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dimanche, 07 juin 2009

Oncle Vania aux Célestins

Vu hier soir Oncle Vania, aux Célestins de Lyon. Mise en scène de la maîtresse de maison, Claudia Stavisky.

Etrange, vraiment, cette impression en retrouvant le pavé mouillé et la brasserie Francotte (celle où Charles Dullin allait boire son café), quelques heures après avoir quitté la salle, de ne pas avoir vu une véritable représentation; mauvais signe : signe d'un théâtre instable, d'un théâtre fugace, spectacle de quelques instants, dont rien ne demeure dans la ville, dans l’âme, dans l’esprit. A peine quelque perspective dans le regard, quand la foule se répand sur la place en quittant le grand hall : un effet de mise en scène, vase de roses brusquement transpercé d’une balle. Le souvenir d'un axe par lequel les comédiens entrent côté cour et sortent par la salle. L'image d’une robe, d’une table sur laquelle tout le monde, à tour de rôle, vient s’asseoir ou se coucher pour débiter du texte. Le souvenir pénible de la toile peinte d’une maison au demeurant fort laide qu’on conserve sous les yeux durant trois des quatre actes. Le texte de Tchekhov, pourtant, est passé par là.

 

Au théâtre tout est une question d’échelle : aussi une hiérarchie entre les acteurs s’est rapidement installée. Autant le dire tout de suite, je n’aime pas ce que fait généralement Philippe Torreton. En toute honnêteté, il fut pourtant, et de très loin,  le moins pire, le meilleur, même... Torreton qui jouait un Astov, certes un peu d’un bloc… mais au moins campait-il un personnage cohérent, capable de jouer avec le silence, capable de prendre son texte à bras le corps, capable enfin d’écouter et de s’adresser à un  partenaire, bref de produire de l'illusion théâtrale. Bientôt, on finira par trouver que c’est un exploit, vous verrez ! Quelques très beaux moments, notamment dans l’acte III, en compagnie de Marie Bunel, qui jouait Elena. Une brève complicité dans le premier tableau, avec Maria Verdi (la nounou)… Et une sortie fort juste. Ce qui fait que contre toute attente, je me retrouve à dire bravo Torreton. Pour le reste…

Etrange, cette impression, que les autres comédiens qui s’envoyaient des répliques par-dessus la table ne comprenaient ce qu’ils disaient qu’au premier degré. Et encore ! Parfois ne comprenaient pas. Ou ne comprenaient chaque réplique que toujours et inconsidérément ramenée à eux-mêmes, à leur petite aptitude à respirer et à l’instant toujours linéaire de leur gesticulation. C’est tout. Comme si l’art était mort, et que ne subsistait qu’un boulot assez narcissique qu’on fait sans passion quand le soir arrive. Tchékhov exige de la nuance. Un peu comme la fadeur de Verlaine. Et beaucoup d'intelligence. Une nuance qui ne fût pas de la convention. Une intelligence qui ne fût pas du lieu commun. Là, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y en eut pas. De nuances. De la convention, du lieu commun, on n’avait que l’embarras du choix.

Didier Bénureau en oncle Vania, c’est effrayant. Carrément. Et tandis qu’il se convulsionnait  sur scène, l’ombre de Jean Pierre Marielle, au théâtre de l’Est parisien, dans la mise en scène de Christian Benedetti, qui date de 1986, me revenait mélancoliquement en mémoire. Un doux et lumineux souvenir refaisant surface, devant ce jeu ridicule, faux, boursouflé que propose Bénureau. Pas un seul moment juste. Mais qu’est-ce qui a pris à Staviski de le distribuer ainsi ? Et pourtant, Dieu sait si Vania est un beau rôle, Dieu sait ! On ne saura jamais ce que Bacri, l’acteur initialement prévu, en aurait fait… Ni à quoi tient que Bénureau soit si mauvais.

 

Quant à la comédienne interprétant Sonia, qui hurlait dans ce si beau morceau final  « nous nous reposerons » assise sur une table...  qu’en dire, qui ne soit pas cruel ? Rien, sans doute.

A quelle nécessité obéit donc, au final, cette mise en scène ?

La question demeure pendante.

 

