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mercredi, 20 octobre 2010

L'opinion qui n'existe pas.

Dès 8 heures du matin, ça commence par des poubelles en feu non loin de l’Hôtel de Ville. Des rassemblements de « jeunes ». Des passants allant travailler. Des CRS en alerte. Des flics en civils.

Et bien vite, au fur et à mesure que la matinée avance, dégénérescence. Dans les métros qui traversent la presqu’île la même annonce : « A la demande des forces de l’ordre et pour votre sécurité, le métro de s’arrêtera pas aux stations Bellecour, Saint-Jean Guillotière… » Le centre-ville est bloqué… Fumigènes. SMS. Abribus en éclats. Charges de CRS. Les enfants veulent regarder par la fenêtre. Mais on ferme les fenêtres à cause de l’odeur des gaz

Dans les principales artères de la presqu’île (République et Victor Hugo) et les rues adjacentes, sous la surveillance des nombreuses  caméras, ça galope, ça castagne, ça flambe, ça pille : voitures et motos retournées, incendiées, vitrines brisées, boutiques pillées.

Aux fenêtres et balcons des immeubles des riverains éberlués filment  photographient, la banlieue hard en train de faire ses courses. Des images pour you tube.

Les commerçants les plus sages ont déjà abattu leurs rideaux de fer, la Fnac ses grilles; les bijoutiers rangé toute leur camelote.

 

Derrière les façades des immeubles haussmanniens, chez les avocats, chez les notaires, chez les médecins, dans les restaurants, les banques, la vie normale se poursuit.  Ce sont des univers qui se frôlent sans même humer leurs couleurs respectives. Etrangeté totale de ce centre ville où la journée de chacun se déroule : le quotidien le plus banal pour certains, la scène d’émeute pour d’autres, en un même scénario au surréalisme vain, dans ce quartier quadrillé et à présent survolé d’hélicoptères, sur ces trottoirs sillonnées de loubards, de passants, de CRS, de lycéens. On ferme un accès. Puis un autre. Pendant ce temps, la manif a poursuivi sa route et s’est dispersé. On ne sait trop où la conscience politique des uns et des autres s’est fourvoyé. Pendant ce temps, l’OL d’Aulas se prépare à jouer sa qualification pour les huitièmes de la Champions's league à Gerland, non loin de là. Du sérieux, ça. « Benfica dans la révolution française » a titré A Bola, l’Equipe des portugais. On y lit que le match n'est pour l'instant pas remis en cause dans « une cité en feu et en sang ». C’est certes très hyperbolique : et c’est aussi en partie vrai. Du moins pour le feu. Dans la presse, aussi, deux mondes se croisent, se juxtaposent et, in fine, s’annulent. L’humanité, lyrique jusqu’au grotesque, car dans la société du spectacle, le lyrisme appliqué à l'info devient à son image,  titrait l’autre jour « la force du peuple ». Demain, gouvernement et syndicats continueront à s’étriper pour savoir de quelle côté les soixante pour cent d'approbation ou de désapprobation del’opinion publique pour ce mouvement va basculer... Cette fameuse opinion publique, dont Bourdieu a dit un jour -s'en rappeler est-il encore possible  ?- qu’elle n’existe pas...

 

08:59 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : casseurs, manifs, lyon, politique, france, société, retraites, football, opinion publique | | |

lundi, 18 octobre 2010

Jacques Stella, Marie Madeleine et l'Hôtel-Dieu

6000 euros : La mise à prix initiale demeure encore modeste (de 3000 euros inférieure à l’estimation moyenne de ce tableau de petit format - 25,8 x 37,1cm). C’est, lit-on dans le catalogue, un marbre noir collé sur carton et monté sur châssis. Devant l'auditoire assis, on expose l’œuvre vieille de presque quatre siècles. L'écran plat de plusieurs  téléviseurs portent jusqu’au fond  ça et là son reflet.

