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lundi, 29 août 2011

Notre grand 7

Véritable remue-ménage dans le réseau de transports en commun lyonnais (TCL) ;  « Le bus change, le réseau s’améliore, tout TCL avance,  vous circulez mieux » : fidèle à la rhétorique de l’époque, les communicants parlent d’un « projet  majeur », auquel ils attribuent cinq « progrès » (le tout dernier étant, ça va de soi, une moindre pollution) A la fois anagramme et mot valise, le titre de l’opération (dont les raisons doivent être économiques) est Atoubus. Y aurait-il des oulipiens aux TCL ?

On découvre donc que le réseau lyonnais aura dorénavant des « lignes majeures » (au nombre de 26) et puis d’autres. On attendrait bien sûr mineures. Dites plutôt « complémentaires » et « spécifiques ». Ces dernières baptisées selon leur parcours de noms charmants : « soyeuses » pour les touristes, « zone industrielle » ou «gar’express » pour les banlieusards, « pleine lune » pour les noctambules et  « résago » pour les résidentiels ou les organisateurs de congrès, avec un système de réservation téléphonique à la carte.

A l’époque de « l’abonné de la ligne U », roman de Claude Aveline, puis feuilleton radiophonique, puis téléfilm, on n’était pas l’abonné d’un réseau, mais chacun avait sa ligne, qu’il prenait chaque jour. Tout le monde se connaissait dans le bus de 7h08, chacun avait quasiment sa place comme dans la pension de famille. Chaque autobus formait un univers ambulant avec son chauffeur (à l’avant) et son guichetier (à l’arrière), et lorsque une panne de réveil vous livrait à celui de 7h21, ou pire de 7h 39, vous vous retrouviez carrément en pleine terre étrangère.

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Les lignes possédaient des notoriétés diverses. Le 6, arpentant les pentes de la Croix-Rousse, le 4, explorant les Beaux Quartiers, le 7, cheminant de Perrache aux Brotteaux par le pont Morand jusqu’à Cusset. Tour à tour fiacre, tramway, autobus, le 7 fut la ligne la plus dense et sans doute la plus populaire du réseau de l’époque car elle reliait deux gares, parcourait successivement les rues les plus attrayantes de Lyon puis de Villeurbanne, desservant deux théâtres (Célestins et TNP), la ligne 7 était la plus dense du réseau, la première à être remplacée par un métro. Tancrède de Visan publia en 1934 un recueil de nouvelles, « Perrache-Brotteaux », dans lequel il écrivait : « J’ai réuni ces bagatelles sous le titre symbolique Perrache-Brotteaux. C’est la qualification de notre tram le plus populaire, le mieux achalandé, notre grand 7, celui qui, prenant le départ proche notre antique presqu’ile marécageuse, aboutit avec le temps au quartier neuf de notre cité en longeant la place Bellecour et notre artère principale dénommée comme partout  rue de la République » Il y a dans l’emploi du déterminant possessif quelque chose de monarchique et suranné, une fierté provinciale au chauvinisme ironique qui dit bien la façon d’être ensemble des gens de l’époque. « Entendre un ingénieur OTL parler de la 7 est aussi impressionnant qu’entendre un cheminot parler du Mistral ou un New-Yorkais de l’Empire State Building. », note Jean Arrivetz dans son Histoire des Transports à Lyon, paru en 1965.  Cette époque de l’Abonné de la ligne U était celle de la ligne unique mais aussi le temps de la ligne claire, lorsque ni les albums de Spirou, ni ceux de Tintin n'étaient des pièces de collection. 

08:30 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : spirou, tintin, l'abonné de la ligne u, tcl, atoubus, lyon, tancrède de visan | | |

jeudi, 18 août 2011

Gare aux marchés

Mon, oncle, qui était épicier derrière les voutes, disait toujours que la rentrée commençait après le Quinze août. C’est ce moment-là d’ailleurs qu'il choisissait pour rouvrir sa boutique familiale et reprendre pied dans la saison nouvelle.

