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samedi, 05 janvier 2013

LYON ET L'ART MODERNE, de Bonnard à Signac 1920-1942

Durant la période de l’entre deux guerres, les artistes parisiens se réunissent à Lyon, constituant ainsi une des scènes artistiques les plus marquantes pour l’art moderne. Formés en 1920 par des peintres et sculpteurs issus des Beaux arts de Lyon, le groupe Ziniar inspire pendant quatre ans la vie culturelle lyonnaise. Dès 1952 est crée le Salon du Sud-Est, où se côtoient Pierre Bonnard, Paul Signac, Henri Matisse et leurs confrères lyonnais.

La ville est alors animée par un nombre important de critiques d’art. Dans le même temps, les photographes Théodore Blanc et Antoine Demilly immortalisent les relations d’amitiés qui unissent les artistes et leurs critiques et collectionneurs.


Le musée Paul Dini
à Villefranche organise depuis le 14 octobre 2012 et jusqu’au 10 févrrier 2013 cette exposition qui met en valeur le rôle du docteur Emile Malespine, Marcel Michaud, Marius Mermillon, Georges Besson, ainsi que les écrivains Joseph Jolinon, Henri Béraud et Mathieu Varille.
Un catalogue de 180 pages accompagne cette exposition.

 

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Le dimanche 27 janvier 2013 à 14h 30, l'Association rétaise des amis de Béraud organise une visite de cette exposition commentée par Daniel Marc, en présence de son président Francis Bergeron. 

Musée municipal Paul-Dini

2 place Faubert  69400 Villefranche-sur-Saône

01:07 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul dini, ziniar, peinture, lyon, béraud, exposition, bonnard, signac | | |

mardi, 01 janvier 2013

Qui l'aura beau le montrera

Nous avions débuté l’année dernière en patois, avec une chanson sur le souhait d’une fête qui s’est métamorphosée, hélas ! en une chanson sur la continuation d’une crise. Voici pour débuter 2013 cette chanson contre Perrichon, un lieutenant de police qui avait interdit les baignades en Saône en 1740 aux gens qui venaient s’y laver. Puisqu’il n’y a plus de saison, comme l’affirme le populaire, cette chanson, publiée pour la première fois par Boitel, dans L’entrée magnifique de Bacchus en 1838 paraît de circonstance pour un 1er janvier, réchauffement climatique et dérèglement planétaire obligent.

Ah que fera chaud ojordi !

Que fera bon, après midi,

Se jeta la têta premire,

De dessus l’arcade du pont,

Et montra à la batelire

A la renvera, lo popon !

 

Je son cinquanta charboni,

Si je chion, y est tot por li.

L’iau no raffraichie et no décrasse,

La pesta creva lo rogniu !

Je lavons notre tisonasse,

Y n’i a qu’à se buchi lous yu.

 

Crey-mi ne va pas te bagni

Ma foi, y n’i a rien a gagni.

Que diable vou-tu que je gagne ?

Perrichon l’a défendu.

S’i ne vous pas que je me bagne

Qu’i vienne me lichi le cu

 

Il a mais d’aime que n’est grand ;

Le diable le chia en volant ;

Y va faire una bella prise !

Les culottes, il emportera ;

Je nes en iran sans chemise :

Qui l’ara biau lo montrera.

 

Ah qu’il fera chaud aujourd’hui !

Qu’il fera bon, après-midi,

Se jeter la tête la première,

Depuis l’arcade du pont,

Et montrer à la batelière

A la renverse le poupon !

 

Nous sommes cinquante charbonniers,

Si nous ch…, c’est tout pour lui,

L’eau nous rafraîchit, nous décrasse,

La peste fasse crever le grincheux !

Nous lavons notre pique-feu,

Il n’y a qu’à se boucher les yeux.

 

Crois-moi, ne va pas te baigner,

Ma foi, il n’y a rien à gagner.

Que diable veux-tu que je gagne ?

Perrichon l’a défendu.

S’il ne veut pas que je me baigne

Qu’il vienne me lécher le cul.

 

Il a plus d’esprit qu’il n’est grand ;

Le diable l’a chié en volant.

Il va faire une belle prise !

Les culottes, il les emportera ;

Nous nous en irons sans chemise ;

Qui l’aura beau le montrera.

01:11 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : perrichon, saône, lyon, premier de l'an, voeux, patois lyonnais, littérature, france | | |

mardi, 25 décembre 2012

J'entends l'appel des lieux profonds

Pour quelques amis athées

Ceux qui me connaissent savent que je n’aime pas parler de Dieu, de la foi, de la religion, parce qu’on a vite fait de tirer un parti personnel d’un tel discours : pour avoir rencontré dans mon existence bon nombre de gens particulièrement habiles en cet art, et avoir été quelque peu désabusé par leur pratique, je me tiens généralement éloigné de ce type de conversations qui, par ailleurs, finissent rapidement en controverses insolubles.