Installé définitivement à Rome depuis 1623, le Lyonnais Jacques Stella avait d’abord séjourné à Florence quelques années.  Le temps d'y acquérir cette technique de peinture sur cuivre ou sur pierre, particulièrement sur marbre ou lapis. Depuis 1530, le peintre Sebastiano del Piombo en avait porté jusqu’à lui le secret : en déposant l’huile à même le marbre, une manière d’émerveiller le peuple qui rendait la peinture presque éternelle, tout comme la sculpture, les couleurs à peine séchées apparaissant de façon presque pétrifiée.

Dès son arrivée à Florence, Jacques Stella avait occupé une fonction vite d'importance auprès  du Grand Duc Come II, dont la cour faisait office de haut lieu de création de cette technique de peinture sur pierre. Une fois le peintre installé à Rome, sa production devint originale et variée. Les divers parents du pape Urbain VIII, ces Barberini mondains et tout-puissants qui protégeaient également Poussin, appréciaient tout particulièrement ces scènes vives et colorées où le maniérisme et le religieux faisaient cause commune. Jacques Stella peignit.

 

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La conversion de Marie Madeleine, donc. Marthe, déjà convertie et voilée, demeure laiteuse et pensive. Les deux coudes posés sur les  Ecritures, elle vient d'exhorter sa sœur Marie d’abandonner sa vie de débauche et de la suivre afin d’écouter la prédication du Christ. Assise sur un siège luxueux, la jeune convertie laisse un angelot qui ressemble à un amour la dévêtir de ses habits rouges de pécheresse. Sa chevelure blonde et bouclée court encore pour quelques temps sur ses épaules encore dénudées. Entre les deux femmes, les séductions désormais se refusent : telles des vanités, un peigne, un coffre à bijoux, une carafe, un verre de vin…

Les enchères galopent vite, d’autant que les téléphones tout soudain s’en mêlent. Du dix-septième à peine esquissé, nous revoici plongé à nouveau dans la frénésie marchande du vingt-et-unième siècle. Au-delà, déjà, de l’estimation maximale de 12 000 euros. Ce petit tableau était présent en 2007 à l’exposition du musée Saint-Pierre organisée pour les 350 ans de son créateur. Cela fait-il grimper la côte ? Hormis son nom (qui ne fut longtemps pour moi que celui d’un pauvre bar à la devanture en formica jaune), je me demande quel souvenir la rue Stella, qui n’est pas très loin du lieu de la vente, garda  pour le commun des mortels de ce peintre au visage émacié qui fut ami de Poussin. Quelle mémoire. Au fur et à mesure que grimpe la somme, dans un jeu de syllabes et de voltige qui étourdit l’assemblée assoupie, l’argent paraît devenir une instance agréablement désincarné, et ne posséder plus que l’importance des degrés qu’il faut enfiler quatre à quatre pour parvenir à la cime. Une formalité bien quelconque. Finalement, les voilà à 18 000… 19 000 … Le marteau tombera à 20 000. Il faudra y rajouter les 20% TTC.  Bel achat : la conversion aura finalement trouvé son juste prix. Ici et maintenant, par ici comme par là, tout se monnaye.

Je quitte l’hôtel des ventes, le cœur un peu pincé. Mes yeux se portent – comment pourrait-il en être autrement ? - sur le perron pierreux et sombre du vieil hôtel-Dieu, vidé de ses soignants, de ses malades, de ses lits, ses religieuses d'antan, dans l’attente d’un repreneur, pauvre, lui-aussi. Sa silhouette, seule dans la nuit, qui l’eût prédit ? Telle une âme sculptée dont la mémoire aura plus que jamais, au milieu du bazar, des soldes et des charognards de tous crins ,besoin de multiples et ardents veilleurs.

De cette conversion de Marie-Madeleine, si vite entrevue, si vite entraperçue sur la banquette en bois d’une salle des ventes, je me réconforte en me disant que nous sommes cependant quelques uns à avoir, pour rien, pour pas un sou, recueilli le meilleur. Un vent plus frais commence à se saisir de nous, siècle stupide qui ne méritons que l’hiver qui s'approche, et surprend la chair des quelques passants traînant encore en cette fin de dimanche entre les façades de la rue Marcel Rivière. Je songe soudain à quelque extrême proximité, inattendue et superbe comme si me frôlait un doux spectre, que les pierres de l'hôpital me confirment aussitôt dans leur radieuse et grise immobilité :  Cette rue, Jacques Stella en l'hiver de son temps aussi l'a empruntée, et dans ses pas pour regagner mon logis, je dépose les miens.

mercredi, 13 octobre 2010

Intercontinental ou Hyatt pour l'Hôtel-Dieu ?

