre). La tradition manuscrite a longtemps privilégié la première version (celui à qui n’ont pas souri ses parents), la tendance moderne préfère la seconde (celui qui n’a pas souri à sa mère), en s’appuyant sur une citation du texte de Virgile par Quintilien (mais Quintilien, le citant de mémoire, a pu se tromper). D’autres solutions font alterner le datif (cui) et le singulier (parenti).

Laquelle est la bonne ?  Nul ne le sait. Laquelle est la meilleure ? 

Celui qui n’a reçu aucun amour de ses parents prend dans la vie un bien mauvais départ, c’est bien connu. Le sourire de la mère, notamment (que Romain Gary appela ironiquement « la promesse de l’aube »)  toute une tradition judéo-chrétienne en fit le prélude aux grands destins, à commencer par celui du Christ lui-même. Les partisans du second choix préfèrent que l’enfant prenne les devant et sourie le premier. Ils s’appuient sur de vieilles chansons de nourrice dans lesquelles on invite le nouveau-né à faire risette pour devenir méritant :

 « Celui qui n'a pas fait risette à maman,

le dieu ne l'a pas pris à sa table,

ceux qui n'ont pas fait risette à maman,

la déesse ne les a pas pris dans son lit. »

 

De la mère ou de l’enfant, qui invite l’autre à sourire ? On ne va pas organiser un concours, et le mystère virgilien reste entier.  Voici deux solutions contraires, la première de Cabaret-Dupaty (1878), la seconde de Paul Valéry :

 

Commence, jeune enfant, à reconnaître ta mère à son sourire.

Ta mère, pendant dix mois, a souffert de longs ennuis.

Commence, jeune enfant. Celui à qui ses parents n'ont pas souri

ne fut jamais trouvé digne de partager la table d'un dieu, ni le lit d'une déesse.

 

Sache par ton sourire accueillir cette mère

(Qui, durant dix longs mois, t'a porté dans son sein) ;

Pour sa mère, celui qui n'eut pas ce sourire

N'aura les mets des dieux, ni le lit des déesses.

 

Pour finir, voici celle qui me semble convenir (vers 48 à 63)    

 

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09:40 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pollio, virgile, bucolique, littérature latine | | |

samedi, 09 mai 2009

Virgile et l'esprit prophétique (Pollio 3)

Le Pollio de Virgile, l’un des textes les plus importants de l’Antiquité ? La question reste pendante, en raison surtout de la double lecture qu’il a occasionnée, presque sitôt qu’il fut connu. La première, romaniste, fait de l’enfant le fils du consul Pollio, Asinius Gallus. Celui-ci, grandissant dans un monde « qu’auront apaisé les vertu de son père », verra au fur et à mesure de sa croissance refleurir sur terre l’âge d’or, placé dès le vers 6 sous le signe de la vierge Thémis, fille de Zeus et déesse de la justice. Les crimes des temps passés, par deux fois évoqués (sceleris vestigia nostri , vers 13 & vestigia fraudis, vers31), se comprennent fort bien comme des allusions aux crimes que représentent aux yeux de Virgile les guerres civiles et le déchainement de cruautés auquel elles ont donné lieu, pour la troisième fois en mois d’un siècle. Quant à la promesse en un âge d’or imminent, il se comprend comme une transposition poétique de l’espoir suscité par la paix de Brindes. L’allusion à la Sibylle de Cumes et à ses prophéties a cependant très tôt nourri une autre lecture, dite orientaliste, car le christianisme antique, puis médiéval, a très vite a reconnu le Christ lui-même dans l’enfant de la quatrième églogue : c’est cette interprétation qu’officialisera en quelque sorte l’empereur Constantin dans son fameux Discours des Saints, vraisemblablement prononcé le 7 avril 323, dans lequel il énumère, parmi les prophètes du Christ, à côté des Saints de l’ancien Testament, les oracles de la Sibylle d’Erythrée et surtout les espérances qui parsèment la quatrième Bucolique de Virgile. Virgile, prophète du Christ, l’idée est reprise par Saint-Augustin dans la Cité de Dieu (livre X, chapitre 27) : «Que Virgile, en effet, ne parle pas ici de son propre chef, c’est ce qui ressort du vers quatrième de l’Eglogue : Voici désormais venu le dernier âge de  l’oracle de Cumes.  Et donc  il saute aux yeux que c’est d’après la sibylle de Cumes qu’il a dit cela. »