De retour de la collégiale Saint-Nizier ce soir de Noël, je me sens pourtant de dire ici quelques raisons de ce qui me fait catholique et non pas protestant, bouddhiste, hindouiste ou musulman, et non pas athée.

Ma naissance, tout d’abord. Je suis né dans une famille chrétienne bien que fortement désunie, passablement ruinée et fort peu pratiquante: on a tenu à me baptiser et cela garde à mes yeux un sens séculaire. Par mon baptême et bien au-delà de cette famille, je suis lié - en quelque ville que je me rende - à ces églises parfois somptueuses et parfois délabrées, à cette Eglise et à ce pape décriés par tant d’imbéciles incultes ou de mauvaise foi ; je suis lié à ces siècles d’histoires qui firent la chrétienté sur un plan artistique et culturel autant que spirituel, je suis lié à cette Croix qui fit du Christ ce qu’il est, bien au-delà de tout ce que les uns et les autres murmurent de lui.

Lorsqu’on est un intellectuel dans cette France protestante, maçonnique, républicaine, révolutionnaire, bref, sur ce territoire qui s’est autoproclamé depuis deux siècles  le pays des Droits de l’Homme après avoir été la fille ainée de l’Eglise pendant de nombreux autres, on a pris l’habitude de considérer la naissance et la Résurrection du Christ comme des événements dont on ne peut accepter qu’une lecture métaphorique, tant la réalité d’une conception sans rapports sexuels et d’une résurrection des corps heurte la raison. Cette France a pris goût - depuis Renan - à ne considérer le Christ que dans sa réalité historique, parce qu’elle ne parle plus que cette langue qui méconnait le symbolique et ignore le merveilleux. Partant de là, si l’on concède encore à Dieu d’agir sur la dimension spirituelle ou intellectuelle, il lui est refusé d’agir sur la dimension matérielle, sur laquelle la science seule est autorisée à se prononcer. Pas de naissance miraculeuse, donc, et pas de résurrection.

C’est pourtant de cette action miraculeuse seule qu’il s’agit. Dans le monde fermé où nous vivons, croire à du croyable n’a ni sens ni intérêt, vraiment : dans ce monde fermé, croire n’a de sens et d’intérêt qu’à partir de l’incroyable, afin de conserver ouverte, dans ce monde de la mort, la capacité de croire, telle une (re)naissance, toujours reconduite; voilà pourquoi nier ou remettre en cause la virginité de Marie comme la résurrection du Christ ne relève ni du blasphème ni de l’hérésie, mais plus simplement d’une inutile finitude imposée à la foi, qui est par nature d’aspect infini. Autant, comme le dit Don Juan, croire que 2 et 2 font 4, plutôt que de croire à la façon des protestants ! D’ailleurs avec ma raison, je crois que 2 et 2 font 4, et avec mon cœur, que le Christ est ressuscité. Car il en va de la foi comme de la raison : toutes deux ont besoin de ce qui leur ressemble.

Et puis, si l’on tient à demeurer dans l’histoire des hommes, comment dire le simple émoi que me procure la vision du prêtre consacrant l’hostie ? Joyce, à sa manière burlesque, en fit l’ouverture de son magnifique Ulysse : Buck Mulligan, porteur de son bol de mousse à raser, l’élève dans « l’air suave du matin » de Dublin, en chantant Introïbo ab altare Dei. Ce geste parodique a beau se vouloir évidemment dérisoire, voire blasphématoire, sa présence en ce début d'opus demeure la preuve de son importance fondamentale dans l’histoire occidentale, que l'irlandais Joyce était bien placé pour connaître.

 « Vous ferez cela en mémoire de moi » : La transsubstantiation de l’hostie est l’unique raison d’être de la messe, la pierre sur laquelle s’est construite l’Eglise. On ne demande rien d’autre à un curé, pas même son sermon.  Ce geste m’unit à l’assemblée des fidèles morts et vivants dans le brouhaha de qui chaque communion me plonge, et qui murmurèrent comme moi qu’ils n’étaient pas dignes de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri… Qu’on me cite un autre rite dans la société occidentale qui – les quelques discutables interprétations apportées par Vatican II mises à part – ait subi si peu de modifications qu’il puisse comme lui me transporter au temps de la Cène et faire que la Cène et sa pierre de Béthanie vienne à moi ? Ce rite est le geste le plus parfaitement poétique que je connaisse. Et c’est en homme de théâtre que je parle, étant entendu que le théâtre n’est pas art de fiction comme le roman, mais de représentation.