En ce mois d’octobre se discute l’avenir de l’Hôtel-Dieu. On saura courant novembre quel projet sera retenu. Pour résumer les choses, le choix doit s’effectuer entre une chaine d’hôtels de luxe et une chaine d’hôtels de luxe. Palpitant ! Intercontinental ou Hyatt ? Telle est l’alternative laissée par le maire socialiste. Et donc, le dossier le mieux bouclé sur les plans juridiques et financiers (avec sans aucun doute d’autres petits arrangements entre frères en coulisses), sera celui qui l’emportera. L’un serait, nous dit-on, plus « lyonnais » que l’autre, en ce sens que le projet soutenu par le goupe Eiffage/Genérim (prometteur et investisseur), AIA Constantin (architecte) et D.Repellin (architecte du patrimoine), projet auquel s’adjoint la chaîne Intercontinental intègre la création d’un pôle sante (musée de la santé et centre de congrès pour accueillir des colloques médicaux) tandis que l’autre, soutenu par le groupe Nexity et l’architecte star Rudy Riccioti joue la carte exclusivement hôtel/ commerces/ bureaux. Si l’on peut préférer le premier projet au second (lequel ouvrirait aussi davantage le lieu à des boutiques et des commerces accessibles), c’est comme on préfère la peste au choléra : car en faisant le choix de ne pas mettre un seul sou d’argent public dans le projet de réaménagement, Gérard Collomb aura montré aux yeux de tous la faiblesse de ses choix culturels, lui si enthousiaste par ailleurs pour soutenir les ambitions pharaoniques de Jean Michel Aulas à Décines.  Ce qu’il fallait faire, c’est faire au moins tout son possible pour éviter le recours au privé dans ce bâtiment public symbole d’une toute autre histoire que l'hôtellerie de luxe.  Il ne l'aura pas fait. Même pas tenté.

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Jean Couty : Dôme de l'Hôtel-Dieu à Lyon

 En réponse au cardinal Barbarin qui souhaitait qu’« un petit 10% » du site restât  «respectueux de ces mille ans d’histoire et d’accueil des malades et de la pauvreté au cœur de Lyon », le discours ironique de Collomb sur les « contraintes terrestres »[1]  révèle l’étroitesse de son esprit au regard de la mission historique et de la politique culturelle qui devrait être celle d’un maire de Lyon. Mais que dire et que faire, dans cette situation de spectateurs, aussi désolés qu’impuissants, dans laquelle nous sommes placés ? Sinon rappeler que cette étroitesse d’esprit, quand on se souvient d’Edouard Herriot et de la Charité, de Louis Pradel et du complexe autoroutier de Perrache, est hélas ici une espèce de tradition locale.

Pousser un coup de gueule même, cela ne sert plus à rien.

En l’absence de toute common decency, nous voici des citoyens fantoches, tant sur le plan municipal que national, face à des princes de mauvais vaudevilles qui, d’un étage à l’autre de la responsabilité politique, se la pètent avec arrogance et jouissent du pouvoir octroyé par leurs mandats pour imposer leurs choix en s’appuyant sur ceux de leurs complices et prétendus opposants. C’est ainsi que Gaudin justifia à Marseille la « contrainte » où il se trouvait de vendre l’Hôtel-Dieu phocéen par la manière dont Aubry avait sacrifié le couvent des Minimes à Lille, ce que Collomb pourra toujours à son tour…

Le serpent nous encercle tout en se mordant la queue.



[1]  « Je suis comme monseigneur Barbarin, j’ai l’espérance du ciel et les contraintes de la terre… » a lâché le maire de Lyon, en  renvoyant le prélat aux conditions tout aussi équivoques dans lesquelles il a vendu son Grand Séminaire : au plus offrant (BuildInvest) pour faire des logements de haut standing, au détriment de deux projets d'HLM pilotés par le Conseil Général pour l'un, la Mairie de Lyon pour l'autre.  

