lundi, 06 septembre 2010
Manuel de survie à l'usage de l'auteur...
Dans son Exégèse des lieux communs, Léon Bloy raille savoureusement le mépris très bourgeois affleurant dans l’expression Etre poète à ses heures. C’est à ce texte que m’a fait penser Tu écris toujours, l’entreprise de Christian Cotteret-Emard publiée au Pont du change, qui décline en 19 chapitres sa série de « Conseils aux écrivains ». Car « tu écris toujours ?», cette terrible phrase prononcée par le copain d’école qu’il rencontre deux ou trois fois par an, tout comme « être poète à ses heures », pose implicitement la même question : celle du statut (ou plutôt du non-statut) de l’écrivain dans la société. On parlait de poète maudit à l’époque de Bloy, pourrait-on à présent étendre cette qualification à l’ensemble de la gente écrivaine ?
Ecrire ? Quoi de plus commun, quoi de moins lucratif semble donc penser le représentant de la vox populi, qui conclut l’entrevue par un hochement de tête signifiant : « Décidément, on n’a pas fait des étincelles, toi et moi ! » Il est loin, de fait, ce temps que Paul Bénichou, dans un essai devenu mythique (1) appelait pour qualifier la position de l’homme de lettres « le temps des prophètes ».
De page en page se définit donc peu à peu un profil, une expérience, une nature : marginal et distancié dans la « déplaisante société », l’écrivain doit tout d’abord subvenir à ses besoins avec ce que les autres appellent un travail, mais qu’il considérera lui comme un simple job. « Pour de multiples raisons dont nous nous fichons éperdument, les écrivains dépourvus de rente ou d’héritage cherchent souvent un emploi. Je dis bien un emploi et non un travail, car tous les écrivains ont un travail » ; la perle rare demeurant bien sûr, « un job qui vous permettra d’être payé à ne rien faire ». Cela devient, concède Cottet-Emard, de plus en plus difficile. Qu’importe. L’écrivain doit poursuivre son œuvre malgré les rebuffades des éditeurs, le provincialisme des prix littéraires ou le sarcasme des amis et, s’il réussit, les questions imbéciles des journalistes comme les caprices des mécènes.
Ce dernier point concerne évidemment l’écrivain en partie institutionnalisé ; celui qui aurait, comme Sollers avec Venise, réussi à se forger, parmi tant d’autres, une image. Car c’est au fond la seule distinction que la société du spectacle est à même de proposer à celui qui écrit : cette image entre gloire et dérision, impuissance et facticité, le tout teinté d’une persistante fascination. D’où le ton à la fois caustique et léger avec lequel le poète-sociologue Christian Cottet-Emard enquête sur lui-même et les quelques spécimens parmi les siens. A lui le fin mot de l’histoire : « Le problème n’est pas de savoir si vous êtes un bon ou un mauvais écrivain. Savez-vous faire autre chose ? Voilà la vraie question et, bien sûr, la réponse est non. »
(1) Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain (1973), Le temps des prophètes (1977), Quarto Gallimard, 1996
Christian Cottet-Emard : Tu écris toujours ? Manuel de survie à l’usage de l’auteur et de son entourage ; éd. Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert 69003 Lyon.
18:17 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture, pont du change, cottet-emard |
Commentaires
Poète à seize heures...Pas avant, pas après...
Dans le " tu écris toujours , " il y a aussi comme une espèce de compassion, presque du mépris...En tout cas, du style : t'encules tjs les mouches ?
Écrit par : Bertrand | lundi, 06 septembre 2010
Poète à seize heures...Pas avant, pas après...
Dans le " tu écris toujours , " il y a aussi comme une espèce de compassion, presque du mépris...En tout cas, du style : t'encules tjs les mouches ?
Écrit par : Bertrand | lundi, 06 septembre 2010
Avec mes remerciements.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | mardi, 07 septembre 2010
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