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dimanche, 05 septembre 2010

Roger Kowalski

« ayez pour moi les yeux du bel octobre, parlez à moi qui suis par l’ombre dessiné ;

qu’un seul regard disperse mes oiseaux, je vous retrouve ; qu’ils reviennent, l’aube seule à mon départ s’enflamme » (1)

 

Né à Lyon le 31 août 1934, Roger Kowalski y mourut le 6 septembre 1975, des suites d’un accident cardiaque. Avec l’Occupation et la Résistance qui s’organisait, Lyon était devenue à partir des années 1942 cette « grande et sombre ville du complot » dont parle Camus dans sa préface aux Poésies Posthumes de son ami René Leynaud (1910-1944) fusillé par les Allemands.  La poésie y connut alors une vitalité et un rayonnement qu’elle n’avait pas retrouvés depuis la Renaissance, autour notamment de la revue Confluences. Cet élan ne s’éteignit pas tout à fait avec la fin de la guerre et la place retrouvée de Paris en tant que capitale intellectuelle du pays. Des revues éphémères naquirent, tel que Delta, qui ne connut qu’un numéro en 1948, ou les Cahiers syntaxe qu’animèrent Robert Droguet et Armand Henneuse. Ce dernier publia  non seulement Alain Borne, Ponge, Seghers, mais aussi des poèmes de jeunes lyonnais, tels Raymond Busquet, Bernard Dumontet, Annie Salager… Autour d’Henneuse, un groupe se forma qui publia même un recueil collectif, Départs, dans les années 50. C’est au sein de ce groupe d’amis que les premiers poèmes de Roger Kowalski et Raoul Bécousse, parmi d’autres, trouvèrent un écho favorable. Alain Bosquet, alors chargé de cours de littérature américaine à la Faculté des Lettres de Lyon, publiera la première anthologie lyonnaise de la génération 1960 dans sa luxueuse revue L’VII (n° 6, juillet 1961). On ne saurait parler à leur propos d’une véritable et nouvelle école : Dumontet les présente ainsi : « Ce sont des amis. Ils se sont rencontrés peu à peu et reconnus ; ils ont une certaine idée de la qualité nécessaire, mais ils n’ont d’autre plaisir que de se savoir différents, et de voir chacun faire fructifier son propre domaine ».

Lecteur des romantiques allemands, de Rilke et de Trakl, mais aussi de Julien Gracq et de Saint-John Perse, Kowalski avait fait des études classiques chez les Jésuites et suivi des cours au conservatoire d’art dramatique avant d’effectuer son service militaire en Algérie, avant de devenir régisseur d’immeubles. Un prix Roger Kowalski a été créé par la ville de Lyon en 1984. Il fonda la galerie K en 1974, dans laquelle il exposait graveurs et peintres et à laquelle il se consacra totalement jusque sa mort. Grâce à son épouse Colette, la galerie K survécut quinze ans après la mort du poète.

Colette Kowalski (1936-2006), exerça une importante activité de traductrice de l'allemand. Avec  François Montmaneix, poète et ami, elle publia au Cherche-Midi, avec le concours du Centre National du Livre, les Poésies complètes de Roger Kowalski :

Le Silenciaire : extraits, Chambelland  1961

La Pierre milliaire, Les Cahiers de la Licorne, 1961

Augurales, L.E.O., 1964

Le Ban, Chambelland, 1964 (Prix Artaud)

Les Hautes Erres, Seghers, 1966

Sommeils, Grasset, 1968

A l’oiseau à la miséricorde, Chambelland, posthume 1976

 

(1)   A l’oiseau, à la miséricorde, 1976

 

Voici l’article que Pierre Perrin publia à l’occasion de l'édition des O.C. au Cherche Midi (NRF n° 557 – Avril 2001)

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19:24 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roger kowalski, poésie, lyon, culture | | |

vendredi, 03 septembre 2010

Fin de partie aux Terreaux

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Rue d’Algérie, au numéro 20, une librairie existe à Lyon depuis 1880. Pour moi, pour vous, pour tous les Lyonnais, c’est la librairie des Terreaux, que tiennent depuis trente ans l’éditeur Jean Honoré et son épouse Elisabeth. Après tant d’autres, après Péju, après les Nouveautés, elle va définitivement fermer ses portes, le 15 octobre 2010. On le savait depuis déjà six mois. Mais cette fois-ci, c’est signé. Il y a donc, m’a-t-on dit, des affaires à réaliser dans le mois à venir : 20 %, 50% selon les rayons et les étages, en sciences humaines, histoire, beaux-arts et varia.

