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mercredi, 20 février 2013

Les enfants se sont endormis

J’étais très curieux de cette Mouette argentine,  ré-écrite et revisitée par Daniel Veronese, après Les Trois Sœurs (Un homme qui se noie) et Oncle Vania (Espionne une femme qui se tue). Il y a comme un jeu farceur dans cet exercice qui invite à la comparaison avec l’original tout en se proposant d’exister par soi-même. Daniel Veronese gère cette tension avec beaucoup d’habileté, en jouant de plusieurs dépaysements :

Une transposition dans une durée bien plus courte, avec un texte très resserré, des monologues raccourcis, des répliques rajoutées, qui signent le passage du verbe de 1895 à la parole de 2013.

L’utilisation de costumes contemporains – ou atemporels, et d'un décor dénué de tout signe de richesses, loin de la vaste propriété de Sorine,  une table, deux canapés, quelques chaises, un ensemble plutôt précaire.

Il y a surtout la transposition dans une autre langue, l’espagnol, un autre continent, l'Amerique du Sud

Et c’est troublant, pour un français, de recevoir cette Mouette ainsi repliée sur soi, en cet accent du Sud et en ce décor aussi dépouillé que passe-partout. 

Une fois le code et la convention acceptés, intégrés, la mise en situation crée un effet de sourdine aussi théâtral que déconcertant, comme si le sens de ce classique enfoui sous la langue russe retrouvait dans la psalmodie espagnole et ce lieu quelconque une autre étrangeté que celle que nous lui connaissions, et une nouvelle liberté.

L'attention se concentre du coup sur ce qui demeure essentiel chez Tchekhov comme chez Veronese, c’est-à-dire les personnages, et derrière ce qu’ils rêvent d’être, leur nudité, leur fatuité et leur ennui, ce qui les rend au sens plein humains,  universels.

Au centre de la pièce, il y a toujours Nina. Nina, la mouette, qui tombe amoureuse non de Trigorine, l’écrivain de passage, mais de l’idée qu’elle se fait d’un auteur, d’une façade. Elle dit qu’elle est actrice, mais en même temps, on sait qu’ici encore elle sera toujours la mouette, le personnage dans laquelle Trigorine l’a distribuée, un rôle qu’il faut jouer. Au centre de la pièce, il y a toujours le théâtre et sa mise en abîme, avec la pièce de Treplev elle aussi ramenée à l’essentiel : « les hommes, les lions, les aigles et les perdrix… », quelques mots récités le plus sobrement possible. Et cette dialectique  du comédien jouant un personnage lui-même un comédien.

Au centre de la pièce, il y a toujours l’amour inassouvi de chacun, enfin, un amour insensé fait de la nostalgie d’un Dieu perdu, qui conduit au dénouement tragique qu’on sait.

Véronèse explique que La Mouette est une pièce chorale : Ce sont dix personnages dont quatre sont centraux, et aucun vraiment secondaire, dit-il. Dans l’espace unique, triangulaire et clos de sa mise en scène, c’est bien cela qui saute aux yeux durant toute la pièce, et qu’on garde en mémoire : la circulation de la parole entre dix personnages qu’on ne dira pas en quête d’auteur, mais en quête l’un de l’autre à travers la fiction de la comédie qu'ils se jouent, et le décalage temporel d’un siècle et d’un pays à l’autre. Et cela ne manque pas de second degré, lorsque Treplev lance par exemple que si le père du personnage est l’auteur, sa mère est l’acteur, ou qu'on ouvre le quatrième mur pour mieux rétablir le huis-clos où s'arrime l'étrange dialogie entre Tchékhov et notre temps.