Depuis le début des années soixante, son pas de porte était sis non loin d’un marché de gros flambant neuf, qu’on venait d’ériger sur une zone en friches abandonnée par l’ancien débarcadère de la ligne Lyon- Saint- Etienne (l’une des premières, je crois, du Chemin de fer français).  Sur seize hectares, son architecte avait fait sortir de terre un ensemble de hangars rectilignes largement espacés afin de faciliter les manœuvres de la nuit liées au transport et au déchargement des marchandises. Ce furent ces bâtiments (au demeurant fort laids) que le maire Pradel offrit peu de temps après à la contemplation éclair des touristes filant par l’autoroute en plein centre-ville, l’une des idées les plus imbéciles germées dans le crâne d’un maire de Lyon, lesquels n’en ont jamais manqué. Histoire (et ce n’était peut-être pas plus mal) qu’ils ne jettent que quelques pets d’automobiles sur la vieille capitale des Gaules avant de filer, indifférents, au loin, plus au Sud.

Le Sud, justement, dès l’arrivée du printemps, des autostoppeurs s’y rendaient en grappes – je veux dire le lointain Sud, le véritable, pas le Sud français -  Tout le temps qu’ils poireautaient là, aux abords de la prison Saint-Joseph et le long des bâtiments du marché gare, non loin de l’endroit où Caserio fut guillotiné, debout ou assis sur leurs sacs à dos, ils formaient la seule population à mon sens digne d’intérêt de ce quartier voué aux semi-remorques et aux seuls bars d’habitués puisque « derrière les voutes », de la même façon que le Quinze août signait la fin de l’été, ne figurait dans mon imaginaire qu’un lieu maudit, no-man’s land salement traversé par un cours droit et sinistre qui portait, pour finir, le nom de l’inventeur, à ce qu’il paraît, de l’école…

Le marché gare, j’y revins bien plus tard lorsqu’avec quelques amis, nous créâmes notre petite compagnie théâtrale et que, afin de payer la location d’un local de répétition sis au-dessus des Terreaux, nous dûmes décharger des glaïeuls deux ou trois nuits par semaines pour un grossiste en fleurs alors fameux entre Rhône et Saône. Déjà que je n’aimais point ces longs poireaux académiquement ornementaux, aux connotations aussi pompeuses que mortuaires… Lorsqu’à ces causes esthétique et philosophique s’en ajouta une dernière plus pragmatique, leur poids, mon désamour pour les glaïeuls prit des proportions quasi-dantesques Des semi remorques de glaïeuls agglutinés les uns contre les autres en volumineux cartons, songe-t-on que cela pèse au bas mot autant que du plomb ?  Il fallut bien en vérité toute notre idiotie de l’époque, et notre amour de la scène - mais tout ça n’était peut-être qu’une  même chose – pour nous forcer à nous rompre ainsi les reins aux heures les plus tendres de la nuit, le tout pour quelques francs La ville de Pradel et de Collomb – je parle là de Francisque -, nous la  rêvions vibrante de fougue et de ferveur pour l’art de Melpomène, quand elle n’a jamais réellement  vibré que pour la bourse de Mercure. 

Je me suis égaré début juillet non loin des pavillons de cet ancien marché gare.  Je dis ancien car né en 1955, il défunta en 2006, tout juste quinquagénaire. L’activité qui s’y tenait, au désespoir de nombreux commerçants, se fait à présent à Corbas. Restent donc ces pavillons que l’actuel Collomb de Lyon – je parle à présent de Gérard – dans un élan d’imaginaire stupéfiant, songe à reconvertir en un lieu à vocation festive, au cœur du quartier Confluence, « la porte du XXIème siècle » bêlent les communicants municipaux. Me frappe toujours autant le manque d’imagination des politiques qui prévaut- ici comme ailleurs- lorsqu’il s’agit de reconversion  urbaine : vous disposez d’un Hôtel Dieu séculaire, faites en  un hôtel de luxe ; quant à tous les sites industriels qui, de près ou de loin rappelleraient trop aux générations le monde du travail, transformez-les en lieux alternatifs : vous paraitrez ainsi dans le goût du temps, c'est-à-dire atrocement normé, aussi conventionnel que l’homo festivus cher à Philippe Muray, c'est-à-dire à la taille minimale qu’exige cette culture de masse qui fit du nombre son principe premier, et qui prévaut partout sur le bon goût et la joyeuse érudition. En attendant, gare aux marchés, puisque la rentrée risque d’être chaude - mais cela fera l’objet d’un prochain billet.