Dans cette optique, l’ancienne malice responsable des anciens crimes se lit telle une trace du péché originel, l’antique faute comme celle qui fut commise par les premiers parents dans le Paradis Terrestre, et l’enfant associé, dans une œuvre de circonstance, à la descendance de Pollion, devient une annonce de la venue du Christ, dont Virgile aurait eu vent grâce aux rumeurs issues d’Orient sur l’avènement d’un roi à venir et le rétablissement un nouvel ordre des siècles.

La double lecture de l’églogue de Virgile devint rapidement une controverse au fil des siècles, ce qui explique sans doute que dans l’article Sibylle de son Dictionnaire Philosophique (1764), le déiste Voltaire lui consacre un long développement :

« Enfin ce fut d’un poème de la sibylle de Cumes que l’on tira les principaux dogmes du christianisme. Constantin, dans le beau discours qu’il prononça devant l’assemblée des saints, montre que la quatrième églogue de Virgile n’est qu’une description prophétique du Sauveur, et que s’il n’a pas été l’objet immédiat du poète, il l’a été de la sibylle dont le poète a emprunté ses idées; laquelle, étant remplie de l’esprit de Dieu, avait annoncé la naissance du Rédempteur.  On crut voir dans ce poème le miracle de la naissance de Jésus d’une vierge, l’abolition du péché par la prédication de l’Évangile, l’abolition de la peine par la grâce du Rédempteur. On y crut voir l’ancien serpent terrassé, et le venin mortel dont il a empoisonné la nature humaine entièrement amorti. On y crut voir que la grâce du Seigneur, quelque puissante qu’elle soit, laisserait néanmoins subsister dans les fidèles des restes et des vestiges du péché; en un mot, on y crut voir Jésus-Christ annoncé sons le grand caractère de fils de Dieu. Il y a dans cette églogue quantité d’autres traits qu’on dirait avoir été copiés d’après les prophètes juifs, et qui s’appliquent d’eux-mêmes à Jésus-Christ; c’est du moins le sentiment de l’Église. Saint Augustin en a été persuadé comme les autres, et a prétendu qu’on ne peut appliquer qu’à Jésus-Christ les vers de Virgile. Enfin les plus habiles modernes soutiennent la même opinion. »

Plus tard, dans le « Onzième entretien » des Soirées de Saint-Pétersbourg,(1809) et dans le contexte contre-révolutionnaire, Joseph de Maistre ne peut ignorer la question à son tour : « Remontez aux siècles passés, transportez-vous à la naissance du Sauveur: à cette époque, une voix haute et mystérieuse, partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas: L'orient est sur le point de triompher; le vainqueur partira de la Judée; un enfant divin nous est donné, il va paraître, il descend du plus haut des cieux, il ramènera l'âge d'or sur la terre...?  Vous savez le reste. Ces idées étaient universellement répandues; et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poète latin s'en empara et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion, qui fut depuis traduit en assez beaux vers grecs, et lu dans cette langue au concile de Nicée par l'ordre de l'empereur Constantin. Certes, il était bien digne de la providence d'ordonner que ce cri du genre humain retentît à jamais dans les vers immortels de Virgile. Mais l'incurable incrédulité de notre siècle, au lieu de voir dans cette pièce ce qu'elle renferme réellement, c'est-à-dire un monument ineffable de l'esprit prophétique qui s'agitait alors dans l'univers, s'amuse à nous prouver doctement que Virgile n'était pas prophète, c'est-à-dire qu'une flûte ne sait pas la musique, et qu'il n'y a rien d'extraordinaire dans la quatrième églogue de ce poète; et vous ne trouverez pas de nouvelle édition ou traduction de Virgile qui ne contienne quelque noble effort de raisonnement et d'érudition pour embrouiller la chose du monde la plus claire. » Et plus loin :