Bien sincèrement je pense que la disparition de cette librairie-bouquinerie n’est pas une affaire pour la ville. Spécialisée dans l’histoire et la littérature régionale (Lyonnais, Forez, Beaujolais et tout le  Rhône-Alpes) la librairie de Jean Honoré est bien connue des amateurs pour les rééditions de Puitspelu, de Maynard, de Béraud.  Puitspelu c’est, bien entendu, le disctionnaire de la grande côte, dictionnaire du parler lyonnais, concentré drolatique et inspiré de l'esprit lyonnais : « Emerveillé par l'humour et la force de cet ouvrage qui, à travers le langage présente toute une région, j'ai cherché à le rééditer en arrivant à Lyon, en 1980 », raconte l'éditeur. En dix jours, les 2.000 exemplaires ont été épuisés. « C'est le miracle lyonnais, une incroyable aventure ! Le téléphone n'arrêtait pas de sonner et la porte de la librairie, de s'ouvrir sur un public très populaire de concierges, d'épiciers, etc. Pour faire ce score, il ne faut pas que des bobos ou des intellos ! De toute façon, j'ai toujours dit : Lyon est le meilleur public de France pour sa ville ». Plus de 16.000 exemplaires ont été réédités à ce jour et le succès ne s'est jamais démenti. « Ça va bien plus loin qu'un dictionnaire : c'est un livre à poser sur sa table de chevet ; on en lit quelques pages tous les soirs et on s'endort comme un bienheureux ! », affirme Jean Honoré.

Au 20 rue d’Algérie, en face de cet arrêt de bus où se succèdent les spécimens des lignes 1, 6, 13, 18, 19, 44…  il y aura désormais comme un vide indéniable, un trou béant, une réelle absence. La ville, un peu plus, aura égaré sa mémoire, ainsi qu’une part de son histoire et de son identité. Les libraires érudits s'y faisant de plus en plus rares.

Si vous ne connaissez pas la librairie, si vous n’y avez jamais mis les pieds, pour un mois et demi, il est encore temps : on y respire le bouquin, le conseil averti, la trouvaille imprévue et rare parmi les épuisés.

 

 

Librairie des Terreaux

20 rue Algérie
69001 Lyon

Tél. : 33 04 78 28 10 69  & 06 03 25 22 61
E-Mail :
librairiedesterreaux@wanadoo.fr

Horaires : 10h-12h 14h-19h
Fermeture dimanche et lundi

mercredi, 21 juillet 2010

La scène de la Croix-Rousse se vide

La Croix-Rousse vient de perdre deux figures majeures : Après Eric Meyer, le SDF de la grande place qui n’a pu (voulu ?) survivre au meurtre de son beau chien noir, Philippe Faure, le directeur du théâtre de la Croix-Rousse, qu’un cancer vient d’emporter. Eric Meyer, les gens du Plateau ne connaissaient peut-être pas son nom, mais tous connaissaient son visage. Tout comme tous connaissaient le visage de Philippe Faure. J’ai souvent croisé le regard de l’un et le regard de l’autre, lors de mes déambulations, sur le Plateau, le boulevard, le marché. Tous deux avaient le regard aussi triste. Je n’ai jamais vraiment parlé ni à l’un ni à l’autre. Je le regrette. Les échanges silencieux que j’ai pu avoir avec Eric Meyer paraissaient nous suffire. Quant à Philippe Faure, il n’a jamais daigné répondre à mes courriers concernant ma pièce, La Colline aux canuts. Aussi ai-je fini par la monter moi-même.