Nos existences endettées, que rythme un calendrier social hypertrophié, ne sont-elles pas devenues aussi vivantes que des marchandises ?  Sous l’œil blasé d’une Melpomène désabusée, la fête, c’est donc justice d’aller la faire, parqués dans les entrepots du marché gare, dans ce Berlin provincial et post industriel où règne comme nulle part ailleurs cette ambiance délavée de culture techno en friches et d’urbanité en crise, qui sied tant à notre imaginaire aussi docile que peu exigeant. Oui, c'est peut-être ça, et seulement ça, que méritent désormais nos plaisirs.  

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mercredi, 29 juin 2011

Eclipse de lune à Lyon


par Drosochmou  ( CHEUMOUPHILDROSO)

05:02 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : drosochmou, eclipse de lune, lyon | | |

jeudi, 23 juin 2011

Couty : le poids du monde

 L’association Jean Couty a mis au point un site qui permet de voyager agréablement parmi l’œuvre du peintre lyonnais, dont on fête le 20ème anniversaire de la mort. Sur la page d’accueil, un diaporama riche d'une vingtaine de tableaux. Sous l’onglet « œuvre raisonnée », de nombreuses reproductions avec les fameuses « vues de Lyon », ses églises, ses chantiers, ses usines (on sait que c’est Tony Garnier, le concepteur du Lyon industriel, qui a encouragé Couty à ses tout débuts), ses quais  du Rhône comme de la Saône (le tableau illustrant le billet précédent était de lui, bien sûr), ses nombreux portraits (un seul auto-portait) et natures mortes…

De nombreuses photos et vidéos, par ailleurs, une biographie détaillée, des articles de presse et une sélection d’affiches. La visite complète, c'est par ICI

En illustration : Le poids du monde.

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08:31 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jean couty, peinture, lyon | | |

mercredi, 22 juin 2011

Les quais de Lyon

Sous la plume désuète d'une auteur oublié (1), je trouve ceci : « Les rives des fleuves, bordés de maisons de deux ou trois étages qui trempaient leurs fondations dans l’eau, et auxquelles s’accrochaient des auvents et des galeries en bois faisaient saillies sur le courant. De distance en distance s’échelonnaient des petits ports en forme d’anse, où l’on accédait soit par des marches, soit par le pente naturelle du sol. Dans les eaux basses, ces petits ports se tapissaient de verdure. Les enfants y venaient jouer. En tout temps y régnait une activité prodigieuse. »

 

L'oeil peine à présent à retrouver, dans l'alignement uniforme des quais tracés pour les automobiles en bordure de la Saône, traces de ces anciens et populeux débarcadères. Le port, comme l'église, signait alors la territorialité même de chaque quartier; chaque quartier, qui était une paroisse, était également un ténement et un paysage particulier : Ainay, Bourgneuf, Saint-Jean, Saint-Antoine, Pêcherie, Saint-Georges, Quarantaine...

A la fin du dix-huitième siècle et surtout durant le dix-neuvième, lorsque naquit l'idée d'aménager des quais, on les conçut d'abord comme des promenades : Le long du Rhône, du pont Morand à celui de la Guillotière, le quai dit des Brotteaux offrait à l'oeil une long sillon, face à cet autre dit  de Bon-Rencontre, nom qui si poétiquement sollicite l'imaginaire. Ces premiers quais ne faisaient que reprendre le tracé d'anciens chemins de courtine, que le pas de générations de sentinelles avait tracés de veille en veille et de port en port parmi les hautes herbes, pour la sécurité des bons bourgeois endormis. 