 

00:00 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : hotel-dieu, gérard collomb, hyatt, intercontinental, politique, lyon | | |

mercredi, 06 octobre 2010

Clavel, qui s'en va

 

 

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«La ville était loin, perdue derrière un écran incolore qui éloignait tout, aussi  bien les couleurs que ce bruit infernal qui est la respiration même d’un monde impossible ».

Bernard Clavel (1923-2010), Le voyage du père - 1969.

 

07:58 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, bernard clavel, lyon, romans | | |

mercredi, 29 septembre 2010

Le baron Raverat

Le baron François Achille Napoléon Raverat est né en 1812 à Crémieu (Isère), où l'ancien cours des Tilleuls a été rebaptisé à son nom. Son père avait été anobli par Napoléon 1er en raison de ses glorieux services, de ses faits d’armes et de ses blessures. Après 42 années passées à la tête d'un cabinet de dessin, Raverat fils entama une carrière « littéraire » en rédigeant une notice sur la vie militaire de ce père bonapartiste. C'était dans l'air du temps, Napoléon le petit, comme disait alors Victor Hugo, ayant mis la main sur le pouvoir politique en France.

Encouragé par ce premier succès, le baron se spécialisa dans un genre porteur et promis à un bel avenir, celui des «guides, promenades & excursions historiques, pittoresques et artistiques », éditant - parfois chez l’auteur, parfois dans une librairie locale - (Maisonviole à Grenoble, Maton à Lyon) une série d’ouvrages aujourd’hui quasiment introuvables et brillant par leur désuétude. Le baron Raverat, sorte de , a baladé ses guêtres de 1860 à 1880 dans toute la contrée rhône-alpine: Haute Savoie, Savoie, Dauphiné, Vallée du Bugey, Massif central ; la plupart de ces volumes ne furent évidemment pas fabriqués au cours de ces promenades et nombreux furent les contradicteurs qui accusèrent le baron de n’avoir même accompli tous ces voyages que dans les travées d’une bibliothèque. C’était probablement des recueils et des compilations de seconde main : il n’empêche qu’ils valent, à titre de documents, le détour.

Depuis la Monarchie de Juillet, se développait en effet un véritable engouement – voire une fascination – pour l’exploration touristique des « provinces », la découverte géographique et historique des pays. Cet engouement pour le tourisme, dont Flaubert, avec son Bouvard et Pécuchet, dressa une satire drôle et efficace, allait de pair avec le développement parallèle des chemins de fer et celui de la photographie. D’ailleurs, à son « De Lyon à Montbrison, édité en 1876, comme à son « De Lyon à Genève » (1878) et à son « De Lyon à Grenoble » (1879) l'habile baron ne manqua pas de joindre pour chacun une  carte de chemin de fer ; à son « Dauphiné » de 1877, une vue photographiée de la Grande Chartreuse, en lieu et place de la traditionnelle gravure.   Nul doute que ces ajouts devaient constituer un plus, un bonus, un argument de vente aux yeux du public de l’époque. C'était le début d’une forme de vulgarisation appelée à un grand avenir si l’on songe aux documentaires télévisés tournés sur ce même principe, afin de faire découvrir les contrées lointaines à des téléspectateurs du dimanche. La vulgarisation de nos aïeux ne manquait, certes, pas de pittoresque. Elle déplut pourtant fortement aux vrais érudits, comme aux véritables voyageurs, qui reprochèrent au baron ses emprunts trop fréquents, trop faciles, voire ses plagiats, sa langue un peu trop journalistique et parfois incorrecte, ses lieux communs et ses clichés ; que diraient-ils aujourd’hui ?

