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mercredi, 28 novembre 2012

En attendant...

Dès son arrivée dans la salle, le spectateur est accueilli à la lueur de quelques bougies par deux cadavres mis en bière. Celui de monsieur Abélard et celui de monsieur Albert.

La scène se situe donc dans un purgatoire incertain, lorsqu’entre eux s’engage une conversation des plus mondaines. Première bonne surprise, on découvre que l’après-mort est un espace civil, presque courtois, un lieu pour tout dire théâtral où l’on apprivoise les humeurs de son prochain avec bonhommie, comme en une salle d’attente d'ici-bas.

Bien vite, on apprend que le second, nanti d’une minerve et d’un chapeau melon,  fut guillotiné pour avoir tué sa femme par le premier,  bourreau insolite en nœud-pap’, lunettes d’aveugle et haut de forme : lorsque les deux personnages décrivent leurs derniers instants respectifs, la cruauté du propos est atténuée par les jeux de mots et les choix poétiques de Jean-Pierre Roos, qui se joue de la métaphore argotique (« j’étais le soubresauteur de la dame de fer), du terme savant (« le feulement »), de la litote (« ils mouraient en écoutant Eluard, Rimbaud ou Saint-John Perse).

L’exécuteur et l’exécuté deviennent donc assez vite complices et se confient par bribes des souvenirs de leurs existences : leurs soirées de réveillon, le job de clown-infirmier dans un service hospitalier pour enfants condamnés de l’un, les difficultés financières de l’autre, contraint, le métier de bourreau offrant une rémunération aléatoire, à faire le Père Noël.

Derrière ces deux personnages insolites se profilent peu à peu des caractères : pour l’un, l’innocence et la lucidité des enfants capables de rire devant le nez rouge d’un clown alors qu’ils sont condamnés à mourir sauve quelque peu l’humanité. Pour l’autre, témoin du fait que cette innocence n’est qu’un masque, les hommes sont tous de la race de Caïn et la nature humaine, qui n’est que péché, ne peut inspirer que défiance et dégoût.

Celui qu’on attend serait le seul à pouvoir trancher. En attendant... Son ombre passe parfois, mais ne fait que passer. Qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Le paradoxe est que celui qui croit (Abélard) ne peut voir, et que celui qui voit (Albert) ne peut croire. Est-ce le Tout-Puissant ou un simple jardinier? Le final réconcilie les deux visions dans une sorte de cynisme aussi ludique que rêveur, où sur le mode de la chasse sanguinaire et de la comptine pour enfants, se dit la cruauté de tout recommencement.

Il y a beaucoup de finesse et d'humour dans le jeu des acteurs (André Sanfratello et Jean Pierre Roos) qui servent  avec beaucoup de connivence ce texte à la fois simple et philosophique lorsqu’il aborde la question de l’innocence et de la cruauté, du doute et de la foi. Il y a beaucoup d’élégance et de doigté dans la mise en scène d’Anny Vogel qui  anime lentement les corps des deux comédiens, tout d’abord étendus, chacun dans  son cercueil, puis alanguis comme en un transat ou un canapé, agenouillés comme sur un prie-Dieu et finalement debout comme sur un marche pied.

« Ce qui attend les hommes après la mort, avança un jour Héraclite, est ni ce qu’ils espèrent ni ce qu’ils croient ». Curieusement, cette phrase qui inspira le titre du roman d’Elie Treese dont il était question dans le billet d’hier, pourrait tout autant résumer l’étrangeté poétique de ce spectacle, à voir jusqu’au dimanche 9 décembre à l’Espace 44.

 

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En attendant

De Jean Pierre Roos.  Mise en scène d’Anny Vogel  Avec André Sanfratello et Jean-Pierre Roos.  Par Volodia Théâtre et l’Espace 44

Commentaires

Merci, tu nous donnes très envie de la voir, cette pièce...

Écrit par : Sophie K. | mercredi, 28 novembre 2012

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