Les façades de deux hôpitaux (Hôtel-Dieu, Charité) et celles d'une prison (Perrache) formaient ainsi une seule perspective en bordure du Rhône. On y déambulait doucement et Louisa Siefert, poétesse parnassienne, sut dans ces alexandrins trouver des mots qui, comme des pas, laissent entendre le rythme de cette marche : 

 

« Quand je vois ce long mur aux fenêtres grillées / Cet hôpital où sont tant d’âmes désolées  / Puis ce long mur encore pleins de sombres hasards  /   L’hospice des enfants trouvés et des vieillards  / Puis d’autres, puis enfin, sinistre, formidable,  /  La prison et plus loin le faubourg insondable,  / Oh ! je l’avoue alors, ne pouvant rien sauver, /  Comme le fleuve au bas, je voudrais tout laver ».

 

 

Avant que les bagnoles n’envahissent jusqu’à la nausée les abords des fleuves, les quais révélaient encore la densité des solitudes, au cœur même de la ville, suscitaient le recueillement des solitaires venus s'y égarer.  Il n’est pas nécessaire d’être poète, peintre ou romancier pour ressentir tout ce que ces lieux  ont à offrir de douceur, de rêve, ou de mélancolie. Je garde toujours au coeur l'onctuosité évaporée de ce que Jean Reverzy appelle le mal du soir :

« J’étais à Lyon sur les quais du Rhône et sous des platanes extrêmement parfumés. Le soleil se tenait entre d’extraordinaires images dont le relief et l’incandescence me stupéfiaient et à droite de la colline dont la seule image me rappelle l’odeur délicieuse des vieux bouquins de piété. Je me souviens que le Rhône découvrait de longs bancs de cailloux d’une blancheur absolue… Mais n’oubliez pas qu’à l’horizon fondait de l’or et de l’or… Dans la lumière inquiète et blanche du sunset, je vis s’éclairer des fenêtres ; ça et là tremblèrent de minuscules cristaux rouges. Un mystérieux esprit m’envahit, que j’appelle le Mal du Soir. »

 

 

Le temps d’une halte sur un quai la cité est saisie avec recul. Devenu lui-même flâneur, liquide, le regard en ne s’attachant à aucun détail, compose un paysage intérieur dont il s’émerveille naïvement : Comme l’espace aérien vu de Fourvière, l’espace de la Saône, vu du quai Jayr, agit, pour ce personnage de Georges Champeaux (2) tel un révélateur :

 

« Accoudé au parapet du quai, il ne se lassait pas de suivre du regard les travaux du bas-port et le mouvement de la batellerie. Et peu à peu s’établissait en lui la conviction qu’il avait sous les yeux un des plus beaux paysages de la terre. Tout en bas, le serpentement de la rive droite de la Saône , une route de campagne qui devient le quai d’un faubourg, comme succèdent aux pimpantes villas emmitouflées de Saint-Rambert le château d’eau, les grues et les cheminées de l’Industrie. Puis c’est le tassement autour de la Gare d’Eau des vastes entrepôts aux larges toits en pente douce, d’où surgissent, puissants et harmonieux, les trois blocs équarris des minoteries. Et, emplissant le paysage de sa présence, déployant à ses pieds le geste souple de son corps voluptueux, la Saône nonchalante qui paresse et se prélasse, cependant que, rangés le long des bas-ports, les noirs remorqueurs plats, les sapines béantes, les « plattes » pavoisées du linge mis à l’étendage, les péniches pansues ceinturées d’une bande claire, avec la futaie grêle de leurs mâts aux pointes blanches de minarets, parent ses profondeurs de leurs reflets. Longtemps le père Chatard avait méconnu la beauté d’un tel spectacle. Mais voici que du fer et de la pierre comme des feuillages et de l’eau, affluait une sympathie pénétrante. Et c’était l’âme même de ce paysage composite qui commençait à l’imprégner – une âme qui mêlait au sortilège originel de la nature la majesté poignante de l’effort humain » 

 

Dans les fleuves se mirent la ville et toutes ses lumières. En n’exhibant que ses  reflets, le fleuve,  triomphalement, dénie la réalité de pierres et d’hommes, dont le rêve silencieux est captif. Dans ses Chemins de solitude, Gabriel Chevallier se souvient de tels instants d’oubli le long du quai de Tilsit :