« Et vous pouvez voir dans plusieurs récits, notamment dans les notes que Pope a jointes à sa traduction en vers du Pollion, que cette pièce pourrait passer pour une version d’Isaïe. Pourquoi voulez-vous qu’il n’en soit pas de même aujourd’hui ? L’univers est dans l’attente. Comment mépriserions-nous cette grande persuasion ? et de quel droit condamnerions-nous les hommes qui, avertis par ces signes divins, se livrent à de saintes recherches ? »

La réception de ce texte, de siècle en siècle, épouse ainsi les contours de l’histoire de la spiritualité en Occident. Le héros de la quatrième bucolique témoigne de la puissance de la littérature : car il fait figure de passeur, de passeur poétique et si l’on veut chimérique, mi païen, mi chrétien, et déjà  humaniste. Héros littéraire, et non idéologique : J’ignore quel avenir lui réserve la société post moderne, bizarre alliance de superstitions malsaines et de rationalisme corrompu : L’enfant de la quatrième bucolique pourra-t-il survivre encore longtemps dans un univers qui traite aussi mal ses rivières, ses hommes et ses livres, et sera-t-il à même, sans parler d’instaurer un nouvel ordre des siècles, de faire rentrer le monde dans  ses gonds ? 

Ci-dessous, suite de la traduction en cours (vers 31 à 47)

 

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vendredi, 08 mai 2009

Pollio (2)

Si les Grecs faisaient déjà référence au mythe de l’âge d’or, et en tout premier lieu Hésiode, ce sont les Latins et, en tout premier lieu Virgile, qui l’ont inscrit avec enthousiasme dans une perception déjà expérimentée de la nature et du temps, du déroulement raisonné des saisons dans lequel ils ont conçu l’histoire de leur développement technique comme celui de leur rayonnement intellectuel. Le trait de génie de Virgile, dans cette Quatrième Bucolique, c’est bien de transformer un mythe de la déchéance (l’âge d’or est derrière nous) en mythe de la résurrection (l’âge d’or est devant nous) ; voici donc que l’Age d’Or n’est plus un âge perdu, mais un âge à venir qui s’inscrit dans un calendrier des saisons immédiates parfaitement identifié ; avec lui, le temps de l’humaine condition n’est plus, comme chez les Grecs, marqué par la précarité et la fragilité de ce qui est périssable, mais par la confiance dans le devenir futur d’une civilisation capable de se rêver immortelle.

C’est ainsi que d’un point de vue poétique, la description de cet âge d’or à venir se fond dans celle d’une expérience sensuelle – et par-là purement bucolique – de la nature telle que l’enfant la découvre au présent : belle, colorée, odorante, soumise au désir de bonheur du poète inaugural. L’enfant, quittant son berceau, rencontre un monde sans danger, c’est-à-dire civilisé, sans ronces ni serpents. Un monde à sa convenance. Dans ce monde là, la jeunesse est studieuse et l’éducation se déplie autant à l’ombre des grands récits que dans les travaux des champs. La réussite exceptionnelle de ce texte tient ainsi au lien harmonieux qu’il crée entre la perspective de la civilisation humaine et  celle du cours de la nature, du déroulement des saisons et du déroulement de l’histoire humaine soudainement confondus. A la subtile et harmonieuse correspondance qu’il institue entre ce qu’Hannah Arendt appellera bien plus tard notre concept d’histoire et notre concept de nature, pour démontrer à quel point la crise de la culture et la disparition des humanités tiennent précisément au divorce que les temps modernes prononça entre les deux. Je poursuis donc ma traduction (vers 18 à 30).