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Nicolas Poussin, L'Eucharistie

Alors d’accord pour le ridicule des chants d’entrée, les voix de faussets  débitant des lieux communs à la louche, d’accord pour les paroissiennes à l’enthousiasme forcé, et pour l’autosatisfaction bien pensante des familles se congratulant, d’accord pour l’égoïsme petit-bourgeois des heureux, d’accord aussi pour les errances de l’Eglise, errances parmi d’autres errances; je dis simplement que ce geste venu du monde antique et apporté par le Sauveur transcende tout cela, comme la croyance en sa naissance et sa Résurrection donne sens à la frontière entre foi et raison. Faute de comprendre tout ce que ce geste signifie, je sens alors tout ce qu’il vaut.  Il m’est souvent arrivé, en allant communier, de penser à cette mère de Villon qui ne savait pas lire, et pour qui il composa sa Ballade pour prier Notre Dame, tout comme à cette messe de Pentecôte par laquelle commence le roman de Jaufré, tout comme à cette phrase du Journal de Bloy : « J’entends l’appel des lieux profonds » (1)

Sur ce il convient que je me taise. L’histoire sainte comme la moins sainte nous enseignent qu’en terme de foi, rien n’est acquis. Tout comme, d’ailleurs, en terme de raison. Ces quelques arguments, j’avais juste envie de les coucher sur écran, comme on dirait aujourd’hui, de retour de la messe de Noël, pour quelques amis athées.

 

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Godefroy, La Cène, musée de Chambéry

1 Bloy Quatre ans de captivité, 10 juillet 1902


jeudi, 20 décembre 2012

Ode à l'autobus

Lieux de passage, l’autobus, lieux rares et communs.

Dans les bus plus qu’ailleurs, les gens sont solitaires. Même accompagnés, ils ont l’air d’être tout seuls dans les gestes qu'ils font, les vêtements qu'ils portent, les choses vagues qu'ils pensent.

Ces itinéraires quotidiens, de leurs domiciles à leurs lieux de travail, semblent aux tréfonds de leurs regards métaphores d’une trajectoire plus enfouie, souffle du premier berceau, souffle du dernier lit. Chair de chacun livrée toujours seuls. Cahots qui se répètent.

Beau métier que celui des chauffeurs de bus, tourneurs en ronds infinis, transporteurs de destinées d’un terminus, l’autre. Leur solitude, aussi.  Convoyeurs de chair quotidiens, livreurs à l’arrêt qu’on leur demande. La qualité d’un chauffeur de bus est la feinte (t’emmènent vraiment quelque part, crois-tu ?) et la discrétion (où tu finis, s’en fichent…)

On ne fleurit pas assez les autobus. On ne les enduit pas assez de parfums, ni ne les décore de tableaux. On ne considère pas assez les chauffeurs de bus. Je ne veux pas dire socialement  (le social, quelle embrouille...) mais métaphysiquement. 

L'autobus est peut-être l'une des rares choses qu'on attend chaque jour. L'une des dernières. Rien que pour ça, malgré sa dégaine, il force le respect. 

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Robert Harris - Bus in black and white

06:42 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : bus, autobus, tcl, lyon, société, littérature | | |

samedi, 08 décembre 2012

Fête des lumières 2012 à Lyon

Les éclaireurs du 8 décembre paraissent avoir enfin compris que pour réussir une fête des Lumières, un principe souverain doit être respecté : La particularité du bâtiment support.

Un bâtiment n’est pas un simple écran plat, mais un corps particulier fait d’histoires, de reliefs, de sens. De la rencontre entre ce dernier et la scénographie  dépend la réussite du spectacle.

Les Chrysalides de Saint Jean, animation présentée cette année sur la façade de la primatiale par Damien Fontaine, est de ce point de vue un modèle du genre, tant par l’animation (gargouilles, anges, saints) que par l’exploitation de la structure (qui se pare de feu, de soie, d’eau et de fer), la mise en mouvement de ses volumes (pliages et dépliages, chutes et reconstructions) que par l’inventivité du scénario au fil des 11 minutes du spectacle (les rosaces métamorphosées par des anges en mécanismes d’horlogerie sont très pertinents), que par enfin la prise en compte de la spécificité religieuse du bâtiment, avec notamment la projection de vitraux particulièrement réussie.