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© Catherine Vinay

 

Les enfants se sont endormis d’après La Mouette de Tchékhov, à voir au Théâtre de la Croix-Rousse jusqu’au 22 février 2013

 

Adaptation et mise en scène Daniel Veronese Avec Ernesto Claudio, Boris Alekseevich Trigorin Marcelo D’Andrea ,Evguenii Serguevich Dorn Claudio Da Passano,Semion Semionovich Medvedenko Lautaro Delgado, Konstantin Gavrilovich Treplev María Figueras, Nina Sarechnaia

Pablo Finamore, Ilia Schamraev  Ana Garibaldi, Mascha Marta Lubos, Polina Andreevna María Onetto, Irina Nikolaevna Arkadina Javier Rodriguez, Piotr Nikolaevich Sorin

Durée : 1h30  En espagnol surtitré en français

dimanche, 07 juin 2009

Oncle Vania aux Célestins

Vu hier soir Oncle Vania, aux Célestins de Lyon. Mise en scène de la maîtresse de maison, Claudia Stavisky.

Etrange, vraiment, cette impression en retrouvant le pavé mouillé et la brasserie Francotte (celle où Charles Dullin allait boire son café), quelques heures après avoir quitté la salle, de ne pas avoir vu une véritable représentation; mauvais signe : signe d'un théâtre instable, d'un théâtre fugace, spectacle de quelques instants, dont rien ne demeure dans la ville, dans l’âme, dans l’esprit. A peine quelque perspective dans le regard, quand la foule se répand sur la place en quittant le grand hall : un effet de mise en scène, vase de roses brusquement transpercé d’une balle. Le souvenir d'un axe par lequel les comédiens entrent côté cour et sortent par la salle. L'image d’une robe, d’une table sur laquelle tout le monde, à tour de rôle, vient s’asseoir ou se coucher pour débiter du texte. Le souvenir pénible de la toile peinte d’une maison au demeurant fort laide qu’on conserve sous les yeux durant trois des quatre actes. Le texte de Tchekhov, pourtant, est passé par là.

 

Au théâtre tout est une question d’échelle : aussi une hiérarchie entre les acteurs s’est rapidement installée. Autant le dire tout de suite, je n’aime pas ce que fait généralement Philippe Torreton. En toute honnêteté, il fut pourtant, et de très loin,  le moins pire, le meilleur, même... Torreton qui jouait un Astov, certes un peu d’un bloc… mais au moins campait-il un personnage cohérent, capable de jouer avec le silence, capable de prendre son texte à bras le corps, capable enfin d’écouter et de s’adresser à un  partenaire, bref de produire de l'illusion théâtrale. Bientôt, on finira par trouver que c’est un exploit, vous verrez ! Quelques très beaux moments, notamment dans l’acte III, en compagnie de Marie Bunel, qui jouait Elena. Une brève complicité dans le premier tableau, avec Maria Verdi (la nounou)… Et une sortie fort juste. Ce qui fait que contre toute attente, je me retrouve à dire bravo Torreton. Pour le reste…

Etrange, cette impression, que les autres comédiens qui s’envoyaient des répliques par-dessus la table ne comprenaient ce qu’ils disaient qu’au premier degré. Et encore ! Parfois ne comprenaient pas. Ou ne comprenaient chaque réplique que toujours et inconsidérément ramenée à eux-mêmes, à leur petite aptitude à respirer et à l’instant toujours linéaire de leur gesticulation. C’est tout. Comme si l’art était mort, et que ne subsistait qu’un boulot assez narcissique qu’on fait sans passion quand le soir arrive. Tchékhov exige de la nuance. Un peu comme la fadeur de Verlaine. Et beaucoup d'intelligence. Une nuance qui ne fût pas de la convention. Une intelligence qui ne fût pas du lieu commun. Là, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y en eut pas. De nuances. De la convention, du lieu commun, on n’avait que l’embarras du choix.