« D’ailleurs, même aux instants où il ne se passait rien sur l’eau, il était doucement fascinant de regarder couler la rivière, qui reflétait des maisons vacillantes, des nuages furtifs, et des pans de ciel bleu. Une petite barque sollicitait la rêverie et laissait la pensée perdue, après que son sillage s’était effacé. Une voix soudaine m’appelait, qui me faisait tressaillir : « - Que fais-tu donc, qu’on ne t’entend pas ?  - Je regarde la Saône … »

 

Si vive, parfois, si intensément vraie, l’impression annihile le regard qui se fond en elle. Démiurge à la réalité temporelle qui  impose l’illusion de son reflet mortifère, le fleuve capte les existences : Dans Le Voyage du Père, (3) le personnage errant de lieux en lieux finit, malgré la robustesse de son esprit, par ressentir de si éminents vertiges sous la plume de Bernard Clavel :

« Il y avait ainsi beaucoup plus de lumière dans l’eau que sur le coteau d’en face où s’étageaient des maisons aux fenêtres éclairées. Plus les maisons étaient hautes et loin, plus leurs lumières se nimbaient d’un halo. Il n’y avait pas d’étoiles. La lueur qui montait de la ville semblait rencontrer comme un plafond cotonneux posé sur les toits les plus élevés. Quentin regardait tout cela sans rien voir vraiment. »

Enfin, les fleuves et les quais de Lyon ne seraient pas ce qu’ils sont sans leur cortège de noyés.  Me Debeaudemont dans L’Arbre Sec de Joseph Jolinon, la petite Noëlle du Ciel de suie de Béraud, pour ne retenir qu’eux, finissent ainsi leur mélancolique existence dans les fleuves :

« Et puis, ce fut l’arrivée entre deux agents de l’affreux brancard bâché de cuir, d’où coulait, pas à pas, une inépuisable traînée d’eau limoneuse et glacée ».

 

Et pour finir, une toile et une photo. Je laisse à votre sagacité le soin d'en retrouver les auteurs ... 

  

(1) Emmanuel Vingtrinier 

(2) G. Champeaux, Le Roman d’un vieux Grôléen Lyon, Ed. de Guignol,1919

(3)Bernard Clavel, Le Voyage du père, Paris, Robert Laffont, 1965

 

 

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09:05 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : lyon, actualité, société, écriture, littérature | | |

jeudi, 16 juin 2011

Recueillement 2

« Sois sage, ô ma Douleur… » Parole de poète qui me remonte en mémoire devant la beauté discrètement figée d'un lac artificiel, au parc de la Tête d’Or, à Lyon. Les travaux commencèrent en 1857, l’année que Baudelaire édita les Fleurs du Mal. Ce n’est pas la seule analogie, d’ailleurs, que je trouve entre ce recueil si célèbre et ce parc si fameux, sans doute pour m’être jadis récité dans ces allées les vers que j’étudiais dans le lycée non loin de là, vers naturels et apprêtés comme ces bosquets et ces jardins botaniques. L’oxygène est frais, tout autour de ce banc. Oies, canards, cygnes font querelle à la surface de l’eau. La ville en son affairisme quelconque s’est éclipsée.

 « Sois sage… », donc.  Parole d’un être capable d’identifier son mal, de quelque bord qu’il soit, au point de le nommer. Non seulement de le nommer, mais de le déterminer, même : ma, d’un lien réservé d’ordinaire à l’intime : ma chère ou ma chérie, ici soudain chargé de n’inscrire qu’un  rapport étroit, précis à la douleur, une sorte de quotidienneté. Et puis cet impératif, ordre ou prière, on ne sait, recommandation, espérance… « Que Votre Nom soit sanctifié », murmure-t-on à Dieu, au subjonctif.  Ici, à la douleur, sois sage. Etrange vœu.