Dommage.

Quand un homme est mort, il n’est plus temps de polémiquer. Si je parle de ces deux hommes en même temps, c’est parce qu’il y avait de la rue, des errances, des volutes et des circonvolutions lisibles pareillement dans leurs yeux de chiens battus. Comme aux extrêmes l’un de l’autre - je veux dire de la reconnaissance sociale - et pourtant, si proches. Voilà même que je suis certain que leurs regards se sont évidemment croisés, sur cette place où Jacquard donne la patte aux pigeons. Oui. De la même manière que mon regard a croisé chacun des leurs, chacun a dû croiser le regard de l'autre. Forcément. La Croix-Rousse, comme on le dit souvent en prenant un ton hautement ridicule, la Croix-Rousse est un villaâââge... Ils se sont croisés devant ce bureau de tabac où l’un guettait la pièce, l’autre venait acheter son journal.

Dans le monde du Réel (celui où ni les pièces de théâtre, ni les pièces de monnaie ne tombent du ciel), ils étaient aussi emblématiques l'un que l'autre d’une forme de marginalité, de solitude. Et pourtant, tandis que l’un déjà s’enfonce dans l’oubli collectif, les hommages éphémères vont continuer quelques jours à pleuvoir sur l’autre :

 

Un homme de la parole vive, dit l’adjoint à la culture.

 

Un acteur hors-pair, un metteur en scène talentueux, dit le maire.

 

Un acteur passionné, un auteur inventif, un directeur engagé, dit le député.

 

Il était l’âme et le cœur du Théâtre de la Croix-Rousse, dit le président du conseil général…

 

Le plus grandiloquent est encore le président du conseil régional : "De l’homme qui proclamait fièrement, quelques semaines avant sa mort, que le destin du Théâtre de la Croix-Rousse est en marche : une Maison du peuple pour être utile , je me risquerais à dire, comme Camus à propos de Sisyphe, qu’il faut imaginer Philippe Faure heureux..."

 

Rebondissant sur ces propos de Jean-Jacques Queyranne, je me souviens à nouveau de cette tristesse dans leurs regards, et j’imagine l’un jouant l’autre, l’autre applaudissant l’un. Oui, non plus toujours assis par terre comme un clochard, mais dans un fauteuil de la Maison du Peuple, et je dis qu’il faut aussi imaginer Eric Meyer heureux, Eric Meyer heureux grâce à Philippe Faure.

Ce serait ça, l’art de la cité.

Ça, que le patron du théâtre de la Croix-Rousse tenait ferme, au cœur de son utopie. 

 

Et pour conclure ce qui ne sont que paroles jetées, impressions fugaces tout autant que  durables, car nous y passerons, nous le savons bien, tous et toutes à la suite d’Eric Meyer et de Philippe Faure, quelques paroles décisives de Beckett sur le sujet, homme de théâtre et d’écriture, et mendiant terrestre, s’il en fut :

 

« Oui, toute ma vie j’ai vécu dans la terreur des plaies infectées, moi qui ne m’infectais jamais, tellement j’étais acide. Ma vie, ma vie, tantôt j’en parle comme d’une chose finie, tantôt comme d’une plaisanterie qui dure encore, et j’ai tort, car elle est finie et elle dure à la fois mais par quel temps du verbe exprimer cela ? Horloge qu’ayant remontée l’horloger enterre, avant de mourir, et dont les rouages tordus parleront un jour de Dieu, aux vers. »

 

Samuel Beckett, Molloy,

 

Hommage à Eric Meyer & Philippe Faure qui ont tous deux comme autre point commun celui d’être mort prématurément : 42 et 58, ce qui fait à deux, pile, pas un an de plus qu'un siècle.