Didier Bénureau en oncle Vania, c’est effrayant. Carrément. Et tandis qu’il se convulsionnait  sur scène, l’ombre de Jean Pierre Marielle, au théâtre de l’Est parisien, dans la mise en scène de Christian Benedetti, qui date de 1986, me revenait mélancoliquement en mémoire. Un doux et lumineux souvenir refaisant surface, devant ce jeu ridicule, faux, boursouflé que propose Bénureau. Pas un seul moment juste. Mais qu’est-ce qui a pris à Staviski de le distribuer ainsi ? Et pourtant, Dieu sait si Vania est un beau rôle, Dieu sait ! On ne saura jamais ce que Bacri, l’acteur initialement prévu, en aurait fait… Ni à quoi tient que Bénureau soit si mauvais.

 

Quant à la comédienne interprétant Sonia, qui hurlait dans ce si beau morceau final  « nous nous reposerons » assise sur une table...  qu’en dire, qui ne soit pas cruel ? Rien, sans doute.

A quelle nécessité obéit donc, au final, cette mise en scène ?

La question demeure pendante.

 

Car ces comédiens/acteurs du vingt-et-unième siècle me paraissent plus éloignés de ce dix-neuvième siècle tchékhovien, que ceux du vingtième l’étaient, il y a trente ans, du Moyen-âge. Impression d’une incompréhension radicale entre un monde où le crépuscule était encore chrétien, et un autre où il n’est plus que technique. Où la province était encore un pays, l’ennui une émotion complexe, le rêve un refuge pour tout l’être, une rencontre un événement véritable. Où dire un texte était encore un vrai défi ; penser quelque chose un véritable goût; à présent… A présent, on ne comprend plus que la colère puisse se réfugier et presque prendre pour bouclier la pudeur, par exemple. On ne comprend plus que la passion puisse trouver son maître dans la charité. Demandez à une actrice de vous jouer ça. C’est bien pourtant cela, Sonia. A l’heure où triomphe le kit Charlotte Gainsbourg, vous ne trouverez plus aucune actrice foutue de jouer ça. Aucune.  A qui la faute ? J’ai entendu une dame qui, en quittant les lieux, disait à son mari  (j’ai supposé que c’était le mari): « C’est moderne, ça parle de déforestation des forêts ». Voilà ce qu’elle aura retenu du texte de Tchékhov qu’elle découvrait, visiblement. Elle a donc trouvé ça moderne.  Un auteur écologique. « Qu’y faire ? Nous devons vivre ! », dirait Sonia. Devant ce truc, j’ai eu l’impression que tout le monde avait fait son boulot et qu’en n’applaudissant pas, j’étais au fond le seul à ne pas faire le mien. Mauvais garçon, une fois de plus.

Faut-il, alors, ne plus aller au théâtre ?  J'ai l'impression finalement qu'il arrive au théâtre ce qui arrive à tout le reste, la politique, la littérature, l'enseignement ... Et pour quelle raison ai-je cru qu'il avait, lui, les moyens de passer à travers ? Je me souviens avec émotion de Giorgio Strehler, de Jean Claude Penchenat, de Patrice Chéreau, d'Antoine Vitez, de... 

C'était un autre siècle.  

A méditer. Dans le même ordre d’idée est-ce un hasard, qui a placé côte à côte, dans l’actualité du Grand Lyon ces deux nouvelles :

- Les droits TV accordés à l’OL s'élèvent à 43,5 millions d’euros. C’est un peu moins que Marseille (46,5) et un peu plus que Bordeaux (41,4). Joyeux transferts à tout le monde.

- Et le même jour, la Région vote un budget pour l’enseignement supérieur et la recherche : 39 millions.

Je ne ferme jamais les yeux sur ces rencontres inopinées d'informations, ces collages sans rigueur et pourtant très significatifs. A travers eux, bien souvent, se déchiffre l'air du temps d'une époque, se déclinent les priorités intellectuelles ou économiques d'une société. La société actuelle, qui a fait de l'ennui un vice, de la solitude un problème,  de la sensation un impératif, est-elle encore une société à qui peut s'adresser, ne serait-ce que deux heures, l'oncle Vania ? Je rentre à pieds, du théâtre à la maison. Une violence latente flotte dans les rues, les places. Les gens qui crient se ressemblent. J'en doute.