mardi, 16 juin 2009
Ulysse a 105 ans
Très honoré d'apprendre, grâce au toujours attentif et précieux Monsieur Photon qu'aujourd'hui 16 juin 2009, c'est l'anniversaire de Léopold Bloom ! Pour peu, j'enragerais d'être né d'hier, tiens ! Vous vous rendez compte un peu ? Naître un 16 juin ? Naître le jour qu'Ulysse déambula fictivement dans Dublin ? Y'a de quoi plus savoir où on habite, non ? Car c'est bien le 16 juin 1904, il y a tout juste cent-cinq ans, que Léopold Bloom, à la page 81 de mon édition (c'est en folio) se lève et commence sa journée. Alors pour fêter ça, on devrait tous marcher dans la ville où on habite, un exemplaire à la main, et se la refaire à nouveau, cette journée de mille pages : 1000 pages ! vraiment, quel "moderne" ou "post-moderne", quel "avant-gardiste" ou quel "nouveau romancier" des années cinquante fit mieux que James Joyce ? De pâles brouillons, à côté de cette radicale remise en cause de la narration. De ce système d’échos, de phrase en phrase, toujours juste, et tellement significatif : Ulysse, c’est un univers.
Pour preuve, deux débuts de chapitres, deux débuts d'une même journée : celle de Dedalus (première partie), celle de Bloom (deuxième partie): le fils, le père, Ulysse, Télémaque…
« - Majestueux et dodu, Buck Mulligan parut en haut des marches, porteur d'un bol mousseux sur lequel reposaient en croix rasoir et glace à main. » (Dédalus le considère avec froideur)
« - M Léopold Bloom se nourrissait avec délectation des organes des mammifères et des oiseaux
Mettez les deux en relation, la croix qu'on contemple (ici faite d'ustensiles prosaïques) et les entrailles dont on se nourrit (rognons, gésier, tranches de foie...), et ce système d'échos ensorcelant, dont aucun lecteur n'est à ma connaissance sorti indemne, commence, et vous obtenez déjà un début de retrouvailles, c'est à dire de sens, entre les deux.
J’ai lu Ulysse durant plusieurs nuits, des nuits interminablement denses, il y a longtemps, alors que je travaillais à l’hôpital. Lyon, Dublin, où habitais-je alors ? Lug est celte, d'ailleurs, Lug d'où jaillit la capitale des Gaules. Je me souviens qu'alors je voulais être écrivain, que cela seul comptait, que partout où je passais, l’usine, le bureau, l’hôpital, l’atelier, il me semblait que j’étais, et si insouciamment, en repérage. Et voilà que tout à coup, quelqu’un était soudain devant moi, dressé. Un maître. Pas un petit maître. A jamais devant moi, je lisais ce roman de ce type qui était déjà mort, de cet ainé irrémédiable, et je verrai ce dos qui marcherait devant moi, et j’aimais ce type, ce maître, et je le détestais de m’avoir, comme ça, coupé l’herbe sous l’pied. C’était James Joyce. Genre de rencontre dont on se remet mal, fort mal, je vous assure. On a beau faire son malin ...
09:18 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : ulysse, bloom, 16 juin 1904, james joyce, littérature, lyon, dublin |
Commentaires
Où l'on voit quelqu'un qui donne la préférence à la petite brune de gauche, à manger à la chatte, et qui met Ulysse dans sa poche (rien que ça!).
Écrit par : Michèle | mardi, 16 juin 2009
@ Solko : merci de me faire ainsi écho ! Pour la petite histoire, j'ai fait mes premiers pas sur Internet sous le pseudo de Lug (en féru de civilisation celtique que je suis). Mais trouvant cela un brin mégalo, j'ai changé pour le Photon... par Bélénos ;)
Écrit par : Le Photon | mardi, 16 juin 2009
Exercice d'écriture (je reprends donc)
Où l'on voit, sur une seule journée, quelqu'un donner la préférence à la petite brune de gauche, à manger à sa chatte, et mettre Ulysse dans sa poche.
Écrit par : Michèle | mardi, 16 juin 2009
Oups pardon ! J'eusse dû le faire en suivant. Désolée Lug, pas très "Malin" mon truc après votre commentaire...
Écrit par : Michèle | mardi, 16 juin 2009
Vingt fois j'ai tenté d'aller jusqu'au bout et j'ai lâchement laissé tomber.