Highlights, d’Hélène Richard et Jean Michel Quesne, investit également la particularité des trois façades de la place des Terreaux avec une vraie cohérence, grâce aux personnages projetées sur les façades pour mieux en dévoiler les structures. « On est passé de l’ère de la lanterne magique à celui du cinéma, c'est-à-dire qu’on peut avoir une image animée complète sur une très grande surface », explique Hélène Richard : la réussite de la scénographie repose ainsi sur le mariage insolite entre les personnages de lumière animés et les sculptures de pierre figées, les premiers mettant en mouvement les seconds, les seconds offrant le fil d’une intrigue aux premiers : Henri IV décadré, par exemple, est une véritable trouvaille.

Il y a bien sûr d’autres éclairages plus ou moins heureux, que le public qui déambule découvre au hasard des pérégrinations dans la ville.

J’ai lu quelque part que le souhait de Collomb était l’accessibilité des scénographies, qu’il ne voulait pas, comme lors de certains crus antérieurs, « trop intellectualisées,  pour toucher le cœur des visiteurs». Le mot cœur est sans nul doute abusif. A moins qu’on parle de cœur de cible. Dans ce cas-là, c’est réussi : parce que la fête des Lumières 2012 tient dans l’ensemble un discours cohérent qui la met en phase avec ses ambitions commerciales et spectaculaires, elle exhibe un côté mainstream en effet susceptible de plaire à tout le monde, et qui laisse sa place à chacun. Comme toute manifestation populaire et touristique, elle peut redevenir dès lors ce que chacun en fait. Et de là, finalement, tenir sa force.

mercredi, 28 novembre 2012

En attendant...

Dès son arrivée dans la salle, le spectateur est accueilli à la lueur de quelques bougies par deux cadavres mis en bière. Celui de monsieur Abélard et celui de monsieur Albert.

La scène se situe donc dans un purgatoire incertain, lorsqu’entre eux s’engage une conversation des plus mondaines. Première bonne surprise, on découvre que l’après-mort est un espace civil, presque courtois, un lieu pour tout dire théâtral où l’on apprivoise les humeurs de son prochain avec bonhommie, comme en une salle d’attente d'ici-bas.

Bien vite, on apprend que le second, nanti d’une minerve et d’un chapeau melon,  fut guillotiné pour avoir tué sa femme par le premier,  bourreau insolite en nœud-pap’, lunettes d’aveugle et haut de forme : lorsque les deux personnages décrivent leurs derniers instants respectifs, la cruauté du propos est atténuée par les jeux de mots et les choix poétiques de Jean-Pierre Roos, qui se joue de la métaphore argotique (« j’étais le soubresauteur de la dame de fer), du terme savant (« le feulement »), de la litote (« ils mouraient en écoutant Eluard, Rimbaud ou Saint-John Perse).

L’exécuteur et l’exécuté deviennent donc assez vite complices et se confient par bribes des souvenirs de leurs existences : leurs soirées de réveillon, le job de clown-infirmier dans un service hospitalier pour enfants condamnés de l’un, les difficultés financières de l’autre, contraint, le métier de bourreau offrant une rémunération aléatoire, à faire le Père Noël.

Derrière ces deux personnages insolites se profilent peu à peu des caractères : pour l’un, l’innocence et la lucidité des enfants capables de rire devant le nez rouge d’un clown alors qu’ils sont condamnés à mourir sauve quelque peu l’humanité. Pour l’autre, témoin du fait que cette innocence n’est qu’un masque, les hommes sont tous de la race de Caïn et la nature humaine, qui n’est que péché, ne peut inspirer que défiance et dégoût.

Celui qu’on attend serait le seul à pouvoir trancher. En attendant... Son ombre passe parfois, mais ne fait que passer. Qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Le paradoxe est que celui qui croit (Abélard) ne peut voir, et que celui qui voit (Albert) ne peut croire. Est-ce le Tout-Puissant ou un simple jardinier? Le final réconcilie les deux visions dans une sorte de cynisme aussi ludique que rêveur, où sur le mode de la chasse sanguinaire et de la comptine pour enfants, se dit la cruauté de tout recommencement.

Il y a beaucoup de finesse et d'humour dans le jeu des acteurs (André Sanfratello et Jean Pierre Roos) qui servent  avec beaucoup de connivence ce texte à la fois simple et philosophique lorsqu’il aborde la question de l’innocence et de la cruauté, du doute et de la foi. Il y a beaucoup d’élégance et de doigté dans la mise en scène d’Anny Vogel qui  anime lentement les corps des deux comédiens, tout d’abord étendus, chacun dans  son cercueil, puis alanguis comme en un transat ou un canapé, agenouillés comme sur un prie-Dieu et finalement debout comme sur un marche pied.