 

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jeudi, 07 mai 2009

Pollio (1)

Je ne sais pas si c’est le plus grand texte de l’Antiquité, en tout cas je le considère comme l’un des plus grands textes de mon adolescence ; cette quatrième bucolique de Virgile par laquelle je compris quel lien poétique nous liait encore un peu, nous, français décadents, à la langue latine. Cet enfant, cette chimère héroïque en qui certains Pères de l’Eglise ont vu le Christ m’a fasciné comme peu de héros antiques, je dois le dire : cet enfant fut un passeur. Un passeur chimérique, un songe miraculeux.  Et puisque voici venir trois jours « de pont » (quelle expression idiote), je propose qu’on les passe en son auguste compagnie. Je débute ce soir avec les vers 1 à 17.  Le texte latin d’abord, puis la traduction que je propose. Je rappelle que Valery a livré du texte de Virgile une traduction fort célèbre qui fut publiée en 1957. On la trouvera sur ce site, ainsi que de nombreuses considérations de Pierre Campion, fort intéressantes. Pour les amoureux du latin de toute façon, toute traduction est une belle infidèle et le mieux consiste encore à apprendre peu à peu et par cœur le texte original. Belle occupation pour célébrer l’armistice.

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23:02 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature latine, pollio, virgile, bucolique | | |

mercredi, 06 mai 2009

Le banc des philosophes

Rêve-t-on encore sous les tilleuls et les marronniers de l'allée d'Argenson ? Sur le banc des philosophes, on ne s'entretient plus guère avec soi-même, "de politique, d'amour, de gout ou de philosophie". Politique, amour, gout, philosophie sont  devenus trop techniques pour n'avoir pas perdu le rêve. Les comédiens, eux-mêmes, ont remisé la jolie pantomime. Ils ont bouffé le Paradoxe jusqu'à plus soif, jusqu'à plus faim, et jusqu'à plus douleur. Et dans des cours de théâtre aussi techniques que des ateliers d'écriture, fifils et fillettes de famille sont devenus techniques, techniques, techniques jusque dans l'improvisation. N'importe quel oblibrius, n'importe quel olibria, pourvu que son papa ou sa maman lui paye quelque cours et ait quelque entregent, finit ainsi  par se retrouver capable de lustrer son nombril en faisant quelque joli sourire à un parterre désoeuvré qui l'applaudit. La petite Hus et le gros Bertin se seront bien reproduits et les suceurs de micros auront foutrement bien clôné le monde. Les Lumières brillaient jadis par leur liberté de ton ; quelques rayons captés à la va-vite et conservés dans du formol furent suffisants pour bâcler une idéologie du progrès démocratique dont nous crevons tous en baillant, technologiquement vôtre. Rameau, Rameau, nous manquons terriblement d'insolence véritable, nous en crevons même. Méritons-nous mieux que notre président qui ressemble à Louis de Funes et sa première dame dont le postérieur circula par les écrans du monde, aussi vite que la lumière, nous qui défilons en cortèges, sous des ballons ? La politique c'est technique, comme le syndicat, comme le mannequinnat, comme la révolte, comme tout le reste.

"J'entends, dit le neveu de Rameau à la fin du dialogue, la cloche qui sonne les vêpres de l'abbé de Canaye"; Invariablement fixée à six heures, la représentation de l'opéra était, du temps de Diderot, ainsi annoncée dans les jardins du Palais-Royal, une demi-heure avant le lever de rideau. C'était aussi l'heure des vêpres que, selon Louis Sébastien Mercier, le beau monde appelait "l'opéra des gueux" : entre les deux, cet abbé avait fait son choix. Hélas, à l'opéra comme à la basilique, j'ai peur de ne trouver à présent que les colifichets de la société du spectacle : à l'heure des pandémies intellectuelles annoncées, tout se transmet et se retransmet, et l'on n'entend plus guère sonner les cloches au pays des écrans, pas plus qu'on n'entend venir les virus dans celui des masques en cellulose. Dans la pâleur du lieu commun, nos pensées ne sont plus nos catins, mais nos légitimes.

lundi, 04 mai 2009

Victor Serge & les procès de Moscou

Entre Victor Serge (1890-1946) et Jean Galtier-Boissière (1891-1966), je n’aurais à priori jamais cru qu’il y eut le moindre lien. Or en feuilletant les Mémoires d’un Parisien (tome II, chapitre 44), je découvre que Galtier-Boissière rapporte assez longuement la relation épistolaire qu’il a nourrie avec Victor Serge, alors réfugié à Ixelles en Belgique, durant l’année1936, lorsqu’il confia à ce dernier la rédaction d’un numéro du Crapouillot, « De Lénine à Staline », qui parut en janvier 1937.