Voici un passage de «Notre vieux Lyon» (chez Meton, libraire, 1881), consacré à l’exploration, par le baron, du vieux quartier Saint-Paul :

«Pour l’historien et pour l’archéologue qui aiment à étudier et les mœurs et les habitudes de nos ancêtres, pour l’artiste comme pour le simple amateur, le vieux quartier de Saint-Paul était assurément l’un des plus curieux à parcourir de tous ceux qui constituaient notre antique cité. Là, on trouvait autour de l’église un véritable réseau de  petites ruelles resserrées, tortueuses, sombres, inabordables aux voitures. Les maisons dataient, pour la plupart, du moyen-âge. Elles offraient à l’œil l’aspect le plus sordide. Leurs fenêtres à croisillons, quelques-unes à guillotine et munies du légendaire papier huilé n’y laissaient pénétrer qu’un jour avare ; les allées surbaissées, l’escalier à colimaçon, les cours exiguës, les impasses ou culs-de-sac, formaient un tableau saisissant de la misère et de la malpropreté. Rarement le soleil l’éclairait de ses rayons bienfaisants, et rare aussi était cet air pur, première condition de la vie. On y sentait le froid, l’humidité, on y respirait une atmosphère fétide.»

Le baron mourut à Lyon en 1890. Il avait été membre de la très provinciale Société Littéraire de Lyon, et son président depuis 1880.

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 Le quartier Saint-Paul vers 1870

21:09 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : baron raverat, littérature, lyon, quartier saint-paul | | |

lundi, 27 septembre 2010

Pierre Dupont

Le mercredi 20 octobre 2010, L'Esprit Canut reprend son cycle de conférence au cinéma Saint-Denis grande rue de la Croix-Rousse, avec une conférence en chansons, par Jean Butin et Gérard Truchet, organisée en partenariat avec Soierie Vivante.  Cette soirée, consacrée au poète chansonnier Pierre Dupont, débutera à 20h30. Occasion pour moi de republier ce billet, daté de novembre 2008, et un peu retouché pour l'occasion.

 

« Quand j’entendis cet admirable cri de douleur et de  mélancolie (Le chant des ouvriers, 1846), je fus ébloui et attendri. Il y avait tant d’années que nous attendions un peu de poésie forte et vraie (…) Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers  où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis …» C’est Baudelaire qui écrivit ceci, dans l’un des deux articles qu’il consacre au lyonnais Pierre Dupont sans sa Critique Littéraire. 

Pierre Dupont vécut cinquante ans, de 1821 à 1871. Il avait perdu sa mère à quatre ans. Son père, forgeron, fut tué pendant l’insurrection lyonnaise de 1831. Son parrain,  qui était prêtre, prêtre fit parachever son éducation au séminaire de Largentière. Au sortir de la maison religieuse, Dupont entra dans la canuserie, où il fut apprenti. Puis il devint employé de banque et, grâce au soutien d’un académicien, obtint un poste à la rédaction du Dictionnaire. Il commença à écrire très jeune, une œuvre qui se décompose en trois : des chants rustiques, des chants ouvriers, et quelques poèmes philosophiques ; l’écriture de Dupont, pour paraphraser Baudelaire, est hantée par deux secrets, qui sont les clés de sa fortune d'alors, et celles aussi de l'oubli dans lequel il est tombé à présent : « la joie et le goût infini de la République ».

On raconte qu’encore jeune, Pierre Dupont se rendit place Royale pour rencontrer Victor Hugo. Comme ce dernier était absent, il lui laissa sa carte sur laquelle il crayonna les vers suivants :

 

Si tu voyais une anémone

Languissante et près de périr,

Te demander, comme une aumône,

Une goutte d’eau pour fleurir ;

 

 Si tu voyais une hirondelle

Un jour d’hiver te supplier,

A ta vitre battre de l’aile,

Demander place à ton foyer,

 

L’hirondelle aurait sa retraite,

  L’anémone sa goutte d’eau !

Pour toi, que ne suis-je, ô Poète,

Ou l’humble fleur ou l’humble oiseau 

Gounod lui trouvait une voix remarquable et s’étonna qu’il ne connût rien à la musique. A quoi Dupont répondit qu’il était heureux de n’y rien connaître, et qu’il ne tenait pas à l’apprendre.