 

 

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Place Joannes Ambre, non loin du théâtre de Philippe Faure, la Croix-Rousse,  qui donna son nom à tout le quartier en deuil de ses saltimbanques

12:22 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : croix-rousse, eric meyer, philippe faure, théâtre, lyon, actualité | | |

jeudi, 08 juillet 2010

Un mort

Quand un homme n’a que sa vie, il n’est rien de plus odieux que de la lui prendre. L’enquête, d’elle-même, se fera. Et bientôt nous en saurons plus sur la disparition de ce SDF à peine quadragénaire, ainsi que sur celle de ses chiens, dont il se murmure qu’eux furent éventrés, mais encore une fois, tout n’étant pas encore très clair, nous ne pouvons pour l’instant rien dire de plus sur cette fort triste affaire qui, malgré l'été, est venue troubler la place de la Croix-Rousse à Lyon.

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17:35 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : croix-rousse, lyon, sans-abri, rue pailleron, meurtre | | |

lundi, 28 juin 2010

Lyon, la santé, la vie

Une soirée d’information sur le devenir de l’Hôtel-Dieu : en marge du projet de Collomb, un musée de la Santé qui serait le plus important en France par la richesse des collections réunies.

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A lire également :
 
 

12:29 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lyon, collomb, hotel-dieu, santé, politique, société, france, actualité | | |

vendredi, 23 avril 2010

Collomb/Gaudin, même combat

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Qu’on soit maire « de droite » ou maire « de gauche », quand on est maire d’une grande ville, il semble que ce soit devenu un sport municipal de brader les Hôtel-Dieu : A Marseille aussi, il est question de transformer l’ Hôtel-Dieu en hôtel de luxe. Situé au pied du quartier touristique du Panier, cet hôpital date, lui, du XVIIIème siècle et a été conçu par Mansart. Il est évidemment lui aussi classé monument historique. C’est le groupe Axa, associé à Intercontinental qui, pour un loyer de 2 millions d’euros, se propose d’y ouvrir un hôtel quatre étoiles. Toujours le même baratin : "une seconde vie pour l'hôpital", et toute cette argumentation démissionnaire qui brade au privé les joyaux patrimoniaux.

Interpellé de cette façon par son opposition : « Cette vente est une faute qui marquera gravement votre mandat. Vous serez celui qui a vendu l'âme de Marseille ! », voici comment Gaudin a répliqué :  « Vous ne manquez pas de culot,. La mairie de Lille [PS-PC] a fait pareil avec un couvent situé en plein centre-ville ! »

Gaudin  aurait pu aussi citer le socialiste Collomb qui fait la même chose que lui à Lyon …

Désespérant …

 

 

 

Sur ces différents blogs, des précisions sur le projet marseillais  (cliquez sur les noms)

- Christian Pellicani, conseiller municipal communiste de Marseille

- Jean Paul Nostriano, solidaire citoyen unitaire

- Marseille vend son âme et l'Hôtel-Dieu  (20 minutes)

 

 

18:04 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hôtel-dieu, marseille, lyon, politique, patrimoine | | |

mardi, 20 avril 2010

Des nouvelles de l'Hôtel-Dieu

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C’est à mon sens l’argument le plus spécieux, le plus asséné et peut-être le plus performant du « nouveau monde » : le changement est bon. Cette idée, proprement libérale puisque c’est dans le changement que tout marché fait son nid, rencontre aussi dans l’esprit du plus grand nombre je ne sais quelle idée de jeunesse qui la rend sympathique et a priori admissible, quelle que soit la nature du changement envisagé.

Qu’en est-il, dans un tel contexte du patrimoine ? Il est question, à Lyon, de construire un musée et un grand stade qui pour l’instant ne sont, ni l’un ni l’autre, sortis de terre. Et en même temps, il est question d’assigner au vieil Hôtel-Dieu un usage nouveau, hôtel de luxe, usage en contre sens complet, c’est le moins qu’on puisse dire, avec sa fonction emblématique et  séculaire. Et l’idée semble séduire de nombreuses personnes qui vous disent naïvement : mais qu’est-ce que vous avez contre le changement ?