« Ce qui attend les hommes après la mort, avança un jour Héraclite, est ni ce qu’ils espèrent ni ce qu’ils croient ». Curieusement, cette phrase qui inspira le titre du roman d’Elie Treese dont il était question dans le billet d’hier, pourrait tout autant résumer l’étrangeté poétique de ce spectacle, à voir jusqu’au dimanche 9 décembre à l’Espace 44.

 

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En attendant

De Jean Pierre Roos.  Mise en scène d’Anny Vogel  Avec André Sanfratello et Jean-Pierre Roos.  Par Volodia Théâtre et l’Espace 44

dimanche, 25 novembre 2012

Margin call, le récit de crise et la vie des idées mode d'emploi.

Un drôle de hasard a conduit ce matin mes pas au cinéma le Comoedia, peu après que j’ai vu la pièce de Joël Pommerat hier au TNP.  Pierre Zaoui et Laurence Duchêne, coauteurs de L’abstraction matérielle, y animaient un débat dans le cadre de ce premier festival des idées qui bat son plein à Lyon en ce moment. Un débat programmé juste après la projection du film Margin Call de J. C. Chandor. Un film mettant en scène des traders et les dirigeants d’une banque, laquelle aurait pu être Lehman Brothers, au matin du 15 septembre 2008. Ambiance. Un week-end très commerce, quoi.

« Nous sommes tous des vendeurs » : c’est ainsi que Tuld, le boss de la banque fictive dudit film Margin Call (1) justifie la vente à prix cassés de tous ses produits, au matin du 15 septembre 2008, à l’un de ses principaux collaborateurs qui se montre réticent, Sam Rogers. «Vous êtes tous des survivants » lance ce dernier à son équipe de traders : On se croirait si bien dans la deuxième partie de la Grande et fabuleuse histoire du commerce que je commence à me demander : comme il y eut en son temps des récits de guerre, voici donc que fleurit un genre nouveau et lui aussi transgénérique : le récit de crise.

Le spectateur est  donc projeté au matin du 15 septembre 2008, un an après la crise des subprimes, celle qu’on ne présente plus. En l’espace de 24 heures, et grâce à un employé qu’ils viennent de limoger sans ménagement, les dirigeants d’une banque américaine réalisent que leurs prises de position extravagantes les mettent en péril et tentent de liquider  leurs produits infamants sur le marché en les vendant en quelques heures à tous, y compris à leurs propres clients, pour tenter de sauver la boutique. Le chaos mondial qui s’en suivra provoqua la crise des dettes souveraines dans laquelle nous vivons encore vous et moi, et qu’on ne présente plus non plus.

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Margin call de J C Chandor

Le film n’est pas un procès à charge contre des méchants, procès qu’on ferait, nous, gentils, mais essaye de comprendre par quels processus inhérents au système la sphère financière -qui est à l’origine un service- s’est laissé déconnecter du Réel à un point si irréversible.

Unité de temps (ce fameux jour de septembre 2008), unité d’action et de lieu, le film de Chandor emprunte en effet à la dramaturgie de la tragédie grecque, sauf qu’il est filmé à hauteur d’hommes et non plus de héros : des hommes qui se meuvent derrière les vitres de leurs voitures ou de leurs buildings et dans des échelles de sommes qui échappent à la compréhension du commun des mortels, des hommes avec lesquels le spectateur même le plus compatissant ne peut franchement entrer en empathie. D’ailleurs il est vrai qu’on ne ressent à proprement parler ni terreur ni pitié à leur égard : le naufrage de Lehman Brothers n’est pas celui du Titanic, ni même celui de la Tour Infernale : rien de spectaculaire ni de croustillant à se mettre sous la macula, sinon des écrans d’ordinateurs et le zigzag des courbes d’évolution des cours.

D’où vient alors qu’on se sent concerné du début à la fin, comme si potentiellement le film racontait aussi notre histoire, une histoire basée au fond sur le même pari ?

Contrairement à la tragédie grecque, en effet, il n’y a dans le capitalisme moderne ni bouc émissaire ni héros tragique pour assumer la culpabilité collective et délivrer tout un chacun du mal lorsque surgit soudain la peste aux portes de la cité : alors, dans la société démocratique postmoderne qui fait mine de faire de chacun d’entre nous des décisionnaires, dans la société technologique postmoderne qui fait mine de faire de chacun de nous des acteurs, à qui la faute in fine ?

La dilution de la responsabilité est telle qu’on ne peut que répondre : à tous. A tous ceux qui, d’un bout à l’autre de l’échelle, ont profité du système de crédit ainsi corrompu, et ont si peu considéré autre chose que leur intérêt personnel bien compris, quel qu’il soit. C’est-à dire autant nous tous que personne. Bien sûr, dirons-nous, il y a les Gros, la banque et ses dirigeants dont le film fait ses personnages.