 Une date, dans sa vie, a été un moment charnière : celle de février 1848, dont son Chant des Ouvriers devint l’hymne. Il mourut l’année même de la consécration définitive de cette dernière, après avoir, de 1848 à 1870 traversé le règne de Napoléon III en ardent républicain. A cause de ses aspirations socialistes, il avait été condamné pour sept années à la déportation après le coup d’Etat de 1851 et avait dû sa grâce à quelques puissants admirateurs, ainsi qu’à l’allégeance qu’on le força de prononcer envers le nouveau régime. Pour toute sa génération, Pierre Dupont, fut, digne successeur de Bérenger, le talentueux chansonnier du petit peuple, le chantre militant de la République. Jusqu’à la guerre de 14, et au gigantesque fossé d’oubli qu’elle creusa entre un avant et un après, une romance à la Dupont, c’est ce qui accompagnait les hommes, des fêtes données pour leur baptême, à celles données lors de leur enterrement, en passant par les banquets de mariage.  Dupont laissa  la réputation d’un solide bon vivant, qui  buvait comme un héros antique. « Les vieux de Vaise, relate Louis Maynard dans son Dictionnaire des Lyonnaiseries, ont longtemps conservé le souvenir de beuveries qui duraient plusieurs jours et plusieurs nuits. » Béraud, dans sa Gerbe d’Or, rappelle avec verve la façon dont son père boulanger, républicain passionné, ténorisait du Dupont au pétrin, dans une page de son récit d'enfance que traverse, de part en part, la gaieté.  On a, depuis, oublié Pierre Dupont et sa philosophie simple. En voici quelques couplets :

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Rêve, paysan, rêve :

Entends la semence qui lève,

Regarde tes bourgeons rougir,

Et comme tes enfants grandir :

C’est l’avenir !

(Le Rêve du paysan)

 

Aimons-nous, et quand nous pouvons

Nous unir pour boire à la ronde,

Que le canon se taise ou gronde,

Buvons, buvons, buvons,

A l’indépendance du monde !

(Le chant des ouvriers)

 

Alerte, imprimeurs !

Inondez  de lueurs

Le monde qui tâtonne ;

Faut-il que le flambeau

Reste sous le boisseau ?

Non, il faut qu’il rayonne !

( L’imprimerie)

 

Gouttes d’eau, filles du nuage,

Filtrez à travers le feuillage

Sur l’étang attiédi,

Car ma mie au gentil corsage,

Aux pieds blancs, au rose visage,

Y vient sur le midi.

( Midi )

 

Des deux pieds battant mon métier,
Je tisse, et ma navette passe,
Elle siffle, passe et repasse,
Et je crois entendre crier
Une hirondelle dans l’espace.

( Le Tisserand)

 

Aux armes, courons aux frontières,

Qu'on mette au bout de nos fusils

Les oppresseurs de tous pays

Les poitrines des Radetskis !

Les peuples sont pour nous des frères,

Et les tyrans, des ennemis.

( Le chant des Soldats)

 

 

A lire en cliquant ici, l'une des deux notices, complète, de Baudelaire et en cliquant là, une sélection de quelques poèmes.

05:46 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : poésie, littérature, lyon, musique, chansons, pierre dupont, histoire | | |

samedi, 25 septembre 2010

Et, toujours, l'Hôtel-Dieu

Depuis que Gérard Collomb a rendu public le projet de la Ville pour l'Hôtel-Dieu, diverses pétitions se sont mises en place dans le but de bloquer le projet de transformation du vieil hôpital lyonnais si symbolique de l'histoire de la ville en un simple hôtel de luxe. Un an après, où en sommes-nous ? Il semble qu'un projet, celui du Pole santé, ait su fédérer autour de lui un certain nombre de bonnes volontés. Je reproduis ci dessous le texte projet, en insistant sur le fait qu'il ne permet de sauver de l'industrie hôtellière de luxe qu'une partie infime du bâtiment, que d'autres projets pourraient être élaborés (un pôle muséal regroupant plusieurs musées de la ville, des aménagements commerciaux et culturels ouverts aux lyonnais comme aux touristes de seconde zone (quel est l'euphémisme adéquat pour "non luxueux" ou non "VIP" ?) et accessibles à leur porte-monnaie ...