Bien sûr, au centre de l’hémistiche, trône ce ô lyrique, et, ma foi, très Second Empire, telle la rocaille, non loin, où s’écume le clapotis. Est-il véritablement signifiant ? « Ô, ma Douleur ! » A ce point, à cette césure qu’il fait sonner à la manière d’un clairon, ce ô n’est-il là que pour fermer le e de l’adjectif, en réduire un peu la  sagesse ?

« Sois sage, ô ma Douleur… »

Pour de bon, s’agit-il vraiment d’être sage ? Ou bien plutôt tranquille, c’est-à-dire docile, doux tel un enfant qu’on vient de gronder. « Tiens-toi  plus tranquille », combien de fois ne l’ai-je pas entendu, gamin, ou bien aussi : « Sois gentil ». Est-ce que cela peut exister, une gentille douleur ?

 

Une douce douleur, plutôt, nous y voilà. 

Qu’est-ce donc qu’une douce douleur, sinon une douleur qui s’est tue - une douleur matée par la grâce de l’injonction, vaincue par la force du subjonctif -, une absence de douleur, telle, dira Mallarmé (cet autre massif produit par le Second Empire), « l’absente de tout bouquet », la douleur que le vers brutalement a tirée du Néant.

Qui réclamait le soir ? Qu’est-ce que le Soir, sinon l’apaisement, l’anéantissement, le néant ? Ce soir, il descend, le voici, et il n’est que douceur, atmosphère obscure et enveloppante.  La ville se rend. Se peut-il que cette fin heureuse fût réclamée par la douleur ? Non, par le poète, assurément. C’est à lui qu’il vient d’adresser ce tu presque léger : « Tu réclamais le soir ? ».

Et moi, sur ce banc, c’est pareil. Une atmosphère obscure parait monter des eaux. En plein midi, je ressens dans la remémoration de ce vers comme le soir de ma douleur, et je ne peux que me reconnaitre parmi ces quelques-uns auxquels cette chute porte non pas le souci par lequel se clôt la strophe,  mais bien plutôt la paix

Avec une douceur étudiée, comme dans un sentier plein d’arômes, nous sommes passés de la douleur au souci, quand ce n’est pas, pour les plus heureux d’entre nous, du souci à la paix. Une fleur, véritablement, que ce mal qui s'est amoindri, jusqu'à se taire.  L’horizon, là, paraît dégagé malgré la voie ferrée. L’île, on pourrait, dans un tel recueillement, l’imaginer inviolée. Il y a bien des silhouettes de promeneurs faufilées entre ce lac lumineux et ma douleur dorénavant apaisée, ceux-là ne dérangent plus rien du spectre du poète vif et murmurant :

 

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« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci. »


samedi, 11 juin 2011

Le clip de la honte

Les Hospices civils de Lyon, qui ont récemment 1) supprimé les primes de nuit des infirmiers/infirmières  2)  décidé de transformer (avec l'appui de leur président Gérard Collomb, maire de Lyon), le fleuron patrimonial de la ville en hôtel de luxe (voir ICI),  viennent de claquer 13 000 euros dans la réalisation de ce clip ridicule. Il s'agit d'embaucher une cinquantaine d'infirmiers. 119 volontaires ont participé à la réalisation. La DRH de l'hôpital affirme s'être inspiré du buzz provoqué par l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal en 2008. Les 13.000 euros proviennent du plan de formation des contrats locaux de d'amélioration des conditions de travail des HCL. On croit rêver. Me demande combien le chanteur Grégoire touche de droits dans cette honteuse falsification...



10:48 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : edouard herriot, gérard collomb, hcl, politique, lyon, hopital, médecine | | |

lundi, 06 juin 2011

En Saint-Denis, Croix-Rousse

Du dehors, l’édifice paye franchement pas de mine. Le clocher qui ouvre sur la rue : Trois fenêtres, un bossage rustique et un petit dôme à lanterne supportant la croix. La façade : rien que beaucoup d’austérité, que perce un unique vitrail, étroit et rond. Il faut franchir le porche, et s’avancer de quelques pas pour rencontrer quelques primes sensations.

