jeudi, 29 octobre 2009
Lieux Communs
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vendredi, 19 juin 2009
Bétise et lieux communs
Notre quotidien, quel qu’il soit (& qui que nous soyons), nous ramène toujours aux mêmes tâches, aux mêmes pensées, aux mêmes remarques, déterminant notre vision du monde et le rapport souvent cliniquement désabusé que nous nourrissons avec lui. Cela m’a toujours frappé, la manière dont un médecin dit toujours « les malades » ou « les patients », un commercial ou un commerçant « les clients », un professeur « les élèves », un concierge « les résidents », un théâtreux « les spectateurs », un politique « les électeurs» et au final, pour parler de tous ceux qui ne sont pas encore tombés entre ses pattes, un gardien de morgue « les vivants ». Généralement, à cette portion de l’humanité avec laquelle sa profession le met en contact, avec ce qu’il est commun d’appeler « les autres » on accole une caractéristique générale : ainsi, les malades deviennent de plus en plus procéduriers, les résidents de plus en plus sales, les élèves de plus en plus nuls, les vivants (sans doute) de plus en plus nombreux, etc.… (1) C’est un effort quotidien de ne pas se laisser enfermer dans ce type de représentations, et dans l’ensemble des lieux communs qui vont avec. L’écrivain Rémi de Gourmont, dans sa réflexion sur les lieux communs (2), définit cet effort comme étant une « dissociation des idées » trop rapidement accolées l’une avec l’autre. Effort que je répugne une fois sur deux à faire, je l’avoue, tant je vois qu’autour de moi, peu de gens y consentent. Si par exemple une part de moi vit avec l’idée que les élèves sont nuls, c’est d’une part parce que je lis depuis trop longtemps leurs copies, d’autre part parce que ça m’arrange de le penser. Cela m’arrange doublement : d’une part, cela me permet de penser cette nullité comme une sorte de fatalité. D’autre part, lorsque j’en rencontre qui ne le sont pas, cela crée une bonne surprise. Une excellente, même ! Dans son essai, Rémi de Gourmont poursuit : « L’homme associe les idées non pas selon la logique, selon l’exactitude vérifiable, mais selon son plaisir et son intérêt. C’est ce qui fait que la plupart des vérités ne sont que des préjugés. »
Ainsi pense-t-on trop vite et trop souvent que c’est la simple bêtise qui est à l’origine de la plupart des lieux communs : trop rarement, parce que sans doute cela nous dérange, que c’est, en effet, le plaisir ou l’intérêt.
(1) Un professeur me manifestait l’autre jour sa surprise devant le choix précoce (fin de seconde) d’une de ses élèves qui veut être thanatologue : Après réflexion, nous avons convenu que c’était un bon choix qui, au vu du sort qui nous attend tous et vu le nombre que nous sommes, risque de la mettre durablement à l’abri du chômage.
(2) Rémi de Gourmont, La culture des Idées (1900)
18:42 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, rémy de gourmont, culture des idées, lieux communs, préjugés, éducation |
samedi, 14 février 2009
On ne va pas se mentir
A l’origine, un commandement d’ordre moral et religieux : « Il ne faut pas mentir », que l’expression reprend, en en modalisant tout ce qu’il manifestait de trop injonctif pour les sensibilités post-modernes. Car, aussi douce que rouée, l’époque présente feint d’avoir en horreur l’autorité. Chérie, on ne va tout de même pas se mentir ?
L’expression possède tout ce qu’il faut pour devenir rapidement un lieu commun : ce pronom on, tout d’abord, dont la valeur indéfinie masque bien sûr ici un pronom de la première personne (je) ou de la deuxième (tu). Tout dépend.
Sa forme pronominale, ensuite, qui peut tout aussi bien être réfléchie que réciproque (je ne vais pas me mentir, je ne vais pas vous mentir, nous n’allons pas nous mentir, tu ne vas pas me mentir, tu ne vas pas nous mentir, etc.) En recourant à un sujet indéfini tout en en restant vague sur la valeur réfléchie ou réciproque du procès, cet énoncé ouvre une porte vers le non-dit, l’allusif, le vague. Et cette porte laissée ouverte possède toutes les allures d’un premier mensonge (l’un des moins pardonnables), le mensonge par omission.
A bien y regarder, l’implicite de cette expression, fort employée autour de nous, c’est que le mensonge partout régnant serait partout souverain. Partout, sauf, précisément, dans cette entre soi que son emploi, pourvu que le ton y soit également, cherche à créer entre deux interlocuteurs. Telle est la grâce de ces quelques mots, affirmer que tout ce qui précède et suivra la parenthèse qu’ils ouvrent dans un bref échange n’est que pur mensonge. Leur corollaire étant : partout, on (les autres) ne fait que se mentir. Le mensonge serait donc un vice public, tandis que la vérité serait une vertu privée : étrange et commode postulat. « On ne va pas se mentir » présuppose par ailleurs que la sincérité est une valeur rare, voire quasiment inexistante, et de cette valeur, fait une sorte de distinction. Son emploi tente de restaurer une communauté de belles âmes, communauté pourtant fort improbable dans le désert qu’habitent, à l’en croire, presque 7 milliards de sales âmes passant leur temps à se mentir.
Dans la bouche de monsieur tout le monde, le lieu commun sert à introduire une concession : « On vend des livres, on ne va pas se mentir, mais on sait que ce sont des gens de la génération qui est née avant l’Indépendance, ceux qui ont aujourd’hui entre 50 et 60 ans, qui lisent. » déclare une libraire algérienne interrogée sur les habitudes de lecture de ses compatriotes. Autrement dit, « je vends des livres, certes, mais cela ne va pas durer ». Mais dès qu’on quitte monsieur tout le monde, les enjeux ne sont pas les mêmes d’une situation d’énonciation à une autre. Ne pas se mentir n’a pas le même sens entre un politique et un téléspectateur, un médecin et son patient, un Roméo et une Juliette.
En politique, « on ne va pas se mentir » sert invariablement à annoncer un problème, une situation délicate, une catastrophe. On voit mal Fillon dire « on ne va pas se mentir, la France est prospère ». Dans ce cas-là, le tribun ou la tribune (tiens, on dit ça, la tribune ?) fait mine de ne pas avoir, au contraire de tous ses confrères et consœurs du milieu politique, la peu populaire langue de bois. C’est ainsi que, depuis 1974, « On ne va pas se mentir, il va falloir faire des efforts » est devenu un classique des politiques gouvernementales.
Le lieu commun est vivace aussi dans le sport ; « on ne va pas se mentir, on a fait un mauvais match » entend-on à l’entrée du vestiaire. Ne pas se mentir, c’est ici non seulement ne plus se raconter des bobards de politiciens, mais également ne pas s’illusionner soi-même : glissade de la valeur réciproque, sur laquelle se fonde le « pacte démocratique » à la valeur réfléchie, sur laquelle repose la pertinence de l’exploit héroïque. Le sportif joue sur un présupposé d’époque, qu’il partage d’ailleurs avec le politique : qu’importe qu’il ait été (ou soit) nul, pourvu qu’il soit sincère. Dans ce cas-là l’emploi du lieu commun sonne comme un recours en grâce. Ne pas mentir demeurant la dernière façon de ne pas perdre complètement la face, ni le salaire qui va avec.
07:08 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : politique, langue française, lieux communs |