Les repreneurs étant, en période de crise, hésitants à investir dans une industrie hôtelière déjà saturée (l'Antiquaille, ancienne maison de Pierre Sala, vient de subir ce même sort), tout le monde, y compris dans le proche entourage du maire de Lyon, n'étant pas convaincu, il n'est pas trop tard pour émettre des idées, proposer des projets et dialoguer avec les élus.

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15:33 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : politique, hôtel-dieu, lyon, gérard collomb, patrimoine | | |

jeudi, 09 septembre 2010

Rue Mercière ...

Je me suis demandé, en la parcourant tout à l’heure, à quoi pouvait ressembler cette rue Mercière au temps serein de sa splendeur. D’un siècle à l’autre, la métamorphose de tant de prestigieux libraires-imprimeurs en restaurateurs suggère, même s’il est assez facile, un commentaire assez accablant pour notre époque. Sébastien Gryphe, Jean de Tournes, François Juste logèrent donc ici, en compagnie de tant d’autres publieurs d’almanachs et de traités, relieurs de livres et tailleurs d’images en tous genres, et voici que je touche un peu du songe leurs enseignes coloriées, là-même où ne s’étale plus que l’ardoise commune de maints plats du jour à quelques euros.

Au musée de l’imprimerie, non loin de là, dans une rue au nom médiéval jusqu’à la caricature (rue de la Poulaillerie, où vécut Pierre Valdo, vestige du vieux marché de la volaille  - n’est-ce pas François Villon qui fit dire au frère Archier de Bagnolet : « Meurtre ne fis onc qu’en poulaille… »), la production des anciens maîtres-imprimeurs attend le chaland sous des vitrines impeccablement nettoyées. Là, les colonnes des incunables aux lettrines enluminées, qu’on vient lécher du regard avec ce soupçon de convoitise, gage du beau. J’ai rêvé quelques minutes devant cette page de Der Stadt Nuremberg, qui date de 1595, page posée aux côtés de son bois gravé. Je savais que cette hôtel de la Couronne avait été jadis, la maison du Consulat avant l’édification de l’Hôtel-de-ville des Terreaux. Mais j’ignorais qu’il appartînt auparavant au Crédit Lyonnais. J’ignorais aussi qu’il avait été un bordel.

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Sur le chemin du retour m'est venue à l'esprit l'absence prolongée de Marcel Rivière,  et je me suis demandé à quel moment de ce besogneux automne à poindre elle finirait par prendre fin.

08:29 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : rue mercière, musée de l'imprimerie, lyon, culture, rues de lyon | | |

mardi, 07 septembre 2010

Un divertissement suffisant ?

La fête du huit décembre a revêtu depuis quelques années à Lyon, une telle importance touristique et médiatique qu’on se souvient peu qu’en réalité, c’est le huit septembre, jour de la Nativité de la Vierge, qui constitue réellement entre Rhône et Saône une solennité.

Rappel distancié des faits, pour les néophytes : frappée cruellement par une épouvantable épidémie de peste en 1628, puis en 1631, puis en 1638, enfin en 1643, la population de la ville est littéralement traumatisée et le Consulat tout autant débordé. Aussi ce dernier décide-t-il de s'en remettre courageusement à la Divinité. Le roi Louis XIII venant tout juste (en 1638) de placer la France sous la protection de Marie, le prévôt des marchands et les échevins lyonnais se réunissent en urgence à l’Hôtel de Ville et, le 12 mars 1643, imitent le monarque en plaçant solennellement la garde, la protection et la guérison de la ville sous les auspices de la Vierge. Ils formulent alors le vœu que - dans le cas où la ville se remettrait de cette dure épreuve-, eux et leurs successeurs iraient à chaque fête de la Nativité de la Vierge (huit septembre) à pied gravement jusque à la chapelle de Fourvière « pour y ouïr la sainte messe, y faire leurs prières et dévotions à  Notre Dame de Fourvière et lui offrir en forme d’hommages et reconnaissance la quantité de sept livres de cire blanche en cierges et flambeaux propres au divin service de la dite chapelle, et un écu d’or au soleil ». Ce vœu, dit « des échevins » (voir le détail ICI) se perpétua de 1643 à 1789. En 1848, en la chapelle rendue au culte, le cardinal de Bonald prononça la première consécration solennelle de Lyon à Marie. Cette consécration fut reconduite sans interruption depuis ce jour par tous les primats des Gaules. Quant au vœu lui-même, il a été remis à l’ordre du jour par le maire Francisque Collomb (1976-1989) qui reprenait à son compte une proposition antérieure du cardinal Gerlier.

