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dimanche, 05 septembre 2010

Roger Kowalski

« ayez pour moi les yeux du bel octobre, parlez à moi qui suis par l’ombre dessiné ;

qu’un seul regard disperse mes oiseaux, je vous retrouve ; qu’ils reviennent, l’aube seule à mon départ s’enflamme » (1)

 

Né à Lyon le 31 août 1934, Roger Kowalski y mourut le 6 septembre 1975, des suites d’un accident cardiaque. Avec l’Occupation et la Résistance qui s’organisait, Lyon était devenue à partir des années 1942 cette « grande et sombre ville du complot » dont parle Camus dans sa préface aux Poésies Posthumes de son ami René Leynaud (1910-1944) fusillé par les Allemands.  La poésie y connut alors une vitalité et un rayonnement qu’elle n’avait pas retrouvés depuis la Renaissance, autour notamment de la revue Confluences. Cet élan ne s’éteignit pas tout à fait avec la fin de la guerre et la place retrouvée de Paris en tant que capitale intellectuelle du pays. Des revues éphémères naquirent, tel que Delta, qui ne connut qu’un numéro en 1948, ou les Cahiers syntaxe qu’animèrent Robert Droguet et Armand Henneuse. Ce dernier publia  non seulement Alain Borne, Ponge, Seghers, mais aussi des poèmes de jeunes lyonnais, tels Raymond Busquet, Bernard Dumontet, Annie Salager… Autour d’Henneuse, un groupe se forma qui publia même un recueil collectif, Départs, dans les années 50. C’est au sein de ce groupe d’amis que les premiers poèmes de Roger Kowalski et Raoul Bécousse, parmi d’autres, trouvèrent un écho favorable. Alain Bosquet, alors chargé de cours de littérature américaine à la Faculté des Lettres de Lyon, publiera la première anthologie lyonnaise de la génération 1960 dans sa luxueuse revue L’VII (n° 6, juillet 1961). On ne saurait parler à leur propos d’une véritable et nouvelle école : Dumontet les présente ainsi : « Ce sont des amis. Ils se sont rencontrés peu à peu et reconnus ; ils ont une certaine idée de la qualité nécessaire, mais ils n’ont d’autre plaisir que de se savoir différents, et de voir chacun faire fructifier son propre domaine ».

Lecteur des romantiques allemands, de Rilke et de Trakl, mais aussi de Julien Gracq et de Saint-John Perse, Kowalski avait fait des études classiques chez les Jésuites et suivi des cours au conservatoire d’art dramatique avant d’effectuer son service militaire en Algérie, avant de devenir régisseur d’immeubles. Un prix Roger Kowalski a été créé par la ville de Lyon en 1984. Il fonda la galerie K en 1974, dans laquelle il exposait graveurs et peintres et à laquelle il se consacra totalement jusque sa mort. Grâce à son épouse Colette, la galerie K survécut quinze ans après la mort du poète.

Colette Kowalski (1936-2006), exerça une importante activité de traductrice de l'allemand. Avec  François Montmaneix, poète et ami, elle publia au Cherche-Midi, avec le concours du Centre National du Livre, les Poésies complètes de Roger Kowalski :

Le Silenciaire : extraits, Chambelland  1961

La Pierre milliaire, Les Cahiers de la Licorne, 1961

Augurales, L.E.O., 1964

Le Ban, Chambelland, 1964 (Prix Artaud)

Les Hautes Erres, Seghers, 1966

Sommeils, Grasset, 1968

A l’oiseau à la miséricorde, Chambelland, posthume 1976

 

(1)   A l’oiseau, à la miséricorde, 1976

 

Voici l’article que Pierre Perrin publia à l’occasion de l'édition des O.C. au Cherche Midi (NRF n° 557 – Avril 2001)


Roger Kowalski, né en 1934 à Lyon où il a enseigné avant d’ouvrir une galerie d’art, est mort en 1975. Il a peu publié : six recueils de 1960 à 1968, qui transcendent lentement les influences presque revendiquées de la Tour du Pin, Perse et Gracq. L’ultime À l’oiseau, à la miséricorde fut posthume. Voici tous ces recueils, devenus introuvables, réunis en un volume de 400 pages. L’a voulu l’ami fidèle. François Montmaneix, qui écrit dans Vivants : « Mais à quoi bon attendre des réponses / qui ne vivront pas plus longtemps que nous », n’en tisonne que mieux l’attention. Il avait déjà créé le prix que soutient la ville de Lyon depuis 1984, décerné à Didier Pobel, Dominique Sampiero, Jean-Yves Masson…

Dépourvu de mercantiles appâts, offrande pure, le poème de Kowalski privilégie un décor et un climat qui fondraient en une goutte d’or mat Le Rivage des Syrtesl’Anabase et les ENFANTS DE SEPTEMBRE. Le poème de Kowalski est en effet délibérément tourné vers le passé. Celui qui l’habite s’y voit transporter dans un château d’où il ne sortirait que pour chasser ou se promener sur les terres. Il goûterait par-dessus tout la veille, la longue attente et, dans l’hiver, le gel, la neige. Il n’est pour lui d’histoire ni d’avenir ; la féerie le requiert. C’est qu’un arrêt résonne à perpétuité : « Tous les pays qui n’ont plus de légende / Seront condamnés à mourir de froid. » Et c’est pourquoi, à suivre les grands vols d’oies sauvages, on met soudain ses pas dans ceux du Grand Meaulnes, pour ne pas remonter aux romans de Chrétien de Troyes. Le poème en tout cas forme un cocon de rêve pour une geste de mémoire.