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Vers 1910

Les Pères Augustins Réformés (qu’on nommait les petits Pères) qui posèrent là la première pierre de l’édifice en avril 1629 sont défuntés depuis lurette. On pénètre alors la pénombre de leur ancienne église conventuelle. Elle n’avait, comme le clocher, rien de remarquable : c’était une nef rectangulaire, couverte d’un simple lambris, et terminée par un modeste chœur. Deux chapelles latérales, l’une dédiée à la Confrérie de la Bonne Mort, l’autre à Notre Dame des Sept Douleurs lui furent adjointes. Au début, les Pères n’étaient guère plus qu’une douzaine en leurs cellules, au milieu des champs, des saules et des vergers, interdits d’aumône par le Consulat, et contraints de donner aux rares habitants du faubourg les sacrements de Baptême, Eucharistie et Pénitence en cas de nécessité.

Autour de leur enclos s’établirent peu à peu d’autres frustes fermes, puis de rustiques hôtelleries pour voyageurs de passage. En ce dix-septième siècle, les chemins alentours n’étaient pas pavés : il y avait celui qui menait vers Bourg (l’actuelle Grande Rue), celui qui partait pour Neuville et l’autre vers Montluel et la Bresse. D’une croix en pierre rose de Couzon, posée à la fin du quinzième siècle, tout le plateau et les coteaux alentours tenaient leur nom.
La Grande Révolution passant par là, l’église conventuelle échappa de peu à la vente des Biens Nationaux et les Augustins disparurent. Avec la fondation de la commune Cuire Croix-Rousse, elle devint paroissiale en 1791 et fut confiée à ancien Augustin du nom de Charles Plagniard, qui devint curé constitutionnel. La Terreur se propageant, la Croix-Rousse s’était proclamée « commune Chalier » et l’église, devenue « temple décadaire », puis « temple de la raison », connut le culte étrange de « l’Etre Suprême ». A son entour, le quartier changeait et se développait de plus en plus vit avec la venue des ouvriers tisseurs. Le 29 Thermidor an VIII (1- mai 1797), la Croix-Rousse devenait une commune autonome et l’église Saint-Denis la paroisse des canuts.

Dans sa pénombre, se découvre un cénotaphe contenant le cœur d’un ancien curé bien aimé de ses paroissiens, Jean Antoine Artru, défunté le 17 mai 1875. C’est l’un de ses prédécesseurs, Claude François Nicod, qui donna à l’église son volume contemporain. Il avait pris la paroisse en 1830, à l’âge de 42 ans, et mourut en 1853. Sur un portrait, on lui découvre un visage long et bon, à la Lamennais. Toute sa vie, il aima le baron de Richemont, alias le duc de Normandie, qui se prétendait Louis XVII, l’enfant du Temple, et avait pris durant leur révolte le parti des canuts (voir ICI son étrange histoire) contre la Garde nationale et les fabriciens. Pour lui, Nicod écrivit en 1850 un ouvrage, L’Avenir prochain de la France, que le Cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, condamna solennellement. C'est, croit-on, ce qui précipita sa fin. 
Dès le début de son ministère, le curé Nicod fut soucieux d’obtenir du Conseil Municipal et du Conseil de la Fabrique des fonds pour agrandir l’étroite église des anciens Pères. En supprimant les anciennes chapelles et en aménageant de larges bas cotés, il fit d’abord doubler par l’architecte Antoine Marie Chenavard la nef, puis fit bâtir par Joseph Forest les trois hémicycles du chœur où il disposa les trois autels actuels. Grâce à une souscription, Nicod dota également l’église de ses orgues en 1838. En 1831, bien que légitimiste, cet étonnant curé donna officiellement la sépulture à deux canuts morts pendant les émeutes et cautionna en 1833 un service funèbre à la mémoire des insurgés tués sur les barricades.
C’est un autre curé, Zacharie Paret, qui paracheva son oeuvre en 1876, en confiant au peintre lyonnais Auguste Perrodin la réalisation des trois fresques des voûtes. La vieille église se transformait soudain en une vénérable micro basilique. Ce même Paret, en 1891, redonna vie au culte de Notre-Dame des Sept Douleurs en ouvrant une chapelle qui demeure toujours.