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Et donc demain 8 septembre 2010, Gérard Collomb, son homonyme socialiste, l’ensemble des élus et des corps constitués, seront donc accueillis vers 16h45, sur l’esplanade de la basilique, par le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, et par Jean Marie Jouham, recteur de la basilique de Fourvière. Le cortège se mettra en marche et pénétrera par l’allée centrale. La cérémonie débutera vers 17 heures pétantes ; après l’homélie du cardinal Barbarin, la remise de l’écu d’or par le maire au prélat aura lieu dans le chœur. Gérard Collomb prononcera alors le dialogue traditionnel, tandis que la chorale entamera un solennel « amen ». Le cierge sera ensuite remis par un tailleur de pierre, qui sera allumé et déposé sur un chandelier. Après la communion, le cardinal Barbarin lira à genoux la prière de consécration traditionnelle de la ville à Marie, avant d’aller vers 18h30/35 la bénir du haut du balcon avec le Saint Sacrement. A ce moment, trois coups de canon seront tirés dans les jardins du Rosaire.

On pourrait croire à la lecture de tout ceci le diocèse de Lyon particulièrement traditionnel et tourné vers le passé : ce serait faire peu de cas du  lancement de l’application smartphone qui accompagnera la cérémonie et qui permettra la visite en réalité augmentée de la Basilique de Fourvière et de la cathédrale Saint-Jean. Cette application, « voulue par la Fondation Fourvière, gérante du site de la colline et de la basilique de Fourvière et par le Diocèse de Lyon, est gratuite et destinée aux 2 millions de touristes qui, chaque année, franchissent les portes de la basilique mariale ou de la cathédrale de Lyon » (voir ICI le site « visiter-la-basilique-de-fourviere-et-la-cathedrale-saint-jean-de-lyon-avec-son-telephone » L’application est astucieusement appelée « Zevisit » ; elle est disponible sur smartphone (iPhone, androïd phone et windows phone). Elle permet - y apprend-t-on- un circuit audio-guidé en sept étapes intérieures ou extérieures, pour chacun des monuments où il découvre, selon le principe de la « réalité augmentée »  l’histoire, l’architecture, l’art et la spiritualité de ces édifices, grâce aux voix de plusieurs guides, mais aussi de l’archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, du recteur de la primatiale, le père Michel Cacaud, du recteur de la basilique, Mgr Jean-Marie Jouham, ou encore de l’architecte en chef des monuments historiques, Didier Repellin. Vinzou...

Quelle époque ! auraient certainement soupiré quelques vieux lyonnais que j’ai bien connus et qui ne le diront pas puisqu’ils sont au cimetière : voir tous les vaillants francs-maçons du conseil municipal aller processionner à la queue leu leu jusque devant la crème des huiles catholiques de la cité pour leur faire allégeance (tous en grandes pompes vous dis-je) c’était déjà un sacré spectacle, faute d'un spectacle sacré. Mais ce mélange oxymorique de la plus pure tradition catholique et de la technologie muséale la plus élaborée, mêlant odeur de cierges et interactivité vocale, possède décidément un je ne sais quoi (comme auraient dit Paul Bourget, les frères Goncourt ou Joris Karl Huysmans) de fort intriguant et de franchement indécidable. Si le catholicisme est bien ce sens de la théâtralité la plus parcimonieuse, adapté à l’état du monde et à son désoeuvrement, ou à son ennui, eh bien, nous y voilà : Comme aurait dit le Giono du Roi sans Divertissement, il n’y aura pas de crimes demain dans la ville, et les braves gens pourront y dormir tranquilles. Tout juste quelque reliquat de manifestations inoffensives, puisque l’assassin aura trouvé « un divertissement suffisant ».