Ceux-ci se sont en fait laissé clairement déborder par leur croyance dans un modèle mathématique basé sur des séries historiques qui se sont révélées fausses, en raison même de la logique mathématique sur laquelle elles reposaient : cette dernière, en effet, toujours tenter de s’indexer sur des modèles faisant la moyenne, les avait pousser à procéder à une réduction d’événements improbables trop élevée (et un événement improbable, la crise en est un par définition) et donc, à mal évaluer les prises de risque.

Mais ensuite, tous les acteurs du marché, jusqu’aux plus modestes ont également laissé leur responsabilité se diluer dans une situation en plongeant dans un mimétisme rationnel, puisque que tous avaient intérêt à aller dans le même sens, dès lors que ça continuait à marcher. Nous tous, enfin, au bout de la chaîne, si enclins à suivre comme eux la statistique, à délaisser la réflexion pour l’opinion, engagés dans le consumérisme par nécessité démocratique, au bas de la même échelle.

Ce que le film montre, c’est à quel point toute autorité humaine et morale se trouve abolie devant un même processus destructeur dans la société de l’argent, et ce d’un bout à l’autre de la chaîne. Car le fatum de la main invisible fonctionne un peu comme celui du dieu caché (1) : dès lors, cette dramaturgie de la crise initiée par le metteur en scène peut devenir transposable à n’importe quelle autre échelle sociale et dans n’importe laquelle de nos vies, avec son début, sa plongée dans l’irrationnelle durée du temps de crise, ses heures d’attente, son acmé et son dénouement heureux pour certains, malheureux pour d’autres.

Son storry-telling fonctionnerait à la perfection aussi bien pour raconter la crise traversée par la zone euro, par un parti politique comme l’UMP ou la failite d’une PME, le suicide d’un artisan dépassé par ses créanciers ou celui d’un prof par ses élèves. La crise ainsi contée, nous en sommes tous, jusqu’au vertige, les fidèles déroutés et les acteurs désarmés.

Et ce qui est sidérant, c’est de voir à quel point, toute catharsis réelle demeurant au fond impossible dans le champ de cette fiction qui ne met en jeu que de l’immanence, on s’en tient à une simple indentification virtuelle avec des plus coupables que nous, dans la sphère économique ou politique ; chacun regagne ensuite sa place et ses pénates, ses intérêts immédiats. Son train-train.

 

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Dehors, on fait la queue pour le film suivant, un film sans aucun doute plus divertissant. Ailleurs, on cherche une conférence intéressante pour tromper son ennui ou solliciter son imaginaire : le récit de crise, finalement, dans l’attente du tramway comme dans celle du cataclysme final (s’il doit arriver), ça roule bien. Quelques best-sellers devraient suivre, et deux ou trois épatantes adaptations. Sans compter les tables rondes en tous genres, comme la démocratie participative sait en produire, que ça pousse tels champignons dans la moindre salle des fêtes.  Sans doute est-ce pour cela que ce « festival des idées » dont Guy Walter, le directeur de la villa Gillet est la tête pensante, et qui va encore égrener un certain nombre de manifestations, toutes plus intéressantes les unes que les autres par ailleurs, jusqu’au 2 décembre  se nomme ironiquement Mode d’Emploi. Chacun regagne ensuite ses pénates. Il y a du Pérec désenchanté là-dessous, me dis-je en regagnant, comme tout un chacun, les miennes.

 

(1) Le titre, Margin call,  signifie Appel de marges, terme financier désignant la manière dont un intervenant doit remettre de l’argent sur son compte afin de couvrir sa position ouverte sur le marché.

(2) 0,2 % des gens comprenaient vraiment ce qui se passait ce jour-là, la défaillance des modèles mathématiques  choisis

samedi, 24 novembre 2012

La grande et fabuleuse histoire du commerce

Avec La grande et fabuleuse histoire du commerce, Joël Pommerat, qui se définit comme « écrivain de spectacles », entraîne son spectateur dans un univers viril exclusivement composé de cols blancs, tricots de corps, mocassins et impers, celui des commerciaux d’hier et d’aujourd’hui.

Pour signifier que le premier tableau se déroule durant l’année 68, un personnage allume une cigarette. Quelques volutes de fumée s’évanouiront dans l’air, tandis qu’on découvre une « équipe » de quatre vendeurs d’âge mur, prêts à initier à ses dures lois un plus jeune, Franck. C’est le temps où les méthodes américaines parviennent en Europe auréolées de modernité et conditionnent les techniques commerciales qui assurent le nouveau consumérisme des ménages.