J’ai qu’au nom de ce changement, un bâtiment qui appartient de fait non seulement à l’histoire de la ville, mais par conséquent à chacun des lyonnais, entre symboliquement dans une sphère dont il doit être maintenu à l’écart : celle du privé. J'ai qu'on brade une mémoire, un symbole, une culture. J'ai que c'est idiot. Je renvoie le lecteur à tout ce que j'ai écrit à ce sujet et aux nombreux billets qui sont regroupés ICI.

De nombreux lecteurs de ce blogue ont signé, et je les en remercie du fond du coeur, la pétition de protestation pour la promotion d’un centre de santé à l’Hôtel Dieu. Cette pétition ne sauve pas l'ensemble du site, mais seulement 4 à 5000m2, sur plus de 40 000. C'est déjà ça, même si à mon sens il faudrait mobiliser les gens  de façon bien plus radicale pour la création d'un musée qui regrouperait tous les musées épars de la ville et serait un musée, justement, à la hauteur d'une ville qui se veut de dimension internationale.

Entre la plate forme en lien et une autre plate forme, en cumulant également les signatures manuscrites, 5000 signatures ont été recueillies. C’est beaucoup, c’est encore insuffisant pour créer une dynamique sur toute la région. Je retranscris un extrait de la lettre que j’ai reçu de la part de M. J.F.Valette, du Collectif Hôtel Dieu , ainsi que le texte qui l’accompagne :

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07:53 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hôtel-dieu, politique, patrimoine, société, ps, ump, lyon | | |

lundi, 08 mars 2010

Une femme qui écrit

« Les femmes, je le sais, ne doivent pas écrire;

J'écris pourtant,

Afin que dans mon cœur au loin tu puisses lire

Comme en partant.

 

Je ne tracerai rien qui ne soit dans toi-même

Beaucoup plus beau:

Mais le mot cent fois dit, venant de ce qu'on aime,

Semble nouveau. »

 

On la baptisa sournoisement la « prolétaire des Lettres ». Il se peut que ce fût aussi une forme d’hommage. Avec les gens qui n’ont jamais côtoyé la pauvreté qu'en paroles, sait-on jamais? Sous sa plume, cette phrase terrible, aux accents d’un Léon Bloy féminin : «ce mot de fer : argent ». Marceline Desbordes naquit le 20 juin 1786 à Douai, d’un père ourdisseur et peintre d’armoiries, que la Révolution avait ruiné. A douze ans, elle partit avec sa mère Marie Catherine en Guadeloupe, dans l’espoir d’y rejoindre un « riche cousin » : mais ce dernier était mort entre-temps, et Marie Catherine périt bientôt de la fièvre jaune. Restée seule, Marceline apprit le métier de comédienne (spécialisée dans les rôles d’ingénue) puis de cantatrice, métiers qui lui permirent de se produire de Bruxelles à Paris pendant quelques années. Le romantisme affleure durant ces premières années du siècle, et l'existence de Marceline va se dérouler dans une succession d’aventures, de déboires, de déconvenues, tant professionnelles que sentimentales, d’errances et de deuils.

L'histoire retient que le fils qu’elle eut de son amant, Henri de Latouche, est mort à l’âge de 5 ans en 1816, et  que des quatre enfants qu’elle eut avec son mari, Prosper Lanchantin (dit Valmore), l'aîné seul (Hippolyte) survécut (Il mourut en 1892). C’est avec ce Valmore qu’elle s’installe une première fois à Lyon, du printemps 1821 au printemps 1823, au 10 de la place des Terreaux. Embauchée par le Grand Théâtre (l’actuel opéra), elle interprète l’Agnès puis la sage Eliante de Molière. On l’applaudit également dans des mélodrames d’époque, dont des pièces de Scribe. En 1827, le couple est de retour à Lyon et s’installe au n°1 place Sant-Clair, puis au quatrième étage du 12 rue de la Monnaie, d’où elle assiste en novembre 1831 au soulèvement des canuts. Une véritable passion l’a liée à cette ville, où soufflaient alors les plus violentes colères populaires du pays, et que traversait une authentique tentative intellectuelle pour conduire à son terme la décentralisation littéraire et artistique. Elle put y tisser un vrai réseau d’amitiés : Léon Boitel (1806-1855), le peintre Antoine Berjon (1754-1843), le poète Etienne-François Coignet (1798-1866), l’historien François Collombet (1808-1853). Du n°1 de la rue de Clermont (à présent rue Edouard Herriot), elle contemple durant quatre jours, enfermée et horrifiée chez elle, la seconde révolte de 1834 et les répressions sanglantes qui en découlent. 