A mon retour de Dublin je m'étais dit, cette fois je vais y arriver. Mais non.
"Suis-je donc une sotte, incapable de voir le "vrai" génie de cet auteur?Est-ce que seuls les gens intelligents peuvent vraiment goûter le suc littéraire de Joyce?
Écrit par : Ambre | mardi, 16 juin 2009
@ Ambre
ma réponse personnelle à votre question et je ne vous dirai que ce que vous savez déjà : pour lire il faut une nécessité intime et des circonstances. Quand ça résiste, on ne peut pas grand chose. Il y a quelqu'un de la blogosphère (tâche aveugle), jeune prof de fac, musicologue, je ne sais trop, qui raconte qu'il eut un jour la commande d'une analyse de la place de la musique dans "La Recherche" . Il a dit oui sans oser dire qu'il n'avait pas lu Proust. Et il s'est donc mis à avaler Proust chaque jour pour arriver à l'échéance. Voilà, il a lu "La Recherche". Pas moi. Tous les écrivains que j'aime ont lu et relisent régulièrement "La Recherche".
Des amis internautes participent à une lecture virtuelle, webcam à l'appui, qui fait le tour du monde, de "La Recherche". Ils s'inscrivent, reçoivent leur feuille de route, lisent telles pages.
J'ai pas lu non plus "Ulysse". J'ai la même édition que Solko, toute jaunie. J'ai lu des choses "autour" d'Ulysse, des comparaisons de traductions (Vialatte/ Lortolary). Jamais même pu lire jusqu'au bout le monologue de Molly Bloom.
On parie que maintenant, on le lira, vous et moi ?
Je vous parie toutes les crêpes de Bretagne qu'on y arrive.
Je dirai même pire, je n'ai pas lu "La révolte des anges" d'Anatole France que j'ai eu le culot de citer ici même, répétant une remarque entendue lors d'une conférence. Résultat, quand même : je suis allée cet après-midi me chercher le tome IV de l'édition de la Pléiade et je vais lire "La révolte des anges"; je crois que ça va me passionner, ce sont les tribulations d'une famille en 1789.
Écrit par : Michèle | mardi, 16 juin 2009
Rien de tout cela bien sûr ne dit l'énigme de la RENCONTRE. Ce que Solko a vécu avec ce texte. Et ce qu'est ce type qui est déjà mort et qui marche devant lui.
Écrit par : Michèle | mardi, 16 juin 2009
@Michèle.
Je ne vous dirai pas TOUT ce que je n'ai pas lu, d'essentiel sans doute.
La vie est trop courte pour pouvoir lire TOUT CE QU'ON VOUDRAIT lire. Alors je m'en tiens à mes affinités littéraires : les Journaux, les Correspondances, les Essais et quelques philosophes.
Alors, parier sur la lecture d'Ulysse, jusqu'au bout? Je peux déjà vous offrir les crêpes;-) En revanche je serai prête à parier sur la lecture de "La Recherche", çà fait partie de mes projets, à court terme.
Cordialement.
Écrit par : Ambre | mardi, 16 juin 2009
@ Photon :
Il n'y a pas de mal à être mégalo quand c'est sous les auspices de Lug. En tout cas le Bloomsday a été réussi. Bravo.
Écrit par : solko | mercredi, 17 juin 2009
@ Ambre :
Avec tout ce qui s'est dit partout sur Joyce, c'est vrai que cela devient compliqué de le lire, je dirais, "naïvement", ou "simplement". J'ai eu la chance de le lire comme ça. En me laissant porter par la journée du 16 juin qui s'avançait, les rencontres qui se déroulaient, les échos de phrase en phrase, d'épisode en épisode. En laissant se déconstruire les habitudes de lecture et en en laissant d'autres se mettre en place. C'est en ce sens que Joyce est un créateur, un maître, ce que ne furent pas beaucoup de pseudos modernes qui l'ont imité.
Lorsque j'ai dû l'étudier, plus tard, dans le cadre d'une UV, c''était une entreprise plus "intellectuelle" et sans doute moins plaisante. Moi je dis qu'il faut lire Joyce comme on vit une journée, en prenant le texte comme il vient, sans y chercher du génie ni quoi que ce soit. Entrer dans cet univers, qui se suffit à lui-même.