Il y a un côté sombre à la chose, puisque vendre, c’est « faire dépenser leur fric aux gens et détourner tous leurs prétextes ». Mais c’est aussi « une suite de petits détails » qui fait l’objet d’une séries de leçons vécues de soir en soir et de chambre d'hôtel en chambre d'hôtel, un bizutage à l’humour graveleux («vendre c’est s’introduire ») et au dogme vénimeux (« vendre c’est rendre service »). Le jeune Franck se trouve bientôt pris en sandwich entre cette activité au rythme et à la fausseté implacables, qui heurte en lui ce qu'Orwell appelerait la common decency, et le besoin qu'il a de gagner de l'argent pour satisfaire sa copine. Mais alors que le décor varie toujours et paraît demeurer désespérément le même (un lit, une commode, une télévision, un lustre, un téléphone, un poste télé qui diffuse la Piste aux étoiles), le chiffre d’affaires ne parvient pas à battre le record de l’année précédente. La tension monte, la solitude guette chacun et le spectateur se retrouve de plus en plus voyeur du drame intime qui secoue l'homme dans les frusques du vendeur.

« Dans ce métier, la meilleure façon de mentir, c’est d’être sincère, souligne Joël Pommerat. Ainsi le bon vendeur doit faire avec ce qu’il y a de meilleur en lui : avec sa vérité, avec ce qu’il est ». Comme l’acteur, sauf que le paradoxe du comédien « devient chez le vendeur une malédiction, car à la différence de l’acteur qui peut repérer aisément les limites entre scène et vie réelle, le vendeur peut se perdre dans un labyrinthe » lorsque « son masque devient peau ». Et c’est ce qui arrive sous nos yeux.

Largué par sa copine, soudainement à 100% dédié à l'art de vendre, un jour, le jeune Franck dépasse ses maîtres qui, eux, s’enfoncent dans le doute et l'impuissance. Ce jour-là, ironiquement, on apprend par la télé que le drapeau rouge flotte sur l’Odéon. 

Les quatre seniors ne vont dès lors cesser de sombrer, tandis que leur élève accroîtra, malgré la situation peu propice au commerce – son chiffre d’affaires et de bonheur de jour en jour. Ces flibustiers du commerce, finalement plus proches du commis-voyageur des années trente que du manager post-moderne, demeurent cependant des camarades sensibles au sort de chacun, et leur association porte encore le nom « d’équipe », à mi chemin entre les tontons flingueurs et le clan des siciliens.

Le vingt heures de Pujadas assure la transition avec le second tableau qui se déroule, lui, au XXIème siècle : Ce sont désormais les seniors licenciés que la crise jette dans le monde de la débrouille qui font figure d'apprentis, et Franck qui peut jouer le manager au zénith de sa gloire et les coacher sans ménagement. Ce faisant, Pommerat rappelle que le retournement de situations est aussi la loi du commerce, comme le quiproquo est celle du théâtre. Quelque chose de vaguement pirandellien flotte un instant entre ces personnages en quête de réussite, et soumis tour à tour au même apprentissage. Mais les temps aussi ont changé, et l'initiation à la grande et fabuleuse histoire du commerce est en quelque sorte à recommencer. 

Chaque commercial est désormais en compétition avec son ancien équipier, et seuls les plus roublards subsistent. Significativement, le produit que nos personnages vendent n’est plus un pistolet à blanc de défense pour le citoyen-consommateur des années soixante, mais un guide universel des droits fondamentaux de l’être humain à l’usage du consommateur de citoyenneté des années 2000 : plus que jamais, pour façonner cette fameuse authenticité sans laquelle son argumentaire n’est que du vent, le vendeur doit en bon communicant se plier à l’idéologie de son temps. En devenir le porte-parole libéré et le serf soumis.

Le texte a été écrit à la suite d’entretiens réalisés dans la région de Béthune avec des  représentants de commerce. On a pu à cet effet parler de théâtre documentaire, ou sociologique. Il est servi par cinq comédiens qui le parcourent dans toutes ses nuances, grâce et malgré les micros qui créent un étrange sentiment d’éloignement et de proximité, de facticité et de véracité selon les moments. A les écouter on comprend comment en une quarantaine d’années, le commerce a été radicalement bouleversé par la crise et les techniques de coaching d’entreprise, comment aussi il est resté aussi immuable que fabuleux, tant il est vrai que ce sont les mêmes hommes qui sont heureux quand les affaires tournent, et s’effondrent en pleurs quand leurs femmes les quittent.