Lyon devient alors pour elle  la ville de toutes les douleurs : « J’ai trop souffert de Lyon et à Lyon pour ne pas y être attachée », écrira-t-elle à Léon Boitel, en 1838 : un contexte social plus que rude, une vie de comédienne harassante, mais un climat d’exaltation intellectuelle et artistique des plus fervents. On doit à la ténacité de Jean Butin et de la République des Canuts que le nom de Marceline Desbordes -Valmore, que n’honorait aucune rue, ait été donné à la récente médiathèque de Vaise dans le neuvième arrondissement, et qu’une plaque lui soit dédiée au jardin d’Ivry à la Croix-Rousse.

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Marceline a vécu dans la misère, le romantisme et la foi : « Les pauvres se secourent les uns les autres » répétait-elle souvent. De sa poésie, Baudelaire a écrit : « Personne n’a pu imiter ce charme, parce qu’il est tout original et naïf ». Et un peu plus loin, dans le même article de ses Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains : « Mme Desbordes-Valmore fut femme, fut toujours femme et ne fut absolument que femme ; mais elle fut à un degré extraordinaire l’expression poétique de toutes les beautés naturelles de la femme » Dans l’esprit de Baudelaire il faut sans aucun doute entendre, parmi ces beautés naturelles, un certain nombre de clichés, que le féminisme du siècle suivant aura beau jeu de pointer du doigt : et notamment ce que Baudelaire appelait la « capacité à souffrir », qui fut d’ailleurs durant tout ce siècle aussi chrétienne que féminine. Capacité qui transparait tellement sur ce visage d’un autre temps, et comme d’un autre univers, lequel, parce qu’il me rappelle celui de certaines aïeules sur de vieilles photos de famille, où je ne les vis jamais qu’un missel en main, me surprend, me glace, me bouleverse tellement : les mitaines en soie noire, ces larges robes longues et noires dont les canuts tissaient, pour quelques sous la journée, le tissu dans leurs hauts immeubles légendaires, cette écharpe nouée dans un geste austère et coquet. Et bien sûr, cette expression, qui fut celle de tant d’humains de ces générations-là, gens oubliés du dix-neuvième siècle, tous les captifs, tous les vaincus qui n'eurent pas même la possibilité d'écrire la moindre ligne, de jouer le moindre rôle, et de graver leurs traits dans le camaïeu du moindre daguerréotype.

Marceline s’éteignit le 23 juillet 1859. Cette année-là, le fier Haussmann créait les 20 arrondissements de Paris, et les grands travaux qui concerneraient également toutes les villes de France continuaient à balayer sans ménagement l’ancien monde et ses occupants. Ce regard de Marceline est bien tout autant celui du vieux Paris ou celui du vieux Lyon, jeté de ces vieux faubourgs où, écrivit Baudelaire dans ce magnifique poème dédié à Hugo qui a pour titre Le Cygne, «tout pour moi devient allégorie», et qui s’achève par une évocation « aux captifs, aux vaincus » placée sous la garde l’Andromaque, mais qui tout autant aurait pu l’être sous celle de Marceline...

lundi, 15 février 2010

Les sculpteurs de Fourvière

Tout le monde connait, ne serait-ce que de nom, la basilique de Fourvière. Elle a rencontré, depuis le début, des ardents défenseurs (palais de Marie, citadelle mystique) ainsi que des détracteurs passionnés (éléphant renversé). Huysmans la trouvait « asiatique et barbare »... Léon Bloy ne l'aimait pas. Et le maire franc-maçon Victor Augagneur engagea en 1903 une procédure municipale pour la faire fermer.