« Jamais, écrit Galtier-Boissière, je n’ai eu affaire à un collaborateur aussi ponctuel et aussi maître de sa plume. Il tint exactement ses engagements et le numéro parut à l’heure dite ». En raison de cet article qui dénonçait la dictature stalinienne, les purges et les exécutions arbitraires de 36 (Zinoviev, Kamenev, Smirnov…), le projet totalitaire de Staline (déjà dénoncé tel un fou, un dictateur et un sanguinaire), l’Humanité de l’époque mena contre Victor Serge une de ces campagnes dont ce journal, au même titre que d’autres, eut le triste secret lorsque ses intérêts idéologiques étaient en jeu.

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Victor Serge

 

 

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samedi, 02 mai 2009

Des programmes en littérature

Il y a, dans la notion pourtant indispensable de programmes scolaires, quelque chose qui doit glacer le sang de chacun dès lors qu’il s’applique à ce qu’on appelle sans plus trop savoir de quoi il s’agit à la littérature française. Car un programme a pour premier objectif, quel  que soit son contenu, d’être compréhensible et assimilable par tous. Et pour second, qu’il l’avoue ou non, de satisfaire les enjeux idéologiques de ceux qui l’ont conçu: ainsi l’OCDE a-t-elle averti dans l’une de ses brochures déjà ancienne (1998) que désormais, le classicisme,  jugé par elle « trop français » devrait être progressivement retiré des programmes au profit de l’Humanisme et des Lumières, mouvements culturels plus nettement européens. Les réformes des programmes de français de lycée adoptées dans la foulée ont vu dès lors une révision significative : on mettrait l’accent en classe de seconde sur le romantisme et le naturalisme, en classe de première sur l’humanisme et sur les Lumières, évacuant sans trop le dire le classicisme et ses auteurs soudainement considérés comme subversifs autant que réactionnaires pour avoir eu le malheur de vivre au siècle de Louis XIV.

 

Il faut se rappeler que le contenu d’un programme, lorsqu’il est question de littérature, ce sont les œuvres, les auteurs. Or il se trouve qu’une œuvre, un auteur, c’est exactement ce qui échappe de façon irréductible aux programmes et aux objectifs plus ou moins sains qui les gouvernent. La plupart du temps, dès lors, le sale boulot du prof de français, c’est d’une part de ramener à du commun ce qui n’est pas commun et  à du systématique ce qui échappe au système (afin de remplir la première formalité – rendre une œuvre assimilable par tous),  et d’autre part d’adapter à l’idéologie des temps présents ce qui appartient à celles des temps passés, et qu’importent les multiples contresens. Cette double entreprise de simplification et de travestissement des œuvres littéraires est ce qui  sous-tend depuis toujours l’élaboration d’un programme de lettres.  C’est ainsi, par exemple,  que Montaigne se retrouve dans la peau de l’homme qui doute, Montesquieu dans celle du penseur ironique, Voltaire dans celle du tolérant de service (ce qui est assez comique), tandis que Rousseau endosse la défroque du paranoïaque officiel. De ces quatre-là ne seront commentés que quelques textes devenus les timbres postes d’une République aphone et paradoxale, dont les élites refusent avec un aveuglement stupéfiant d’admettre qu’elle a cessé d’être un modèle pour le reste du monde.