Écrit par : solko | mercredi, 17 juin 2009
@ Michèle :
Les anges vont se révolter si vous ne les lisez pas, faites attention : une révolte d'anges, on ne sait pas jusqu'à quel point cela peut être surprenant... Surtout sous la férule d'Anatole (scoop : beaucoup d'élèves ont l'air de penser qu'Anatole est un prénom féminin...)
A propos d'"Ulysse", la question n'est pas d'aller jusqu'au bout, la question est de se laisser cueillir, d'entrer dedans. Cela dit, il n'y a, pas plus que pour la Recherche, d'impératif absolu, non ? Je connais des gens très heureux et très "lettré" qui n'ont jamais lu ni l'un ni l'autre. En ce qui me concerne je n'ai jamais pu lire la Chartreuse de Parme jusqu'au bout, je n'ai jamais non plus pu finir un seul conte philosophique de Voltaire (Ah Voltaire, quel ennui...).Et vous dirai-je que tout le Nouveau roman (Butor, Robbe-Grillet, Sarraute,...) me barbe. A part Claude Simon, qui ne rompt pas complètement avec l'histoire.
Ma foi. L'eau coule aussi sous mes ponts.
Bonne journée.
Écrit par : solko | mercredi, 17 juin 2009
"J'ai eu la chance de le lire comme ça , en me laissant porter..."
C'est une vraie chance oui ; les lectures ne se font pas toutes dans ce rapport consenti, presque naturel ; il y a aussi des contraintes et nécessités de toutes sortes (souvent constructives d'ailleurs, heureusement). Un professeur de Lettres en sait quelque chose. Un critique littéraire aussi, tout lecteur également.
Écrit par : Michèle | mercredi, 17 juin 2009
Bon ya que moi que ça embête mais ce reste une excellente raison pour que je rectifie. De l'Ulysse de Joyce il n'y eut qu'une traduction française jusqu'en 2007, celle d'Auguste Morel, revue par Valery Larbaud, Stuart Gilbert et l'auteur lui-même.
En 2007, pour le centenaire du Bloomsday, une nouvelle traduction fut éditée (par Gallimard) fruit d'un travail entre écrivains, universitaires et traducteur littéraire qui se répartirent les dix-huit épisodes. Le but était de "revenir" (c'est moi qui le formule ainsi) à cette expérience de l'écriture, son utilisation (entre autre) du défaut de sens, qu'en fit James Joyce.
Je suis persuadée avoir eu sous les yeux deux versions de l'incipit (peut-être alors celle de 2007) et c'est ce qui m'a fait confondre avec les traductions de Kafka par Vialatte et puis Lortolary. Même problème de "modernité" (entendue comme l'intégration des dernières connaissances sur la langue).
Je sens que je vais finir par le lire ce monument, comme on se débarrasse d'un fantôme :-) et puis j'adore les crêpes (merci Ambre).
Écrit par : Michèle | dimanche, 28 juin 2009
Tiens je n'avais pas lu ce billet, j'ignore pourquoi. Et je n'ai pas lu Ulysse mis j'adore votre hommage à ce maître dont le dos vous précède irrémédiablement Solko. Le répérage, ah ah... Je vous vois...
Mais le plus important : ça me donne envie de lire Ulysse - quoique dans le même temps je suis certain de voir m'échapper la plupart de ces échos, une bonne part du sens, cette "retrouvaille" comme vous le dites si merveilleusement.
A bientôt.
Écrit par : tanguy | samedi, 02 janvier 2010
Pour information, cher Solko (et lecteurs de Solko), l'expérience exégétique continue :
http://ulysse-en-images.hautetfort.com/archive/2011/09/24/telemaque-6.html
Bien cordialement.
Écrit par : Pascal Champavert | samedi, 24 septembre 2011
Me tenant en marge des réjouissances post-électorales, je me suis adonné, en ce soir de 6 mai, à l'un de mes passe-temps favoris. Vous connaissez mon dada, puisqu'il vous arrive de parier sur le même. Voici donc que j'ai poursuivi mon travail de traduction, sur la 10ème planche de l'adaptation de Robert Berry : http://ulysse-en-images.hautetfort.com/archive/2012/05/06/telemaque-10.html
Bien à vous.
Écrit par : Pascal Champabert | lundi, 07 mai 2012
"Epi oinopa ponton"
Merci de nous rappeler, loin du tapage médiatique, au seul voyage qui compte réellement dans une vie, en ce sens qu'il fonde une permanence, oui, une durée, une vision réelle des choses.
Écrit par : solko | lundi, 07 mai 2012
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