Vous voilà donc dans cette église aujourd’hui. Sur la cuve à cinq pans de la chaire en noyer massif qui sortit au dix-septième siècle des mains d’un sculpteur inconnu, vous reconnaissez des épisodes des Ecritures : La remise des Tables de la Loi sur le mont Sinaï, Jésus marchant sur les eaux, au puits de la Samaritaine, chassant les vendeurs du temple, Saint-Michel terrassant Lucifer. Un peu plus loin, vous voici face à la bannière de la Corporation des Tisseurs de Lyon. Puis à deux reliquaires ; le plus vieux, à deux étages, date probablement des vieux Pères fondateurs. Sur l’autre, est posée une tête de Saint-Denis. Derrière sa façade modeste, Saint-Denis recèle ainsi des trésors d’histoire et de mémoire, au même titre que les grandes églises du centre-ville bien plus visitées, Saint-Nizier, Saint-Bonaventure, Ainay ou la primatiale Saint-Jean. Elle reste le plus souvent ouverte et vaut le détour.

samedi, 21 mai 2011

Jean Lacornerie à la Croix-Rousse

Jean Lacornerie, le nouveau directeur du théâtre de la Croix-Rousse,  présentera  lundi 30 mai et mardi 31 mai prochains, à 20 heures, la prochaine saison. L'entrée est libre. A cette occasion, je publie ce bref entretien que j’avais eu avec lui pour le journal l’Esprit Canut, au mois de février.

jean_lacornerie_164.jpgJean Lacornerie a fait ses classes au TNS de Strasbourg auprès de Jacques Lassalle, dont il fut l’assistant de 1987 à 1990, et qu’il suivit ensuite à la Comédie Française. C’était le temps où on revisitait les classiques (Marivaux, Ibsen, Racine). Il a vécu la réouverture du théâtre du Vieux Colombier, à Paris, tout en fondant à Lyon la Cie Escuado. Depuis 2002, il a fait  du théâtre de la Renaissance à Oullins un passage obligé pour tout amoureux du théâtre musical. Successeur de Philippe Faure, il s’installe à présent en ces terres croix-roussiennes qu’il connait bien pour avoir travaillé à la Villa Gillet.  

Quel bilan faites-vous de vos années passées à Oullins ?

Un travail passionnant, qui s’est inscrit dans le long terme grâce aux liens tissés avec les spectateurs ! Ces liens étaient essentiels pour faire progresser le projet musical. Il y faut du temps. Peu à peu, le public est devenu curieux. Nous avons mélangé la discipline et le plaisir de l’invention. Neuf ans, c’est un vrai cycle qui s’achève.

Un autre débute. Quels sont vos projets pour la Croix-Rousse et ses 10 000 abonnés ?

Continuer le théâtre musical, bien sûr. Se tenir à la croisée de l’opéra, de l’opérette, de la comédie musicale américaine, du music-hall, du théâtre. Et maintenir l’identité puissante de création et de diffusion qu’y a laissée Philippe Faure. La saison prochaine, on accueillera par exemple Les Misérables d’après Hugo.

Qu’est-ce qui vous donné le goût de ce théâtre musical ?

J’ai toujours été attiré par l’opéra. J’ai été stagiaire à celui de Bruxelles, un des premiers qui s’ouvrait à la mise en scène. C’est un monde où les règles de travail sont très strictes.  Et je trouve que le va-et-vient entre théâtre et musique est un champ à explorer, où il y a beaucoup à faire. On y mélange des savoir-faire, ce qui apporte émotion et énergie, et relève vraiment au fond de la tradition populaire.

Philippe Faure avait tenu à rebaptiser Maison du peuple le théâtre de la Croix-Rousse. Ça tombe bien. L’enjeu est grand, tant la place occupée par cette scène dans la ville est vive et originale. On souhaite à Jean Lacornerie, dont la prochaine saison porte la signature, beaucoup de réussite et de succès auprès de son nouveau public.