samedi, 14 février 2009
On ne va pas se mentir
A l’origine, un commandement d’ordre moral et religieux : « Il ne faut pas mentir », que l’expression reprend, en en modalisant tout ce qu’il manifestait de trop injonctif pour les sensibilités post-modernes. Car, aussi douce que rouée, l’époque présente feint d’avoir en horreur l’autorité. Chérie, on ne va tout de même pas se mentir ?
L’expression possède tout ce qu’il faut pour devenir rapidement un lieu commun : ce pronom on, tout d’abord, dont la valeur indéfinie masque bien sûr ici un pronom de la première personne (je) ou de la deuxième (tu). Tout dépend.
Sa forme pronominale, ensuite, qui peut tout aussi bien être réfléchie que réciproque (je ne vais pas me mentir, je ne vais pas vous mentir, nous n’allons pas nous mentir, tu ne vas pas me mentir, tu ne vas pas nous mentir, etc.) En recourant à un sujet indéfini tout en en restant vague sur la valeur réfléchie ou réciproque du procès, cet énoncé ouvre une porte vers le non-dit, l’allusif, le vague. Et cette porte laissée ouverte possède toutes les allures d’un premier mensonge (l’un des moins pardonnables), le mensonge par omission.
A bien y regarder, l’implicite de cette expression, fort employée autour de nous, c’est que le mensonge partout régnant serait partout souverain. Partout, sauf, précisément, dans cette entre soi que son emploi, pourvu que le ton y soit également, cherche à créer entre deux interlocuteurs. Telle est la grâce de ces quelques mots, affirmer que tout ce qui précède et suivra la parenthèse qu’ils ouvrent dans un bref échange n’est que pur mensonge. Leur corollaire étant : partout, on (les autres) ne fait que se mentir. Le mensonge serait donc un vice public, tandis que la vérité serait une vertu privée : étrange et commode postulat. « On ne va pas se mentir » présuppose par ailleurs que la sincérité est une valeur rare, voire quasiment inexistante, et de cette valeur, fait une sorte de distinction. Son emploi tente de restaurer une communauté de belles âmes, communauté pourtant fort improbable dans le désert qu’habitent, à l’en croire, presque 7 milliards de sales âmes passant leur temps à se mentir.
Dans la bouche de monsieur tout le monde, le lieu commun sert à introduire une concession : « On vend des livres, on ne va pas se mentir, mais on sait que ce sont des gens de la génération qui est née avant l’Indépendance, ceux qui ont aujourd’hui entre 50 et 60 ans, qui lisent. » déclare une libraire algérienne interrogée sur les habitudes de lecture de ses compatriotes. Autrement dit, « je vends des livres, certes, mais cela ne va pas durer ». Mais dès qu’on quitte monsieur tout le monde, les enjeux ne sont pas les mêmes d’une situation d’énonciation à une autre. Ne pas se mentir n’a pas le même sens entre un politique et un téléspectateur, un médecin et son patient, un Roméo et une Juliette.
En politique, « on ne va pas se mentir » sert invariablement à annoncer un problème, une situation délicate, une catastrophe. On voit mal Fillon dire « on ne va pas se mentir, la France est prospère ». Dans ce cas-là, le tribun ou la tribune (tiens, on dit ça, la tribune ?) fait mine de ne pas avoir, au contraire de tous ses confrères et consœurs du milieu politique, la peu populaire langue de bois. C’est ainsi que, depuis 1974, « On ne va pas se mentir, il va falloir faire des efforts » est devenu un classique des politiques gouvernementales.
Le lieu commun est vivace aussi dans le sport ; « on ne va pas se mentir, on a fait un mauvais match » entend-on à l’entrée du vestiaire. Ne pas se mentir, c’est ici non seulement ne plus se raconter des bobards de politiciens, mais également ne pas s’illusionner soi-même : glissade de la valeur réciproque, sur laquelle se fonde le « pacte démocratique » à la valeur réfléchie, sur laquelle repose la pertinence de l’exploit héroïque. Le sportif joue sur un présupposé d’époque, qu’il partage d’ailleurs avec le politique : qu’importe qu’il ait été (ou soit) nul, pourvu qu’il soit sincère. Dans ce cas-là l’emploi du lieu commun sonne comme un recours en grâce. Ne pas mentir demeurant la dernière façon de ne pas perdre complètement la face, ni le salaire qui va avec.