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© Elizabeth Carecchio

(1) Des extraits d’interviews de la  thèse de Marie Cécile Lorenzo-Basson,  La vente à domicile : stratégies discursives en interaction _  didascalie.net  ponctuent le texte de Joël Pommerat

La grande et fabuleuse histoire du commerce de Joël Pommerat

Production Compagnie Louis Brouillard.   Avec Patrick Bebi, Hervé Blanc, Éric Forterre, Ludovic Molière, Jean-Claude Perrin.
Collaboration artistique Philippe Carbonneaux  TNP, salle Jean Bouise, jusqu’au 1er décembre à 20 heures

mercredi, 21 novembre 2012

Les Lucioles à la Croix-Rousse : L'Entêtement

Les Lucioles de Rennes sont pour quelques jours de passage sur la scène de la Croix-Rousse, avec un projet scénique et littéraire exigeant : L’Entêtement, pièce de l’argentin Rafaël Spregelburd, mis en scène par Elise Vigier et Marcial Di Fronzo Bo. Il s’agit du dernier volet d’une Heptologie conçue à partir du tableau La Roue des sept péchés capitaux de Jérôme Bosch.

L’Entêtement dont il est question est celui du commissaire franquiste Jaume Plane, qui tente de mettre à jour en parallèle à l’esperanto une langue artificielle susceptible de régler tous les problèmes de communication entre les hommes, alors que s’achève la guerre d’Espagne. La scène se situe dans la salle à manger, une chambre, et le jardin de sa maison à Valence en 1939.

L’action qui se déroule simultanément dans ces trois lieux de 17h00 à 18h14 est rejouée trois fois de suite, dans chacun de ces espaces différents, et le spectateur, comme dans un puzzle, se trouve progressivement à même de reconstituer l’intrigue. « Nous avons pensé un dispositif scénique permettant d’avoir les trois lieux présents en même temps, mais avec plusieurs plans de jeu sur le plateau. Ce qui nous donne aussi la possibilité de jouer avec différents plans de langues. », expliquent les deux metteurs en scène.

Car la pièce est jouée en plusieurs langues, le français, l’anglais, le catalan, le valencien. La problématique centrale est à la fois l’arbitraire du signe et les multiples malentendus, conflits d'intérêts, guerres qu’il occasionne. Du coup, le commissaire linguiste apparaît peu à peu comme une sorte de Shannon lyrique et inspiré ayant découvert un « parler sans langue » basé sur le nombre, balbutiement du langage numérique qui révolutionnera le monde quelque cinquante ans plus tard. « Ce projet est de la grande propagande », s’exclame, admiratif, un traducteur russe venu enquêter sur l’avancée des travaux. Il est aussi inscrit dans le drame familial et affectif du commissaire qui se dévoile peu à peu comme un héros quasi faustien.

Le texte est traversé autant par la question de l’origine des langues (on fait un détour non dénué d’humour par la Préhistoire) que par celles de leur ambigüité (la langue comme outil de communication et d’incompréhension), de leur utilisation (par la religion, la littérature, la vie quotidienne et ses déboires les plus triviaux) et surtout de leur instrumentalisation par le politique.  Spregelburd place ainsi en regard l’une des plus vieilles utopies de l’humanité avec les risques de totalitarisme et d’aliénation qu’elle fait courir à chaque individu, et que l'epoque actuelle illuste si bien.

Le dispositif dramaturgique, qui juxtapose dans un même temps des scènes différentes jouées trois fois en trois lieux contigus agit comme une démonstration de ces pouvoirs et de ces limites du langage, à travers les va-et-vient et les redites des différents personnages. Ce n’est qu’à la fin, au terme d’une enquêté qui ne manque ni de fausses pistes ni d'humour, que le spectateur peut goûter le dénouement de ce drame à la fois intime et collectif, dénouement qui ne manque d'ailleurs ni de sang ni d’ironie. Avec cet Entêtement,on passe donc un beau, riche et vrai moment de théâtre. De quoi s'entêter pour longtemps.

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©Christophe Raynaud De Lage 

L'entêtement, qui a été créé en allemand, au théâtre Schauspielfrankurt de Francfort en mai 2008 par Burkhard Kominski, est à voir au théâtre de la Croix-Rousse du 20 au 24 novembre 2012 dans la mise en scène proposé par Les Lucioles.

Texte de Rafaël Spregelburd. Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et d'Elise Vigier.  Avec Judith Chemla, Jonathan Cohen, Marcial Di Fonzo Bo, Sol Espeche, Pierre Maillet, Felix Pons, Clément Sibony, Elise Vigier Traduction de Marcial Di Fonzo Bo et de  Guillermo Pisani