Le langage, en parfaite cohérence avec ce monde imaginaire, use des vocables d’autrefois. Aux termes de prédilection tels que mander, songe, dessein, demeure, croisée, face, feu froid, s’ajoutent des archaïsmes dans la construction syntaxique. « Il faut ne les point abandonner ». C’est un tour d’esprit, de force aussi. Les phrases brèves ou entrecoupées de points-virgules distillent des propositions aussi lumineuses que des proverbes.

La voix de Perse, prix Nobel 1960, irrigue les premiers ouvrages : « Comme une mer à l’ombre de ce temps, et c’est le royaume de la mémoire, l’ordre des grandes floraisons. » Ailleurs le recours aux vocatifs et aux superlatifs n’est pas rare. Cependant l’appropriation de la voix altière sert paradoxalement la conquête de l’intimité. À la précarité de l’existence qui obsède le poète, celui-ci oppose une multiplication des masques. Ariel, entre autres figures, l’aide à percevoir « le tendre toucher du temps ». L’avenir, semble dire Kowalski, épuise entre les mains la supplication à entretenir la] mémoire.

C’est comme si toute espérance était en ruines, aussitôt formulée.

C’est pourquoi tel un symboliste, mais qui aurait traversé plusieurs désastres, il crée cette œuvre trouble, troublante et souvent trompeuse. Tandis qu’elle paraît limpide à l’œil distrait, à qui lève les paupières pour l’interroger elle révèle son vrai visage qui est funèbre. Gracq acquiesce à un monde que répudie Kowalski. L’état, de veille ou de marche, oblige en effet à un retour sur soi, que commande la précarité. Mais dans celui-ci même, l’interdit, l’humilité par force et l’emprisonnement constituent l’aliénation de la vie entière dont rend compte le poète. Quelle que soit l’espérance, la voix ne peut que se faire plus basse. Le cri répudié, le ton s’ajuste au constat. L’altitude précède la chute. Lors même que l’auteur, devant l’énigme à tête de mort, userait d’un sentiment, il s’interdit l’abandon de soi. Tenir est sa devise, sans ostentation ni faiblesse. C’est pourquoi encore la suggestion règne en maîtresse dans cette œuvre. L’ellipse, l’allusion procurent à ces pages cette légèreté qui est le comble du désespoir.

« Essaie de dormir ; tu n’entreras pas de bon gré dans les cavernes où pourrit la sagesse ; le hasard un jour t’y conduira pourtant d’une ruineuse main ; ton âge répondra par un cri de dégoût. » Le quotidien récusé, la mort plus encore, le songe ramène presque mythiquement vers l’origine. L’être dans les mailles du temps, à la différence de l’araignée dans sa toile, ressaisit « les dires oubliés, les mares tremblantes ». Tout l’enjoint à faire pivoter la tête derrière son épaule. « Il n’est mémoire ici que ne hante l’enfance. » Un secret perce peut-être à travers ces vers de jeunesse :       

       celle qui se penchait sur le livre entrouvert

       à la lumière un peu faible de la lampe

       celle-là qui parfois appelait le vent

 

       de paroles aux vieux temps semblables

       dans mes demeures de pierres noires

       j’en écoutais le tendre cours et le délire

Quoi qu’il en fût, la mort a exercé contre Kowalski un empire perceptible d’un bout à l’autre de l’œuvre. La menace est, à l’aune de la réponse que le poète lui oppose, partout présente ; la grandeur, à la mesure du handicap fixé sans ciller. Le poème, plus ramassé qu’un

  caillou sous un poing, se délivre toutefois en prière. À l’image de cette métamorphose, le poète a choisi de s’écrire hors du temps : « Derrière la jalousie dont chaînes et cordes sont ruinées la fenêtre est close sur un mur ; vitres et menuiserie m’enferment aveuglément comme il convient. » Peu importe la vérité ; l’aporie, sa seule incarnation mais sans cesse rejetée, lui interdit d’être définitive. Demeure une posture de veilleur que la mort, depuis un quart de siècle, ne peut pas effacer ni détruire, dès lors que des vivants – des amis d’une fidélité sans œillères – la reprennent à leur compte.

Ce livre a tout à vivre. Le feu jadis éloignait les loups ; la braise restante assemble des hommes nouveaux. « La nuit continue mon regard », assurait déjà Roger Kowalski, sur la pointe des pieds. Les Poésies complètes forment une étoile qui brille à l’intérieur.

PIERRE PERRIN [in NRF n° 557 – Avril 2001

19:24 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roger kowalski, poésie, lyon, culture | | |

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