07:08 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : politique, langue française, lieux communs |
Commentaires
Écrit par : simone | samedi, 14 février 2009
Écrit par : Une sale âme | samedi, 14 février 2009
Je ne vais tout de même laisser insulter notre hôte, non mais, sans blague !!! Salam alekoum, Frasby.
Écrit par : simone | samedi, 14 février 2009
Écrit par : Christophe Borhen | samedi, 14 février 2009
Ce commentaire ne s'adresse pas aux tout-jeunes gens, qui fêtent ce jour la Saint-Cère (ou Cerf) et se gobergent dans des illusions; eux aussi comprendront trop tard.
Écrit par : Pascal Adam | samedi, 14 février 2009
Corneille, Le Menteur, IV, 5
D'un bout du monde à l'autre on ment et l'on mentit ; nos neveux mentiront comme ont fait nos ancêtres.
Voltaire, Filles de Minée.
Et, pour n'en point mentir, n'êtes-vous pas méchante De vous plaire à me dire une chose affligeante ?
Molière, Tart., II,4
Source : Le Littré
Écrit par : michèle pambrun | samedi, 14 février 2009
Cela dit, bien vu cette fameuse forme pronominale qui délaie le mensonge dans un brouet insipide où chacun sait confusément qu'il ment, feignant de croire que la vérité aura le dernier mot sur de telles bases !...
@ Simone : pas question de respecter ette règle d'or !!! C'est-y point malheureux ?
Écrit par : Michel | samedi, 14 février 2009
Votre billet est bien... vrai !
Écrit par : Zabou | samedi, 14 février 2009
"Il était une fois et une fois il n'était pas "
" Vérité et mensonge habitent la même maison et passent par la même porte. "
" Ecoutez ! Les sourds des tympans porteront la nouvelle aux absents, et les aveugles des deux yeux feront voir aux doubles boiteux l'endroit où s'est passé le jeu. "
Écrit par : michèle pambrun | samedi, 14 février 2009
Écrit par : simone | samedi, 14 février 2009
D'ailleurs, sans vouloir déflorer sa pensée, Solko ne semble pas dire autre chose dans son billet...
Écrit par : Michel | samedi, 14 février 2009
Écrit par : solko | samedi, 14 février 2009
Écrit par : solko | samedi, 14 février 2009
Écrit par : solko | samedi, 14 février 2009
Écrit par : solko | samedi, 14 février 2009
Écrit par : solko | samedi, 14 février 2009
Écrit par : solko | samedi, 14 février 2009
Écrit par : Loïs de Murphy | dimanche, 15 février 2009
Écrit par : simone | dimanche, 15 février 2009
Écrit par : solko | dimanche, 15 février 2009
une bonne idée) ... Ce n'est là que mon humble avis.
@Solko: vous aviez compris que je ne vous insultais pas, j'espère...
Moi? vous insulter ? Plutôt mourir ;-)
Écrit par : frasby | dimanche, 15 février 2009
Écrit par : Une sale âme | dimanche, 15 février 2009
Écrit par : solko | lundi, 16 février 2009
Je n'ai bien évidemment pas une seule petite seconde pensé à une réelle insulte. Il faut décidément bien se connaître pour jouer à ce petit jeu là ... (celui des mots que l'on exagère pour rebondir) Bien sûr que Solko avait compris ! Quant à moi, je m'entraîne depuis à marcher sur la pointe des pieds tout en cherchant la formule qui permettrait de faire passer le son (bien plus fidèle à véhiculer le sens) par le biais des mots écrits.
Écrit par : simone | lundi, 16 février 2009
Écrit par : Nénette | samedi, 21 février 2009
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