 

Le plus regrettable dans tout cela, c’est que la langue et la littérature françaises, faites l’une pour être parlée, l’autre lue, toutes deux pratiquées, s’échappent de nos mémoires et de notre pratique. J’en veux pour preuve un fait assez étonnant : deux films, coup sur coup, prétendent de manière fort péremptoire poser « les problèmes de l’école » devant le public : L’Entre les Murs de Bégaudeau, et L’Année de la Jupe de Lilienfeld.  Ces deux films ridicules sont censés poser (pour l'enrichir) le débat sur l’école, les élèves des cités, leur insertion, l’autorité des adultes, la conduite d’un cours, blablablabla… Qu’ils posent, qu’ils posent. Et que leurs producteurs gagnent au passage quelques millions d’euros. Je remarquerai néanmoins une chose, que tout le monde semble oublier : c’est dans les deux cas au cours de Lettres qu’on s’en prend, sans ménagement, comme s'il était, ce malheureux cours de lettres, un simple prétexte d’une part, et puis l’affaire de tous, d'autre part…  Je ne dirai pas à quel point Bégaudeau et sa démagogie obscène me répugne, je l’ai déjà fait savoir publiquement. Je pose cette simple question : pourquoi est-ce le nom de Molière, cette fois-ci encore, que Sophie Marceau (1) demande à l’immigré de service, un flingue au poing ? Pourquoi Molière et pas la formule du sodium ? Pourquoi prof de lettres, et pas de maths ou de gestion ?

Voilà que par deux fois - pour mettre en scène le malaise qui a gagné l'école depuis que libéraux puis socialistes, socialistes puis libéraux, n'ont cessé de lui faire subir les réformes préconisées par des instances internationales -, on montre, sans le dire vraiment, que l'enseignement d'une "matière" (la littérature) est bien mal adaptée aux délectables temps post-modernes dans lesquels nous croupissons : Qu’on ne s’étonne pas, dès lors, que les professeurs de lettres soient, comme le disent certains, pessimistes, comme le disent d’autres, réactionnaires. Je veux bien endosser ces deux défroques, dès lors que mon métier est de permettre aux élèves qu’on me confie de lire aussi bien Louis Guilloux, président des écrivains anti fascistes, que Henri Béraud, prétendument collaborateur. Jules Valles que Charles Péguy. Diderot que Bossuet. André Gide que Maurice Barres. Nous parlons bien de littérature française, n’est-ce pas ?

 

 (1) : On me fait remarquer en commentaire que, par inadvertance, j'ai confondu Adjani et Marceau. Je précise que c'est un vrai lapsus. Si, pour céder à un freudisme de bas étage, j'analysais son "rapport avec l'inconscient", je crois pouvoir dire qu'il est révélateur de la grande estime dans laquelle je tiens ces deux dames; en tout cas de la manière dont je les trouve, comme tous ces êtres aussi étranges qu'erratiques qui flottent sur nos écrans, interchangeables : donnez quelques kilos à l'une, vous obtenez l'autre. Notez bien que ce que je dis des dames est tout aussi vrai des messieurs : on passe de dutronc père à dutronc fils, de delon père à delon fils, de bruno masure à laurent delahousse avec la même consternante facilité que de claire chazal à laurence ferrari; ce monde désolant fait de copies m'en fait oublier les majuscules...

vendredi, 01 mai 2009

L'Appel d'Alceste

Premier mai : tout simplement le premier jour d’un nouveau mois. Quoi d’autre ? Rien. Rien de plus, assurément.

 

Le monde approximatif continue de tourner sur l’axe du mensonge, et s’y grippe. Les générations successives s’époumonent en vain, les plus jeunes y laissant désormais la syntaxe de leurs pères  : l’ignorance tourne en leurs viscères, telle une toupie géante qui les épuise en les défigurant. Chacun, emporté par la creuse rotondité de son propre nombril vers la fin de sa ridicule course, consumé par les cercles qu’il aura accompli dans le vide et dans le vide en vain dessiné, sur le trottoir grimaçant de son idiotie, de sa démence, par tous les autres applaudies. Rien de plus. On appelle cela la fête ! Laissez rire Alceste ! Un simple mouvement de cil, pour fermer la paupière sur cette raréfaction de l’esprit, le temps de reprendre son souffle. Plonger le cœur en un appel misanthrope et souverain.

17:58 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alceste, poèsie, littérature, premier mai, néant, bétise | | |