Car ces comédiens/acteurs du vingt-et-unième siècle me paraissent plus éloignés de ce dix-neuvième siècle tchékhovien, que ceux du vingtième l’étaient, il y a trente ans, du Moyen-âge. Impression d’une incompréhension radicale entre un monde où le crépuscule était encore chrétien, et un autre où il n’est plus que technique. Où la province était encore un pays, l’ennui une émotion complexe, le rêve un refuge pour tout l’être, une rencontre un événement véritable. Où dire un texte était encore un vrai défi ; penser quelque chose un véritable goût; à présent… A présent, on ne comprend plus que la colère puisse se réfugier et presque prendre pour bouclier la pudeur, par exemple. On ne comprend plus que la passion puisse trouver son maître dans la charité. Demandez à une actrice de vous jouer ça. C’est bien pourtant cela, Sonia. A l’heure où triomphe le kit Charlotte Gainsbourg, vous ne trouverez plus aucune actrice foutue de jouer ça. Aucune.  A qui la faute ? J’ai entendu une dame qui, en quittant les lieux, disait à son mari  (j’ai supposé que c’était le mari): « C’est moderne, ça parle de déforestation des forêts ». Voilà ce qu’elle aura retenu du texte de Tchékhov qu’elle découvrait, visiblement. Elle a donc trouvé ça moderne.  Un auteur écologique. « Qu’y faire ? Nous devons vivre ! », dirait Sonia. Devant ce truc, j’ai eu l’impression que tout le monde avait fait son boulot et qu’en n’applaudissant pas, j’étais au fond le seul à ne pas faire le mien. Mauvais garçon, une fois de plus.

Faut-il, alors, ne plus aller au théâtre ?  J'ai l'impression finalement qu'il arrive au théâtre ce qui arrive à tout le reste, la politique, la littérature, l'enseignement ... Et pour quelle raison ai-je cru qu'il avait, lui, les moyens de passer à travers ? Je me souviens avec émotion de Giorgio Strehler, de Jean Claude Penchenat, de Patrice Chéreau, d'Antoine Vitez, de... 

C'était un autre siècle.  

A méditer. Dans le même ordre d’idée est-ce un hasard, qui a placé côte à côte, dans l’actualité du Grand Lyon ces deux nouvelles :

- Les droits TV accordés à l’OL s'élèvent à 43,5 millions d’euros. C’est un peu moins que Marseille (46,5) et un peu plus que Bordeaux (41,4). Joyeux transferts à tout le monde.

- Et le même jour, la Région vote un budget pour l’enseignement supérieur et la recherche : 39 millions.

Je ne ferme jamais les yeux sur ces rencontres inopinées d'informations, ces collages sans rigueur et pourtant très significatifs. A travers eux, bien souvent, se déchiffre l'air du temps d'une époque, se déclinent les priorités intellectuelles ou économiques d'une société. La société actuelle, qui a fait de l'ennui un vice, de la solitude un problème,  de la sensation un impératif, est-elle encore une société à qui peut s'adresser, ne serait-ce que deux heures, l'oncle Vania ? Je rentre à pieds, du théâtre à la maison. Une violence latente flotte dans les rues, les places. Les gens qui crient se ressemblent. J'en doute.

 

 

Commentaires

Joliment dit cher maître !

Écrit par : Neriel | dimanche, 07 juin 2009

Qu'il est beau ce billet.
La déception vous inspire divinement.

Écrit par : Ambre | dimanche, 07 juin 2009

Peut-être que ce n'était pas bien, mais nous c'est bien: on a l'impression d'être avec vous dans ce billet. Bonne journée Solko.

Écrit par : Sophie L.L | lundi, 08 juin 2009

Bien dit, cher ami. Et je vois que je ne suis pas le seul à n'avoir pas applaudi... Mais vous connaissez mon opinion sur cette... représentation qui ne représentait rien.

Écrit par : Porky | lundi, 08 juin 2009

Il semble bien en effet, pour faire du théâtre, que la nécessité ne soit plus tellement nécessaire...

Écrit par : Pascal Adam | lundi, 08 juin 2009

Je suis allée voir "Lorenzaccio" mise en scène par Claudia Stavisky.... J'ai bien aimé le comédien jouant Lorenzaccio, mais j'ai trouvé que la mise en scène n'avait pas de sens, de signification et bien qu'ils aient reçu un tonnerre d'applaudissements, je suis personnellement ressortie très déçue.

Écrit par : Cyrielle | dimanche, 27 juin 2010

@ Cyrielle :
Cela ne m'étonne pas. Il me semble, d'ailleurs, que nous avions parlé un jour ensemble de cette mise en scène, non ? Je ne sais plus quel auteur (Anatole France, peut-être ? ) disait que la meilleure façon de ne jamais être déçu en sortant d'un spectacle décevant est de se rappeler que, si on est déçu, c'est que l'on a du goût.
Ce qui, te concernant, ne l'étonne pas.

Écrit par : Solko | dimanche, 27 juin 2010

@ Cyrielle et Solko : Je suis d'accord avec Cyrielle dans le sens où certains points de mise en scène n'avaient pour but que l'"épat" (dixit Cyrielle) du spectateur... au détriment du sens de la pièce, et du texte (qu'ils ont d'ailleurs bien tronçonné ! et c'est à mon avis là qu'ils ont eu vraiment tort...).
Cependant cette mise en scène "à l'américaine" avait quand même l'avantage d'être en accord avec le jeu particulier qu'impliquait le chapiteau et la scène circulaire avec le public tout autour.
Je ne dis pas que la pièce était une réussite, mais tout n'est pas à blâmer dans le parti pris du metteur en scène.

Écrit par : Benoit | dimanche, 27 juin 2010

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