Depuis longtemps, Pierre Marie Bossan (1814-1888), son architecte principal, nourrissait le projet d’édifier sur « la colline qui prie » un nouveau sanctuaire. En 1856, déjà, il en présentait le projet à son ami Joannes Blanchon (1819-1897), secrétaire de la toute jeune commission de Fourvière. La défaite de 1870 et la menace prussienne favorisèrent finalement le vœu du cardinal Ginouilhiac dont la future église sortit, si l’on peut dire, justifiée, malgré les innombrables incertitudes financières et techniques qui pesaient sur le projet. Louis Sainte-Marie Perrin (1835-1917) fut alors choisi par la commission de Fourvière pour diriger le gigantesque chantier que Bossan, son asthmatique architecte en chef désorfourviere_055compweb.jpgmais contraint de vivre à La Ciotat, avait laissé sur place. Le chantier s’étira sur une trentaine d’années. Si l’on peut considérer que le bâtiment vit finalement le jour, contrairement par exemple au Sacré Cœur de la rue Baraban qui, selon la volonté de son architecte, devait rivaliser avec Montmartre (1), le monument lui, a de grandes chances de rester à jamais inachevé : si on l’observe de près, en effet, à de nombreux endroits, seuls des blocs de pierre non ciselée, desquels il était prévu de faire jaillir motifs ou personnages s’imposent à la vue : bon nombre debasilique_de_fourviere_illuminee_pour_la_fete_des_lumieres_lyon_france_galerie_photo_large.jpg sculptures sont demeurées inachevées. Certains jugent le contraste entre la décoration trop symbolique des œuvres achevées et la rudesse massive de ces blocs en devenir saisissant. D’autres disent qu’après tout, c’est aussi bien que le cubisme ait à sa façon laissé son empreinte su1755016068_7e6806e41c.jpgr les parois de la basilique. Gros plan par là sur un ange, par ici sur un pélican…

Paul Emile Millefaut (1848-1907), spécialiste de la statuaire religieuse, fut l’auteur de la plupart des principaux anges arrivés à terme, des huit cariatides monumentales de la façade principale, ainsi que de la statue de Saint-Michel écrasant le Mal, symbole de la France légitimiste dont la lance, du haut de l’abside, fait face au Levant. On doit à Charles Dufraine (1827-1900) « le Lion de Juda » ainsi que la frise du fronton. Entre 1914 et 1920, Jean Baptiste Larrivé (1875-1928), prix de Rome en 1904, sculpte sur la tour Nord Ouest le groupe « de la Force ». Il réalise également les groupes « Samson et le lion » et « Jacob et l’Ange », ainsi que trois anges isolés, dont « l’ange du silence », achevé par Louis Bertola (1891-1973) Joseph Belloni (1898-1964), installé quasiment à demeure dans l’atelier de l’esplanade, parachève à son tour plusieurs décors, au-dessus de la porte principale et sur les murs latéraux de l’édifice. C’est notamment lui qui sculpte la frise de la Sainteté Lyonnaise sous le porche, où se découvrent entre autres Antoine Chevrier, Jean Marie Vianney, Pauline Jaricot et Frédéric Ozanam.

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(1) Un terrain de 15.000 m2 fut acheté à la fin de la première guerre mondiale, huit jours après l’armistice pour le « Sacré Cœur » lyonnais.  Sur la plaine, il était question que l’église mesurât 94 mètres de long, qu’elle fût aussi vaste que Fourvière qui surplombe la colline et ornée de deux clochers et d’un dôme à l’égal de son homologue parisien. Faute d’argent, on ne construisit du bâtiment prévu que l’abside et le transept, lesquels devinrent à eux seuls le corps de la modeste église du Sacré Cœur rue Baraban. La municipalité racheta le terrain qui demeura longtemps un simple terrain vague avant de se transformer en modeste jardin public, au pied la haute muraille nue qui mettait fin au projet initial des Veuves de la guerre de Quatorze...

17:47 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre marie bossan, jean larrivé, joseph belloni, fourvière, lyon, sculptures | | |